Apprendre… Conversation avec Jacques Attalì.

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Conversation avec Jacques Attalì, écrivain, économiste, ancien conseiller de François Mitterand, puis président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Il dirige à présent PlaNet Finance et il a présidé la Commission pour la libération de la croissance française. Il a publié de nombreux essais et romans. La conversation a eu lieu dans plusieurs reprises : à Milan auprès du Forum sur l’innovation 2008 et au mois d’octobre 2008 à Paris, auprès de l’Organisation internationale UNESCO des Nations Unies.

Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer cette nouvelle conversation sur l’éducation avec vous après la rencontre de Milan, par la même question que j’ai posée à Edgar Morin: comment expliquez-vous la crise de l’école secondaire dans presque tout l’occident démocratique ?

Jacques Attalì. Je voudrais dire qu’aujourd’hui il me semble qu’une des grandes lacunes, une des grandes révolutions à accomplir c’est de considérer l’éducation aussi importante que la santé. À priori, la santé et l’éducation sont les deux grands secteurs fondateurs de la puissance publique, mais personne ne discute de l’importance de se soigner tout au long de la vie, personne ne discute de l’importance de financer la santé pour tous, tout le monde discute de la question de financer l’éducation pour tous. Alors, d’abord il y a des parallèles dans leur réalité, à titre individuel sans éducation on meurt socialement comme sans santé on meurt physiquement. Et même, non seulement on meurt socialement sans éducation, mais on meurt physiquement parce que l’on ne trouve pas d’activités, de travail et on a faim. Deuxièmement, on peut dire que la santé, la maladie sont une chose beaucoup plus dangereuse que l’ignorance parce que la maladie est contagieuse ; et bien, l’ignorance est aussi une maladie contagieuse. L’ignorance est une maladie contagieuse qui entraîne dans nos sociétés la dictature, la barbarie et le comportement désastreux. Il est clair aujourd’hui qu’il faut arriver à concevoir l’ignorance comme une maladie et l’éducation comme une forme de santé. Les deux secteurs sont parallèles, mais l’un est plus maltraité que l’autre et on n’a pas compris encore globalement que l’éducation mérite d’être traitée comme une forme de santé sociale, l’ignorance comme une forme de maladie et c’est pourquoi aujourd’hui l’éducation est un formidable échec collectif comparé au formidable succès collectif du progrès en matière de santé.

Antonio Torrenzano. Se former tout au long de la vie, comme on se soigne tout au long de sa vie…

Jacques Attalì. L’éducation tout au long de la vie doit être une éducation multiple. Je voudrais défendre ici l’idée que se former est une activité socialement utile. Se former est une activité socialement utile qui mérite rémunérations et je pense que c’est la révolution très profonde qu’il faut penser pour régler le problème de l’éducation pour tous. Comme je disais tout à l’heure que l’éducation et le travail sont des formes qui vont être de plus en plus interdépendantes, il faut considérer que se former est un travail et non pas un service qu’on reçoit. Se former est un travail qui est utile évidemment à celui qui le reçoit comme le fait de se soigner et qui est utile à la société parce que l’ignorance est dangereuse et parce qu’une collectivité qui est de plus haut niveau n’améliore le niveau de vie pas seulement de celui qui est formé, mais de sa collectivité. On arrivera à une éducation pour tous tout au long de la vie que si l’on change radicalement de paradigme et si l’on arrive à penser que se former est une activité socialement utile méritant une rémunération comme se soigner est une activité socialement utile méritant la continuation de la rémunération. C’est une inversion radicale par rapport au mode de penser dominant de plus en plus qui consiste à dire que les jeunes doivent emprunter pour payer leurs études ou que l’ensemble du système éducatif doit être financé seulement par ceux qui en bénéficient. Je considère au contraire que se former est une activité socialement utile et qu’il faut organiser le financement de l’éducation comme on organise le financement de la santé.

Antonio Torrenzano. Les nouvelles technologies sont-elles un facteur important dans le développement de l’éducation ?

Jacques Attalì. Bien sûr, il y a un discours très général qu’on répète depuis 20 ans, 25 ans, de colloque en colloque, sur lequel les nouvelles technologies sont un facteur essentiel de développement de l’éducation. Bien sûr, il y a des ordinateurs dans beaucoup de classes, bien sûr il y a des cours par la télévision à travers le monde, bien sûr il y a beaucoup de progrès qui ont été faits dans simplement l’usage de nouvelles technologies dans l’éducation. Mais, en réalité, ce n’est pas du tout du progrès technique en matière d’éducation c’est de l’introduction des technologies extérieures pour communiquer des méthodes traditionnelles d’enseignement. Bien sûr, il y a de grands pédagogues, il y a de grandes recherches depuis Piaget et bien d’autres sur les méthodes d’enseignement, mais en réalité si on regarde bien le progrès en matière d’éducation, de technologie d’éducation sont nuls.

Antonio Torrenzano

 

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