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Conversation avec Muhammad Yunus, économiste, entrepreneur connu pour avoir fondé la première institution de microcrédit. En 2006, il obtient le prix Nobel de la paix. Muhammad Yunus après avoir occupé le poste de sous-directeur à la commission planification du gouvernement de son Pays, il devient responsable du département d’économie de l’université de Chittagong. Toujours auprès de l’université de Chittagong, Muhammad Yunus avec ses étudiants fonde un groupe de recherche économique dont les premiers travaux produiront des lignes d’action sur des questions agronomiques. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues diplomatiques, dont «Portraits de microentrepreneurs», avec Jacques Attali, Paris 2006; «Vers un monde sans pauvreté», avec Alan Jolis, Paris, édition Lattès, 1997; «Vers un nouveau capitalisme», toujours aux éditions Lattès en 2008. Depuis l’année 2011, l’économiste est le président du Yunus Centre, un centre de recherche qui développe des études sur l’économie sociale. L’entretien s’est développé en plusieurs reprises en Italie dans les villes de Bologne près de l’université, à Rome et dans la Confédération Hélvétique au mois de janvier 2012.

Antonio Torrenzano. Une société où la qualité de la vie serait l’objectif prioritaire de son fonctionnement et de sa conduite est-elle possible ? L’urgence d’un nouveau débat sur le capitalisme est-elle prioritaire ?

Muhammad Yunus. Un nouveau débat sur le système capitaliste contemporain est urgent, mais cette analyse vient développée en suivant encore les anciens schémas théoriques. Le système contemporain ne fonctionne plus, mais personne dans la communauté scientifique internationale n’a pas le courage de l’affirmer. Le système a toujours cherché le meilleur rendement et son seul point de repère a toujours été la maximisation des profits sur les marchés mondiaux. Ce système reste aveugle à toute autre considération que le profit. Le problème central du capitalisme occidental veut que le seul but de l’entreprise soit de gagner de l’argent, de maximiser son profit et que le bonheur soit lié à une consommation tout court. Si le modèle ne change pas, je ne prévois pas quel avenir il pourra avoir.

Antonio Torrenzano. Trouvez-vous qu’il soit urgent d’avoir un gigantesque rééquilibrage planétaire entre Humanité et Nature, entre riches et pauvres, entre un monde occidental et un monde non occidental ?

Muhhamad Yunus. Dans le capitalisme, tout le monde espère gagner de l’argent en faisant des affaires pour produire encore plus d’argent. Le fonctionnement social de ce système jusqu’aujourd’hui a été centré seulement sur l’efficacité utilitariste. Sur la simple idée de la croissance économique qui vient représentée en macro-économie par le produit intérieur brut. Mais, le bonheur pour chaque individu n’est pas seulement être riche. Tout ceci n’a pas de sens ! L’individu est un être multidimensionnel qui aime aider et coopérer avec les autres sujets humains.

Antonio Torrenzano. La pauvreté est-elle alors une condition artificiellement créée chez l’homme ? Quel monde voulons-nous construire ?

Muhammad Yunus. À cet égard, le capitalisme jusqu’aujourd’hui a montré de nombreuses lacunes. D’un point de vue institutionnel, le capitalisme a laissé presque deux tiers de la population mondiale en marge du système. Prenez-vous les banques commerciales : elles ne prêtent pas aux pauvres au prétexte d’un remboursement difficile. C’est faux ! Notre travail a prouvé qu’on pouvait prêter aux pauvres, mais qu’en plus ça marchait et qu’on arrivait à les faire sortir de la pauvreté. Quel monde voulons-nous construire ? Comme je le dis dans mes rencontres et séminaires, chaque enfant, dès son plus jeune âge, devrait avoir pour tâche de penser au monde idéal qu’il aimerait bâtir. Dans le mien, il n’y aurait pas de pauvres, pas d’épidémies et pas de souffrances liées à la maladie. Les hommes prendraient soin les uns des autres et chaque génération donnerait à la suivante un monde plus beau, plus sûr, meilleur que celui d’aujourd’hui.

