Umberto Eco, écrivain, professeur à l’université de Bologne, titulaire de la chaire de sémiotique et directeur de l’École supérieure des sciences humaines à la même université. Né en 1932 à Alexandrie, dans le Piémont, il est l’auteur de nombreux essais comme « Les limites de l’interprétation », « Kant et l’ornithorynque », « Comment voyager avec un saumon », et de trois romans à la renommée universelle, « Le Nom de la Rose » en 1980, « Le Pendule de Foucault» en 1988, et « L’Île du jour d’avant » en 1994. Devenu ensuite un pionnier des recherches en sémiotique ( « La Structure absente » en 1968, « Trattato di semiotica generale» en 1975), il développe une théorie de la réception (« Lector in fabula », « The Limits of Interpretation », « The role of the Reader » ) qui le place parmi les penseurs européens les plus importants de la fin du XXe siècle. Son premier roman, « Le Nom de la rose » (1980) connaît un succès mondial avec 16 millions d’exemplaires vendus à ce jour et des traductions en vingt-six langues, malgré un contenu dense et ardu. Umberto Eco met en application dans ce « policier médiéval » ses concepts sémiologiques et ses théories du langage, ceux-là mêmes qu’il enseigne à Bologne. Tout au long de sa carrière, il écrit régulièrement dans des quotidiens et des hebdomadaires et il donne plusieurs conférences sur ses théories de la narration en littérature. Parmi ses activités les moins connues, Umberto Eco est membre du forum international de l’UNESCO (1992), de l’Académie universelle des cultures de Paris (1992), de l’American Academy of Arts and Letters (1998) et il a été nommé au conseil de la bibliothèque d’Alexandrie (2003). Il a assuré en 1992-1993 des cours à la chaire européenne du Collège de France sur le thème « La quête d’une langue parfaite dans l’histoire de la culture européenne». En 2009, Umberto Eco, a publié l’ouvrage « Vertige de la liste» et avec Jean-Claude Carrière, l’essai « N’espérez pas vous débarrasser des livres », aux éditions Grasset. L’entretien avec le professeur a été développé à Bologne et Milan.
Antonio Torrenzano. Croyez-vous que le nouvel e-book pourra se débarrasser du livre ?
Umberto Eco. Quant à la disparition du livre, c’est une vieille histoire, un fantasme qui hante les âmes contemporaines. Il y a un noyau dur de lecteurs en Europe qui aime lire et qui permet aux maisons d’édition de vivre. Nous avons calculé par une recherche statistique développée à l’université de Bologne que les maisons d’édition italiennes ont environ assumé dans leurs structures presque mille personnes par an. Il y a eu des milliers de réunions, de congrès sur cette question, et je répète toujours la même chose : le livre est comme la cuillère. Je pense qu’il pourra s’évoluer dans ses composantes… les pages, par exemple, elles ne seront plus en papier, mais il demeurera ce qu’il est. Le monde de l’édition, au moins en fait de numéros statistiques, il me semble bien vital.
Antonio Torrenzano. Croyez-vous, alors, qu’Internet ne tuera pas la « galaxie Gutenberg » ?
Umberto Eco. L’homme du web est un homme de Gutenberg parce qu’il est obligé de lire énormément et d’une manière plus ardue et moins confortable devant à son écran. Les gens lisent, et probablement plus vite que leurs grands-pères, mais à présent ils ont seulement plusieurs instruments pour le faire : la nouvelle technologie numérique et de moyens non électroniques. Ils passent d’un sujet à l’autre, mais ils continuent à lire. Des statistiques ont démontré que ceux qui regardent beaucoup la télévision, qui utilisent Internet, qui écoutent de la radio, ils sont aussi ceux qui lisent le plus. Le web encourage la lecture de livres parce qu’il augmente la curiosité. La technologie pourra éliminer certains genres de livres ou de documents, mais rien n’éliminera l’amour du livre en soi. La photographie a changé la vision des peintres, mais elle n’a pas tué la peinture, ni la télévision a tué le cinéma. L’impératif pour les éditeurs reste toujours la même : faire de livres. Parce que malgré toutes les visions apocalyptiques, le livre est comme le couteau, le marteau. C’est-à-dire une chose qu’une fois qu’elle a été inventée, il y n’aura pas un designer ou une nouvelle technologie encore plus performante qui réussira à le modifier pour le faire devenir moins efficace.
Antonio Torrenzano. Les bibliothèques ont toujours gardé nos savoirs universels de manière exceptionnelle. Aujourd’hui, en revanche, les moyens d’archiver nos savoirs contemporains sont des supports virtuels. Mais ces supports ne sont pas éternels.
Umberto Eco. La conservation de nos savoirs est le grand problème de notre époque. Nous vivons dans une civilisation alphabétique, et Marshall McLuhan s’est trompé quand, en 1962, il a annoncé la fin de la galaxie Gutenberg. La numérisation de tous les écrits de tous les temps elle me semble impossible. Qu’est-ce qu’il arriverait en cas d’un colossal et inattendu black-out électronique ?
Antonio Torrenzano