Quand nous oublierons l’odeur du soleil dans l’herbe. Conversation avec Yves Paccalet .

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Conversation avec Yves Paccalet, écrivain, philosophe, naturaliste. Il est auteur de nombreux essais dont “la planète des baleines” avec Jacques Cousteau, Laffont éditions, 1982; “Fortunes de mer” toujours avec Jacques Cousteau, Flammarion,1987; “La mer blessée”, Flammarion,1987; “La Terre et la Vie”, Larousse,1991; “L’odeur du soleil dans l’herbe, journal de nature”, Laffont 1992;le livre dédié à Jacques-Yves Cousteau “l’océan de la vie”, Lattès, 1997;“Soigner l’homme, soigner la Terre” avec Michel Chast, Lattès édition 2003; “L’école de la nature”,Hoebeke,2004; “Voyage au pays des montagnes”,Archipel,2004;“L’Extrême Sud,périples antarctiques avec le photographe Patrick de Wilde, Arthaud, 2005; “Forêts de légendes”, Flammarion, 2005, et le dernier essai “L’humanité disparaîtra, bon débarras!” par la maison d’édition Arthaud, 2006; “Sortie de secours”, Arthaud édition,2007. Le dialogue a été lieu au Salon du livre de Genève au mois de mai 2007. L’entretien avec Yves Paccalet, en deux parties, dont la première aujourd’hui et la deuxième partie du dialogue le 16 janvier 2008, nous met face à nos fatales incuries.

Antonio Torrenzano. Je commence cette conversation avec une réflexion du poète chinois Hui Neng, que vous citez dans votre essai l’Humanité disparaîtra:“si tu ne trouves pas refuge dans ta propre nature, tu ne le trouveras nulle part”. Est-ce qu’il est vraiment comme ça ?

Yves Paccalet. La Terre est une maison populeuse et complexe, où les êtres paraissent et disparaissent sans que cela modifie le cours des planètes. À fortiori, le sort de l’univers ! Lorsqu’on désire évaluer l’impact d’un individu ou d’un groupe sur son environnement, on se sert d’un indicateur appelé l’empreinte écologique. Le principe est simple. Pour boire, nous nourrir,nous vêtir, nous loger, nus déplacer, nous soigner ou recycler nos déchets, nous consommons des ressources – de l’eau, de l’énergie, des aliments, des matières premières… Nous laissons une trace (souvent bien visible) sur la planète.Quand nous ne prélevons pas davantage que le globe ne peut donner, tout va bien. Notre cohabitation,notre vie commune avec Gaïa restent équilibrées. Le système peut durer. Mais lorsqu’on fait la somme des empreintes écologiques des six milliards et demi d’Homo sapiens actuels, un colossal problème se pose. La répartition des surfaces entre les individus ou les peuples est scandaleusement inégalitaire. L’empreinte écologique de l’Americain atteint vingt hectares, celle de l’Européen dix, celle de l’Africain zéro virgule deux…Selon ce critère, l’Éthiopien ou le Nigérien valent cent fois moins que le yankee.Bien entendu, aucun humain n’en vaut cent autres. C’est scientifiquement faux, philosophiquement injustifié, et moralement intenable. En ce début de vingt et unième siècle, si tous les hommes consommaient comme les Européens, il ne nous faudrait pas moins de trois planètes pour satisfaire nos besoins. S’ils avaient le mode de vie américain,il nous en faudrait six. Question: où tournent les cinq planètes qui nous manquent? Pourquoi désirer toujours plus? Je ne veux pas contrarier davantage la nature, ma nature.

Antonio Torrenzano. Selon vous, quelles sont les questions relatives aux changements climatiques qui devront être traitées en priorité dans les années à venir ?