Antonio Torrenzano

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Quatre ans après l’éclatement de la bulle immobilière des subprimes, l’économie globale sauf celle-là des pays émergents est en panne. Certains le pensent : le capitalisme comme nous l’avons connu depuis longtemps pourrait-il être arrivé à la solution finale ? Pour Immanuel Wallerstein, « nous sommes entrés depuis trente ans dans la phase terminale du système capitaliste, car le capitalisme ne parvient plus à faire système, c’est-à-dire à retrouver l’équilibre après avoir trop dévié de sa situation de stabilité ». La crise a amplifié les déséquilibres mondiaux, et par là même le besoin de solutions planétaires.

Il reste aussi en panne l’occasion d’imposer à nouveau des normes de prudence aux marchés. Ce processus, voulu à Londres et à Toronto par le G20 en 2009 et en 2010, s’est presque refermé. Mais, d’autres questions restent encore sans réponses. Est-ce qui bénéficie – par exemple – de cette situation de transition ? Peut-on continuer à vivre dans un ordre mondial fondé seulement sur la primauté des relations de marché qui a effacé toutes les autres formes de relations sociales ? Par rapport à la crise financière, relativement aux risques de pénurie de ressources énergétiques ou alimentaires, où va-t-on ?

L’enjeu contemporain, quant à cette situation structurelle du capitalisme, serait celui développer un nouveau système économique, social et écologique. La crise devrait alors être comprise comme la fin d’un cycle : celui du néo-libéralisme. Ce modèle reposait sur l’efficience des marchés non régulés, sur les vertus stimulatrices d’une finance qui favorisait la spéculation à court terme et non les investissements productifs et les perspectives de long terme et qui était à priori en contradiction avec le social.

Le roi est nu, mais on observe un net recul de la pensée sur ces questions. Aucune bataille d’idées pour l’adoption d’une croissance durable, aucun effort pour une réduction des inégalités au plan interne comme international, aucune bataille théorique pour encadrer la dynamique inégalitaire du capitalisme mondialisé et réduire les tensions qu’il engendre. Plus les problèmes deviennent planétaires, plus ils deviennent incontrôlés, plus progresse la crise, plus progresse l’incapacité à réagir à cette crise.

Après quatre ans de crise économique, le paradoxe reste toujours le même : l’incertitude cognitive à réagir et l’incertitude historique sur ce qui s’est produit. Pour le mathématicien Benoît Mandelbrot, nous aurions encore une fois « caché l’explosif sous le tapis ».

Antonio Torrenzano

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Conversation avec Patrick Viveret, philosophe, économiste, essayiste. Chargé sous le gouvernement Jospin par le secrétaire d’État à l’économie solidaire d’une mission visant à redéfinir les indicateurs de richesse, il est l’auteur du rapport « Reconsidérer la Richesse » et de l’essai « Pourquoi ça ne va pas plus mal ». Chargé, par Michel Rocard d’une mission sur l’évaluation des politiques publiques en France, il est nommé conseiller référendaire à la Cour des comptes en 1990. Il fut également rédacteur en chef de la revue Transversales Science Culture du 1992 au 1996, puis directeur du Centre international Pierre Mendès France (CIPMF). En 2001, il a participé à Porto Alegre au premier Forum social mondial. Patrick Viveret est le cofondateur des rencontres internationales « Dialogues en Humanité».

Auteur de nombreux essais, traduit dans plusieurs langues étrangères, il a publié en France :«Pour une nouvelle culture politique » (en collaboration avec Pierre Rosenvallon), Paris, Seuil, 1978 ; « Évaluer les politiques et les actions publiques », la Documentation Française, 1990; «Reconsidérer la Richesse », Paris, éditions de l’Aube, 2002 ; « Pourquoi ça ne va pas plus mal ? », Paris, Éditions Fayard, 2005; « Pour un nouvel imaginaire politique », ouvrage collectif  avec Edgar Morin, Christian Losson et Mireille Delmas-Marty, Paris, toujours aux éditions Fayard en 2006; « De la convivialité. Dialogue sur la société conviviale à venir », ouvrage collectif avec Alain Caillé, Marc Humbert et Serge Latouche, Paris, aux éditions La découverte en janvier 2011.

Il collabore régulièrement au mensuel Le Monde diplomatique et il est également chroniqueur pour la revue Territoires.

 

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Le sommet du G20 de Cannes prend fin. Pendant deux jours, les chefs d’État et de gouvernement des pays des principaux pays riches et émergents ont cherché à éviter une propagation de la crise grecque, toujours possible malgré l’abandon du référendum. Les mêmes ont décidé de placer l’Italie sous surveillance du Fond monétaire international. Les chefs d’État et de gouvernement ont aussi convenu de mesures cherchant à éviter à la planète une nouvelle récession. Malgré la grave situation européenne, le G20 a tenté de faire avancer la cause de la coopération économique internationale.

