Conversation avec Jacques Delors, ancien économiste à la banque de France, ancien ministre de l’Économie, des Finances et du Budget de 1981 à 1984, il a été le président de la Commission européenne de 1985 à 1995. Il est président fondateur et membre du conseil d’administration du think tank Notre Europe, ainsi que membre d’honneur de l’Institut Aspen France et membre honoraire du Club de Rome. Il est enfin président du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) depuis 2000. Auteur de nombreux essais dont «Mémoires»,Paris, éditions Plon, 2004 et «Investir dans le social», aux éditions Odile Jacob, 2009.Le dialogue a eu lieu à Paris à la fin du mois d’avril 2009.
Antonio Torrenzano. La mondialisation a-t-elle augmenté l’inégalité ? Cette longue période de récession économique contribuera-t-elle à consolider les différences entre classes sociales ?
Jacques Delors. La mondialisation a augmenté l’inégalité. Il suffit d’observer les disparités de salaire entre les différentes classes sociales; les disparités entre les générations, les disparités entre femme et homme ou d’origine. La distribution de la richesse reste une utopie pendant que l’inégalité se transmet d’une génération à l’autre. La crise actuelle expulsera du monde du travail beaucoup de personnes et beaucoup d’individus qualifiés avec une perte d’expériences incalculables. Et cette perte ne pourra plus être soutenue seulement par l’État national. Pourquoi ? Parce que l’évolution démographique et l’augmentation des risques réduisent les effets de l’État providence et la dépense sociale présente n’est pas plus apte à réduire ces risques. Si à ces phénomènes sociaux macro-économiques, nous ajoutons la révolution de la structure familière (femmes et hommes singles, divorces, familles mono parentales) nous pouvons comprendre alors comme il est nécessaire repenser la fonction de l’intervention publique pour ce qui concerne la cohésion sociale.
Antonio Torrenzano. Est-ce que vous pouvez me faire un exemple ?
Jacques Delors. Je pense aux lignes d’action pour d’éducation permanente de l’ancien premier ministre Tony Blair ou le projet nommé flexisecurity, ligne d’action déjà expérimentée dans différents Pays de l’Europe du Nord qui a produit des résultats excellents. Les fonctions d’une nouvelle prévoyance sociale d’un État moderne devraient donc devenir la prévention et de nouvelles politiques de soutien au nouveau modèle de famille.
Antonio Torrenzano. L’Europe pourrait-elle contribuer à la construction d’un nouveau modèle social ? Croyez-vous nécessaire une relation plus étreinte entre politique monétaire et politiques économiques à l’intérieur de l’UE ?
Jacques Delors. L’Europe a perdu sa vision idéale de l’avenir. Aujourd’hui, la politique européenne est encore réglée par les États nationaux. Quand les choses vont très mal ou quand les décisions prises ne satisfont pas les intérêts nationaux des pays membres, les 27 États accusent Bruxelles. Ou,encore, quand les États membres découvrent la cohésion entre eux seulement dans les moments de crise. Comme économiste, j’ai toujours soutenu une relation plus étreinte entre politique monétaire et politique économique. Aujourd’hui, je pense que l’Union européenne est comme une belle voiture avec un moteur qui ne fonctionne pas.
Antonio Torrenzano. Les décisions prises au sommet de Londres par la communauté internationale sont-elles révolutionnaires ?
Jacques Delors. Je ne crois pas aux rêves. Les décisions, prises à Londres, nous indiquent qu’elles chercheront à construire un nouvel équilibre entre le marché et la réglementation de celui-ci. Il faut, cependant, repenser un nouveau modèle de développement social soutenable. La crise pousse les gouvernements à la simple gestion du présent, à la pure gestion du quotidien pour la peur de l’opinion publique et de possibles sondages négatifs.
Antonio Torrenzano. Pourquoi selon vous ?
Jacques Delors. Parce que nous vivons dans une dimension de pragmatisme médiatique qui regarde peu à l’avenir.
Antonio Torrenzano