Pour poser la question d’un vrai droit à alimentation, il faut dépasser la simple considération du quotidien pour aborder une nouvelle vision des décisions internationales à ce sujet. La faim est non seulement l’une des principales cause de la pauvreté, mais également l’un de ses principaux effets. Les répercussions de la faim vont bien au-delà des morts qu’elle engendre. Car la faim entraîne des coûts économiques considérables pour les individus, les familles et d’entières sociétés. Les sociétés où la faim est omniprésente voient leur croissance économique gravement compromise, alors qu’il s’agit d’un élément indispensable à une réduction durable de la pauvreté. Ces effets de la faim montrent que c’est dans les zones rurales que se gagnera ou se perdra la bataille contre la pauvreté. Sans une nouvelle vision, rien de bon ni de consistant ne pourra être réalisé dans la longue marche vers une situation nouvelle.
La faim est encore notre scandale contemporain et les individus qui souffrent de cette pénible situation ils sont les exclus de cette économie mondialisée. Cet écart se creuse de plus en plus aujourd’hui. Ces espaces d’exclusion prennent de multiples formes, que ce soit des pays entiers en proie à la famine ou des régions dans certains continents par exemple l’Afrique subsaharienne ou la Corne de l’Afrique. Ils sont à la fois des espaces géographiques, mais aussi des espaces sociaux où la pauvreté, l’exclusion, la marginalité deviennent les lieux communs du même enfer. Comme l’a dit Nelson Mandela: « la pauvreté massive et l’horrible inégalité sont de terribles fléaux de notre temps ».
L’État du Niger – par exemple – pour pouvoir rééchelonner sa dette, a dû accepter d’abolir son Office national vétérinaire. L’abolition a ouvert le marché nigérien aux vaccins et médicaments vendus, beaucoup plus cher, par les multinationales. Incapables de les acheter, les éleveurs ont vu dépérir leurs troupeaux. La liste de ces cas est longue et s’allonge chaque jour. La crise s’incarne donc dans l’économie locale, mais elle est aussi une faillite de l’économie mondiale. Malgré plus d’un siècle de développement et de théories sur le développement, des auteurs et des analystes en arrivent à la conclusion de l’impasse et même de l’échec du système. Échec du développement et de son inadéquation à répondre aux problèmes criants qui existent sur la planète. Les Pays moins avancés bénéficiaires restent toujours des PMA. Le Burkina Faso reste toujours le Burkina Faso et la province du Yatenga reste encore une zone déshéritée. «Ces échecs globaux répétés – il soutient Serge Latouche – n’empêchent pas le fonctionnement du mythe […] Pourtant, l’échec global de l’aide est une conséquence nécessaire de la logique de la modernité occidentale ».
Comment pourra-t-on dépasser cet échec ? Comment pourra-t-on améliorer le niveau de vie de trois milliards d’hommes et de femmes qui vivent à présent à la campagne et beaucoup d’entre eux dans une extrême pauvreté ? Le développement rural a-t-il encore d’importance ? Pour Ignacy Sachs, économiste et sociologue à l’École des Hautes Études en sciences sociales de Paris, le développement rural a encore d’importance pour trois raisons. Premièrement, l’ère de l’industrialisation comme nous l’avons connu au XXe siècle est terminée; nous sommes entrés désormais dans une ère de désindustrialisation. Les industries de haute technologie créent difficilement de nouveaux emplois; l’agriculture et les contextes ruraux représentent encore 40,1 % du total de l’emploi dans le monde. En Asie du Sud-est et dans le Pacifique, par exemple, ce pourcentage est de 43,3%, en Asie de l’Est il est de 49,5%, en Asie du Sud de 61,2%. En Afrique au sud du Sahara de 63,6%. Deuxièmement, le potentiel pour un nouveau cycle de développement rural existe encore.
Il est nécessaire de cultiver plus de nourriture afin d’assurer le respect universel au droit de l’alimentation. Le défi est que le développement rural devienne socialement participatif, durable pour l’environnement en promouvant une agriculture à petite échelle paysanne et bien modernisée. Le développement rural a un effet multiplicateur sur le reste de l’économie. Un rapport de la Banque mondiale sur l’Amérique latine et les Caraïbes indiquait que la population rurale représentait environ 42% de la population totale, alors que les statistiques officielles indiquaient 24%, et qu’une augmentation de 1% du PIB agricole correspondait à 0,12% de la croissance de la production non agricole (rapport de la Banque Mondiale, « Beyond the city. The Rural Contribution to Development », Washington, 2004). Troisièmement, dans le domaine de l’agriculture, l’écart de productivité entre les techniques modernes et traditionnelles est réellement très important et peut atteindre dans des cas extrêmes un rapport de 500 à 1, ou même de 1000 à 1. En d’autres termes, le danger est d’annihiler la majorité des cultivateurs traditionnels si les politiques agricoles sont laissées à l’interaction libre des forces du marché.
Qu’arriverait-il à ces milliards d’êtres humains, dont la plupart sont déjà les pauvres parmi les pauvres sans un nouveau développement rural ? Pour l’économiste Samir Amin, au mieux un tiers d’entre eux pourrait être absorbé par les villes selon l’hypothèse irréaliste d’un taux annuel stable de croissance industrielle de 7% au cours des 50 prochaines années. Les deux autres tiers gonfleraient encore une fois les bidonvilles à la recherche de leur survie. « La question agraire – affirme Samir Amin – est plus que jamais au centre des défis majeurs que l’humanité devra affronter durant le 21e siècle. Les réponses qui seront données à cette question forgeront de manière décisive le cours de l’histoire de ce siècle ». Il n’y a pas beaucoup de temps pour faire que la pauvreté n’entre plus dans l’Histoire.
Antonio Torrenzano