Conversation avec Muhammad Yunus, économiste, entrepreneur connu pour avoir fondé la première institution de microcrédit. En 2006, il obtient le prix Nobel de la paix. Muhammad Yunus après avoir occupé le poste de sous-directeur à la commission planification du gouvernement de son Pays, il devient responsable du département d’économie de l’université de Chittagong. Toujours auprès de l’université de Chittagong, Muhammad Yunus avec ses étudiants fonde un groupe de recherche économique dont les premiers travaux produiront des lignes d’action sur des questions agronomiques. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues diplomatiques, dont «Portraits de microentrepreneurs», avec Jacques Attali, Paris 2006; «Vers un monde sans pauvreté», avec Alan Jolis, Paris, édition Lattès, 1997; «Vers un nouveau capitalisme», toujours aux éditions Lattès en 2008. Depuis l’année 2011, l’économiste est le président du Yunus Centre, un centre de recherche qui développe des études sur l’économie sociale. L’entretien s’est développé en plusieurs reprises en Italie dans les villes de Bologne près de l’université, à Rome et dans la Confédération Hélvétique au mois de janvier 2012.
Antonio Torrenzano. Une société où la qualité de la vie serait l’objectif prioritaire de son fonctionnement et de sa conduite est-elle possible ? L’urgence d’un nouveau débat sur le capitalisme est-elle prioritaire ?
Muhammad Yunus. Un nouveau débat sur le système capitaliste contemporain est urgent, mais cette analyse vient développée en suivant encore les anciens schémas théoriques. Le système contemporain ne fonctionne plus, mais personne dans la communauté scientifique internationale n’a pas le courage de l’affirmer. Le système a toujours cherché le meilleur rendement et son seul point de repère a toujours été la maximisation des profits sur les marchés mondiaux. Ce système reste aveugle à toute autre considération que le profit. Le problème central du capitalisme occidental veut que le seul but de l’entreprise soit de gagner de l’argent, de maximiser son profit et que le bonheur soit lié à une consommation tout court. Si le modèle ne change pas, je ne prévois pas quel avenir il pourra avoir.
Antonio Torrenzano. Trouvez-vous qu’il soit urgent d’avoir un gigantesque rééquilibrage planétaire entre Humanité et Nature, entre riches et pauvres, entre un monde occidental et un monde non occidental ?
Muhhamad Yunus. Dans le capitalisme, tout le monde espère gagner de l’argent en faisant des affaires pour produire encore plus d’argent. Le fonctionnement social de ce système jusqu’aujourd’hui a été centré seulement sur l’efficacité utilitariste. Sur la simple idée de la croissance économique qui vient représentée en macro-économie par le produit intérieur brut. Mais, le bonheur pour chaque individu n’est pas seulement être riche. Tout ceci n’a pas de sens ! L’individu est un être multidimensionnel qui aime aider et coopérer avec les autres sujets humains.
Antonio Torrenzano. La pauvreté est-elle alors une condition artificiellement créée chez l’homme ? Quel monde voulons-nous construire ?
Muhammad Yunus. À cet égard, le capitalisme jusqu’aujourd’hui a montré de nombreuses lacunes. D’un point de vue institutionnel, le capitalisme a laissé presque deux tiers de la population mondiale en marge du système. Prenez-vous les banques commerciales : elles ne prêtent pas aux pauvres au prétexte d’un remboursement difficile. C’est faux ! Notre travail a prouvé qu’on pouvait prêter aux pauvres, mais qu’en plus ça marchait et qu’on arrivait à les faire sortir de la pauvreté. Quel monde voulons-nous construire ? Comme je le dis dans mes rencontres et séminaires, chaque enfant, dès son plus jeune âge, devrait avoir pour tâche de penser au monde idéal qu’il aimerait bâtir. Dans le mien, il n’y aurait pas de pauvres, pas d’épidémies et pas de souffrances liées à la maladie. Les hommes prendraient soin les uns des autres et chaque génération donnerait à la suivante un monde plus beau, plus sûr, meilleur que celui d’aujourd’hui.
Antonio Torrenzano