Conversation avec Zygmunt Bauman, sociologue, écrivain. Il a enseigné la philosophie et la sociologie à l’université de Varsovie où il fut lui-même étudiant. Il a été contraint par le régime communiste de quitter la Pologne en 1968 lors des persécutions antisémites. Il rejoint l’université de Leeds en 1973. Zygmunt Bauman a également enseigné à l’université de Tel-Aviv. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues étrangères, il a publié en France : « Le coût humain de la mondialisation », Hachette, 1999; « Modernité et holocauste», La fabrique, 2002; « La Vie en miettes. Expérience postmoderne et moralité », Paris, Hachette, 2003; « L’Amour liquide. De la fragilité des liens entre les hommes », Éditions du Rouergue, 2004; « La société assiégée », Le Rouergue/Chambon, 2005; « La Vie liquide », Le Rouergue/Chambon, 2006; «Vies perdues : La modernité et ses exclus », Payot, 2006; «Le présent liquide », Seuil, 2007; « L’éthique a-t-elle une chance dans un monde de consommateurs? », Climats/Flammarion, 2009; « Identité », L’Herne, 2010. Le dialogue a eu lieu près de l’université de Padoue et dans la ville de Turin au printemps 2012.
Antonio Torrenzano. Le processus de mondialisation a porté à l’hégémonie de l’économie, du profit et des échanges et nous vivons dans une ère du liquide comme vous affirmez dans vos essais. Cette période historique se caractérise par l’affirmation d’une nouvelle fracture planétaire et nous ne savons ce qui en sortira.
Zygmunt Bauman. Nous vivons dans une phase de mondialisation accélérée, c’est-à-dire dans un processus qui veut transformer le monde en marché unique et dans les mains d’un groupe limité de personnes. Un processus qui est la cause première de l’injustice, du conflit et de la violence. D’une certaine façon, c’est qui arrive avec la crise de l’année 2008 n’est que la manifestation principale. Depuis quelques années, le capitalisme financier qui détient l’argent et le pouvoir est en train d’organiser le monde selon son intérêt. L’individu est devenu un consommateur, l’État-nation a subi un rapide affaiblissement. La mondialisation financière a toujours détesté toutes les vérifications et les surveillances comptables autant que les organisations illégales. Les vérifications ont été toujours des obstacles qui bloquaient la rapidité des échanges et du profit. Les paradoxes de cette mondialisation ? Richesse mondiale, pauvreté locale et capitalisme sans travail. Il faudra encore comprendre quel prix la société civile devra payer. Mais, je crains que le prix de ce désastre cette fois soit très haut, surtout pour les nouvelles générations.
Antonio Torrenzano. Pourquoi la société occidentale a-t-elle oublié la valeur de l’éthique ?
Zygmunt Bauman. La valeur de l’éthique autant que les autres vertus est couteuse et il n’y a pas de recette facile pour rejoindre ses vertus. Nous ne pouvons pas les acheter dans un magasin ni dans un supermarché.
Antonio Torrenzano. Une mondialisation donc réductrice, financière et spéculative. Pourquoi la communauté internationale n’a-t-elle pas développé une gouvernance mondiale ?
Zygmunt Bauman. Tous les problèmes d’aujourd’hui sont mondiaux alors que la politique reste coincée dans le local. Les liens entre pouvoir et politique, ainsi fort dans le passé, ils se sont desserrés. Les leaders de la communauté internationale se trouvent dans un labyrinthe : ils sont incapables de produire un nouveau système des normes et ils sont incapables de concevoir une nouvelle manière de vivre ensemble. L’État-nation n’est plus le moteur du progrès social, et je pense que l’on ne reviendra pas en arrière. La croyance créée et promue par l’ancienne modernité a disparu. Elle n’existe plus. Comme l’a souligné plusieurs fois Ulrich Beck, nous sommes aujourd’hui sommés de trouver des réponses individuelles à des problèmes collectifs. Ce qui n’est pas illusoire, en revanche, c’est la possibilité de changer les conditions de vie des hommes, de lutter contre l’insécurité, la servitude, l’injustice, la souffrance, l’humiliation. De s’opposer contre toutes les violations à la dignité humaine.
Antonio Torrenzano. Pourquoi définissez-vous cette période historique de postmodernité comme modernité liquide ?
Zygmunt Bazuman. Contrairement à un corps solide, les liquides ne peuvent pas aussi conserver leur forme lorsqu’ils sont pressés par une force extérieure. La tendance à substituer la notion de « réseau » à celle de « structure » dans les descriptions des interactions humaines contemporaines traduit parfaitement cette nouvelle ère. La liquidité de la vie s’exprime encore plus dans toute sa gravité dans toutes les relations humaines. Nous vivons dans une société fondée sur la production de marchandises où le marketing a transformé la rationalité du consommateur dans des pulsions d’achat compulsif. Les crises et l’instabilité permanente prouvent la situation contemporaine.
Antonio Torrenzano
* Le sociologue Zygmunt Bauman participera au prochain festival international de la philosophe qui se déroulera à Modène en Italie du 14 au 16 septembre 2012. Le festival est organisé par la Fondation Collegio San Carlo. Site électronique du festival http://www.festivalfilosofia.it
* Un remerciement particulier au photoreporter Mario Soto Oliva pour l’image de Zygmunt Bauman.