Conversation avec Mona Eltahawy, journaliste, blogueuse, professeur en sciences de la communication auprès de l’université New School de New York, de l’université de l’Oklahoma et également de l’université des Nations Unies en Costa-Rica. Née à Port Said en Égypte, Mona Eltahawy a 44 ans. Elle a vécu au Royaume-Uni, en Israël, en Arabie Saoudite avant de s’établir aux États-Unis dans les années 2000. Dans les années quatre-vingt-dix, elle a été journaliste correspondante pour l’agence de presse Reuters au Caire et à Jérusalem. Successivement, ses écrits ont été publiés sur les principaux quotidiens américains, anglais et canadiens comme le Toronto star, le Washington Post, The New York Times , International Herald Tribune et The Guardian. En 2009, Mona Eltahawy a été lauréate du prix Samir Kassir de l’Union européenne pour la liberté de presse et l’année suivante du Prix de la fondation Anna Lindh. La conversation a eu lieu à Turin (circolo dei lettori)) et à Bologne (près de l’université, faculté de sciences de la communication) au mois de mars 2012 pendant deux séminaires tenus par Mona Eltahawy dans les deux villes italiennes. Le site numérique de Mona Eltahawy est http://www.monaeltahawy.com
Antonio Torrenzano. Les révoltes au Proche-Orient représentent-elles un changement historique unique ?
Mona Eltahawy. Les révoltes au Proche-Orient sont des révolutions. Il faut effacer l’image du « printemps arabe » qui distrait et qui réduit la vraie nature du changement social et politique en cours. Encore, ces révolutions ne sont pas non plus de révolutions virtuelles. Ces révoltes ont provoqué de la violence, des individus tués, des individus arrêtés et tapés, du monde qui a été intoxiqué de gaz lacrymogènes. La révolte n’a pas été seulement un printemps qui passe, mais un phénomène social et politique dont les effets ont désormais atteint des endroits très lointains de Place Tahrir.
Antonio Torrenzano. Vous avez vécu les protestations de Place Tahrir. Ces protestations vous les avez racontées sur les quotidiens internationaux et dans les réseaux sociaux. Dans le même lieu public, vous avez été arrêtée par les forces de l’ancien régime. Les femmes ont-elles risqué plus d’autres individus ?
Mona Eltahawy. J’ai été arrêtée et j’ai été frappée. Et après mon arrestation, j’ai subi des violences psychologiques et sexuelles. Les anciennes dictatures arabes opprimaient hommes et femmes de la même façon. Les femmes égyptiennes par leurs protestations ont montré un très haut courage. Du courage tout au féminin pour la liberté, pour les droits humains, pour leur dignité. Courage qui m’a fait oublier la peur quand je racontais comme journaliste les événements de ces jours là.
Antonio Torrenzano. Les réseaux sociaux et le Net ont-ils été de moyens importants pendant la révolte?
Mona Eltahawy. La révolte en Égypte n’a pas été seulement une révolution numérique comme beaucoup d’observateurs internationaux ont affirmé. La révolte a vu une immense foule des femmes et des hommes descendre dans la rue pour réaliser leur rêve de liberté. Cette foule a été tapée, elle a subi de violence de manière réelle et non virtuelle. Une chose toutefois est certaine ; en Égypte, les réseaux numériques ont permis à tout le monde d’affirmer : j’existe et je compte. De trouver dans le Net d’autres individus qui pensaient la même chose et qui avaient les mêmes idées. Les réseaux sociaux alors ont offert l’occasion à cette communauté de dialoguer et puis de se retrouver dans la rue.
Antonio Torrenzano. Cet usage du numérique, vous venez d’affirmer, il a été utile, mais non décisif. A-t-il été décisif dans les autres révoltes de la région ?
Mona Eltahawy. L’usage des moyens numériques en Égypte ou dans le Bahreïn n’est pas comparable à celui du Yémen ou à ce que nous voyons dans ces jours en Syrie, où la censure est presque totale.
Antonio Torrenzano
* Un remerciement particulier au photoreporter Christian Als pour l’image de Mona Eltahawy.