L’eau, une ressource rare. Conversation avec Erik Orsenna de l’Académie française.

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Conversation avec Erik Orsenna, écrivain, économiste, membre de l’Académie française depuis le 28 mai 1998.Après onze années de recherche et d’enseignement dans le domaine de la finance internationale et de l’économie du développement (Université de Paris I, École normale supérieure).En 1981, Jean-Pierre Cot, ministre de la Coopération, l’appelle à son cabinet. Il s’y occupera des matières premières et des négociations multilatérales. Deux ans plus tard, il rejoint l’Élysée en tant que conseiller culturel (et rédacteur des ébauches de discours subalternes). Dans les années 1990, auprès de Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères, il traitera de la démocratisation en Afrique et des relations entre l’Europe du Sud et le Maghreb.Entre-temps,il a quitté l’Université pour entrer, en décembre 1985, au Conseil d’État. Conseiller d’État depuis juillet 2000, actuellement en disponibilité. Il est aujourd’hui vice-président de la société Cytale (livre électronique). Parallèlement à ces activités administratives, il a écrit sept romans, dont La Vie comme à Lausanne, prix Roger Nimier 1978, et L’Exposition coloniale, prix Goncourt 1988. Il préside le Centre de la mer (Corderie royale, à Rochefort). La conversation a eu lieu dans la ville italienne de Mantoue pendant le «festival della letteratura» et au Salon du livre de Paris.

Antonio Torrenzano. L’eau sera le problème du XXI siècle. La rareté, la pollution, les conflits pour en avoir la gestion, ils feront devenir l’eau précieuse de plus en plus. De ressource offerte par la nature, l’eau va devenir une marchandise d’échange et une nouvelle source de profit pour les spéculateurs. L’eau deviendra cause de graves conflits, soit à l’intérieur d’un pays, soit entre de groupes sociaux différents, soit entre pays voisins liés par une source commune d’eau. Les besoins d’eau augmentent encore par la haute croissance démographique, mais aussi pour de pratiques agricoles et industrielles pas toujours parcimonieuses ou soutenables.Quoi faire? Quels choix ?

Erik Orsenna. Je connais les chiffres par coeur et il faut continuer à les citer: un milliard d’habitants de la planète n’ont pas accès à l’eau et 2,6 milliards vivent sans système d’évacuation des eaux usées, 25 000 êtres humains meurent chaque jour faute d’eau,dont la moitié sont des enfants. Pasteur dénonçait le fait que 90% des maladies ont pour origine des carences en matière d’eau. Ce qui était vrai dans son temps l’est plus encore aujourd’hui. L’absence d’eau tue dix fois plus que les guerres. Notre avenir est encore plus inquiétant que notre présent. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: les réserves mondiales par habitant sont passées de 16800 mètres cubes en 1950 à 7300 en 2000 et atteindront probablement 4800 mètres cubes en 2025. Il faut avoir le courage de dire que les objectifs du Millénaire paraissent hypocrites. Les investissements consentis chaque année pour améliorer le système d’accès à l’eau atteignent aujourd’hui presque 15 milliards de dollars. Cela est nécessaire, mais cela ne suffit pas. À partir de là, il reste à construire l’avenir. Et, dans ce domaine, il est deux tâches à accomplir :d’une part, tourner le dos aux fausses solutions et, d’autre part, poser les vrais problèmes.

Carlotta Pivetti. Est-ce que vous pourrez nous faire des exemples? Et encore, vous affirmez dans vos essais qu’il existe des raretés plus criantes et plus urgentes que d’autres: pour l’accès à l’eau, faut-il préconiser une solution rapide ?

Erik Orsenna. Il existe des raretés plus criantes et plus urgentes que d’autres: c’est vrai. L’accès à l’eau est un problème urgent. Dans certaines régions de la Chine, par exemple,il faut puiser à plus de 1000 mètres pour trouver de l’eau non contaminée; le lac Tchad a perdu 95% de sa surface; la mer d’Aral a presque été rayée de la carte. On pourrait multiplier à l’envi ce type d’exemples. Mais le vrai problème reste celui de l’accessibilité. À mon avis, le problème principal n’est pas celui du gaspillage de l’eau, ils sont ceux de l’agriculture et ceux du non-traitement des eaux usées. Concernant l’agriculture: 73% de l’utilisation de l’eau douce est assurée par l’agriculture (contre le 21% pour l’industrie et 6% pour les usages domestiques). Il faut 4500 litres d’eau pour produire un kilogramme de riz. Le 40% de l’alimentation mondiale est produit par un système d’agriculture irriguée. Or, 20 à 60% de l’eau prélevée par ces systèmes s’évapore pendant processus. Concernant le non-traitement des eaux usées, rappelons que,dans les pays en développement,40 à 60 % de l’eau est perdue, en raison d’infrastructures défaillantes.Sur le fond, l’un des problèmes majeurs reste celui de l’inégalité d’accès à l’eau. Inégalités entre pays, inégalités entre régions, inégalités entre quartiers. Je souligne que 82% de la population d’Afrique a des difficultés d’approvisionnement d’eau contre 35% des Américains et que la consommation quotidienne d’eau à usage domestique est de 300 à 600 litres en Europe contre 10 à 40 en Afrique.

Antonio Torrenzano. Quelles solutions proposez-vous pour améliorer la situation?

Erik Orsenna. Quatre points me semblent prioritaires. Le renforcement de l’Aide publique au développement dans l’intérêt des lignes d’action de collecte et de gestion de l’eau. La priorité doit être donnée à la gestion des problèmes agricoles. C’est dans ce domaine qu’il faut porter le fer en priorité. Et l’Europe, qui subventionne son agriculture doublement puisque celle-ci bénéficie, en plus de la PAC, d’une tarification privilégiée en matière d’eau, se doit de mettre un terme à cet égoïsme aux conséquences meurtrières. Encore… la gestion de l’existant. Commençons par mieux gérer les ressources dont nous disposons.Priorité dans ce domaine doit être donnée à la collecte et la gestion des eaux de pluie.Avec une difficulté. Qui est celle de la gestion des réformes dans le temps. Enfin, la décentralisation des programmes. Fournir de l’eau en Inde coute en moyenne deux dollars par personne avec les techniques de collecte de l’eau de pluie et plus de 200 dollars si l’on choisit de faire des mégabarrages.

Carlotta Pivetti.

Antonio Torrenzano.

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