Questions d’Église. Conversation avec Henri Tincq, ancien responsable des informations religieuses au quotidien Le Monde.

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Conversation avec Henri Tincq, journaliste, écrivain, ancien responsable des informations religieuses au quotidien Le Monde. Auteur des nombreux essais traduits en plusieurs langues européennes, Henri Tincq a publié cette année, chez l’édition Grasset, son dernier essai intitulé «Les catholiques». La conversation avec l’auteur fait le point sur les profonds changements de la géographie chrétienne en Occident autant qu’au sud de la planète.

Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer notre dialogue en vous demandant pourquoi un livre sur les catholiques et sur les fondements de cette foi que partagent un milliard d’hommes. Encore, comment analysez-vous l’incompréhension parmi les médias et l’Église catholique ?

Henri Tincq. Après nombreuses années de fréquentation des milieux religieux, je me suis dit qu’il était temps de rassembler tout ce que j’avais appris et le mettre à la destination d’un public qui comprend encore assez mal ce qu’est la religion catholique. Un livre dédié au grand public qui ignore encore les trésors et l’histoire de cette Église. Pendant plus de 20 ans, comme responsable des informations religieuses au journal Le Monde, j’ai essayé de maintenir un rendez-vous d’information sur les religions avec la volonté d’être le plus honnête possible. J’espère avoir réussi à prendre la distance nécessaire, tout en respectant les communautés de croyants pour qui j’ai toujours eu beaucoup de respect. Les médias ont une part de responsabilité dans cette vision parcellaire de l’Église. Ils font preuve parfois de paresse intellectuelle et à force de lire les messages des catholiques à travers une grille stéréotypée, ils en répercutent une image déformée. L’incompatibilité entre les médias et l’Église est presque intrinsèque :d’un côté, on a une logique de complexité, qui porte un message nuancé prenant en compte toute la dimension de l’homme, de l’autre une logique de la simplification, qui entraine à la réduction et parfois à la vedettisation. Les références sont si différentes qu’il est difficile de s’entendre. Cela dit, ne tombons pas non plus dans l’excès, ils ne sont pas si mal traité.Il y a peut-être aussi chez eux une vraie difficulté à se percevoir non plus comme majoritaires. Ils sont devenus minoritaires dans le concert mondial des voix d’aujourd’hui.

Antonio Torrenzano. Le Pape Paul VI affirmait que l’Église était «experte en humanité» avec une très forte proximité avec les hommes d’aujourd’hui. Pourquoi, alors, les médias parlent-ils d’archaïsmes de l’Église ?

Henri Tincq. À écouter les médias, le message de l’Église se réduit à l’interdiction du préservatif. C’est une imposture! Pourquoi personne ne cherche-t-il à comprendre l’anthropologie chrétienne qui sous-tend les positions de l’Église? Pourquoi parler d’archaïsmes quand elle ne fait que tirer des sonnettes d’alarme par rapport à une société et même une humanité qui court au suicide? Il y a par ailleurs une grande injustice à n’évoquer que cette dimension morale privée en sous-estimant tout le travail de l’Église en matière sociale et politique. L’Église, c’est aussi le respect des immigrés, l’attention aux exclus. Pourquoi ne pas dire plus souvent que ce sont des priorités jamais démenties dans les Églises d’Occident ? Certes, la situation de l’Église en Occident s’est dégradée. On observe même un effondrement sur trois chapitres : les pratiques régulières, la croyance dans les dogmes fondamentaux du christianisme et l’application des normes morales de l’Église. Mais on ne peut pas juger l’état de l’Église à travers ces seuls signes quantitatifs. Sur ce fond de désaffection, d’autres données qualitatives indiquent des formes de vitalité: le retour de la piété populaire telle que la vénération des reliques ou encore un sentiment d’appartenance revendiqué, comme en témoigne le nombre de pèlerinages ou de temps forts liturgiques qu’on tend à préférer aujourd’hui à l’obligation de la messe.

Antonio Torrenzano. Et les catholiques du sud de la planète ?

Henri Tincq. Il est indéniable que les catholiques changent d’hémisphère et de couleur: le chrétien de demain sera plus africain, brésilien, philippin, coréen ou chinois. Imaginez qu’un quart des Jésuites provient du continent indien. Il est loin le temps où l’Europe et l’Amérique du Nord avaient le monopole des grands théologiens, du clergé, des grandes organisations de laïcs. C’est tout le paradoxe d’un catholicisme qui reste très européo-centré dans son rite et son gouvernement, mais perd ses fidèles dans son centre et les trouve dans des continents lointains. Sans renoncer à son universalité héritée de Jesus Christ, l’Église doit trouver les moyens de mieux faire entendre son message dans la diversité du monde d’aujourd’hui, de ses races, de ses cultures, de ses langues.

Antonio Torrenzano

 

 

*Dans l’image, particulier de la Vergine Annunciata (1475-1476), de Antonello da Messine, huile sur panneau de noyer, Munich, Alte Pinakothek.

*Un remerciement particulier aux journalistes et amis fraternels de la rédaction centrale de KTO Télévision Catholique de France et à la rédaction centrale du magazine Le Messager de Saint Antoine pour la précieuse collaboration fournie.

 

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