Pauvreté, guerre, faim et épidémies:un avenir de progrès? Conversation avec Jean Ziegler,spécial rapporteur ONU.

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Conversation avec Jean Ziegler, professeur à l’Université de Genève, rapporteur spécial de la commission de droits de l’Homme des Nations Unies pour le droit à l’alimentation. Le dialogue a eu lieu pendant les journées internationales d’étude auprès de la Fondation Pio Manzù à Rimini.

Fabio Gualtieri. Jurgen Habermas, dans son dernier livre, fait plusieurs fois usage du mot “weltinnerpolitik”.Quel sens donnez-vous au concept de Habermas?

Jean Ziegler. Tout ce que les Chefs d’État peuvent faire aujourd’hui sur le territoire qui contrôlent constitutionnellement,à l’intérieur des frontières nationales, c’est transférer et appliquer le diktat du capital financier mondial. La première chose qui fait au matin le premier ministre italien ou Madame la première ministre Angela Merkel quand elle se lève, comme tous leurs collègues, c’est consulter les données et les indicateurs économiques du jour précédent pour savoir – comme Habermas dit – le millimètre d’espace qu’il lui reste pour définir sa propre politique fiscale, politique d’investissement, politique de croissance.

Claudio Poletti. Pourrons-nous éviter tout cela ?

Jean Ziegler: Nous sommes à la deuxième série de questions. Richesses immenses se sont produites dans les mains d’un numéro très resserré de firmes. Je ne l’ennuierai pas avec des numéros, car tout ceci se trouve déjà dans mon essai la “privatisation du monde” qui est aussi traduit en langue italienne. Je me limiterai à faire des exemples. Les 225 plus importantes multinationales du monde ont ensemble dépassé 1200 milliards de dollars, qui correspondent aux avoirs de 43,8% des hommes de la planète, plus de 2,6 milliards d’individus. Actuellement nous sommes 6,2 milliards d’habitants sur la planète; 4,8 milliards d’individus vivent dans un des 122 Pays en voie de développement tandis que 225 individus possèdent l’équivalent de ce qu’il dispose le 43,8% de l’humanité. En 2005, presque 200 sociétés multinationales contrôlaient toutes seules le 23,8% du produit mondial brut, c’est-à-dire le 23,8% des richesses produites sur la planète. Les sociétés privées sont devenues plus puissantes que les États. Je ne ferai que deux exemples qui ne concernent ni le Tchad, ni l’Éthiopie,ni le Bangladesh. Le volume d’affaires de la société General Motors – l’année dernière – a dépassé le produit intérieur brut de l’État du Danemark; le volume d’affaires de l’Exxon Mobil a dépassé, en revanche, le produit intérieur brut de l’Autriche. La seule chose que l’on puisse faire, c’est d’expliquer aux gens ce qu’il y a derrière toutes ces spécificités financières et chercher ainsi à les dénoncer.

Antonio Torrenzano. Je trouve que les élites vivent dans un monde raréfié, où c’est réel seulement le quantifiable. Mais alors, la pauvreté, la faim, les épidémies, la guerre dans le sud du monde sont-elles aussi un progrès quantifiable?

Jean Ziegler. Entre les quatre cavaliers de l’apocalypse du sous-développement: la faim, la soif,les épidémies et la guerre, je prendrai en considération simplement la faim. Chaque jour sur la planète 100.000 individus meurent de faim ou de ses conséquences immédiates. Toutes les sept secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim, toutes les quatre minutes quelqu’un perd la vue pour carence de vitamine A. En 2002, 846 millions d’individus ont souffert la faim, sous-alimentez, ils ont cessé d’avoir chaque type de vie sexuelle, familiale, relations dans le monde du travail, parce que rendus infirmes par un état chronique de sous-alimentation. En 2001 ils étaient 821 millions,les chiffres augmentent dans une manière absolue. Le même World Food Report nous dit qu’aujourd’hui l’humanité pourrait s’alimenter sans problème ou garantir pour chaque individu une quantité de nourriture équivalente de 2700 calories par jour pour douze milliards d’êtres humains. Mais la situation est différente! Il n’y a pas aucune fatalité, il n’y a pas aucune loi de la nature qui justifie ce sacrifice de vies humaines. Pour chaque enfant qui meurt de faim, il y a un assassin ! J’ai pris en examen seulement la faim, mais j’aurais pu parler des 2,2 milliards de gens qui n’accèdent pas à l’eau. J’aurais pu parler du low intensity war, des indicateurs de l’Organisation mondiale de la santé qui communique la réapparition de toutes les grandes épidémies: du paludisme au choléra, sans parler du sida. Je m’arrête, l’ordre mondial contemporain n’est pas seulement meurtrier, il est aussi absurde. Seulement en 2005, les victimes ont été 52 millions à cause de ce que nous appelons sous-développement.

Antonio Torrenzano. Qu’est-ce qu’il y aura après la mondialisation?

Jean Ziegler. Le pouvoir territorial de l’État-nation est presque mort. Harbermas affirme que les Nations Unies incarnent la nouvelle démocratie transcontinentale. Je ne crois pas, puisque l’ONU se trouve dans une situation de pleine schizophrénie. Je le cite l’invitation de la Banque Mondiale que j’ai reçue, dans l’avril 2003, salle 11 du Palais des Nations à Genève, dont le titre était “will development ever reach the poor?”. La situation contemporaine est un gigantesque insuccès. En 1990 sur la planète deux milliards 718 millions de personnes vivaient en conditions d’extrême pauvreté, huit ans plus tard deux milliards 800 millions, donc cent millions en plus.

Fabio Gualtieri
Claudio Poletti
Antonio Torrenzano

 

 

Bibliographie.

Jean Ziegler, «Les nouveaux maîtres du monde et ceux qui leur résistent», Paris, Fayard, 2004.

Jean Ziegler, « Le Droit à l’alimentation», Paris, éd. Mille et une nuits, 2003.

Jean Ziegler, « La faim dans le monde expliquée à mon fils», Paris, éd. Seuil,1999.

Jean Ziegler, « Les seigneurs du crime, les nouvelles mafias contre la démocratie », Paris, éd. Seuil, 1998.

 

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