Yves Paccalet. À cause de nous, les climats de la planète sont patraques,déréglés,malades. Il se pourrait que la Terre nous fasse payer notre insouciance, ou notre volonté de ne rien voir. Nous brûlons du charbon,du pétrole et du gaz naturel, c’est-à-dire des combustibles fossiles. Nos chaudières et nos moteurs relâchent du gaz carbonique, dont le taux augmente dans l’atmosphère. Le CO2 retient, sous forme d’infrarouges (de rayons calorifiques), les rayons lumineux venus du Soleil et réfléchis par le sol. Il provoque ce qu’on appelle un effet de serre, que renforcent d’autres composés dotés du même pouvoir: le méthane, l’ammoniac,l’ozone, la vapeur d’eau. À cause de ces pollutions, le réchauffement de la planète est en marche. Le nombre moyen de degrés supplémentaires que nous atteindrons dans dix, cinquante ou cent ans dépendra de nombreux facteurs, dont le plus décisif sera le comportement des hommes eux-mêmes. Que feront-ils, une fois conscients du risque? Ils ne seront jamais sages, même si les pires ennuis se profilent. L’analyse des microbulles d’air contenu dans les glaces de l’Antarctique nous l’a révélé: depuis le début de l’ère industrielle, nous avons fait passer le taux de CO2 atmosphérique de deux cent soixante-quinze à plus de trois cent cinquante parties par million. Une ascension brutale. Et qui continue… Nous avons pris conscience de la situation et signé des protocoles internationaux, mais ce n’est qu’une fraction du problème. Nous rejetons toujours davantage de chlore. Les matières plastiques nous submergent. En extrapolant à partir des tendances actuelles, il semble probable que nous élèverons la température moyenne, à la surface de la Terre, de deux à quatre degrés Celsius d’ici 2050, et de quatre à huit d’ici 2100. Il se pourrait que ce soit un peu moins… en réalité, je crois (avec la plupart des climatologues) que nous serons dans la tranche la plus haute du modèle. Jusqu’ici, les projections des spécialistes ne tenaient pas compte de l’envolée économique de la Chine, de l’Inde ou du Brésil. L’atmosphère se réchauffe plus vite dans les contrées polaires que sous les tropiques.Le processus a déjà commencé. Les banquises rétrécissent et s’amincissent;elles se forment chaque automne un peu plus tard et fondent chaque printemps un peu plus tôt. Le sol toujours gelé de l’Arctique (le permafrost) se met…à dégeler. Les maisons des Inuits s’effondrent dans la boue.Les ours blancs ne peuvent plus migrer.Le réchauffement climatique se traduira par des tempêtes d’une fréquence et d’une intensité dont nous n’avons guère idée.Nous avons eu un exemple de tels monstres avec Katrina, qui à submergé la Nouvelle-Orléans en août 2005. Les hommes pourront réfléchir à ce qu’il coute d’outrager la planète.S’il reste des hommes.

A.T. Qu’est-ce qu’il changera après le protocole de Kyoto et la conférence de Bali?

Yves Paccalet. Le Protocole de Kyoto, élaboré en 1977, s’asphyxie dans l’égoïsme forcené des riches. Le principe en est dramatiquement modeste, une ambition minimale, au regard de la santé de la planète. Les États-Unis (un quart des émissions totales) n’ont pas signé à Kyoto parce que leur sacro-saint niveau de vie n’est pas négociable. La Chine dit “oui” du bout des lèvres et regarde ailleurs. L’Indie accepte et botte en touche. La plupart des Pays qui ratifient le texte traînent des pieds, prennent du retard dans son application et organisent leur industrie,leur agriculture, leurs transports et leurs habitations de façon que jamais rien n’aboutisse. L’homme, disait Platon, est un animal à deux pieds sans plumes. Un poulet peu poilu…J’ajoute: un ravageur imprévoyant; un destructeur invétéré; un saccageur qui n’a d’autre préoccupation que son intérêt immédiat;un danger pour ce qui respire. L’homme est un barbare à deux pieds sans plumes…

 

 

Antonio Torrenzano

 

**Special Thanks à l’artiste et dessinateur Patrick Chappatte pour l’illustration.

 

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