Conversation avec Jacques Généreux, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris, président de l’Association internationale pour l’économie humaine, écrivain.
Antonio Torrenzano. Les sociétés qui sont économiquement et socialement les plus avancées, elles sont aujourd’hui soumises à une double transformation. D’un côté, nous constatons une convergence et une homogénéisation considérable des styles de vie, des conduites et des manières de consommer; de l’autre une augmentation graduelle et progressive de la pauvreté, des difficultés.Si la mondialisation économique est aujourd’hui le visage contemporain de l’idéologie du marché où l’individu est réduit à un simple consommateur seul et isolé face au marché,comment pourrons nous changer ce processus économique ?
Jacques Généreux. Quand je parle d’économie humaine, je ne désigne ni un modèle, ni un système économique mais une inspiration et des aspirations communes. Plus précisément, par économie humaine, j’entends exprimer l’adhésion à une finalité, un choix méthodologique et la coscience de notre responsabilité de chercheur vis-à-vis de la société. La seule finalité légitime de l’économie est la qualité de vie des femmes et des hommes, à commencer par celle des plus démunis. La satisfaction équitable des aspirations humaines pas seulement celles qui procurent les consommations marchandes. Mais l’ensemble des aspirations échappant à toute évaluation monétaire:dignité, paix, securité, liberté, éducation, santé, qualité de l’environnement, bien-être des générations futures. Un système économique pleinement efficace n’est pas seulement celui qui garantit l’absence de gaspillage des ressources dans la production des biens, mais aussi celui qui satisfait au mieux l’ensemble des exigences de l’humanité, à commencer par l’exigence de justice.Dans cette optique, la distinction fréquente entre la question de l’usage efficace des ressources, qui serait d’ordre purement technique, et la question de leur juste répartition, qui serait d’ordre politique, est contestable. La justice comme la dignité humaine ne sont pas des considérations indépendantes de celles lieés à l’usage efficient des ressources. Il s’agit de définir les éléments qui réunissent au fond les principales alternatives au laissez-faire pur et simple.
Antonio Torrenzano. Le développement actuel n’est pas durable puisque l’humanité est condamnée à un génocide par la faim. Je crois qu’il faudra trouver vite un développement qui remette en cause le parcours suivi jusqu’à ce moment. Pensez-vous qu’on est obligé de passer à une nouvelle vision économique ?
Jacques Généreux. L’économie humaine est l’économie d’un être humain complet,d’un être humain qui inscrit son action dans le temps (et donc l’histoire),sur un territoire,dans un environnement familial,social,culturel et politique;l’économie d’une personne animée par des valeurs et qui ne résout pas tout par le calcul ou l’échange,mais aussi par l’habitude,le don,la coopération,les règles morales,les conventions sociales,le droit, les institutions politiques. Au lieu d’évacuer la complexité des sociétés humaines (qui ne se met pas toujours en équations), l’économie humaine s’efforce de tenir un discours rigoreux intégrant la complexité,les Individus.La difficulté est de trouver,non pas le plus petit dénominateur commun, mais le plus grand et le plus signifiant pour nos concitoyens. Je pense que l’économie peut aider les êtres humains à choisir leur destin plutôt que de le subir. Nous savons que l’économie est politique et qu’il s’agit de réintégrer,et non d’opposer,l’économie et la démocratie. La seule finalité légitime du développement économique est la satisfaction équitable des besoins humains.Les lois de l’économie doivent retourner à être au service des lois des individus.La notion de progrès humain doit retouner à avoir un sens.Je constate,au contraire,que l’économie concrète,l’économie perceptible aussi aux profanes,est perçue comme inhumaine. Il faut remplacer le survie par la vie, le conflit par la paix,la rivalité par la convivialité et la solidarieté.
Antonio Torrenzano. Par l’économie humaine, vous ne désignez pas un modèle, mais une inspiration commune reposant sur trois exigences. Est-ce-que je pourrais connaitre les principales finalités ?
Jacques Généreux. L’économie doit être au service des êtres humains et non l’inverse.L’efficacité productive, la compétitivité,la rentabilité,ne sont pas des finalités de l’économie mais des simples instruments qui restent subordonnés au respect des principes énoncés par la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et aux efforts entrepris par le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD). Tout être humain a un droit égal et imprescriptible à des conditions de vie matérielles décentes (nutrition, accès à l’eau,hygiène, logement, sécurité physique),à l’éducation,à l’accès aux soins.Dans un monde ou les deux tiers de l’humanité n’ont pas d’accès régulier à ces biens de base,il est évident que il faut faire vite.Tout être humain a le droit d’accéder aux modes de partecipation à la vie sociales qui sont nécessaires au respect de soi et à la dignité.
Antonio Torrenzano