Vision:anthropologie du corps et modernité.Conversation avec David Le Breton.

 

 

anthropologie_du_corps.1190747280.jpgConversation avec David Le Breton, anthropologue, professeur à l’université Marc-Bloch de Strasbourg. Auteur des nombreux essais dont: Anthropologie du corps et modernité,1990; 2) Passions du risque,1991; 3) La sociologie du corps, 1992; 4) La chair à vif. Usages médicaux et mondains du corps humain,1993; 5) Anthropologie de la douleur,1995; 6) La sociologie du risque,1995;7)Les passions ordinaires,1998;Conduites à risque.Des jeux de mort au jeu de vivre,2002; 9) Signes d’identité, 2002. La conversation a eu lieu auprès du “Festival international della Mente”, dans le petit village du moyen âge de Sarzana en Italie, le 1er septembre 2007.

Antonio Torrenzano. Pourquoi affirmez-vous que chaque histoire personnelle est une histoire de peau?

David Le Breton. Chaque histoire personnelle est une histoire de peau.Dans les différentes cultures européennes, la peau est métonymie de la personne. La peau explicite la différence individuelle,elle signale le genre sexuel, la condition sociale, l’âge, même les qualités de l’individu. La peau est un un filtre psychique et somatique en même temps. Par la peau, nous pouvons connaitre l’histoire personnelle d’un individu, ses liens sociaux, sa vie privée et publique. Elle constitue le point de contact avec le monde et avec les autres. De plus, elle gère le rapport de chaque individu avec le monde exterieur.La peau est rhabillée de sens.Toucher n’est pas seulement une action physique, il est en même temps sémantique.Toutes les relations sociales avec les autres nous les traduisons en réactions épidermiques.Par exemple, certains verbes qu’ils impliquent les mains, ils servent à décrire nos actes vis-à-vis de l’autre. Pensez-vous aux phrases :”nous prenons part à sa douleur”, “nous comprenons ton point de vue, ou “je te porte dans le coeur” ou encore “nous l’accueillons aux bras ouverts”. La qualité du rapport avec le monde et les autres,c’est un problème de peau. La sexualité abat la séparation des corps par l’embrassement,par les caresses. Une caresse ne signifie pas prendre possession de l’autre individu plutôt se reconnaitre avec l’autre personne dans une approche sans fin. Le tact est le sens principal de la rencontre,de la sensualité,de tous les liens sociaux. Le tact, c’est la tentative d’abolir la distance avec l’autre sujet en les approchant dans une réciprocité qu’on veut immédiat.

A.T.Le piercing,il tatouage,la chirurgie esthétique,sont-ils des nouveaux procès de construction de formes d’identité ?

David Le Breton. Le corps est perçu par nos contemporains comme une espèce de matière brute, un accessoire de la personne malléable et révocable. Il faut le modifier d’une manière ou dans l’autre, comme si ces changements pouvaient prendre possession de notre corps réellement. C’est un désir qu’il recoure souvent dans les interviews pour mes analyses que j’ai réalisées. On aperçoit ici un fantôme, on devine l’envie d’être au fondement de la propre origine en refusant chaque idée de filiation:c’est l’ambition de faire à soi.Dans mon livre, l’adieu au corps, j’ai analysé vraiment cette convergence entre pratiques et discours sur l’insuffisance, plus que sur le symbole incomplet du corps, la déception et le découragement qui s’essaie aux propres yeux et le désir de changer peau. Le tatouage et le perçage sont la forme le plus élémentaire et banale, si nous voulons, de cette volonté de se mettre au monde tout seul.Le corps pluriel réenvoie, dans les faits, à une identité que, dans le monde contemporain, elle est devenue polymorphe et fuyante. Il est nous demandé continuellement de nous ajourner, de nous recycler, de se plier aux modes. Le fait même de se remettre en cause est vu curieusement comme une valeur. L’économie et le monde des marchandises nous demandent de nous rapporter continuellement avec le système de la consommation. L’identité même assume modalités variables. Nombreux parlent de liberté individuelle, mais je ne crois pas qu’ils se trouvent dans un temps de libération du sujet. Je crois, plutôt, qu’il est un temps de soumission presque inconditionnelle aux marchés et à leur mondialisation. Les modifications du corps ne sont pas une manière de décliner la propre volonté.Seulement une mode d’être autre de soi.

A.T. Vous avez longtemps étudié le risque, l’accélération permanente de nos sociétés occidentales. Quelles sont-elles, selon vous, les vertus philosophiques et créatrices de la marche à pied ?

David Le Breton. Marcher signifie s’ouvrir au monde et jouir de ses goûts. Marcher, il signifie être sollicité constamment par les odeurs, les couleurs, les sons. Le corps vibre, il retrouve cet enchantement de vivre qui est obscurci trop souvent par les obligations quotidiennes.Chaque territoire, je crois, communique un type de bonheur spécial. Pour moi, marcher dans une ville que je ne connais pas ou que je retrouve après mois ou ans, il est un plaisir sensoriel. Le chemin permet d’entendre profondément le propre corps trop souvent oublié. Nos contemporains ne sont plus capables de vivre sans “prothèse” et la voiture est la pire peut-être de celles-ci.Cette accélération me déconcerte. La frénésie des téléphones mobiles est symptomatique de ce point de vue. Pouvoir répondre toujours, il est devenu indispensable. Comme impossible il est devenu prendre du temps pour soi, pour fureter, pour écouter le monde.Toutes activités ennemies de nos sociétés occidentales. Il se promener, marcher signifie aussi reconquérir notre humilité d’êtres humains. Il nous renvoie aux questions essentielles, au sens de nos vies. En marchant, le corps libéré par les contraintes permet à l’esprit de se promener dans l’imaginaire et dans la pensée. Premier apprentissage de l’enfance, le chemin célèbre chaque fois la rencontre avec la vie. En marchant se découvre le sentiment de l’existence sans être dévoré par les impératifs de la communication parce que la société des médias est contraire à celle du corps, c’est sa mortification. En marchant, on a du temps pour dialoguer, écouter les autres et de discuter longtemps. En marchant, le mot reconquiert sa plénitude.

Antonio Torrenzano

 

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