Sur la barbarie qui frappe les symboles de la civilisation mondiale… Conversation avec Irina Bokova, organisation internationale UNESCO.

irina_bokova_unesco_imageConversation avec Irina Bokova, diplomate de la République de Bulgarie, directrice générale de l’UNESCO depuis le 15 novembre 2009. Elle a été réélue pour un second mandat en octobre 2013. Irina Bokova a été la première femme et la première personnalité de l’Europe de l’Est à se voir élue à la tête de cette Organisation. En sa qualité de Directrice générale de l’UNESCO, Irina Bokova est activement engagée dans les efforts internationaux pour faire progresser l’égalité entre les genres, l’éducation de qualité pour tous, ainsi que dans les actions contre le financement du terrorisme en luttant contre le commerce illicite des biens culturels. Ardent promoteur du combat contre le racisme et l’antisémitisme, Mme Bokova a dirigé les activités de l’UNESCO dans le domaine de la mémoire et de la sensibilisation à l’Holocauste. Diplômée de l’Institut d’État des Relations internationales de Moscou, Irina Bokova a également suivi les cours de l’Université du Maryland (Washington) et de la John F. Kennedy School of Government (Université de Harvard). Elle rejoint dès 1977 le Ministère des Affaires étrangères de Bulgarie au Département des Nations Unies. Nommée Responsable des Affaires politiques et juridiques à la Mission permanente de la Bulgarie auprès de l’ONU à New York, elle est également Membre de la Délégation bulgare aux Conférences de l’ONU sur l’égalité des femmes à Copenhague (1980), Nairobi (1985) et Beijing (1995). Membre du Parlement bulgare (1990-1991 et 2001-2005), elle a plaidé pour l’adhésion de la Bulgarie à l’Union européenne et à l’OTAN, et elle a participé à l’élaboration de la nouvelle Constitution de la Bulgarie. Irina Bokova a été successivement ministre des Affaires étrangères et coordinatrice des relations de la Bulgarie avec l’Union européenne, puis ambassadrice de Bulgarie en France, à Monaco et auprès de l’UNESCO et représentante du Président de la République de Bulgarie à l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Aux postes de secrétaire d’État pour l’intégration européenne et comme ministre des Affaires étrangères, Irina Bokova a toujours milité pour l’intégration européenne. Elle est en outre présidente et membre fondatrice de «l’European Policy Forum», une organisation non gouvernementale destinée à promouvoir l’identité européenne et à encourager le dialogue pour surmonter les divisions en Europe et soutenir les valeurs du dialogue, de la diversité, de la dignité humaine, ainsi que les droits de l’homme. Irina Bokova a reçu plusieurs distinctions d’État de différents pays et le titre docteur honoris causa de nombreuses universités prestigieuses. L’entretien a eu lieu à Rome pendant les visites auprès de la comunità di Sant’Egidio en 2014 et au mois de mars 2015.

Antonio Torrenzano.Vous avez été reçue en audience par le Pape François pendant laquelle vous avez discuté de la situation internationale contemporaine. Quelle est votre analyse sur la situation en Syrie et en Irak ?

Irina Bokova. Nous avons exprimé notre inquiétude devant l’augmentation de l’intolérance, de la violence, de l’extrémisme. Mon inquiétude est très élevée, de manière particulière par rapport à ce qui se passe en Syrie et en Irak, mais également en ce qui concerne la persécution des minorités et la destruction du patrimoine par les membres du groupe de l’État islamique. L’objectif des extrémistes est d’annuler toute trace historique qui peut témoigner l’importance du dialogue parmi les Cultures. La barbarie est en train de frapper des endroits qui sont des symboles de la Civilisation mondiale. Mosul, Nimrud et d’autres sites archéologiques sont des Capitales de l’Histoire et de la Mémoire des Peuples depuis trois mille ans. Nous ne devons pas rester paralysés. Nous ne devons pas survivre dans un état de choc, parce qu’il est ce qu’ils veulent les extrémistes. Les crimes contre le patrimoine culturel iraquien sont l’extrême négation de l’Homme et de son Humanité. Ce sont donc des crimes contre l’Humanité.

A.T. La communauté internationale comment pourra-t-elle protéger les cultures minoritaires ?

Irina Bokova. À l’UNESCO, nous nous battons chaque jour pour que des cultures qui sont menacées de disparaître, elles puissent exister. L’organisation de l’UNESCO se bat pour l’éviter. La diversité culturelle doit accompagner la mondialisation. C’est le devoir de notre organisation. C’est pour cette raison que nous encourageons les partenariats, les rapprochements entre peuples, parmi les États, entre les organisations et sociétés civiles. Cette mondialisation entraine un affaiblissement des identités qui est créatrice elle-même d’inquiétudes et donc de problèmes, de tensions, voire de conflits. Nous avons par exemple publié un rapport intitulé «Investir dans la diversité culturelle», dans lequel nous parlons d’analphabétisme culturel. Il faut que l’analphabétisme culturel cesse, car le manque de connaissance de l’autre encourage les peurs et les conflits.

A.T. Notre monde contemporain a-t-il besoin d’un nouvel humanisme ? Vous l’avez écrit dans votre récent essai socio-politique…

Irina Bokova. Depuis longtemps, pendant mes visites dans plusieurs Pays de la communauté internationale, j’ai observé que la pauvreté et la discrimination demeurent surtout à l’égard des femmes, des enfants ou des adolescents. Je me suis posé alors la question de savoir comment tout ça, c’était possible. Compte tenu des progrès de l’humanité, de la science, des nouvelles technologies, des communications, pourquoi existent encore ces graves situations ? Pourquoi mettons-nous plus l’accent sur l’économie, le profit en oubliant la dimension humaine? L’UNESCO essaye de donner une sorte de confiance en protégeant les cultures, les patrimoines, les langues et en aidant ceux qui sont en retard dans l’éducation, les sciences, l’information pour qu’il n’y ait pas mondialisation à deux vitesses. La mondialisation ne doit pas être perçue comme une menace dangereuse.

A.T. Vous êtes la première femme élue auprès de l’UNESCO. Est-ce qu’il a été un signal fort de la part de l’organisation internationale ? Pourquoi avec votre élection êtes-vous devenue un symbole ?

Irina Bokova. Je suis très fière d’être la première femme élue. Les femmes doivent occuper des postes de cette importance dans les instances internationales. J’en suis encore surprise parce que je ne me suis jamais vue ou perçue comme un symbole. En Asie, au Moyen-Orient ou en Afrique, j’ai découvert l’enthousiasme des jeunes étudiantes ou des jeunes femmes que j’ai rencontrées. Beaucoup d’elles m’ont toujours dit qui étaient très inspirées par ma personnalité et qu’elles-mêmes aspiraient aussi à atteindre plus tard de telles responsabilités. Si mon élection et ma présence à l’administration de l’UNESCO suscitent cet espoir et cette envie, je suis alors très satisfaite.

Antonio Torrenzano