Le communiqué diplomatique final affirme : « Depuis notre dernier sommet, la reprise mondiale s’est essoufflé, notamment dans les pays développés, le chômage atteignant des niveaux inacceptables. Dans ce contexte, les tensions sur les marchés financiers se sont accentuées, essentiellement en raison des risques liés aux dettes souveraines en Europe. Par ailleurs, des signes clairs de ralentissement de la croissance apparaissent dans les marchés émergents. Les fluctuations des prix des matières premières ont compromis la croissance. Les déséquilibres mondiaux persistent. Aujourd’hui, nous réaffirmons notre engagement à travailler ensemble et nous avons pris des décisions visant à redynamiser la croissance économique, à créer des emplois, à assurer la stabilité financière, à favoriser l’intégration sociale et à mettre la mondialisation au service des besoins des populations »

Quel bilan pouvons-nous faire alors ? Pour ce qui concerne la réforme du secteur financier et le renforcement de l’intégrité du marché, plutôt que de se donner de nouveaux objectifs, les États ont décidé d’appliquer les mesures adoptées lors des précédents sommets du G20. Le communique diplomatique, il affirme : « À Washington, en 2008, nous nous étions engagés à faire en sorte que tous les marchés, produits et acteurs financiers soient soumis à une régulation ou à une supervision adaptée. Nous tiendrons nos engagements et poursuivrons la réforme du système financier ». Les chefs d’État et de gouvernement continuent en soulignant à « renforcer la régulation et la supervision du système bancaire parallèle. Nous développerons la réglementation concernant l’intégrité et l’efficacité des marchés, notamment en faisant face aux risques posés par les transactions à haute fréquence et la liquidité opaque. Nous avons chargé l’Organisation internationale des commissions de valeurs (OICV) d’évaluer le fonctionnement des marchés de contrats d’assurance des risques de défaut. Nous avons arrêté des principes visant à protéger les consommateurs de services financiers… Nous ne tolèrerons pas un retour des comportements observés dans le secteur financier avant la crise, et nous contrôlerons étroitement la mise en œuvre de nos engagements concernant les banques, les marchés dérivés de gré à gré et les pratiques de rémunération ». Les chefs d’État ont encore assuré que les pays qui continueraient à abriter des paradis fiscaux seraient mis au ban de la communauté internationale.

Pour ce qui concerne la Tobin Tax, aucun consensus n’a pu être trouvé. Plusieurs de pays sont contraires. Dans le communiqué diplomatique, il est précisé que certains Pays « sont prêts à étudier certaines de ces options». Au rang européen, l’étude de taxe préparée par la Commission européenne devrait être examinée par les chefs d’État et de gouvernement de l’UE prochainement. La France se battra pour que cette taxe soit mise en service dès la fin de l’année prochaine. Sur la croissance mondiale et une nouvelle gouvernance, au contraire, la déclaration finale affirme une action générale à coordonner, mais s’en préciser quels moyens concrets .

Sur ce thème, le sommet de Cannes pouvait être une très grande occasion pour réfléchir sur l’édification d’une nouvelle gouvernance mondiale comme défi de la complexité et sur le Nouveau Monde qui est déjà arrivé, mais que nous continuons à le maitriser avec les anciens moyens d’hier. Le développement des pays pauvres ? Ce thème n’a pas été la priorité du sommet G20 de Cannes et les pays sous-développés ont été relayés au second plan. La déception des ONG présentes dans la ville a été énorme.

Le 1er décembre 2011, le Mexique prendra la présidence du G20 et les chefs d’État et de gouvernement se réuniront en juin 2012 à Los Cabos, Basse-Californie, sous la présidence du Mexique.

Antonio Torrenzano

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La réunion du G20 à Cannes a débuté officiellement à midi et demi aujourd’hui. Pour deux jours, les principaux pays riches et les pays émergents du G20 consacreront essentiellement leurs discussions à la crise de la zone euro et au ralentissement de l’économie mondiale. Le président de la République Nicolas Sarkozy a accueilli les chefs d’État et de gouvernement au Palais des festivals, sur la Croisette, pour la première réunion. Ce matin,les principales puissances émergentes du groupe des Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) se sont réunies pour se confronter sur les principaux points à l’ordre du jour avant le sommet de cet après-midi.

