Quelle mondialisation pour demain? Conversation avec Michel Aglietta, Université Paris X Nanterre.

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Conversation avec Michel Aglietta, économiste, essayiste, professeur de sciences économiques à l’Université Paris X, il est également conseiller scientifique au CEPII, membre de l’Institut universitaire de France, consultant à Groupama. Il a été membre du «Cercle des économistes» et membre du Conseil d’analyse économique auprès du Premier ministre de 1997 à 2003. Michel Aglietta est l’un des fondateurs en 1976, avec Robert Boyer, de l’école de la régulation. Il est un spécialiste d’économie monétaire internationale, connu pour ses travaux sur le fonctionnement des marchés financiers. Il a dans plusieurs ouvrages soulignés ce qu’il considère être des failles du système financier. Auteur de nombreux essais publiés dans plusieurs langues étrangères dont «Désordres dans le capitalisme mondial» Paris, Odile Jacob, 2007 et «La crise. 10 questions pour décrypter la crise financière», aux éditions Michalons, 2008; Michel Aglietta dans ces essais a toujours souligné que le passage à une économie financière globalisée s’est accompagné d’une instabilité cyclique et d’un risque de système. Le dialogue a eu lieu à Lyon au mois de novembre 2008.

Antonio Torrenzano. Cette crise produira de profonds changements dans le fonctionnement des marchés et de l’économie réelle. Quels changements devraient être mis en place?

Michel Aglietta. Les nouvelles régulations vont se produire en finance, qui est au coeur de la crise. Les bases de ces régulations doivent être les suivantes:en premier lieu, il s’agit de limiter l’ampleur de l’endettement et d’empêcher les banques de faire déraper le crédit à toute allure. Cette crise marque la faillite d’une croyance selon laquelle le système financier peut fixer ses propres règles de fonctionnement et s’autoréguler. C’est donc l’échec d’une idéologie qui s’est développée, il y a trente ans sous Ronald Reagan et Margaret Thatcher puis a atteint son paroxysme avec Georges Bush et Alan Greenspan. Elle a permis non seulement à l’ingénierie financière de se développer, mais aussi d’être exploitée de manière perverse. La prise en charge du système financier par l’État clôt une époque d’une trentaine d’années, celle de tous les excès, du crédit, mais aussi de l’élargissement inadmissible des inégalités dû à l’emballement sans contrôle de la finance de marché. La croissance future devra être financée beaucoup plus par des fonds propres alloués à des investissements à long terme. La question d’une concertation multilatérale des grandes puissances sur les problèmes macroéconomiques globaux va être de plus en plus pertinente ainsi que le rôle du FMI pour l’animer.

Antonio Torrenzano. La communauté internationale occidentale a-t-elle gouverné à suffisance la mondialisation financière? Est-ce que j’aimerais aussi savoir votre pensée sur la réglementation des banques d’affaires?

Michel Aglietta. Les dirigeants politiques américains et anglais depuis Ronald Reagan et Margaret Thatcher ont délibérément favorisé l’instabilité financière. Ces deux États à présent sont en quelque sorte d’otages de leur imprévoyance antérieure. En prétendant que les marchés pouvaient s’autodiscipliner, ces deux États ont démantelé les régulations en laissant ainsi des trous noirs dans la supervision du marché financier. Pour financer son plan dont on est encore loin de connaître les caractéristiques précises, l’État Américain, par exemple, va devoir s’endetter pour des montants colossaux qui s’ajoutent à ceux résultant des prises en charge d’organismes financiers tels que Fannie Mae, Freddie Mac et AIG. Les banques d’affaires ou d’investissement jusqu’à présent elles ne sont pas soumises aux mêmes règles que les banques commerciales, parce qu’elles n’ont pas de dépôts. Il faut établir des règles communes pour l’ensemble des banques, qu’elles soient d’investissement ou commerciales, qu’elles fassent du crédit normalement ou bien qu’elles en transfèrent le risque à d’autres. Il faut que l’ensemble des opérations de crédit soit soumis à la même régulation. Le problème se situe à un niveau international et il faudra que tous les pays ayant un important système bancaire adoptent des règles communes. Ce qui suppose de mettre les places offshores, comme Luxembourg ou les Îles Caïmans sous la règle commune. Car ces places offshores sans contrôle ont permis aux grandes banques d’y loger leurs activités et leur profit.

Antonio Torrenzano. Les pays émergents seront-ils touchés par la crise ?

Michel Aglietta. Les pays émergents vont être touchés par une baisse de leurs exportations. Après la crise asiatique, les pays émergents avaient choisi un régime de croissance tirée par les exportations, la baisse de consommation occidentale les gênera beaucoup. Ceci constitue une première cause de leur ralentissement.

Antonio Torrenzano

* Un spécial remerciement à l’artiste Patrick Chapatte pour l’illustration.

 

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