L’Europe face à son Sud méditerranéen et arabe. Conversation avec Samir Amin, forum du Tiers-Monde à Dakar.

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Conversation avec Samir Amin, écrivain, économiste, professeur de sciences économiques. Samir Amin est né au Caire d’une mère française et d’un père égyptien, tous les deux médecins. Il a passé son enfance et son adolescence à Port-Saïd où il suivit les cours près de l’école française. De 1947 à 1957, il a étudié à Paris pour ses diplômes en sciences politiques en statistique et en économie. Théoricien principal de l’altermondialisme, il est moins connu pour ses recherches sur les formes précapitalistes des pays colonisés, notamment africains. Il a travaillé de 1957 à 1960 dans l’administration égyptienne du développement économique et il a été de 1960 à 1963 conseiller du gouvernement du Mali, puis directeur de l’Institut africain de développement économique et de la planification. Il dirige actuellement le bureau africain du Forum du Tiers-Monde à Dakar. Auteur de nombreux essais dont « L’Égypte nassérienne» en 1964, « Trois expériences africaines de développement : le Mali, la Guinée et le Ghana» en 1965, « L’économie du Maghreb » en 1966, « L’impérialisme et le développement inégal » et «La nation arabe » en 1976, « L’économie arabe contemporaine» en 1980, avec F. Yachir « La Méditerranée dans le système mondial » en 1988, « Les enjeux stratégiques en Méditerranée » en 1991, « L’Ethnie à l’assaut des nations » en 1994, « L’hégémonisme des États-Unis et l’effacement du projet européen » dans l’année 2000, avec Ali El Kenz « Europe and the Arab world: patterns and prospects for the new relationship » en langue anglaise dans l’année 2005, « l’Éveil du Sud, le Temps des cerises » en 2008, « Sur la crise, le Temps des cerises » en 2009. Le dialogue a eu lieu dans plusieurs reprises : à Rimini près de la Fondation Pio Manzù, à Naples près de la Fondation Euromed pour les études méditerranéennes en 2008 et 2009 et par téléphone.

 

Antonio Torrenzano. Les prétentions des individus de l’Afrique du Nord et du Continent africain, elles me semblent identiques au reste du monde : liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de choisir leurs gouvernants. Encore, la transparence dans la gestion des biens publics ! Les jeunes sont exaspérés par leur quotidien sans avenir.

 

Samir Amin. La démocratie est une condition indissociable de l’émancipation des hommes. On ne peut pas concevoir l’émancipation s’il n’y a pas une émancipation de l’esprit. La démocratie réelle est celle qui se préoccupe des intérêts de tous et non seulement des intérêts de quelqu’un. Une vraie démocratie est indissociable du progrès social, mais tout ceci signifie qu’elle doit conjuguer les exigences de la liberté à celles de l’égalité et d’un chantier concret pour l’avenir à réaliser.

 

Antonio Torrenzano. Combiner la liberté et l’égalité représentera-t-elle un nouveau défi historique que l’Afrique du Nord et le Continent africain devront affronter de manière réelle?

 

Samir Amin. La « démocrature » proposée par l’idéologie dominante jusqu’aujourd’hui, elle a produit plus d’obstacles qu’un vrai progrès social parce qu’elle a sacrifié l’égalité à la compétition, l’égalité à la suprématie du marché. Cette formule est idéologiquement fausse dans les sens le plus vulgaires de la parole. Ce serait mieux de parler d’une démocratie blessée, d’une démocratie élaborée à l’usage d’un capitalisme mondialisé et d’un capitalisme financier caractérisé par de puissants oligopoles financiers.

 

Antonio Torrenzano. Mais, ce type de démocratie n’est pas porteur d’un progrès réel ou potentiel.

 

Samir Amin. Au contraire, elle devient un type de système politique vide, un système sans légitimité ou de la crédibilité. Ce système remet le pouvoir réel dans les mains d’un chef en réduisant la démocratie à la pratique d’inutiles rituels.

 

Antonio Torrenzano. Quel avenir pour le partenariat euroméditerranéen ? Le partenariat euroméditerranéen est-il en concurrence avec les travaux d’un marché commun du Moyen-Orient, un projet totalement de l’administration des États-Unis ?

 

Samir Amin. Le projet d’un marché commun du Moyen-Orient proposé par l’administration de Washington cherche d’éliminer les Européens de toute influence dans la région. Or sur cette question, on ne voit pas, jusqu’à présent, la vision de l’Europe. L’Europe refusera-t-elle l’idée américaine ? L’Union européenne sera-t-elle capable de devenir un concurrent mettant une limite à l’hégémonie américaine ?

 

Antonio Torrenzano. La question est donc de savoir si les Pays riverains de la Méditerranée avec les autres membres de l’UE s’orienteront ou non vers une nouvelle représentation de leurs relations économiques et de sécurité avec les pays de la Rive-Sud de la Méditerranée.

 

Samir Amin. La raison pure devrait faire évoluer dans cette direction. Mais, jusqu’à ce jour, l’Europe n’a donné aucune indication allant dans ce sens. Une raison qui explique peut-être, en partie, l’inertie européenne, c’est que les intérêts des partenaires de l’Union européenne sont, sinon divergents, tout au moins chargés d’un coefficient de priorité relative fort différent d’un pays à l’autre. La façade méditerranéenne n’est pas centrale dans les polarisations industrielles du capitalisme développé : les façades de la mer du Nord, du nord-est atlantique américain et du Japon central sont d’une densité sans commune mesure. Pour les Nordiques de l’Europe – l’Allemagne et la Grande-Bretagne – a fortiori pour les États-Unis et le Japon, le danger de chaos dans les pays situés au sud de la Méditerranée n’a pas la gravité qu’il devrait avoir pour les Italiens, les Espagnols et les Français.

 

Antonio Torrenzano

 

 

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