Société de l’Information et État-nation : prodiges ou vertiges ?

Conversation avec Gianmatteo Arena, fonctionnaire international, chef de l’unité operation sections de la Délégation diplomatique de la Commission Européenne près de l’État d’Israël. Du 1994 au 2001,toujours comme fonctionnaire de la Commission, il a travaillé auprès de la DG.Société de l’Information et Médias. Comme auteur a publié:”La société de l’information déstabilise-t-elle l’État-Nation? Analyse comparative du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication dans l’âge de la mondialisation.”, Université libre de Bruxelles, 2006; aux éditions Harmattan Italie, “Aspetti cooperativi della presenza OSCE in Bosnia Erzegovina.”, 2004.

Antonio Torrenzano.Les dernières années ont été marquées par un bouleversement dans le paysage industriel du monde développé. La libéralisation des télécommunications, le développement du Net et la mise en réseau progressive des entreprises et de la société sont révélateurs d’un seul et même phénomène : l’avènement de la société de l’information (SI). Par sa nature même, la société de l’information ignore les frontières et délimitations classiques. Pourquoi ?

Gianmatteo Arena. Au début des années 70, l’expression “société de l’Information” définissait une société hypothétique, (re)structurée par l’ensemble des technologies liées au domaine de la gestion de l’information. Cette définition, tirée d’une terminologie restreinte propre aux experts scientifiques, a ensuite été utilisée plus largement, au niveau macro-économique, dans le cadre d’une réflexion qui visait à définir des modèles valides pour identifier les valeurs et dimensions du nouveau marché.L’expression société de l’information fut, nous pouvons le dire, officialisée au niveau mondial à l’occasion de la réunion du G7 qui s’est tenue à Bruxelles le 24 février 1995. À partir de cette date, le débat s’amplifie, assumant une dimension politique. Le résultat principal de cette conférence ne fut pas seulement l’implication au plus haut niveau des plus grandes puissances économiques du monde, ni même ses répercussions énormes sur l’opinion publique; ce fut la reconnaissance du rôle-clé de la société de l’information dans les orientations politiques. La nature du G7 est exclusivement politique, et, à cette occasion, on a voulu reconnaître l’importance politique du concept. C’est donc seulement au milieu des années 90 et,après dix années de tergiversations, que les pays les plus industrialisés ont reconnu un rôle politico-socio-économique du processus. L’impact du développement de la société de l’information a été véritablement d’une ampleur comparable à celle de la révolution industrielle et ses conséquences se sont manifestés à tous les niveaux. Les technologies de l’information ont aussi causé une révolution dans l’échelle des valeurs humaines. Il est plus efficace, plus productif et plus profitable de mener des activités sur une échelle plus vaste dépassant les limites de l’État et, donc, modifiant la conception même de production interne et de croissance nationale. À cet égard, l’État est devenu restrictif. Echapper aux contraintes des frontières nationales a été un facteur important, un énorme succès.

A.T. J’aimerais réfléchir avec vous sur les relations entre la Société de l’information, l’État-nation et la mondialisation. Certains parlent d’un nouvel âge de la démocratie et/ou d’un bien-être accru et généralisé; d’autres dénoncent un nouvel outil de discrimination entre Nord et Sud du monde, entre les riches et les pauvres. Encore…une nouvelle occasion pour les groupes industriels les plus puissants d’affirmer leur suprématie. Mais nous essayerons pour notre part de ne pas entrer dans cette polémique et de rester objectifs et réalistes.La question donc est la suivante: société de l’information et l’État-nation, prodiges ou vertiges ?

Gianmatteo Arena. Quiconque qui s’occupe de mondialisation reconnaît qu’il existe une relation linéaire entre celle-ci et la société de l’Information. En effet, plus les outils offerts par les nouvelles technologies de l’information et de la communication sont nombreux, plus les différents phénomènes de mondialisation s’accroissent. Ils contribuent à abattre les barrières espace/temps et à favoriser les relations de tous les types entre individus et pays. D’autre part, il existe un autre axiome, sur lequel il y a presque l’unanimité, selon lequel le concept de l’État-nation s’oppose à celui de mondialisation. Ils restent plusieurs et importantes questions sur le futur du concept théorique d’État-nation. Les États-nations satisferont une grande partie des besoins locaux et protègeront l’identité culturelle et l’intégrité de leurs peuples? Les nations préfèrent-elles renoncer à ce rôle? Y-a-t-il une volonté de déléguer à d’autres entités? Soit des organismes internationaux soit des entreprises privées se sont développés grâce à la volonté claire de l’État; ils sont une création de l’Etat-nation dans une periode historique bien identifiable. Mais le facteur technologique et, en particulier la Technologie de l’Information et de la Communication (TIC) est neutre dans cette démarche désormais en évolution depuis longtemps. Il s’agit de se demander comment l’État pourrait satisfaire conjointement les besoins des investisseurs et ceux des consommateurs (essentiellement en termes de qualité et de faibles coûts), afin de contribuer à garantir le minimum de cohésion, sans laquelle, la pérennité même de la société de l’information serait menacée.