Un mini  sommet de dirigeants européens consacré à la crise de la dette souveraine dans la zone euro se développé mercredi soir toujours à Cannes par le président Nicolas Sarkozy, la chancelière allemande Angela Merkel, les principaux dirigeants de l’UE, la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) Christine Lagarde et le premier ministre grec Georges Papandréou sur la très grave situation dans son Pays. Les Européens devront tenter d’expliquer à leurs partenaires du G20 le nouveau casse-tête grec. La situation inquiète les économies émergentes, en premier lieu la Chine et l’Inde. Le premier ministre indien, Manmohan Singh, avant le sommet de Cannes, avait déclaré mercredi que la crise dans la zone euro « est devenue laprincipale source d’inquiétudes pour l’économie mondiale ». Le président américain Barack Obama et le président Nicolas Sarkozy se sont accordés, avant l’ouverture de la réunion, sur la nécessité de réagir rapidement la crise de la zone euro afin de développer une stratégie de croissance économique mondiale avec leurs partenaires.

Dans ces conditions, les nombreuses questions dans le carnet du G20 fixées par la présidence française depuis longtemps risquent de passer au second plan à Cannes. Le sommet, par exemple, analysera-t-il de manière approfondie la lutte contre les paradis fiscaux ? L’association CCFD-Terre solidaire dans un rapport publié la semaine passée à bénéfice de la réunion des 3 et 4 novembre, elle soulignait l’opacité financière de « territoires non coopératifs » et du secret bancaire qui n’ont pas encore disparu, contrairement aux décisions prises après le sommet du G20 de Londres.

Antonio Torrenzano

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La crise de la dette souveraine dans la zone euro, après l’annonce de la Grèce d’un référendum sur l’accord de sauvetage européen du Pays, risque d’être au coeur du sommet G20 de Cannes. Mais ces soubresauts ne pourront pas faire oublier les autres thèmes à l’ordre du jour de la réunion économique comme la régulation financière, la volatilité des prix des matières premières, les déséquilibres macroéconomiques entre le Nord et le Sud de la planète, la lutte contre la pauvreté. En matière de régulation, les efforts de Paris et Berlin d’instaurer une taxe sur les transactions financières risquent-ils de passer inaperçus ?

La lutte contre la pauvreté et les déséquilibres macroéconomiques de la planète concernent une croissance plus équilibrée et plus soutenable au service de tous. Dans des pays où manquent encore les biens les plus élémentaires de la santé, de l’alimentation et de la protection contre les intempéries, plus d’un milliard de personnes doivent survivre avec un revenu moyen inférieur à un dollar par jour. Cette situation montre comme les inégalités ont augmenté de façon considérable au sein des différents pays, et entre eux. Tandis que certains pays et certaines zones économiques (par exemple les plus industrialisés) ont vu s’accroître considérablement la production du revenu, d’autres ont en effet été exclus du processus d’amélioration généralisé de l’économie et ont même vu leur situation empirer. Plusieurs des peuples africains dans leurs bidonvilles ne sont pas dans le circuit de confort des pays riches, mais ils sont également dans le circuit planétaire. Le continent africain – soutiens Edgar Morin– a subi dans sa vie quotidienne les contrecoups du marché mondial qui influent sur les cours du cacao, du sucre, des matières premières que l’Afrique produit. Les dangers d’une situation de développement économique conçu en termes libéraux ont déjà été dénoncés avec lucidité par l’éclatement de la crise dans laquelle le monde se trouve plongé encore aujourd’hui.

L’aggravation de la crise de la dette souveraine dans la zone euro compliquera-t-elle l’obtention des résultats concrets à ces sujets ? Augmenter la croissance dans les pays pauvres et réduire les inégalités sera-t-elle possible ? La réunion de Cannes, quelle décision prendra-t-elle sur cette question ? L’aggravation des questions économiques mondiales devrait obliger les chefs d’État et de gouvernement des vingt principaux pays riches et émergents à adopter un vaste plan d’action pour endiguer le ralentissement de l’économie mondiale. La réunion de Cannes pourra-t-elle rééditer l’exploit des sommets G20 du 2008-2009, lorsqu’ils avaient su coordonner la lutte contre la récession ?

