Conversation avec Noreena Hertz, économiste, essayiste, professeur et doyen associé au Centre for International Business and Management à l’université de Cambridge. Dans les années quatre-vingt-dix, Noreena Hertz a été conseiller économique du Fond monétaire international (FMI) à Moscou. À la fin des années quatre-vingt-dix, l’économiste travaille au Proche-Orient comme responsable de l’ONG Center for Middle East Compétitives Strategy où elle collabore avec l’Autorité palestinienne, le gouvernement Israélien, Jordanien et Égyptien pour le développement de programmes financiers et initiatives économiques pour débloquer la crise dans la région après la mort de Yitzhak Rabin. Autrice de nombreux essais dont « Russian Business Relationships in the Wake of Reform » dans l’année 1997, « The Silent Takeover : Global Capitalism and the Death of Democracy » en 2002, « The Debt Threat : How Debt Is Destroying the Developing World » publié dans l’année 2005. L’argument phare de Noreena Hertz est sur les processus de globalisation, et le pouvoir, sans cesse plus importants des multinationales, qui ont rendu les gouvernements démocratiques impuissants à influencer les décisions clés qui guident la vie quotidienne des gens ordinaires. Le dialogue avec M.me Hertz a eu lieu dans la ville italienne de Reggio Émilia en occasion d’un séminaire organisé par la confédération de sociétés coopératives Legacoop au mois de juin 2011.
Antonio Torrenzano. L’économie coopérative est-elle une solution aux instabilités financières et économiques qui ont produit le désastre contemporain ?
Noreena Hertz. L’histoire offre de nombreux exemples de folie financière dans nos pays industrialisés, mais il y a des choses que nous pouvons faire pour atténuer les dégâts. Nous avons besoin d’urgence d’une nouvelle discussion franche et sincère sur les limites du néolibéralisme et du libre-échange. Le capitalisme est instable par nature, mais décider de refuser tout ce qui vient de ce vieux modèle il est probablement faux et inexact. Je crois en effet qu’à l’intérieur de ce modèle, il y a encore quelque chose de favorable. Le capitalisme, il a toujours exalté l’innovation, l’envie d’expérimenter de nouveaux produits, de nouveaux systèmes d’organisation. Cette idée représente encore aujourd’hui une stimulation pour le développement des entreprises et pour la naissance de nouvelles idées. Celui-ci est l’aspect du capitalisme que je ne veux pas repousser. Je repousse en revanche de l’ancien modèle la gestion du profit, limité à un entourage très resserré d’individus. Cet aspect je le trouve terrible et dépassé. La dernière crise financière et économique qui a bouleversé l’Occident, il est selon moi une extraordinaire opportunité pour faire accomplir un énorme pas de type évolutif à ce modèle. L’économie coopérative alors devient une possible réponse.
Antonio Torrenzano. Votre réponse me rappelle d’anciennes analyses du professeur John Kenneth Galbraith qui affirmait : «… je ferai remarquer qu’une crise financière épure le système bancaire, le système industriel et, dans une certaine mesure, le gouvernement de leurs incompétences ». Dans vos analyses économiques autant que dans vos essais, vous affirmez qu’il faut revenir à conjuguer le principe de la solidarité avec celui-ci, de la compétition économique. Mais pour conjuguer solidarité et concurrence la communauté occidentale aurait-elle besoin de nouvelles lois internationales pour une surveillance majeure de la finance et d’institutions économiques mondiales avec un très consistant pouvoir de représentativité ? Sera-t-il possible ?
Noreena Hertz. L’ancien système capitaliste pensait que ces deux idées représentaient deux extrêmes, incompatibles et contraires. La solidarité était considérée d’exclusive valeur de la gauche ou de la doctrine sociale catholique pendant que l’avantage économique concernait seulement qui avait comme seul objectif celui de maximiser du profit. J’ai démontré au contraire dans mes recherches qui si nous mêlons ces deux valeurs, on s’obtient quelque chose d’incroyable.
Antonio Torrenzano. Pouvez-vous nous faire des exemples ?
Noreena Hertz. L’histoire de la Silicon Valley, en Californie, aux États-Unis c’est le premier exemple. Une des histoires de plus grand succès écrites en matière de compétitivité industrielle des dernières vingt années. Une expérience basée entièrement sur un modèle de collaboration dans lequel les petites entreprises se sont divisées la ressource et le système bancaire s’est bien équipé pour les soutenir. Cette culture de la collaboration a permis à ces entreprises d’émerger et de devenir les plus grandes et innovantes du monde. Le deuxième exemple est celui de la région de l’Émilia Romagna en Italie qui est avec son économie coopérative parmi les régions les plus riches de l’Union européenne. Encore une fois ce métissage du principe de la collaboration, de la solidarité, de l’innovation, de l’avantage économique et un système bancaire bien équipé ont permis d’écrire une nouvelle histoire économique. Le dernier exemple est le projet Red en Grande-Bretagne. Cette action a été voulue par l’artiste Bono Vox des U2 avec la participation des entreprises comme GAP, Motorola ou Giorgio Armani. Les produits Red quand ils sont achetés ils destinent un pourcentage de revenu à la lutte contre le sida. Cette action économique depuis deux ans a déjà produit 140 millions de dollars à faveur de la lutte contre la maladie.
Antonio Torrenzano