Il ya une île en Méditerranée où les citronniers poussent sur les cendres des volcans.Où les pierres scintillent comme du cristal et où les eaux chaudes soulagent les corps meurtris, où l’été, la mer se pare de tons émeraude. La Sicile.
Sur cette île tour à tour envahie par les Grecs, les Arabes et les Normands, les divinités de l’Olympe (Poséïdon, Aphrodite, Dionysos, Éole, Polyphème, les Sirenes) ont toujours leur demeure. Nature généreuse et légendes antiques sont ici. Le voyageur qui s’aventure sur les pentes du Stromboli ou découvre les temples de Sélinonte ne peut que s’interroger sur cet étrange lien qui unit le paysage de Sicile et les mythes fondateurs de la Méditerranée. Des vignes de l’Etna aux brumes du détroit de Messine, tout est ici chargé de merveilleux. Mêmes les fêtes aux apparences les plus catholiques laissent percer une tradition païenne qui remonte à la nuit des temps. Quelle est donc cette Sicile qui a inspiré les plus grands écrivains, à commencer par Homère? Les églises baroques de Noto et les marionnettes du théâtre des pupi la rattachent à l’Europe, mais le sirocco qui y souffle est si chaud qu’on la croirait africaine.
Baignée par trois mers,la Sicile projette vers l’Orient, vers l’Occident méditerranéen et vers l’Italie ses trois bras (les caps Passero,San vito et Peloro), d’où son ancien nom de Tricanie. Ile d’Afrique or d’Europe? Ernest Renan ne tranche pas:“la vue de la Sicile, à la hauteur de Palerme, nous frappa d’admiration.Ce n’est ni la Syrie ni la Grèce;c’est plutôt l’Afrique, quelque chose de torride et de gigantesque, donnant l’idée de l’indomptable et de l’inaccessible”, écrit-il en 1875.D’un point de vue strictement géographique, la Sicile est certes très proche du continent africain. Mais la légende conserve l’idée d’une union entre les deux continents. La tradition bretonne,reprise par les Siciliens,rapporte l’épisode du roi Arthur blessé et transporté par sa soeur, la fée Morgane, dans Avallon, “île fortunée”. Cette île ne serait autre que la Sicile, et le preux chevalier reposerait dans l’Etna. Le mot morgana désigne aujourd’hui un phénomène optique qui permet aux habitants de la Calabre d’apercevoir certains soirs le reflet de Messine dans les eaux du détroit, et à ceux de Messine d’y contempler Reggio Calabre. Seule une fée peut provoquer de tels mirages.
Les mêmes volcans ne constituaient pas seulement une menace pour la Sicile.Sur les pentes de l’Etna, fertilisées par un humus à base de phosphate de potassium, se sont entendues les cultures d’agrumes et d’olives, tandis que formant un saisissant contraste avec la terre noire et les murs de pierre sèche, les bougainvillées, les palmes et les ficus engagent les visiteurs à entreprendre une ascension sur ce toit du monde.L’Etna est sans nul doute le lieu d’élection du mythe.Voilà pourquoi il reste la montagne des montagnes, comme le confirme l’étymologie de son nom dialectal:muncibeddu vient du latin “mons” et de l’arabe “jebel”, et signifie donc le mont des monts.Leonardo Sciascia parle de l’Etna comme “l’énorme chat de la maison, qui tranquillement ronronne et qui, de temps en temps, se réveille, baïlle, avec une lenteur paresseuse s’étire et, d’un distrait coup de patte recouvre une vallée ou l’autre, en effaçant des bourgs,des vignes,des jardins”. Les volcans de Stromboli et Vulcano aux iles éoliennes, grâce aux eaux sulfureuses d’origine volcanique, sont aussi une source de profit autant que l’obsidienne, la pierre ponce ou l’alun. L’extraction de ces produits est bien représentées dans les salles du musée de Lipari.
En contemplant l’un de ses multiples visages, chaque visiteur croit découvrir la vraie Sicile. L’identité des Siciliens, elle, se dissimule sous un silence qu’ils ont érigé en vertu. Ils ne se dévoilent que par leur goût sans limites pour les célébrations et le divertissement. Dans les innombrables fêtes de l’île, sacré et profane, foi et magie s’opposent et se mêlent dans des manifestations qui attestent un héritage cosmopolite.Sicile byzantine de Syracuse,grecque de Catane et d’Agrigente, arabo-berbère de Trapani, normande de Palerme et Messine, pour n’en citer que quelques-unes.Goethe affirmait:“ au centre merveilleux de cette île où convergent tant de rayons de l’histoire”. La Sicile l’on peut aimer sans jamais la comprendre, mais tous les visiteurs qui se trouvent ici se prennent à méditer sur le long parcours de l’humanité,sur le Temps qui semble ici piégé, cerné de tout côté par la mer.
Antonio Torrenzano