Conversation avec Axel Honneth, écrivain, sociologue, directeur de l’École des hautes études en sciences sociales de Francfort, où il a succédé à Jürgen Habermas. Auteur de nombreux essais, il publie ses premiers articles dans les années 1970 et un de ses écrits, il est consacré à Jürgen Habermas. En 1980, Axel Honneth deviendra l’assistant de Habermas auprès de l’Institut de recherche sociale de Francfort, institut que le sociologue dirige depuis le 2001. Le dialogue avec le professeur a eu lieu à Francfort auprès de l’école de recherche sociale.
Antonio Torrenzano. La mondialisation a produit de nombreux risques pour toutes les sociétés de la planète. L’exemple contemporain est la crise financière et économique qui est en train de modifier pas seulement les marchés financiers, mais aussi le paysage de nos sociétés occidentales. Comment, alors, faudra-t-il repenser notre système ?
Axel Honneth. La crise est déjà le monde d’hier. La nouvelle question est de savoir comment contrebalancer ces tendances pathogènes que la mondialisation ne fait qu’accroître. L’autre question, c’est comme récupérer les idéaux d’émancipation de l’individu dont au cours des trois dernières décennies ils ont été détournés au profit de l’idéologie managériale de la performance économique. On peut à cet égard parler de régression morale. Les solutions cependant ne parviendront pas du côté d’une restauration des communautés politiques nationales. Des solutions ne pourront se manifester que dans le cadre d’une Europe forte. Cette approche, elle me paraît la plus féconde.
Antonio Torrenzano. Une nouvelle idée de démocratie et de société.
Axel Honneth. L’énorme pression néolibérale, elle a contraint les individus à se penser comme des produits et de se vendre en permanence. Mes recherches consistent, en revanche, à réfléchir sur les contours qui devraient prendre les sociétés pour assurer à ses membres des conditions d’une vie digne d’être vécue. Une société dans laquelle chacun devrait pouvoir devenir ce qu’il souhaite être sans passer par l’expérience douloureuse du mépris ou du déni de la reconnaissance. À l’heure de la mondialisation, l’évolution prise par le capitalisme s’oriente de fait dans une direction où les conditions du respect et de l’estime de nous-mêmes risquent d’être considérablement réduites.
Antonio Torrenzano. Pouvez-vous nous expliquer la notion de « lutte pour la reconnaissance » ? Encore, dans cette époque de crise, quelles nouvelles formes sociales devrons-nous mettre prendre pour la défense de l’individu ?
Axel Honneth. Votre deuxième question est une des questions majeures de notre époque. Quelle forme devra prendre une nouvelle culture morale et politique, elle est la question clé de cette situation contemporaine. Dans mes recherches, je distingue trois sphères de reconnaissance, auxquelles correspondent trois types de relations de l’individu avec soi-même. La première est la sphère de l’amour qui touche les liens affectifs unissant une personne à un groupe. La deuxième sphère est politique : c’est parce qu’un individu est reconnu comme un sujet universel, porteur de droits et de devoirs, qu’il peut comprendre ses actes comme une manifestation de sa propre autonomie. La troisième sphère est la considération sociale. Les individus pour se rapporter de manière positive avec les autres sujets, ils doivent jouir d’une considération sociale. Cette troisième sphère est indispensable à l’acquisition de l’estime de soi. Sphère que j’appelle le sentiment de sa propre valeur. Si l’une de ces trois formes de reconnaissance est annulée, l’outrage sera vécu comme une disgrâce qui pourra ruiner l’entière identité de l’individu.
Antonio Torrenzano
Repenser le système c’est incontournable mais il manque la pédagogie pour concrétiser les principes… Toutefois, c’est d’une grande espérance d’en faire comprendre l’utilité.