Dialogues sur les droits humains.Conversation avec Stéphane Hessel, soixante ans d’engagement pour l’humanité.

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Conversation avec Stéphane Hessel, écrivain, diplomate, cosmopolite. Né à Berlin, dans une famille d’origine juive luthérienne polonaise prussienne, immigré à Paris à 7 ans, bachelier en philosophie à 15, deux fois reçu à École Normale Superieure, d’abord comme élève étranger puis comme français naturalisé à 20 ans. Arrêté par la Gestapo en 1944, déporté à Buchenwald et Dora, il survivra, comme dit-il toujours, qu’à de constants concours de circonstances favorables. À la Libération, reçu au concours du Quai d’Orsay, il entame une carrière de diplomate auprès des Nations Unies. Le 1945, le voit au service de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme aux Nations Unies, dans la proximité de René Cassin. Sa carrière de diplomate le mènera en Afrique, à Saigon, à Alger, à Genève, à New York, au Burundi au service de thématiques centrées sur la coopération internationale, l’aide au développement (PNUD-ONU), la promotion culturelle des immigrés, la réconciliation entre les hommes. Auteur de nombreux essais dont «Danse avec le siècle», autobiographie publiée en 1997 aux éditions Seuil; «Dix Pas dans le nouveau siècle», toujours aux éditions Seuil, 2002. Le recueil de poèmes français, allemand et anglais «Ô ma mémoire» que Stéphane Hessel récitait en 1944, publié en 2006; le dernier livre «Citoyen sans frontières» conversations avec J.M.Helvig en 2008 .

Antonio Torrenzano. Vous avez toujours affirmé que la Déclaration universelle des droits de l’homme a créé un monde différent, que ses 30 articles s’appliquent à tous les hommes et toutes les femmes du monde, et que même si le respect intégral des droits de l’homme n’a jamais été atteint, quel que soit l’État, les citoyens, les peuples connaissent ces droits, peuvent s’y référer et demander aux États qu’ils soient appliqués. Le XXIe siècle sera-t-il le siècle de la revendication des peuples pour le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?

Stéphane Hessel. Il est nécessaire de donner à tous les peuples du monde la possibilité de jouir de leurs droits . Beaucoup de ces pays ont raté ce passage, mais aussi notre contribution, entreprise avec des moyens insuffisants, a eu des résultats déplorables. Après l’indépendance de ces Pays, notre responsabilité était de les aider à trouver la voie de leur propre organisation dans la construction d’un État de droit. Mais, notre écoute à l’égard de ce que réclamaient vraiment les populations paysannes ou les jeunes du sud de la planète a été très médiocre. Toutefois, la Déclaration universelle des droits de l’homme a créé une façon nouvelle de penser. Les dictateurs, les régimes autoritaires qui existent encore en grand nombre, ils sont de moins en moins acceptés par leurs populations elles-mêmes au nom des valeurs internationales. Leur base est de plus en plus fragile, surtout avec les dernières élaborations juridiques, comme la création de la Cour criminelle internationale. On peut dire aujourd’hui qu’un chef d’État n’est plus à l’abri d’une contestation qui viendrait peut-être de chez lui,mais peut être aussi de l’extérieur. C’est un phénomène très neuf et il ne faut pas sous-estimer ce progrès.

Antonio Torrenzano. Le progrès de revendication.

Stéphane Hessel. Oui, bien sûr, la revendication démocratique, la revendication de la lutte contre l’arbitraire, la revendication pour les droits des individus. Là où ces droits sont bafoués, tous les régimes dictatoriaux trouveront désormais des hommes et des femmes à protester, pour rappeler aux autorités responsables leurs devoirs. La lutte pour les droits humains est encore très longue, mais passionnante. Passionnante, parce qu’il s’agit de soutenir cette lutte à faveur des populations qui n’ont pas encore joui de leurs droits, de surmonter les obstacles et donner un visage pacifique au monde de demain.

Antonio Torrenzano. Avons-nous besoin d’une organisation des Nations Unies encore plus forte et solide ?

Stéphane Hessel. Nous avons terriblement besoin d’une organisation mondiale forte, qui surmonte ses faiblesses. L’ONU n’est pas une entité abstraite. À mon sens, il ne s’agit pas de réformer l’ONU, il s’agit de réaffirmer le primat de cette institution pour les États membres.Si l’ONU paraît insuffisamment efficace, c’est que ses États membres et, notamment les plus puissants d’entre eux, n’ont trop souvent pas pris au sérieux les engagements qu’ils ont pris en signant la Charte. La Charte n’a pas vieilli, même si la situation du monde et les défis nouveaux exigent une adaptation de son fonctionnement pratique. Pour remplir ces missions, cette organisation internationale a besoin de la coopération énergique des nations qui assument dans le monde actuel les principales responsabilités, au plan mondial et au plan régional. Il faut renforcer cette organisation pour que les conditions d’entrée en guerre des États-Unis en Irak, par exemple, elles ne se reproduisent plus. Pour que le Rwanda ne se reproduise plus. Dans ce nouveau climat de financiarisation de l’économie et de dégradation de la planète, la réaction de la communauté internationale devra être forte et nouvelle. De plus, il faut bien se rendre compte qu’on ne pourra réformer ce monde dangereux que si on le fait très largement tous ensemble. Ce qui signifie qu’il faut renforcer les institutions internationales, notamment les Nations Unies, grâce à un appui plus fort des États, mais aussi de l’opinion publique, afin qu’elles puissent faire face à ces nouveaux grands défis. Cette organisation a survécu aux crises, aux disparités, aux difficultés entre les différents États membres et elle constitue aujourd’hui une grille selon laquelle on doit pouvoir lire l’avenir.

Antonio Torrenzano. Quels seront-ils, à votre avis, les défis du XXIe siècle ?

Stéphane Hessel. Un risque de violence nouvelle à l’intérieur même des États et dans toute la communauté internationale.Les impacts du terrorisme où de violents conflits ethniques sont désormais une réalité. Le deuxième grand défi, évident, mais pas suffisamment pris en compte, concerne la dégradation de la planète. Le troisième défi, à mon avis encore plus grave, concerne l’écart croissant entre les très riches et les très pauvres. Cet écart a toujours existé, mais le développement économique n’a pas encore réussi à réduire cette fracture. Les grands défis pour les nouvelles générations sont là. Se désengager… c’est renoncer à l’avenir.

Antonio Torrenzano

 

*Un spécial remerciement à l’artiste Esquivel Arcadio (quotidien La prensa) pour l’illustration.

 

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