L’Europe paye aujourd’hui sa cécité politique ? Conversation avec Jacques Attalì.

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Conversation avec Jacques Attalì, ancien conseiller de François Mitterrand puis président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, il dirige actuellement PlaNet. Professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine, à l’École polytechnique et à l’École des ponts et chaussées. En 1970, âgé de 27 ans, il devient auditeur au Conseil d’État. En 1972, il publie ses deux premiers livres sur « l’analyse économique de la vie politique et modèle politique » pour lesquels il obtient un prix de l’Académie des sciences. Son étroite collaboration avec François Mitterrand commence en décembre 1973. En 1981, celui-ci, qui vient d’être élu président de la République, le nomme conseiller spécial à son arrivée au palais de l’Élysée, et l’installe dans l’ancien bureau des aides de camp qui jouxte le bureau présidentiel. Dès lors, Jacques Attali rédige, chaque soir, des notes à l’attention du président sur l’économie, la culture, la politique ou le dernier livre qu’il a lu ou parcouru. Le président lui confie également le rôle de « sherpa » (représentant personnel d’un chef d’État) pour les sommets du G7 du 1982. En 1990, lors du second septennat de François Mitterrand, Jacques Attali abandonne la politique et quitte l’Élysée. Il participe à la création de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) à Londres et en devient le premier président. Il avait lancé l’idée de cette institution en 1989, peu avant la chute du mur de Berlin, pour soutenir la reconstruction des pays de l’Europe de l’Est. Apôtre de la constitution de l’établissement d’un gouvernement mondial, il a un discours tentant à démontrer comme incontournable le maintien de la démocratie par la constitution d’un nouvel ordre mondial. Il pense que l’économie régulée par une institution financière mondiale peut être une solution à la crise financière émergeant en 2008. Auteur de nombreux essais et romans dont «300 décisions pour changer la France», Paris, XO Éditions, 2008; « La crise, et après ? », Paris, Éditions Fayard, 2008 ; « Le sens des choses », Paris, Éditions Robert Laffont, 2009;« Survivre aux crises » et «Une brève histoire de l’avenir » aux Éditions Fayard en 2009. La conversation a eu lieu auprès de l’université de Padoue pendant un séminaire économique au mois d’avril 2010.Le séminaire a été organisé par la Fondation Cassa di Risparmio di Rovigo avec le titre :”Liberare la crescita per il futuro”.  

Antonio Torrenzano. Comment jugez-vous la spéculation financière contre la monnaie européenne ?

Jacques Attalì. L’Europe s’est rendu compte de la gravité de la situation et du danger financiers qui menace sa monnaie européenne. Jusqu’à quand nous n’aurons pas un ministre des finances européennes qu’il puisse contrôler les impôts ou jusqu’à quand la Banque centrale n’aura pas de ministres qu’ils puissent exercer une surveillance proportionnée, je suis convaincu que l’euro sera une monnaie fragile. Il n’est depuis deux ans que nous concluons rien. Nous avons organisé de sommets G-20 qu’ils ne sont pas servis. Nous avons annoncé de choses qu’elles n’ont pas été réalisées. La peur de prendre décisions nous nous paralyse. C’est pour ça que de problèmes explosent. En origine, il s’agissait d’une crise liée aux « subprimes américains », qu’elle serait due coûter environs 10 milliards de dollars. On n’est pas intervenu et la crise est devenue mondiale et elle est ainsi retombée sur la dette publique de chaque pays. Les banques internationales continuent à spéculer. Le système reste encore complètement dans les mains de la finance internationale. Rien n’est changé.

Antonio Torrenzano. Et à cet endettement des entreprises, il faut encore ajouter celui des États, qui n’est pas moindre. Les chiffres donnent le vertige: 9000 milliards d’euros de dette publique pour les Pays de la zone euro et la Grande-Bretagne, c’est-à-dire les quatre cinquièmes du produit national brut cumulé de ces Pays.

Jacques Attalì. En effet, l’endettement des États s’est littéralement envolé sous l’effet de la crise par la diminution de leurs recettes fiscales et les dépenses de stimulation qu’ils ont dû engager. Les dettes privées de banques se sont reversées sur la dette publique des États. Depuis la crise de la banque Lehman Brothers, la communauté internationale a choisi de reverser ces pertes financières de marché sur la dette publique des États et tout le monde a accepté ce corollaire. Nous avons encore accepté qu’à payer ils fussent des imposés de demain pour de dettes d’aujourd’hui contractées par autres. Ceux-ci ont été les principales fautes.

Antonio Torrenzano. Est-ce que l’Europe a perdu son ancien esprit de regarder à l’avenir ? L’Europe, il me semble aujourd’hui plus à un musée qu’à un laboratoire de nouvelles idées, parce qu’avec ses coûts de production trop élevés, sa gouvernance trop complexe et sa population stagnante, elle ne peut plus espérer d’être un pivot dans le XXI siècle. Si vous en doutez, il suffit de regarder ce qui s’est passé au Sommet de Copenhague. L’énergie déployée par les dirigeants européens n’a abouti à rien.

Jacques Attalì. Le continent européen ne fait pas assez d’innovation. Par exemple, il n’y a pas d’innovation dans le rapport entre l’université et les usines. Il n’y a pas d’innovation dans le système de l’éducation et jusqu’à aujourd’hui l’Europe ne prend pas de décisions pour développer sa croissance dans le domaine européen. Sur l’éducation, il y a un discours très général qu’on répète depuis 20 ans, 25 ans, de colloque en colloque, sur lequel les nouvelles technologies sont un facteur essentiel de développement de l’éducation. Bien sûr, il y a des ordinateurs dans beaucoup de classes, bien sûr il y a des cours par la télévision à travers le monde, bien sûr il y a beaucoup de progrès qui ont été faits dans simplement l’usage de nouvelles technologies dans l’éducation. Mais, en réalité ce n’est pas du tout du progrès technique en matière d’éducation, c’est de l’introduction des technologies extérieures pour communiquer des méthodes traditionnelles d’enseignement. Bien sûr, il y a de grands pédagogues, il y a de grandes recherches depuis Piaget et bien d’autres sur les méthodes d’enseignement, mais en réalité si on regarde bien le progrès en matière d’éducation, de technologie d’éducation sont nuls. À l’Europe, elle manque une nouvelle manière d’analyser son temps présent et les nouvelles situations qui arrivent. Sans une nouvelle manière de regarder l’avenir, pour l’Europe resteront des paroles vaines. La possible réponse pour réduire la dette est la croissance et dans l’attente qu’on revient à grandir, il faut éviter la catastrophe.

Antonio Torrenzano

 

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