Retour sur Terre et … sur nos limites. Conversation avec Isabelle Stengers, Université libre de Bruxelles.

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Conversation avec Isabelle Stengers, écrivaine, chimiste, philosophe, professeur en philosophie des sciences à l’Université libre de Bruxelles. Fille de l’historien Jean Stengers, la philosophe est connue pour son premier ouvrage, «La Nouvelle Alliance» (1979), coécrite avec le Prix Nobel de chimie Ilya Prigogine. Elle s’est ensuite intéressée, en faisant appel entre autres aux théories de Michel Foucault et de Gilles Deleuze, à la critique de la prétention autoritaire de la science moderne. En 1990, elle a fondé avec Philippe Pignarre la maison d’édition Les Empêcheurs de penser en rond. Autrice de nombreux essais, publiés dans plusieurs langues étrangères, dont «La volonté de faire science. À propos de la psychanalyse», Paris, édition Les Empêcheurs de penser en rond, 1992; «L’invention des sciences modernes», Paris, édition La Découverte, 1993; «Sciences et pouvoirs. Faut-il en avoir peur? » Bruxelles, Labor, 1997 (réédition La Découverte); «La guerre des sciences aura-t-elle lieu? », Paris, édition Les Empêcheurs de penser en rond, 2001; «Au temps des catastrophes. Résister à la barbarie qui vient», Paris, La Découverte, 2008. Isabelle Stengers est autrice aussi de nombreux ouvrages en collaboration dont avec Ilya Prigogine,« La Nouvelle alliance. Métamorphose de la science», Paris, édition Gallimard, 1979; avec Léon Chertok, «Le cœur et la raison. L’hypnose en question de Lavoisier à Lacan», Paris, Payot, 1989 et «L’hypnose, blessure narcissique», Paris, Les Empêcheurs de penser en rond, 1990; avec Philippe Pignarre, «La Sorcellerie capitaliste», Paris, La Découverte, 2005. Le dialogue avec Isabelle Stengers a eu lieu à Rimini près de la Fondation Pio Manzù et dans la ville de Modène, près de la Fondation de recherche Collegio San Carlo.

Antonio Torrenzano. Notre planète est-elle chatouilleuse ?

Isabelle Stengers. Notre planète est chatouilleuse, ce n’est pas une Bonne Mère et nous sommes capables de susciter des réactions de sa part qui peuvent signifier la disparition des ressources sur lesquelles nous comptons pour vivre. Nos sociétés exploitent et détruisent sans penser. Nos sociétés exploitent pour des bénéfices à court terme sans prendre en compte les conséquences. Je ne suis pas une écologiste vert profond. Quand je pense à notre planète, je ne pense pas à une bonne nature, mais à un monde évidemment redoutable, devant lequel il faut apprendre à se déplacer avec prudence.

Antonio Torrenzano. Pourquoi l’évolution humaine contemporaine a-t-elle été incohérente vers notre planète ?

Isabelle Stengers. Je ne suis pas une catastrophiste fanatique, mais nos évolutions sont compliquées et parfois incohérentes. Ce qui me fait peur, ce sont les gens qui semblent penser que ceux qui ont la chance de s’en tirer à peu près pourront vivre impunément à côté de ceux qui se sentent sans perspective, sans espoir. Nous allons vers un avenir de la planète extrêmement agité et nous n’apercevons pas cet avenir. Je n’essaie pas de faire une théorie des catastrophes. Non plus d’être catastrophiste au sens : nous avons mérité les catastrophes qui viennent. Ce qui m’intéresse, c’est cette sensibilité que nous devons retrouver et apprendre encore une fois.

Antonio Torrenzano. Le monde contemporain a-t-il oublié l’ancien principe de précaution ?

Isabelle Stengers. Selon moi, le principe de précaution, c’est l’idée de faire attention. Dans notre société ceux qui disent faites attention sont considérés des oiseaux de mauvais augure. Les partisans du principe de précaution n’ont jamais parlé de risque zéro, mais de prise en considération active des conséquences. En plus, le principe de précaution tel qu’il existe aujourd’hui est d’un restrictif extraordinaire: les seuls risques à prendre en compte sont les risques graves et irréversibles pour l’environnement et pour la santé. Et les désastres sociaux, les inégalités ? Est-ce que nous devons les considérer comme graves et irréversibles ou pas ? J’observe enfin que les mesures prises en cas de risque grave, elles ont été toujours proportionnées à la perception non du risque, mais du droit de l’investisseur.

Antonio Torrenzano

 

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