Conversation avec Amartya Sen, économiste, prix Nobel pour l’économie en 1998 pour ses travaux sur la famine, sur la théorie du développement humain, sur l’économie du bien-être, sur les mécanismes fondamentaux de la pauvreté et sur le libéralisme politique, il est aujourd’hui professeur à l’université américaine d’Harvard. De 1998 au 2004, il a été professeur et directeur du Trinity college à l’université de Cambridge. Il est le président honoraire de l’ONG Oxfam. Parmi ses nombreuses contributions sur l’économie du développement, Amartya Sen a fait des études sur les inégalités entre les hommes et les femmes.Auteur de nombreux essais, de livres traduits en plus de trente langues, dont «L’économie est une science morale?», Paris, La Découverte, 2004; «Rationalité et liberté en économie», Paris,Odile Jacob, 2005; «La Démocratie des autres : pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident», Paris, Payot, 2005;«L’Inde. Histoire, culture et identité» et «Identité et violence», toujours aux éditions Odile Jacob, Paris, 2007. Le dialogue avec le prix Nobel, il a eu lieu à Rome pendant le Forum sur l’innovation de l’Administration publique italienne, au mois de mai 2010.
Antonio Torrenzano. Comment jugez-vous la spéculation financière contre la monnaie européenne ?
Amartya Sen. J’ai été toujours sceptique vers l’euro parce que la monnaie européenne est née sans une vraie intégration des politiques fiscales dans tous les Pays membres. Et maintenant, ces questions sont en train d’émerger. À l’Europe, je le souligne de nouveau, elle sert désormais une vraie intégration fiscale et politique. Je crois que les gouvernements UE ils sont en train d’adopter de mesures sévères,mais il ne faut pas penser seulement aux comptes, il faut aussi penser au bien-être des individus. Si les mesures sont trop restrictives, on empêche la croissance.
Antonio Torrenzano. Croyez-vous qu’il ne faut pas penser seulement au simple modèle économique des revenus ?
Amartya Sen. Nous avons besoin d’une nouvelle analyse différente de la situation contemporaine, d’un nouveau modèle économique. Il ne faut pas penser seulement aux comptes, mais aussi au bien-être des individus. Il faut comprendre qu’une réduction d’une dépense publique peut être plus ou moins nuisible pour la liberté humaine de chaque individu et pour sa dignité. Depuis le mois de septembre 2008, les gouvernements du monde occidental se sont occupés plus du sauvetage de banques que des nombreux individus sans travail. Inutile cacher la réalité : nous sommes en train de vivre dans une autre période difficile. On pourrait parler d’un nouveau tsunami de l’économie qui s’est abattu cette fois sur l’Europe. Tsunami qu’il était vraiment difficile de prévoir il y a six mois.
Antonio Torrenzano. Gestionnaires de « hedge funds », firmes de « private equity », promoteurs de fonds d’infrastructure, de nombreux professionnels de la finance ont connu depuis le début du XXI siècle, et jusqu’à la crise, un évident âge d’or. Comment définiriez-vous la spéculation financière ?
Amartya Sen. Des individus qui tâchent de faire de l’argent sans se préoccuper des effets sociaux que leurs actions produisent. Des hommes sans éthique qui gagnent de l’argent à grande vitesse parce que notre marché financier est encore sans de mesures sévères et restrictives. Ce marché sans règles lui offre l’occasion favorable. Les problèmes naissent pour tout le monde quand ils assument de risques extrêmes et dangereux pour toute la communauté humaine. Et quand cela arrive, le désastre est aussi de nature morale : il y a un manque de règles, c’est clair .
Antonio Torrenzano