L’Europe et la mondialisation. Conversation avec Pascal Lamy, directeur général de l’OMC.

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Conversation avec Pascal Lamy, économiste, ancien commissaire européen au commerce, aujourd’hui directeur général auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Le dialogue a eu lieu à Rome pendant le sommet alimentaire organisé par la FAO-ONU, au mois de juin 2008.

Antonio Torrenzano. Comment parvenir à une maîtrise de la mondialisation ? Selon vous, la construction européenne peut-elle être un facteur de cette maîtrise ou un modèle pour une gouvernance mondiale ?

Pascal Lamy. Ces deux questions sont aujourd’hui au coeur du débat public. L’Union européenne est, dans son projet même, au coeur de la mondialisation. Aux yeux des pères fondateurs, l’Europe – comme Jean Monnet affirmait – devait être un pas vers l’organisation du monde de demain. L’origine même de l’UE se trouve dans les grandes utopies du dix-neuvième siècle et dans les deux grands traumatismes que furent les conflits mondiaux. Aussi l’UE est-elle aujourd’hui le seul prototype disponible et pertinent de gouvernance non nationale. Les Européens ont su établir des règles communes selon le principe qu’aucune règle collective ne doit abaisser les plus hautes de celles dont dispose chaque État, afin que personne n’ait à renoncer à un acquis fondamental surtout en matière sociale. L’Europe est dans ce domaine une référence. Dès le départ, l’Europe s’est dotée d’un capital institutionnel formidable qui prenait en compte les problèmes de gouvernance. Dès les institutions de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et jusqu’aux derniers traités, se sont mises en place des institutions multiples aux rôles établis. J’aimerais bien encore rappeler Jean Monnet qu’a l’origine de l’Europe, il a opté pour l’efficience aux dépens de la légitimité.

Antonio Torrenzano. Comment l’Europe peut-elle agir en face à mondialisation ? Pourra-t-elle être porteuse d’un nouveau mode de gouvernance dans la communauté internationale ?

Pascal Lamy. Pour passer à l’action, il est nécessaire de fabriquer une clé politique. L’Europe devra concentrer l’action sur la compensation des effets d’iniquités et sur la gestion politique collective du système grâce à des leviers démocratiques. L’objectif est de rééquilibrer le système par le biais d’une gestion démocratique. Dans ce contexte, l’Europe est porteuse de valeurs distinctes, relatives à la prise en compte de la nécessite sociale ou de la diversité culturelle. Avec la mondialisation, un certain nombre d’éléments nouveaux, notamment la soutenabilité environnementale, économique et sociale, il oblige tout le monde à réponses contre les instabilités, les risques de crises ou de crises systémiques. La notion de gouvernance semble être ici appropriée, car elle renvoie à un mode démocratique autre que le gouvernement au sens classique du mot. En effet, par rapport à ces nouveaux problèmes globaux, le gouvernement traditionnel tel qu’il fut pensé par Montesquieu n’est plus approprié. Il existe aujourd’hui une discordance entre une économie mondiale et un mode de gouvernement local. Aussi, les formes institutionnelles héritées du dix-huitième siècle demeurent pertinentes quant à leur légitimité, mais elles se réduisent à l’espace national et, de ce fait, ne sont pas efficaces par rapport à des problèmes globaux. Cette perte d’efficacité peut in fine atteindre la légitimité des États, car ces derniers ont beau mettre en place des règles de droit, les respecter et être légitimes. S’ils ne parviennent pas à régler un certain nombre de problèmes, leur légitimité ne reste que conventionnelle. Aussi assiste-t-on aujourd’hui à un renversement des rapports entre États et individus :ceux-là sont contraints de plus en plus fréquemment de montrer à ceux-ci leurs résultats, de leur rendre des comptes pour des raisons de consumérisme politique. Les États doivent ainsi prouver qu’ils font partie de la solution plutôt que du problème. Faut-il chercher une voie dans des dispositifs de gouvernance autres que ceux pensés par Montesquieu: l’autorégulation, la corégulation, l’influence du citoyen par des moyens autres que le pouvoir parlementaire comme l’interpellation directe par la société civile. Or, il n’existe pas à l’heure actuelle de dispositif unique de gouvernance. Les institutions économiques internationales héritées de Bretton Woods (le FMI, la Banque Mondiale) et, à partir du 1995 l’Organisation mondiale du commerce, elles ont une certaine efficacité, mais une légitimité, certaines fois, contestées.

A.T. Mais, si le modèle européen répond à l’exigence d’efficience, il n’a pas surmonté le problème de sa légitimité.Il ne me semble plus possible d’exercer ce type de gouvernance par “default” sans savoir au nom de quoi, dans quel sens et pourquoi.

Pascal Lamy. Cette disproportion entre les résultats en terme d’efficience et de légitimité est un problème lancinant des modes de gouvernance. Pour l’UE, cette dichotomie a sans doute contribué à freiner la composition d’un espace démocratique pertinent, d’un demos européen. L’Europe doit désormais clarifier son action afin de permettre aux citoyens d’identifier ce qu’elle fait.

Antonio Torrenzano.

 

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