Conversation avec M.José Manuel Barroso, président de la Commission européenne. L’entretien a eu lieu à Parme,le 11 janvier 2008 à l’auditorium Paganini, auprès de la Fondation Collège Européen de l’Université des études de Parme où le Président de la Commission a ouvert la nouvelle année académique 2008 du Collège. La deuxième partie du dialogue sera publiée jeudi 31 janvier 2008.
Antonio Torrenzano. Je voudrais commencer cet entretien par le titre de votre discours ici au Collège européen de Parme. Comment renforcer la construction européenne à l’ère de la mondialisation ?
José Manuel Durão Barroso. Nous sommes tous héritiers et dépositaires de cet esprit européen. Pour moi, si l’Europe est l’Europe, c’est parce que c’est une création qui parle au cœur et vibre par l’esprit. De ce patrimoine, tous les Européens peuvent être très fiers. C’est aussi, à mes yeux, une raison d’avoir foi dans le projet européen. Car il traduit bien l’idée que l’Europe a une âme. Je le dis dans un pays, l’Italie, qui est non seulement fondateur de l’Union européenne, mais aussi un pays qui incarne plus qu’aucun autre toute la richesse de la culture européenne. Un pays qui a toujours apporté sa formidable énergie et sa mobilisation enthousiaste à notre entreprise commune. L’Europe du XXI siècle qui vient de vivre ces événements historiques reste, dans son esprit, celle d’Alcide de Gasperi et des Pères fondateurs. Celle de la paix, de la démocratie, de l’État de droit et du respect des libertés. Elle n’en renie pas les principes d’union économique et de solidarité matérielle. Elle n’en renie pas non plus la volonté d’une union politique à renforcer jour après jour autour des valeurs européennes d’ouverture, de tolérance et de respect des diversités, qui forment son ciment. Mais l’Europe du XXI siècle ne peut pas devenir le musée figé d’une époque, qui s’est heureusement achevée, où elle a conquis de haute lutte sa liberté et son union contre les guerres fratricides, les dictatures et les murs de Berlin. Notre cinquantième anniversaire a célébré le miracle européen: une vision politique sans équivalent, des conquêtes de paix et de démocratie irréversibles et la réunion d’une famille qui avait été si longtemps déchirée. L’Europe du XXI siècle doit regarder les défis de son temps présent . Les défis de son temps, ce sont la mondialisation, son échelle inégalée, son rythme vertigineux, ses bouleversements et ses réalités inédites. Regardons les choses telles qu’elles sont: le monde n’a plus de centre. Le centre du monde, c’est le monde lui-même. La mesure de la puissance maximale, aujourd’hui, c’est celle d’une deuxième place! Alors allons-nous continuer à penser l’Europe et le monde avec les outils du XX siècle ? Non, bien sûr. Mais il ne faut pas s’y tromper: la réalité qui émerge est celle d’un ordre mondial sans hégémonie. Un ordre mondial qui, à regarder l’évolution de la Chine, de la Russie ou de l’Inde, pour ne citer que quelques exemples, annonce le retour en vigueur de la géopolitique.Dans cet ordre en gestation, L’Europe n’a pas vocation à imposer son modèle. Mais sans doute le modèle européen a-t-il des pistes de réflexion à proposer au monde. Je crois que de plus en plus, l’Europe sera perçue comme un laboratoire de l’avenir. C’est-à-dire un modèle de rapports de confiance et de partenariat durable entre les peuples qui peut se substituer à un rapport de concurrence dans la gestion des affaires communes du monde et servir de principe de gouvernance à l’échelle de la communauté internationale. L’Europe est mieux placée que d’autres régions du monde pour réussir. Et pour le monde d’aujourd’hui et de demain, elle est plus nécessaire que jamais.
Antonio Torrenzano. Dans votre discours au Collège européen de Parme, vous avez cité Robert Schuman qui affirmait :«L’Europe devra cesser d’être un assemblage géographique d’États, trop souvent opposés les uns aux autres, pour devenir une communauté de nations distinctes, mais associées dans un même effort défensif et constructif. Le plein épanouissement de l’humanité se fera au travers de la pluralité des civilisations, qui seront poussées à se tourner les unes vers les autres, et notamment vers le continent africain.» Je vous demande, alors, comment dépasser le simple assemblage d’États, trop souvent opposés les uns à aux autres?
José Manuel Durão Barroso. Ce travail d’union et d’ouverture au monde reste d’une incroyable actualité cinquante ans plus tard, à l’ère de la mondialisation.Je suis convaincu que l’Europe doit utiliser la mondialisation comme un moteur pour renforcer la construction européenne. Pour deux raisons, interne et externe. Parce que la construction européenne, c’est-à-dire l’union, est LA réponse politique qui va dans le sens de l’intérêt commun des peuples et des États européens. Et parce que la construction européenne est la contribution de notre continent à un ordre mondial plus juste. L’Europe politique que nous voulons renforcer, l’Europe forte que nous voulons bâtir dans la mondialisation, nous la construisons par l’approche payante que nous suivons à la Commission européenne: l’Europe des résultats, l’Europe des citoyens. L’Europe a toujours été et reste un rêve lucide, c’est-à-dire une création qui conjugue la vision et le pragmatisme. Il n’y a pas de contradiction entre le grand dessein et les avancées concrètes. C’est même le mode de fonctionnement naturel de l’Union européenne depuis le premier jour. Qui pourrait nier que cette méthode nous a réussi ? L’Europe des résultats, je l’ai dit, n’est pas une alternative à la grande vision européenne. Encore moins une échappatoire. C’est une véritable stratégie qui fait jouer la valeur ajoutée européenne au profit d’avantages réels offerts aux citoyens européens.Cette stratégie porte ses fruits. Elle a d’ores et déjà permis à l’Union de sortir de l’impasse institutionnelle dans laquelle elle se trouvait depuis un certain temps. En espérant que la ratification du nouveau Traité aura lieu dans tous les États membres, nous pouvons dire que la signature du traité de Lisbonne témoigne de la détermination de l’Europe à se donner une capacité d’agir à la hauteur des enjeux du monde d’aujourd’hui. Ce Traité va nous donner davantage de moyens pour armer l’Europe dans la mondialisation et lui permettre d’imprimer sa marque. Mais il y a des conditions à réunir. Pour réussir, il faut une Europe à 27 unie, en accord avec ses valeurs, qui prenne l’initiative. Une Europe pionnière. Une Europe audacieuse. Une Europe dynamique. Bref, une Europe qui exerce un leadership. Car il ne suffit pas d’avoir la capacité d’agir, il faut surtout la volonté d’agir.
Antonio Torrenzano