C’étaient les années 2000, quels héritages, quelles perspectives ? Entretien avec Boutros Boutros-Ghali : « La démocratie, c’est le partage du pouvoir ».

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Conversation avec Boutros Boutros-Ghali, né le 14 novembre 1922, au Caire (Égypte), dans une famille de chrétiens coptes, M. Boutros-Ghali fut secrétaire général de l’ONU de 1992 à 1996 et secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie de 1997 à 2002. Président du Conseil national des droits de l’Homme d’Égypte, il préside également le Panel international sur la démocratie et le développement, créé par l’UNESCO en 1998, et il est aussi membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine. Docteur en droit international, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (France), il a enseigné le droit international au Caire et il est l’auteur de plus d’une centaine de publications et de nombreux articles sur les affaires régionales et internationales, le droit et la diplomatie, ou encore les sciences politiques. En avril 2007, il se voit accorder un doctorat honoris causa de la part de l’Université du Québec à Chicoutimi (Canada). Il participe encore activement aux travaux de l’UNESCO, et en particulier aux Entretiens du XXIe siècle, dirigés par Jérome Bindé. L’entière conversation, recueillie par le journaliste Nfaly Savané, a été publiée sur le magazine SHS Regards, numéro 25, mois juillet-septembre 2009, dirigé Pierre Sané. SHS Regards est le magazine du secteur des sciences sociales et humaines de l’UNESCO.

Nfaly Savané. Vous présidez le Panel international sur la démocratie et le développement mis en place par l’UNESCO, en 1998. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ? Vous permet-elle d’affirmer qu’il y a un ou des modèles de démocratie ?

Boutros Boutros-Ghali. La démocratie et le développement entretiennent un lien indissociable. Ils ne peuvent par conséquent être séparés. Le problème est de savoir s’il faut commencer par le développement pour réaliser la démocratie ou au contraire par la démocratie pour réaliser le développement, ou alors aborder tout simplement les deux concepts en même temps. Ma réponse est pragmatique. Dans certains pays on a d’abord besoin du développement pour réaliser la démocratie, car un tel objectif ne peut être atteint quand vous avez, par exemple, 80 % de gens qui meurent de faim et sont illettrés. Dans d’autres pays corrompus, autoritaires, où l’aide au développement est parfois conditionnée au changement de régime, je dirai que la démocratisation est un premier pas, mais il n’y a pas de règle générale. Chaque situation a sa spécificité. Ma seule certitude est qu’une fois réalisé, le couple développement et démocratie devient indissociable.

Nfaly Svané. Les droits humains et la démocratie véhiculent-ils des valeurs auxquelles le monde arabo-africain doit se conformer ?

Boutros Boutros-Ghali. La démocratie, c’est surtout le pluralisme, différents points de vue, différentes opinions. Toutefois, la réalité va varier suivant les pays. Dans un pays divisé, par exemple, entre vingt tribus, ces dernières devront toutes être représentées dans les instances de décision. Ce sera la même chose pour un pays divisé entre 15 religions différentes. Il est en effet important que toutes les communautés représentatives participent au pouvoir. Je veux dire par là qu’il y a différentes formes de démocratie, différentes façons de faire participer les populations à la solution des problèmes auxquelles elles sont confrontées. Ce qui est important, c’est que le pouvoir ne soit pas entre les mains d’une seule personne, d’une seule tribu. La démocratie, c’est le partage du pouvoir, c’est le contrôle du pouvoir par différentes organisations.

Nfaly Savané. Que répondriez-vous à un jeune arabe ou un jeune africain qui vous rétorqueraient de ne pas évoluer dans la tribu, le village, mais dans le monde, et, par conséquent, que sa vie se déroule dans les tribulations de la ville moderne ?

Boutros Boutros-Ghali. Je n’ai pas dit que c’est uniquement à travers la tribu que la démocratie doit se présenter dans la région arabo-africaine, mais qu’à côté de la représentation européenne vous pouvez avoir une autre chambre qui représente les tribus. L’un n’empêche pas l’autre. Vous devriez donc faire participer ce jeune africain ou ce jeune arabe, mais aussi le clan auquel il appartient…

Nfaly Savané. Le développement de la communication et la mondialisation des échanges ont-ils une influence sur l’exercice des droits humains dans la région arabo-africaine ?

Boutros Boutros-Ghali. La mondialisation va avoir une conséquence sur la démocratie nationale dans la mesure où certains problèmes, comme celui de l’environnement et les crises économiques contemporaines, ne pourront plus être résolus à l’échelle nationale, mais internationale. La démocratie nationale, autant que la souveraineté nationale, elles vont perdre de leur importance au profit d’un pouvoir oecuménique, mondial, d’où l’importance de démocratiser la mondialisation.

Nfaly Savané. Quelle pertinence y a-t-il à parler de droits humains et de démocratie quand on sait que le véritable défi que doit relever le monde arabo-africain est celui de la fracture économique et sociale ?

Boutros Boutros-Ghali. Un des obstacles à la démocratisation, à la protection des droits de l’Homme, c’est la grande misère des pays du Tiers-Monde. Quelqu’un qui ne sait ni lire, ni écrire ne s’intéresse pas à la liberté de la presse. Quelqu’un qui n’a jamais quitté son village n’a que de faire d’un passeport pour pouvoir voyager . Cela étant dit, il y a un commun dénominateur aux droits de l’homme, dans la mesure où tous les êtres humains sont semblables : tous ont eu des parents et vont mourir un jour. Prenons un paysan du Sud : bien qu’il n’ait aucun rapport avec un milliardaire de Californie, du fait qu’ils sont tous les deux des hommes, ils ont les mêmes droits parce qu’ils sont semblables. Malgré sa richesse, le milliardaire de Californie va mourir un jour et le paysan du Sud aussi. La condition humaine est la même. Le langage de l’humanité, c’est les droits de l’Homme. Vous ne permettrez pas qu’on s’occupe d’aider les pays pauvres, si vous ne défendez pas les principes selon lesquels les droits de l’Homme sont des droits universels.

Nfaly Savané

 

 

*Un particulier remerciement au Magazine Life pour l’image de Boutros Boutros-Ghali.

*L’entretien électronique elle peut être lue sur le site de l’UNESCO au suivant adresse numérique : http://portal.unesco.org/shs/fr/

 

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