Unifié le monde après le refoulement du Mur de Berlin, il est apparu clair que le système international économique et politique n’a pas été apte à assumer l’entière population mondiale dans un projet commun et unique de vie et de développement.Pour les états africains, le 1989 a été le début d’une longue période d’éclipse géopolitique qui persiste désormais depuis dix-huit ans.En équilibre instable entre une tradition violentée, mais encore vive et une modernité séduisante et imposée, les sociétés africaines sont entités écrasées. Du point de vue du social, l’Afrique n’est pas morte: c’est une marmite en ébullition.
Pendant les années mille neuf cent quatre-vingt-dix, le continent avait connu une phase politique intéressante, décrite par quelques écoles de pensée, la deuxième vague d’indépendance. La chute du mur de Berlin du point de vue de l’international, le mûrissement d’une société civile désireuse de liberté et d’ouvertures politiques,ils ont fait souffler sur le continent le vent de la démocratisation. Le choix de ce mot n’est pas casuel. La démocratie en Afrique n’est jamais une donnée de fait. Il s’agit d’un procès commencé, à mon avis, de manière irréversible qui doit encore expliciter toutes ses potentialités. Par cette mobilisation, soutien Célestin Monga dans son essai “Anthropologie de la colère”, les peuples africains exprimaient des comportements qui traduisaient le désir d’assumer leur spécificité à affirmer une autre manière d’exister par l’invention de nouvelles manières de production démocratique. Lentement, par des petits gestes,dans les comportements, il s’est faufilé une vraie morale du refus, une sorte de désobéissance civile, tellement mince, qui réussit à être perceptible au-delà des mots.C’est à travers ces nouvelles stratégies d’indiscipline populaire, qu’il faut lire l’agitation de la société africaine contemporaine. Aujourd’hui,il faut accorder une grande attention moins à l’Afrique des gouvernements et plus à celle des individus, à leurs attitudes, que ce sont les symboles de l’expression de l’insatisfaction. Une élaboration collective par la méthode de “l’optimisation de l’anarchie”. En autres mots, la société civile en Afrique est constituée par tous ceux qui expriment un mécontent collectif. Au dehors du caractère officiel, ce groupe d’individus en manière autonome se structure dans l’attente de devenir le nouveau sujet partenaire d’un nouveau développement économique ou d’une nouvelle phase politique”.
Les demandes des individus du continent sont identiques au reste du monde:liberté de pensée, d’expression, d’association, liberté de choisir les propres gouvernants, transparence dans la gestion des biens publics, combat pour la tutelle des droits humains fondamentaux. Dans certains cas, sans aucun doute, tel procès a été récupéré par des élites pour en faire outil de lutte pour la conquête du pouvoir. Mais des résultats concrets se sont produits au Togo, au Kenya, en Afrique du Sud, au Mozambique, à Madagascar, au Gabon. Petits exemples,très petits, qu’ils indiquent cependant le parcours sur lequel ils se mesureront les capacités des peuples africains d’inventer leur avenir. Ces tentatives ont coïncidé avec un moment de crise économique très aiguë: fuite des capitaux,effondrement des prix des matières premières agricoles ou minières,rigidité très élevée des lignes d’action d’ajustement structural de Banque Mondiale et du Fond monétaire international. Cette crise économique a étouffé chaque velléité de parcours économique alternatif à la pensée unique et mis à zéro le débat de la société civile sur un possible modèle de démarche démocratique pour le continent. Sans pain, la démocratie a fini pour s’ensabler. Les programmes d’ajustement structural (PAS), inspirés aux principes du libéralisme mondial, ont fait le reste : ils ont éludé la réflexion et ces aspirations sur un possible et nouveau modèle de développement économique et politique. Les théories du développement économique et leur faillite sont sous les yeux de tous. La situation est empirée et la crise de la dette déduit une situation économique désastreuse du continent. Les nombreux chantiers pour la construction des nouvelles grandes infrastructures (les digues du programme Water Project du Lesotho aux zones arides de l’Afrique du Sud, les mille kilomètres de chemin de fer entre Bénin,Niger et Burkina Faso ou la construction du port maritime de Kribi au Cameroun) sont seulement des affaires économiques à réaliser pour les entreprises occidentales, processus d’expansion économique qui n’ont rien à que faire avec les stratégies de lutte contre la pauvreté. Simples actions de délocalisation industrielle occidentale.
Dans mes derniers voyages dans la corne de l’Afrique et dans la région des Grands Lacs, j’ai cherché d’étudier l’autre Afrique de l’économie, celle que dans les souterrains de l’histoire,elle se nourrit par des moyens de l’économie informelle, de survivance dans les campagnes et, à travers l’art de se débrouiller. La débrouillardise est une modalité de vie qu’il condamne entiers secteurs de la population à un croissante précarité. C’est le peuple indéfini des désillusionnés des Capitales-bidonvilles africaines : enfants seuls, jeunes sans travail, femmes. Individus, qui ont cré un circuit parallèle de survivance,de microfinance horizontale, d’économie informelle qui leur empêche de considérer la pauvreté comme une fatalité. Icônes vivantes de très haute dignité qui indiquent le millénaire modèle économique africain attentif aux valeurs de l’homme et pas aligné aux logiques du profit. L’idée que la démocratie soit un luxe pour les peuples africains est une fausseté. Il n’y a pas relation de cause et effet entre processus de démocratisation et violence politique, parce que pour soi-même,la démocratisation n’est pas chargée de violence. En Afrique, la violence est dégénérée en présence de dictateurs ou de groupes qui ont tenté de légitimer leur pouvoir exclusif contre une autre partie de la population du pays. La confusion entre multi partitisme et multi ethnicisme (c’est-à-dire quand les contours de l’appartenance ethnique coïncidaient avec ceux du militantisme politique) a engendré violence inouïe. Somalie, Burundi, Rwanda, Ouganda, Sierra Leone, ils sont des exemples éclatants dont je retournerai dans mes prochaines analyses et réflexions.
Ils me viennent à l’esprit les mots d’une poésie du Salvador Diaz Miron: ” Rappelez-vous , souverains et vassaux, excellences et mendiants, personne n’aura droit au superflu jusqu’à quand un seul, il manquera du nécessaire.” Dans le continent africain, le nécessaire, dont Diaz Miron parle, s’appelle développement économique durable,droits humains, paix, démocratie.
Antonio Torrenzano