D’une part, la technologie a déclenché un certain nombre de changements de la société qui réduisent la liberté d’action de l’Etat et le rend vulnérable jusqu’à un degré jamais atteint jusqu’ici. D’autre part se développe une nécessité politico-sociale visant à justifier l’action entreprise par l’Etat pour assurer la protection des droits acquis ou sauvegarder les intérêts des catégories le plus faibles. Ces phénomènes nous donnent un aperçu de la façon dont l’État se renforce tout en devenant plus dépendant d’autres régions du monde. L’État-nation ne peut pas contrôler tous ses besoins et, il est donc, beaucoup moins enclin à contrôler sa propre économie domestique.Comme les nations deviennent plus interdépendantes, la coopération internationale devient indispensable. La liberté d’action souveraine est, dans la pratique, cernée par une interdépendance globale. Pour l’État qui se voudrait maître des horologes (comme Victor Randal affirme dans son essai “Democratisation and the Media”), celle des technologies de l’information tourne vite. Pour autant, il ne peut pas se retirer du jeu. Cette façon d’aborder la question a le mérite de souligner l’insuffisance du mode traditionnel d’intervention de l’État face à la diversité des situations inédites créées par le développement rapide des technologies de l’information.

Antonio Torrenzano. Pouvez-vous nous faire un example?

Gianmatteo Arena. De toutes les composantes qui forment l’univers de la société de l’information, le secteur des télécommunications est le plus représentatif. Même s’il est vrai que la société de l’information est le fruit de la convergence totale de différents secteurs industriels (informatique, électronique, télédiffusion, télécommunications), les télécoms en demeurent le pilier principal. Les télécommunications, plus nettement que d’autres composantes de la société de l’information, ont toujours revêtu une importance et une « sensibilité » particulières dans le cadre national. Le débat sur l’opportunité du « service public » garanti par l’Etat, les intérêts économiques en jeu, la concurrence sont autant de thèmes qui ont toujours enflammé le débat politique dans chaque Pays éuropéen. Le problème n‘est pas dans les technologies, à proprement parler, mais dans l’utilisation qu’on en fait. Les relations entre les nations, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales, directes ou indirectes, ont ajouté une nouvelle dimension à la prise de décision centralisée. La technologie a facilité une grande et complexe administration et a considérablement modifié divers aspects du processus gouvernemental. Les chefs de gouvernement se consultent plus fréquemment; les ministres des affaires étrangères s’engagent personnellement au niveau diplomatique. En raison de la rapidité des communications, l’interaction mondiale est maintenant devenue un domaine à part entière des gouvernements…même pour les Etats très petits. Les tendances géopolitiques, influencées aussi par la technologie, auront comme conséquence la régionalisation de la politique économique et étrangère et des aspects militaires de la vie nationale, tout en mettant à jour la diversité des aspects culturels,ethniques et sociaux d’identité nationale.Par exemple, la technologie a toujours été un instrument significatif de puissance gouvernementale.L’État-nation survivra presque certainement dans certaines de ses fonctions, mais probablement pas dans toutes.

A.T. Le problème actuel de l’homme moderne est devenir capable de construire encore sa propre histoire et être encore acteur de son avenir. Mais ceci est possible seulement par un procès continu de création et recherche. Le procès me semble bloqué.Le mythe selon lequel le net devait changer les rapports entre le Nord et le Sud du monde est démenti par les faits : en 2001, les 20% des plus riches de la population mondiale représentaient 93,3% des utilisateurs du net tandis que les 20% des plus pauvres, le 0,2%. Je voudrais encore ajouter que l’analyse statistique des usages et des usagers de l’informatique montre que la coupure est très forte entre les «interacteurs» et les «interagis» et qu’elle a pour principe la distribution inégale du capital culturel, donc, le système scolaire. Comment prévoyez-vous le futur?

Gianmatteo Arena. La prédiction est difficile, spécialement quand on parle du futur. Cette phrase du physicien Niels Bohr évoquait la recherche scientifique. Il est tout aussi difficile aujourd’hui de parler des changements en cours dans la société de l’information.Beaucoup, en ce début de nouveau millénaire, s’interrogent sur ce que sera la société du futur. Un aspect caractéristique de notre société sera certainement le rôle que jouera l’information dans notre vie. Comparer l’ampleur technique de cette évolution à celle qu’apportèrent l’introduction des chemins de fer ou de l’électrification, et nous demander si elle sera plus profonde que la révolution industrielle, n’est pas notre but.Jusqu’à maintenant nous avons assisté à une modification fondamentale des structures économiques, des modes d’organisation et de production,d’accès à la connaissance, des loisirs, des méthodes de travail et des relations sociales. Tout cela signifie : création de valeur ajoutée et d’emplois, apparition de nouveaux marchés et de nouveaux métiers. Mais en même temps, destruction d’emplois et pour ceux qui vivent dans les pays en développement l’augmentation du fossé digital vis-à-vis de pays plus développés (digital divide). Ce ne sont pas là des prédictions mais des faits déjà tangibles.Mais une chose est sûre, la société du futur aura pour système nerveux les réseaux d’information.Que les effets soient positifs ou négatifs, cela dépend de nous.

Antonio Torrenzano

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