Conversation avec Leymah Gbowee, prix Nobel de la paix 2011, président de l’ONG West African Regional Women Peace and Security Network-Africa (site numérique http://www.wipsen-africa.org). Surnommée la « guerrière de la paix », elle a mobilisé les femmes de son pays, brisant les barrières ethniques et religieuses, pour mettre fin à l’atroce guerre civile qui a dévasté son pays au début des années 2000. Et elle a réussi! Cette victoire impressionnante lui a valu d’obtenir le prix Nobel de la paix en 2011, avec Ellen Johnson Sirleaf et Tawakkul Karman. Depuis, elle a fondé et dirige plusieurs organisations de femmes,notamment la Gbowee Peace Foundation Africa. Comme autrice, elle a écrit « Mighty Be Our Powers: How Sisterhood, Prayer, and Sex Changed a Nation at War » aux éditions Beast Books. Le dialogue a eu lieu à Rome et Viterbo au début du mois de juillet 2012 pendant la visite de Leymah Gbowee en Italie près du Parlement italien et du Conseil for dignity,justice and reconciliation Ara Pacis (http://www.arapacisinitiative.org) toujours dans la capitale italienne. Elle a participé aussi au festival de sciences sociales dans la jolie petite ville de Viterbo. Son site numérique http://www.leymahgbowee.com et le site numérique de sa fondation pour la paix http://www.gboweepeaceusa.org
Antonio Torrenzano. L’État du Libéria a été ravagé par des décennies de dictature, de destruction économique et de guerre civile. Vous êtes une de fondatrice et animatrice du mouvement féminin communautaire pour la paix dans votre Pays. Au plus fort des combats, vous avez contribué au rassemblement et à la mobilisation de milliers de Libériennes pour dénoncer la guerre civile longue de 14 ans et plaider pour la réconciliation. Encore, pendant les négociations pour la fin de la guerre, vous avez développé plusieurs protestations silencieuses au dehors de l’immeuble présidentiel à Accra, pour empêcher que les négociations sur la paix s’interrompissent et les négociateurs abandonnassent la table.
Leymah Gbowee. Les femmes dans la réconciliation de mon Pays ont trouvé les moyens de faire pression sur les chefs des factions belligérantes et elles ont contribué à sauver les négociations. La force collective de toutes les femmes libériennes a permis de rejoindre nos objectifs. Cette force a aussi contribué à construire un sens de cohésion entre toutes les femmes de mon Pays, même si nous étions différentes pour racines ethniques et appartenance religieuse. Au départ, la population ne croyait pas tellement aux femmes, mais le sentiment dominant était d’essayer d’autres choses. Trouver de nouvelles solutions pour le futur du Pays. La présidence de Mme Johnson-Sirleaf a ouvert de nouvelles perspectives aux femmes et aux jeunes filles du Libéria.
Antonio Torrenzano. Par la présidence de Mme Johnson-Sirleaf, votre Pays a vu augmenter le taux d’inscription scolaire de jeunes filles auprès des établissements de votre Pays. Plusieurs rapports des Nations Unies et l’UNESCO confirment cette croissance. L’agence UNESCO a constaté que le rapport filles/garçons dans l’enseignement primaire au Libéria est passé de 74 filles pour 100 garçons dans les années 1990 à 96 filles pour 100 garçons en 2010.
Leymah Gbowee. Aujourd’hui, les femmes souhaitent s’engager encore plus. Certaines des filles qui n’ont jamais pensé à poursuivre leurs études disent maintenant : je veux aller au lycée et devenir quelqu’un. On enregistre également des taux élevés d’inscription de femmes dans les lignes d’action d’alphabétisation pour les adultes. La majorité d’entre elles étudient avec passion et un très grand enthousiasme. Même dans les zones rurales, où la tradition et la pauvreté concourent souvent à empêcher la scolarisation des filles, celles-ci ont maintenant tendance à s’affirmer.
Antonio Torrenzano. Toujours pour ce qui concerne l’éducation, votre Pays a lancé plusieurs lignes d’action pour l’alphabétisation à faveur de jeunes qui vivent dans les régions rurales.
Leymah Gbowee. Oui, nous avons plusieurs projets éducatifs pour nos régions rurales. Dans deux de ces régions, les résultats ont dépassé les attentes. Les filles qui ont achevé leurs études secondaires cherchaient à obtenir des bourses pour aller à l’université. Nous avons eu jusqu’aujourd’hui un énorme flux de filles scolarisées et les femmes ont des taux de réussite extraordinaires. Le Libéria pourrait bien parvenir à scolariser autant de filles que de garçons d’ici à 2015, objectif du millénaire pour le développement.
Antonio Torrenzano. Dans vos nombreux discours sur la Paix et sur le processus à suivre, vous aimez affirmer : « N’attendez pas un Mandela, n’attendez pas un Gandhi, n’attendez pas un Martin Luther King, mais soyez votre propre Mandela, votre propre Gandhi, votre propre Martin Luther King ». Cette approche serait-elle utilisable dans d’autres Pays de l’Afrique ? Je pense par exemple à la Somalie.
Leymah Gbowee. J’ai toujours souligné que la paix est un procès et pas un événement. J’espère que les femmes de ces communautés peuvent trouver de stratégies pour mettre fin aux conflits. Je suis sûr qu’elles trouveront les instruments appropriés.
Antonio Torrenzano