Antonio Torrenzano

* Un remerciement particulier à l’artiste Patrick Chappatte pour l’illustration.

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Conversation avec Zygmunt Bauman, sociologue, écrivain, professeur de sociologie dans plusieurs universités du monde. Il a enseigné aux universités de Tel-Aviv et de Leeds. Auteur de nombreux essais, traduit dans plusieurs langues étrangères, il a publié en France : «Le coût humain de la mondialisation», éditions Hachette, 1999; «Modernité et Holocauste» éd. La Fabrique, 2002; «La Vie en miettes, Expérience postmoderne et moralité» éditions du Rouergue/Chambon, 2003; «L’Amour liquide, de la fragilité des liens entre les hommes» éditions du Rouergue/Chambon, 2004; « La Société assiégée», éditions Hachette, 2005. Le dialogue a eu lieu à Modène pendant le festival international de la philosophie organisé par la Fondation Collegio San Carlo au mois de septembre 2011.

Antonio Torrenzano. Perchées sur le fil de la dette, les économies occidentales tremblent de crise en crise. Réunions, de sommets exceptionnels sont devenus désormais un fait périodique. Depuis trois ans de crise, comment peut-on rompre avec cette mondialisation financière réductrice ?

Zygmunt Bauman. La crise économique que tout le monde est en train de vivre depuis le 2008, elle dérive de cette perverse mondialisation sans réglementation. La mondialisation financière a toujours détesté toutes les vérifications juridiques et les surveillances comptables autant que les organisations criminelles. Les vérifications ont été toujours des obstacles qui bloquaient la rapidité des échanges et du profit. Nous pouvons donc affirmer que les marchés les plus florissants au monde, ils sont le criminel et le marché financier. Cette crise économique est la énième crise cyclique produite par le capitalisme financier. Il faudra encore comprendre quel prix la société civile devra payer. Mais, je crains que le prix de ce désastre cette fois soit très haut, surtout pour les nouvelles générations.

Antonio Torrenzano. Quel sera-t-il l’avenir politique de l’Europe ? L’Europe politique réfléchira-t-elle sur ses vraies questions ?

Zygmunt Bauman. Pour ce qui concerne le futur de l’Europe et de l’organisation qu’elle s’est donnée, je ne suis pas pessimiste ni sceptique. L’Union européenne atteindra ses nouveaux objectifs politiques, j’en suis sûr. Mais, ces objectifs ne devront pas être seulement de natures économique et monétaire. Le débat devra se développer sur la grande crise du capitalisme et sur quel type de nouvelle société européenne nous voulons édifier.

Antonio Torrenzano. Nouvelle société européenne ?

Zygmunt Bauman. La thèse est simple à la souligner, mais la discussion sera compliquée. Paul Valéry disait que deux grands dangers menacent l’homme : le désordre et l’ordre. Si on vit dans le désordre, on ne peut donner forme au monde qu’on perçoit. On perd sa cohérence, on est confus. Il faut donc un ordre, mais pas seulement, car l’ordre se pétrifie, se transforme en doctrine et finit par être désadapté du monde vivant. Ordre et désordre sont deux forces opposées qui doivent se marier pour fonctionner ensemble. L’Histoire européenne a été toujours caractérisée de merveille et tragédie humaine, l’Europe peut donc réussir à bâtir son nouveau projet social. Mais, elle doit redécouvrir ses valeurs fondamentales et devra guérir la grande crise de valeurs et de doutes qui la serre.

Antonio Torrenzano. La mondialisation économique unifie et divise, égalise et inégalise. Les développements économiques du monde occidental et de l’Est asiatique tendent à y réduire les inégalités, mais l’inégalité s’accroit à l’échelle de la planète, entre développés et sous-développés. Pourquoi, selon vous, la Chine est-elle préoccupée ?

Zygmunt Bauman. La Chine est préoccupée pour la quantité énorme d’argent qui a presté aux États-Unis. L’État chinois, il devient de plus en plus inquiet pour l’idée de perdre le marché américain pour ses exportations. Pourquoi ? Parce que le marché américain reste encore pour les exportations chinoises un endroit économique de référence. Cette situation préoccupe beaucoup l’économie chinoise. Perdre cet important marché de distribution terrorise Pékin. Où exporteraient-ils leur infinie quantité de marchandises produites ? Cet exemple met dans une grande évidence les effets négatifs de la mondialisation.

