L’Europe et ses problèmes de représentations.Conversation avec Marc Augé,EHESS Paris.

 

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Conversation avec Marc Augé, anthropologue, écrivain, directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, dont il a été le président de 1985 à 1995. Auteur notamment de «Non-lieux», Marc Augé a écrit nombreux essais sur la modernité publiés en différentes langues étrangères et plusieurs conversations sur l’anthropologie et la modernité. Comme auteur, il vient de publier son dernier essai «Où est passé l’avenir ?», par l’édition du Panama de Paris. L’entretien sur les prospectives et les incertitudes de l’Europe a été développé dans la ville de Reggio Émilia et pendant le «festival della filosofia » à Modène, en Italie.

Antonio Torrenzano. L’Europe des échanges de toutes sortes a toujours existé. Alors,quel est-il son problème d’aujourd’hui ?

Marc Augé. L’Europe des idées, des arts, des échanges de toutes sortes a toujours existé. Son problème aujourd’hui, alors même qu’elle existe institutionnellement, c’est qu’elle a du mal à définir un projet qui lui permettrait de se reconnaitre et de se rassembler. Son contour, de ce fait, reste un peu flou, un peu «tremblé». De ce point de vue, elle a deux types de problèmes: elle a du mal à intégrer des noyaux durs d’identité locale ou nationale et, d’un autre côté, elle ne sait pas où s’arrêtent ses frontières, la logique de la construction européenne sans fin risquant de se confondre avec celle de la «globalisation». J’aimerais insister sur deux points: ce n’est pas le passé qui fait problème en Europe. Les nouvelles générations effectuent ce passage de la mémoire à l’histoire qui libère l’avenir . Mais, c’est cet avenir lui-même qui semble manquer de contenu. Le second point, c’est une question de perspective. L’Europe existe davantage aux yeux des Américains et des Asiatiques qu’aux yeux des Européeens eux-mêmes. Ceux-ci devraient se demander ce que les autres voient d’abord dans l’Europe quand ils en parlent. Ils y voient, me semble-t-il, distinctes, mais associées, au moins trois puissances: une puissance économique, une puissance culturelle et une puissance démocratique. Sans doute n’y voient-ils pas encore une puissance politique du fait des problèmes de représentations de notre continent.

Antonio Torrenzano.Est-ce que ces trois dimensions sont suffisantes pour faire exister l’Europe aux yeux des Européens eux-mêmes ?

Marc Augé. Je ne le crois pas. Paradoxalement, il n’est pas certain que cette conscience européenne n’ait pas été plus forte à l’époque où le système social de l’Europe occidentale la distinguait aussi bien du bloc communiste que du libéralisme économique américain. Ce système social connait aujourd’hui des difficultés : il me paraît essentiel de le sauver pour sauver l’Europe. Celle-ci en outre ne devrait pas oublier sa propre histoire et ses responsabilités passées. L’Europe devrait rétablir et consolider, en tant que telle, avec la Méditerranée, l’Afrique et notamment l’Amérique latine, des relations repensées à partir d’une volonté politique commune.Enfin, une politique linguistique systématique pourrait être élaborée, qui nous distinguerait aussi bien des pays où l’on ne parle que sa propre langue que de ceux où l’anglais est considéré comme la seule langue véhiculaire. Il n’est pas impensable d’apprendre deux langues européennes supplémentaires aux petits Européens de chaque pays et, à partir de là, de faire de l’Europe le continent le plus «cultivé» du monde.

Antonio Torrenzano. Existe-t-il de nouvelles directions?

Marc Augé. C’est dans cette direction, celle d’une triple utopie sociale, politique et culturelle, que je vois dessiner une Europe possible, où de jeunes gens pourraient avoir envie de se reconnaître ! Si l’actuelle priorité économique et monétaire ( dont je ne méconnais pas les raisons) se présente comme exclusive et alignée sur les phénomènes de globalisation, aux yeux des futurs éventuels Européens, d’une manière ou d’une autre, à plus ou moins long terme, le beau projet européen sombrera.

Antonio Torrenzano.

 

Principales publications de Marc Augé.

Marc Augé, «Où se passé l’avenir», Paris, éditions du Panama, 2008.

Marc Augé, «Le Métier d’anthropologue:sens et liberté.», Paris, éd.Galilée, 2006.

Marc Augé, «Pourquoi vivons-nous ?», Paris, éd. Fayard,2003.

Marc Augé, «Les formes de l’oubli.», Paris, éd.Rivages, 2001.

«La Grèce pour penser l’Avenir», Marc Auge, Cornélius Castoriadis, Marie Daraki, Philippe Descola, Claude Mosse, André Motte, Marie-Henriette Quet, Gilbert Romeyer-Dherbey, avec une introduction de Jean-Pierre Vernant. Paris, l’Harmattan France, collection l’Homme et la Société, 2000.

Marc Augé, «Pour une anthropologie des mondes contemporains», Paris, éd. Flammarions,1999.

Marc Augé/Antonio Torrenzano, «Dialogo di fine Millennio. Tra antropologia e modernità», Turin, l’Harmattan Italie, 1997.

Marc Augé, «Symbole, fonction, histoire. Les interrogations de l’anthropologie», Paris, éd. Hachette , 1979.

Marc Augé, «Pouvoirs de vie, pouvoirs de mort. Introduction à une anthropologie de la répression», Paris, éd. Flammarion, 1977.

 

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