La désaffection des électeurs européens et l’avenir de l’Europe. Dialogue avec Louis Chauvel, Observatoire sociologique du Changement.

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Conversation avec Louis Chauvel, écrivain, sociologue près de l’Observatoire sociologique du changement, professeur à l’Institut d’études politiques de Paris et à l’Université de Genève, spécialisé dans l’analyse des structures sociales et du changement par génération. Il développe une lecture comparée des formes de stratification sociale et les changements de l’État-providence dans le cadre de ses recherches à l’Observatoire français des conjonctures économiques et à l’Observatoire sociologique du Changement. Ancien élève de l’École nationale de la statistique et de l’administration économique (ENSAE), Louis Chauvel a publié une cinquantaine d’articles scientifiques. Il est membre de l’Institut universitaire de France et du conseil scientifique de l’Observatoire des inégalités. Auteur de nombreux essais dont «Le Destin des générations. Structure sociale et cohortes en France au XXe siècle», Presses universitaires de France, Paris, 2002;« Les Classes moyennes à la dérive», Paris, éditions Seuil, 2006. Le dialogue a eu lieu dans la ville de Genève.

Antonio Torrenzano. Pourquoi cette désaffection des électeurs européens sur l’avenir de l’Europe ?

Louis Chauvel. Nous avons cru jusqu’à présent qu’il existait une identité européenne partagée et que grâce à cela nous allions pouvoir faire une Europe politique. Il faut inverser les termes : le contraire doit être fait. Si nous ne trouvons pas le moyen de constituer une identité européenne, nous allons voir imploser le projet européen. La construction d’une identité européenne doit donc être le préalable, et non pas le présupposé, de tout projet européen. Aujourd’hui, l’Europe est un continent fragmenté, marqué par des diversités internes fondamentales. Nous continuons de penser l’Europe au travers de l’idée d’Europe occidentale, alors que l’Europe est maintenant toute autre chose. Il y a trois décennies, l’Europe était avant tout un club de nations égalitaires, sinon riches en tout cas de nations qui n’étaient pas pauvres, partageant les mêmes données de base du point de vue socio-économique. L’Europe des quinze était un groupe de pays marqués par un rapport inter-décile de 4, c’est-à-dire un groupe au sein duquel l’écart entre le dixième le plus pauvre et le plus riche était de 1 à 4. L’Europe des 25 a changé de visage : le rapport inter-décile de l’Europe des 25, au taux de change habituel, est maintenant de 8. Cela pose des questions importantes qui n’ont été abordées pour l’instant ni du point de vue politique, ni du point de vue sociologique : nous n’avons plus de théorie de l’Europe. L’ensemble que l’Europe constitue aujourd’hui et elle pourrait constituer demain n’a pas été pensé dans toutes ses dimensions.

Antonio Torrenzano. Nombreux essais montrent que la consistance de l’identité européenne subjective est loin d’être évidente. Pourquoi selon vous?

Louis Chauvel. L’opposition entre Europe objective et Europe subjective est un deuxième aspect de cette schizophrénie. Nombreux d’auteurs, ils nous ont montré qu’en matière de solidarité, l’Europe est marquée par un fondement fait de caractéristiques communes qui dépassent les différences. Il existe ainsi un certain nombre de substrats communs entre les systèmes sociaux européens, d’un point de vue objectif. Mais quand on s’intéresse à la construction des valeurs, du subjectif, des différences de visions du monde, nous sommes confrontés à des difficultés fondamentales. Le défi central de la construction européenne est aujourd’hui celui de la constitution d’un demos européen. Les élites culturelles sont presque unanimement favorables au projet de construction européenne. Le problème est que le reste de la population ne suit plus mécaniquement dans cette direction. Ce reste de la population représente-t-il le tiers, 40%, 50% de l’électorat ? Nous ne le savons pas. Nous ne savons pas à quel niveau le mécontentement qu’il exprime s’arrêtera, mais le défi, auquel nous devons faire face, est que nous sommes de plus en plus seuls dans notre enthousiasme européen, bien plus seuls qu’à l’époque du Club des six.

Antonio Torrenzano. La construction d’une identité européenne doit donc être le préalable, et non pas le présupposé, du projet européen. Mais, comment la crise financière, le chômage, la stagnation économique pourront-ils déstabiliser cette construction ?

Louis Chauvel. Le chômage, la crise économique mondiale et les conséquences de 25 ans de stagnation économique, sont des échecs européens qui cristallisent de plus en plus un euroscepticisme communicatif, qui n’est pas toujours attribué à l’intégration européenne, mais que cette intégration ne semble pas pouvoir endiguer. Le décalage est même croissant entre des discours institutionnels communicationnels dont l’enthousiasme va culminant et les réalités auxquelles font face les populations. Cet écart sape aux yeux de la majorité la crédibilité du projet européen. La stratégie de Lisbonne devait faire de l’Europe le continent le plus compétitif au monde en 2010, or la crise économique mondiale, le chômage de masse dans presque tous les pays d’Europe ne donnent pas le sentiment que l’Europe de 2010 sera le continent le plus compétitif de la planète. Que dire alors à ce peuple européen qui est en attente de réponses à ses problèmes ?

Antonio Torrenzano

 

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