Antonio Torrenzano

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Le groupe des vingt pays émergents et industrialisés se réunira des 3 et 4 novembre à Cannes pour son énième sommet de crise et d’incertitude. La France a cumulé cette année les présidences du G20 et du G8. La communauté internationale est encore ébranlée par la crise financière et le fossé des déséquilibres macroéconomiques il reste encore profond. L’économie mondiale est encore très volatile et cette faiblesse demeurera aussi dans les années qui viennent. Dans ce contexte, la réunion de Cannes devra être porteuse d’un message fort, ordonné autour d’un double principe. D’une part, la croissance n’est pas une fin en soi, elle doit être au service du bien-être de l’humanité sans oublier la dimension sociale, la lutte contre les inégalités et la pauvreté. De l’autre côté, pour que le monde émerge de cette épreuve avec une croissance équilibrée et durable, il est nécessaire que la communauté occidentale entreprenne des réformes radicales qui s’attaquent aux raisons profondes de ce long et grave désastre économique.

Parallèlement, la crise de la dette dans la zone euro et le risque de la voir se répercuter au reste du monde préoccupent tellement les dirigeants du G20 qu’ils devraient en faire une priorité de ce sommet. L’Europe sera-t-elle au centre de toutes les attentions au sommet de Cannes ? Les partenaires du G20 ont l’impression que, si l’Europe ne résout pas la crise de la dette souveraine qui l’affecte aujourd’hui, l’économie mondiale pourrait subir de graves répercussions. Les réunions des chefs d’État et de gouvernement de l’UE de la semaine passée à Bruxelles ont cherché, de prouver que l’Union européenne est déterminée à faire tout ce qui est nécessaire pour surmonter les difficultés contemporaines. Mais, la situation n’est pas meilleure aux États-Unis où le taux de chômage et le taux de croissance restent stables malgré les efforts de l’Administration américaine.

Les thèmes inscrits au programme du G20 de Cannes sont nombreux et complexes. Les décisions qui seront prises ou les lignes d’action pas prises, ils auront un impact sur la vie quotidienne des salariés, des entrepreneurs, des populations dans leur ensemble. Le pouvoir politique doit reprendre la main sur une économie dérégulée. Les mesures prises lors des G20 des années 2009 et 2010 – par exemple – n’ont pas produit de résultats vers un changement profond des principes de la régulation financière. La mise en œuvre de ces nouvelles règles s’avère lente et ces vérifications sont encore incomplètes. Il faut poursuivre ces efforts pour une meilleure régulation des marchés, mais surtout il faut restaurer la confiance des citoyens vis-à-vis des acteurs économiques et financiers. L’ancien système financier, comme nous l’avons connu jusqu’à la crise financière de 2008, est-il presque arrivé à sa solution finale ? Après des décennies de laisser-faire, la question de fond reste à développer : c’est-à-dire devrons-nous continuer à vivre dans une mondialisation financière et spéculative ou construire une véritable mondialité? Martin Luther King, s’il avait été encore vivant, il aurait aujourd’hui affirmé que l’occident est en train de se préparer à périr comme un imbécile.

L’enjeu de cette réunion internationale sera alors d’inscrire son action dans la durée et d’avancer vers un nouvel ordre économique mondial. Les points de repère restent toujours les mêmes : le développement, une concrète réglementation du système financier. Dans l’urgence de la catastrophe des années 2008 et 2009, le G20 a su démontrer sa capacité de réaction. Le défi reste de passer d’un G20 de crise à un G20 de construction.

Antonio Torrenzano

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Conversation avec Rasmata Kabre, économiste, coordonnatrice de la fondation pour la promotion des droits des femmes au Burkina-Faso, vice-présidente de l’association de BPW (Business and professional women) dans la capitale Ouagadougou. La conversation avec Rasmata Kabre a eu lieu à Rimini pendant la 42e édition des journées internationales d’étude de la Fondation Pio Manzù (http://www.piomanzu.org) en cours à Rimini du 21/23 octobre 2011 sur le génie féminin.

Antonio Torrenzano. L’échec des marchés dans le secteur financier a eu d’importantes externalités sur la production et l’emploi, mais aussi sur les interdépendances nord-sud de la planète. Après trois ans de crise économique, de tensions accrues et d’une constante détérioration de l’économie mondiale, l’avenir de la communauté internationale reste incertain. Est-il possible de repenser l’argent et le profit dans une manière différente au sens normal du mot ?

