Femmes du Maghreb, la situation en Tunisie. Conversation avec Sophie Bessis, IRIS Paris.

Conversation avec Sophie Bessis, écrivaine, journaliste, chercheuse à l’Institut des relations internationales et stratégiques de Paris. Agrégée d’histoire et ancienne rédactrice en chef de l’hebdomadaire Jeune Afrique et du Courrier de l’UNESCO, elle est actuellement la secrétaire générale adjointe de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Elle a longtemps enseigné l’économie politique du développement au département de science politique de la Sorbonne et à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Consultante pour l’UNICEF, elle a mené de nombreuses missions en Afrique. Auteur de plusieurs essais dont nous rappelons : « L’arme alimentaire », éd. Maspero, Paris, 1979; « La dernière frontière : les tiers-mondes et la tentation de l’Occident », éd. Lattes, 1983; « Habib Bourguiba. Biographie en deux volumes », éd. Jeune Afrique, Paris, 1988; « Femmes du Maghreb : l’enjeu », éd. Jean-Claude Lattès, Paris, 1983; « Mille et une bouches », éd. Autrement, Paris, 1995; « L’Occident et les autres. Histoire d’une suprématie », éd. La Découverte, Paris, 2003; « Les Arabes, les femmes, la liberté », éd. Albin Michel, Paris, 2007; « Dedans, dehors », éd. Elyzad, Tunis, 2010. L’entretien a eu lieu à Bruxelles en plusieurs reprises auprès du Parlement européen en 2012 et pendant un colloque international en 2013.

 

Antonio Torrenzano. Les femmes ont pris une part active au printemps arabe à la fois sur Internet et dans les rues. Que ce soit en Tunisie, au Maroc et en Égypte ou encore en Libye, au Yémen et en Syrie, elles ont montré une aspiration à la liberté et à l’égalité aussi grande et aussi déterminée que celle des hommes. Mais, deux ans après le déclenchement du printemps arabe, le combat des femmes pour la liberté et pour l’égalité semble entravé par des forces classiques un peu partout. Quelle est-elle la situation des femmes en Tunisie aujourd’hui ?

 

Sophie Bessis. La Tunisie dans la période contemporaine vive dans une trajectoire d’instabilité. Je pense que les femmes tunisiennes sont à présent à un tournant. Elles sont dans une situation tout à fait unique dans le monde arabe : la législation de la famille est la plus avancée du monde arabe. Aujourd’hui, il s’agit de savoir si le projet de société va changer. C’est-à-dire si le Pays va revenir en arrière sur ces acquis ou si le Pays veut continuer à avancer sur le chemin de l’émancipation féminine.

 

Antonio Torrenzano. La participation des femmes à la révolution des jasmins a été très élevée. Pourquoi les revendications restent-elles encore inachevées ?

 

Sophie Bessis. La qualité de la participation des femmes à la révolution tunisienne a été très élevée, mais les revendications féminines n’ont pas avancé suffisamment au cours des derniers mois. En Tunisie, nous sommes à un tournant, car nous sommes à l’étape de la rédaction de la Constitution, ce qui est une étape importante. Les femmes tunisiennes demandent l’égalité des sexes qui doit devenir un principe fondamental, non révisable et non amendable. Le deuxième point important concerne les droits humains en général et ceux des femmes en particulier.

 

Antonio Torrenzano. Les minorités extrémistes ont aujourd’hui un auditoire qui va bien au-delà de leur importance dans la société. Observez-vous dans le contexte social tunisien des régressions ? La société civile pourra-t-elle pour faire entendre les revendications des femmes ?

 

Sophie Bessis. Je pense que quelle que soit l’influence du conservatisme, les femmes tunisiennes ne seront pas prêtes à abandonner leurs droits principaux. La société civile a un rôle important pour faire entendre très fort la voix des femmes. Le champ politique reste très masculin partout et il est difficile pour les femmes d’y entrer. Les associations peuvent aider les femmes à investir dans la sphère politique et travailler à l’intérieur de cette sphère pour la faire évoluer et changer.

 

Antonio Torrenzano. L’enjeu économique reste important et prioritaire autant que le défi d’une amélioration des politiques sociales. Les jeunes sont particulièrement touchés par ces blocages. Sans attention aux attentes concrètes de la jeunesse, les réformes politiques ne pourront pas suffire à produire des perspectives d’avenir et d’espoir. Le printemps arabe a fragilisé, à des niveaux divers, les économies de la région et les effets négatifs se feront surtout sentir dans les années à venir.

 

Sophie Bessis. Nous sommes dans une période très incertaine. Une période de crise économique où les femmes sont les premières victimes de cette crise. En Tunisie, elles sont en état de précarisation plus grande que les hommes. La féminisation de la pauvreté est une réalité, où il y a des forces conservatrices qui veulent cantonner les femmes à la sphère domestique, ou en tout cas réduire leur activité professionnelle. Cette conjoncture est très inquiétante pour les femmes.

 

Antonio Torrenzano

 

 

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