Derrick de Kerckhove dirige le programme McLuhan en culture et en technologie et il est professeur au département d’Etudes françaises de l’Université de Toronto. Parallèlement à ses études, il a collaboré avec le Centre pour la Culture et la Technologie (1972-1980) où il fût un collaborateur de McLuhan que ce soit à titre de traducteur, d’assistant et de coauteur. C’est un maitre a penser dans le domaine des télécommunications et de la réflexion sur la révolution provoquée par de nouvelles technologies. Il organise des ateliers sur la connectivité de l’intelligence dans lesquels il propose une nouvelle façon de réfléchir en synergie en utilisant les technologies de l’information. La conversation avec le maître à penser a eu lieu à Rimini pendant la XXXIIeme édition des journées internationales d’études du Centre de Recherche Pio Manzù.
Antonio Torrenzano. L’apparition des technologies de l’électronique et du numérique et, plus précisément celles du réseau, va entraîner de nouveaux questionnements sur nos relations sociales: par example la mutation de notre rapport à l’espace et au temps. Actuellement, grâce à l’ordinateur, il est possible se déplacer géographiquement sans se déplacer physiquement. Paul Virilio affirme “aller ailleurs sans aller nulle part”. Comment s’annoncent les décennies futures ?
Derrick de Kerchkove. Nous entrons dans une nouvelle culture qui est celle de l’hypertexte, c’est-à-dire la multiplication des rapports et des liens entre différents domaines de consciences et de savoirs qui ne sont plus nécessairement reliés entre eux mais que l’utilisateur relie et cela crée une relation totalement nouvelle au langage et au texte. On peut comparer cette nouvelle culture comme à l’alphabet qui a été la grande technique unificatrice des “cultures”, au moins pour la culture occidentale. Aujourd’hui c’est le bit, 0/1, on/off. Le bit a nous permis de réduire la vie sensorielle humaine et, nombreux d’autres procès, à une série unique d’on/off alternatifs. C’est comme si hier on était passés de l’oralite à l’alphabet avec les Grecs et, qu’aujourd’hui, on passait du monde de l’écriture au monde de l’électricité avec les réseaux, avec les écrans, avec les ordinateurs, avec Internet et tout ça. Encore… aujourd’hui, les technologies de l’électronique et du numérique et plus précisément du réseau ont engendré une nouvelle façon d’envisager le corps dans sa relation à l’espace et au temps, dans sa physicalité mais aussi dans sa dimension conceptuelle. Plus en général nous assistons à une disparition de la frontière étroite entre toutes les catégories traditionnelles:”homme/machine”,”coeur/ment”,“intelligence/mémoire”.Mais les distinctions restent opérationnelles. Je pense qu’il soit nécessaire comprendre combien un domaine coïncide avec un autre plutôt que parler d’un total effacement des frontières entre ceux-ci. Les nanotechnologies peuvent faire revivre un tissu organique et les autres fonctions mais leurs identitées restent distinguées de l’être humain. C’est pour tout ça que je n’apprécie pas la rhétorique du post-humain.
A.T. Si l’homme n’existe qu’à travers les formes corporelles qui le mettent au monde – affirmait David Le Breton-, toute modification de celle-ci engage une autre définition de son humanité? Qu’est-ce que vous pensez de l’idée du “corps disparu”?. De l’idée d’un corps disséminé dans les réseaux qui perd son corporéité matérielle.
Derrick De Kerchkove. Affirmer que nous sommes en train de perdre notre corps disséminé dans les réseaux, il est – selon moi- une notion romantique. Je pense qu’il soit exactement le contraire. Nous ne sommes pas en train de perdre notre corporéité. En revanche,nous sommes en train de l’étendre. Il ya une reconsidération du corps et de la corporéité qui s’inscrit dans les pratiques artistiques contemporaines. Le réseau peut être envisagé comme prothèse, non pas tant avec l’idée de suppléance d’un membre absent mais avec une visée de mise en continuité du corps biologique avec d’autres corps, notamment électroniques et numériques. Blaise Pascal affirmait:”l’homme n’est ni ange ni bête; le malheur est que qui veut faire l’ange, fait la bête”. Le corps continuera à exister parce qu’il représente la plus complexe interface de l’existence humaine. Comment catholique je ne partage pas cette idée et, non plus comme homme. L’idée entière se base sur un axiome incorrect, c’est-à-dire que “virtuel = immatériel”. Il n’ya rien d’immatériel dans le Web, le Net est soutenu par une profonde infrastructure de réseaux physiques réels. La technologie wireless, par example, est une technologie qui met tout le monde en contact avec tout et tous. Elle est ainsi performante et globale parmi toutes les autres technologies qu’elle fera imploser le monde sur lui-même.
A.T. Je cite, encore une fois, Paul Virilio: “la vie est une passion contagieuse et ni la science ni surtout les techno-sciences n’ont le pouvoir de l’éteindre et d’abolir les risques qu’elle comporte. Vivre, c’est dangereux, c’est même mortel! Impossible donc de séparer vitalité et mortalité… à moins de vouloir créer de toutes pièces une génération de morts-vivants, de zombies, qui seraient aux sociétés futures ce que l’esclave était aux sociétés du passé. Le surhomme de l’eugénisme fin de siècle est en réalité un “sous-homme”, un “infra-humain” et sûrement pas un trans-humain”. Au sujet de l’accélération dans les sociétés technologiques il ya des intéressantes analyses de Jean Baudrillard et Paul Virilio, quoi pensez-vous à ce propos ?
Derrick De Kerchkove. Le problème de l’accélération est suprême. Dans une culture stable dans lequel le virage technologique est lent, c’est l’État qui soutient d’une façon générale et il contrôle la culture. Dans notre époque les révolutions technologiques arrivent à un stade mûr trop rapidement.Quand l’innovation technologique accélère, le devoir de l’harmonisation collective et alors de l’éducation psico-sensorielle est déférée à la culture. Mais c’est la société Nintendo, maintenant, qui règle les systèmes nerveux des jeunes générations plusieurs exposés aux ordinateurs qui pas aux écrans de la télévision. Quand nos enfants sont en train de jouer à la consolle de leur “Xbox” ou “play station”, ils deviennent des simples joysticks humaines de videocartoon digitaux. Celle-ci, il me semble, l’image la plus précise des nos nouveaux “moi-meme” émergents. Actuellement les forces de marché ont pris le dessus. Je crois qu’il soit arrivé le temps d’une meilleure compréhension des complexités de notre société actuelle, d’un monde tout à coup trop grand pour les individus et trop petit pour les collectivités. Nous sommes en train de chercher une perception plus ample de nous mêmes, proportionnée à la distance mondiale de nos “arts fantôme” technologiques. Nous avons besoin donc de nouvelles et plus proportionnées métaphores sociales pour commencer à reconnaître notre planète, non seulement comme notre maison, mais comme notre véritable corps.
Antonio Torrenzano