Rasmata Kabre. La valeur monétaire n’est qu’une partie de nos valeurs. Il est important de ne pas tout réduire à une dimension économique. La crise actuelle reflète des problèmes qui dépassent la conduite de la politique monétaire. Les femmes africaines ont une façon bien à elles d’exercer leur ascendant, façon du tout différente des hommes. Les femmes sont détentrices de savoirs cruciaux qui peuvent produire le changement social. Des savoirs cruciaux pour regarder au-delà d’un PIB ou de la simple dimension économique. Les capacités féminines doivent être des moteurs de changement social et politique encouragés pour le bien de tous.

Antonio Torrenzano. Votre engagement au Burkina Faso est ancien. Depuis le 2006, vous avez créé à Ouagadougou une association pour aider les femmes avec graves problèmes de santé. Femmes qu’une fois malades, elles viennent refusées par leurs maris et par leur famille d’origine. Comment a-t-il été le déclic de votre engagement ?

Rasmata Kabre. La pauvreté dans mon Pays fait vivre presque le 44% de la population dans une situation de misère. Dans ce pourcentage, les femmes sont les victimes majeures, les victimes silencieuses. La situation de la pauvreté extrême au Burkina Faso, c’est une blessure ouverte. Les femmes de mon Pays souffrent de manière disproportionnée cette condition. Condition aussi aggravée par l’inégalité entre le sexe. Un des problèmes prioritaires qui nous concernent est aussi la mortalité maternelle. Sur ce sujet, nous sommes loin d’avoir progressé suffisamment. L’association a pris en main la défense de toutes les femmes exclues du tissu social et économique de mon Pays.Toutefois, l’association se bat pour la réalisation de tous les objectifs du millenaire convenus au plan international, mais aussi pour l’égalité des genres retenue vitale pour la lutte contre la pauvreté extrême et le droit à la santé de toutes les femmes au Burkina Faso.

Antonio Torrenzano. Nous vivons, dans cette période historique, un décalage entre une mondialisation réductrice, financière et spéculative et la recherche d’une véritable mondialité. Comment et dans quelle manière le «Génie féminin» pourra-t-il être le moteur du changement social et politique?

Rasmata Kabre. Les femmes adoptent un style différent. Les femmes discutent, les hommes monologuent. Dans une perspective historique, des progrès immenses ont été accomplis. L’important, c’est avoir un nombre toujours plus croissant de femmes qui entrent en politique pour apporter leur vision d’un avenir conjuguée chaque jour. Partout dans le continent africain, les femmes construisent de nouveaux ponts pour l’avenir. Elles défendent les droits des personnes et des communautés victimes d’oppression et de discrimination. La plupart de femmes connaissent très bien les risques qu’elles courent et les difficultés du quotidien. Après tous les conflits armés dans mon continent, les femmes ont été toujours les piliers de la réconciliation même si pendant la guerre elles étaient restées victimes des mauvais traitements et de violences.

Antonio Torrenzano

*Un remerciement particulier au photoreporter Riccardo Gallini pour l’image de Rasmata Kabre.

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Conversation avec Jayati Gosh, économiste, professeur à l’université Jawaharlal Nehru de nouvelle Delhi et à l’université de Cambridge. Autrice de nombreux essais sur le développement et sur les interdépendances économiques entre les Pays de la communauté internationale dont nous rappelons «Crisis and conquest : learning from East Asia », 2001; «The market that failed : a decade of neoliberal economic reform in India », 2002. La conversation avec Jayati Gosh a eu lieu à Rimini pendant la 42e édition des journées internationales d’étude de la Fondation Pio Manzù en cours à Rimini du 21/23 octobre 2011.

Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer cette conversation en dialoguant avec vous sur cette longue période de crise économique de l’année 2008 à aujourd’hui. Pourquoi le système a-t-il perdu l’ancienne valeur d’une équitable redistribution de la richesse pour tous ?

