Conversation avec Naomi Klein, écrivain, journaliste. La carrière d’écrivain de la Klein commença avec ses contributions au quotidien « The Varsity », un journal étudiant de l’Université de Toronto dont elle était rédactrice en chef. Naomi Klein est devenue une représentante de l’altermondialisation grâce à son best-seller « No Logo » dans l’année 2000, une sorte de manifeste du mouvement anticapitaliste. Dans l’essai, elle dénonçait la réduction de l’espace public, social et de citoyens au profit des multinationales à travers la prolifération de leurs logos et leurs profits. Elle a également écrit « Fences and Windows » en 2002 ainsi que des articles pour différents journaux (The Nation, The Globe and Mail, Harper’s Magazine, The Guardian, Rolling Stone ), et participé avec son mari, le journaliste de la télévision canadienne Avi Lewis, à la réalisation d’un film « The Take » sur le phénomène des entreprises autogérées par les salariés en Argentine. Elle est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009. Lauréat du Prix Warwick en 2009. