Conversation avec Jacques Attalì,écrivain, économiste, ancien conseiller de François Mitterand, puis président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Il dirige à présent PlaNet Finance et il a présidé la Commission pour la libération de la croissance française. Il a publié de nombreux essais et romans. La conversation a eu lieu à Milan à l’Innovation Forum 2008, au mois de mars 2008.
Antonio Torrenzano. Pourquoi la mondialisation a-t-elle produit des contradictions à l’intérieur du modèle de développement et dans les relations internationales?
Jacques Attalì. Nous avons d’exploser de contradictions intérieures à notre modèle de développement. Comme vous voyez, d’un côté nous avons une économie mondiale basée sur le marché, sur la libre circulation des marchandises et sur la libre concurrence. De l’autre, nos systèmes démocrates fonctionnent seulement à l’intérieur de frontières nationales. La crise contemporaine naît vraiment de cette dichotomie par laquelle dérive la diffusion de conflits. La première contradiction est celle de la démocratie, qui ambitionne à régler de procès devenus transnationaux et à limiter les évolutions centripètes du système productif; la deuxième est celle du marché, qui coïncide avec de règles de l’autodétermination absolue des individus et avec une certaine idée de liberté et l’abattage de chaque régulation. Le monde est emporté par la plus forte vague de croissance économique de l’histoire, créatrice à la fois de richesses inconnues et d’inégalités extrêmes, de progrès et de gaspillages,à un rythme inédit. Plus de 100 pays dans le monde ont aujourd’hui un taux de croissance de leurs produits intérieurs bruts (PIB) supérieur à 5 %. L’Afrique elle-même, comme l’Amérique latine, croît à plus de 5 % par an. La Chine connaît des taux supérieurs à 10 % depuis plusieurs années, l’Inde la talonne, à près de 9 %, l’économie russe se rétablit avec 7 % de croissance. Mais, la croissance économique n’entraîne pas systématiquement la justice sociale, mais elle lui est nécessaire : l’enrichissement n’est pas un scandale, seule l’est la pauvreté.
Antonio Torrenzano. Je me pose, cependant, une réflexion très personnelle: l’humanité entière sera-t-elle globalement bénéficiaire? Encore, comment résoudre cette contradiction et rendre le pouvoir à la politique ?
Jacques Attalì. Avant tout, en ouvrant nos démocraties à dimensions plus amples de celles de l’État-nation. Nous devons établir de nouveaux modèles de droits de citoyenneté qui dépassent les limites des frontières contemporaines. Un exemple? On ne peut pas théoriser et poursuivre la libre circulation des marchandises sans permettre celle des individus. Puis, en établissant de règles claires qui guérissent et qui limitent les prétentions du marché. Si la gouvernance politique, économique, commerciale, environnementale, financière et sociale de la planète sait s’organiser, la croissance mondiale se maintiendra très durablement au-dessus de 5 % par an.
Claudio Poletti. Par exemple en Europe en renforçant les pouvoirs de l’Union européenne ?
Jacques Attalì. Il s’agit de renforcer les pouvoirs de l’Union européenne à l’intérieur du procès d’intégration. L’Union européenne est le seul moyen que nous avons pour rendre de l’efficience à la politique et gouverner quelques-uns des procès mondiaux à présent en acte. Comme nous avons affirmé dans le «Rapport de la Commission pour la libération de la croissance française», l’Europe croît aujourd’hui moins de deux fois moins vite que la moyenne mondiale, et moins vite que la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), même si sa démographie est sur une pente déclinante, l’Europe n’a aucune raison de rester à la traîne. Même si elle n’a pas à opérer le rattrapage dans lequel sont engagés les autres, elle doit lancer d’immenses investissements pour bénéficier des bouleversements technologiques à venir et rattraper le rythme du reste du monde. De fait, certains pays de notre continent s’y préparent mieux que d’autres : l’Allemagne a modernisé la partie orientale du pays, dynamisé son marché du travail et sa formation, développé des industries nouvelles, comme les énergies renouvelables. Le Royaume-Uni s’est engagé durablement dans la réforme de son système scolaire et de son réseau de santé, et dans la valorisation de son industrie financière. L’Italie, le Portugal, la Grèce et plusieurs nouveaux États membres ont eux aussi mené des réformes courageuses, pour surveiller leurs dépenses publiques, moderniser leur administration, et mieux recruter leurs agents publics. L’Espagne a oeuvré pour l’accès de tous à la propriété du logement, dans une économie en quasi-plein-emploi. La Suède a réorganisé son administration en agences et a développé la concurrence entre divers prestataires de services publics. Le Danemark a bâti un modèle efficace, concurrentiel, solidaire et flexible, accordant une attention prioritaire à l’éducation, à la recherche, au dialogue social et au plein-emploi. La Finlande est devenue le numéro 1 mondial dans la compétitivité, par l’action heureuse d’une politique efficace de recherche et d’innovation. Tous ont compris l’urgence qu’il y a à accueillir des étrangers pour combler leurs lacunes démographiques et pour développer des innovations.
Fabio Gualtieri. Dans vos essais «L’homme nomade» ou dans «Une brève histoire de l’avenir», vous reconnaissez une importante contribution historique aux migrants pour ce qui concerne le répandre d’idées et transformer les cultures. Quel patrimoine les immigrés d’aujourd’hui portent-ils dans nos sociétés?
Jacques Attalì. Un patrimoine énorme parce que la nouveauté arrive toujours du sud de la planète. Je vous fais un exemple qu’il pourra vous sembler extravaguant: c’est de la musique occidentale. La musique occidentale s’est toujours renouvelée en puisant aux pleines mains par des cultures musicales africaines et du Sud de la planète. C’est encore comme ça à présent. Il n’est pas tout à fait étrange, si on pense que dans cette région de la planète, ils vivent plus de la moitié de l’humanité. Il est là qui est né le microcrédit. Il est là que les nouvelles technologies ont été développées et elles sont capables de résoudre, dans une manière essentielle et aiguë, de problèmes que nôtre technologie n’est plus en mesure de reconnaître. Il est de là qui nous arrive de systèmes de valeurs capables, dans le respect et dans la valorisation réciproque, de nous renouveler.
Antonio Torrenzano. Pour passer à l’action, il est nécessaire de se fabriquer une nouvelle clé politique. Le défi est-il de rééquilibrer le système par le biais d’une nouvelle gestion de gouvernance mondiale?
Jacques Attalì. Le prochain défi consistera dans la conjugaison de nouvelles idées de la science de la politique à la réalité. La mondialisation a produit jusqu’à présent d’effets dans la sphère économique des marchandises et du marché. Ce qu’il sert maintenant, il est une mondialisation de la démocratie. À ce but, il faut penser à l’usage des modernes technologies en champ politique, à une nouvelle idée de démocratie participative, à un nouveau rôle des institutions internationales qui s’occupent de gouvernance mondiale.
Antonio Torrenzano,
Fabio Gualtieri, Claudio Poletti.