Jayati Gosh. Tout le monde sait désormais que la crise financière du 2008 reposait sur des pratiques spéculatives rendues possibles et encouragées par la déréglementation du secteur financier, et qu’il n’était pas durable. Il est désormais unanimement reconnu qui est nécessaire de réformer le système financier international. Ce système s’est montré incapable de respecter deux règles élémentaires : prévenir l’instabilité et les crises, et assurer le transfert des ressources des économies les plus riches vers les plus pauvres. Le système a encouragé encore un comportement d’instabilité, c’est-à-dire l’accentuation non nécessaire des fluctuations dans les économies nationales. Il a fait de la finance un secteur opaque et impossible à réglementer. Il a encouragé les bulles et la ferveur spéculatives. Le système n’a pas produit de véritables investissements productifs au profit de la croissance future. Il a permis la prolifération des transactions parallèles par le biais des paradis fiscaux et de vérifications nationales peu sévères. En outre, il a affaibli le rôle d’un outil essentiel au développement économique : le crédit dirigé qui permet d’allouer une partie du prêt à des secteurs spécifiques de l’économie. Malheureusement, tout porte à croire que ce sont ceux qui n’ont rien gagné qui devront payer pour réparer les erreurs d’un système financier irresponsable et dérèglementé.

Antonio Torrenzano. L’échec des marchés dans le secteur financier a eu d’importantes externalités sur la production et l’emploi. Il est clair encore que revenir au statu quo ante sera impossible. D’une certaine façon – soutient l’économiste français Patrick Viveret – c’est qui arrive avec la crise n’est que la manifestation de grandes vagues de mutation nées après la chute du mur de Berlin en 1989. La première vague de mutation par exemple pourrait être caractérisée par la non-soutenabilité de ce qu’on pourrait appeler le modèle « dérégulation, compétition à outrance, délocalisation ».

Jayati Gosh. La restructuration de l’ordre mondial devra reposer sur des efforts robustes en vue de réduire les inégalités économiques tant entre les pays de toute la communauté internationale, qu’au rang national. Les limites « acceptables » en termes d’inégalités ont été largement dépassées dans la plupart des sociétés et les politiques futures devront inverser cette tendance. Il est indispensable de tenir compte sur les plans mondial et national de la nécessité de réduire les inégalités de revenus et de richesses, mais aussi, et surtout, à la hauteur de la consommation des ressources naturelles. Millions de personnes dans les pays du sud, ils continuent d’être privés d’un accès suffisant ou approprié aux conditions les plus élémentaires d’une vie décente, notamment à un niveau minimal de santé, d’éducation et d’infrastructures, transports et moyens de communication. Il faut édifier un nouveau cadre économique international pour soutenir ces efforts.

Antonio Torrenzano. Partout dans le monde, les femmes construisent de ponts pour l’avenir. Elles défendent les droits des personnes et des communautés victimes d’oppression, de discrimination et de violences. Toutefois, les inégalités entre les sexes restent profondément ancrées dans beaucoup de sociétés. Les femmes se voient souvent refuser l’accès à l’éducation et aux soins de base, elles doivent surmonter la ségrégation des emplois et les écarts de rémunération, elles sont sous-représentées dans les processus décisionnels.

Jayati Gosh. Il est important que, partout dans le monde, les États se montrent plus ouverts et plus attentifs aux besoins de la majorité des citoyens lors de la formulation et de la mise en oeuvre des politiques économiques. La clairvoyance féminine est un atout. La plupart de femmes connaissent très bien les risques qu’elles courent et les difficultés du quotidien.

Antonio Torrenzano

** Du 21 au 23 octobre 2011, la 42e édition des journées internationales d’étude de la Fondation Pio Manzù à Rimini s’occupe des grandes questions de ce nouveau millénaire. L’édition de cette année est : «XXI siècle, le siècle de femmes? Réponses féminines pour le futur de l’Humanité ». Nombreux les conférencières invitées qui sont en train de discuter sur ce sujet dans ces jours. Ellen Johnson-Sirleaf, prix Nobel pour la paix 2011 et présidente du Libéria, Ngozi Okonjo-Iweala, ministre des Finances de l’État du Nigéria, Nouzha Skalli, ministre du Royaume du Maroc pour le développement, la famille et la solidarité, Mary Akrami (fondatrice du centre pour le développement et l’éducation des femmes Afghanes), Jayati Gosh, économiste près de l’université Jawaharlal Nehru de nouvelle Delhi, Rasmata Kabre, présidente du centre de soutien aux femmes du Burkina Faso, Marie Wilson de l’institut américain White House Project. Pour suivre les journées internationales d’étude, la consultation en ligne est accessible au suivant adresse http://www.piomanzu.org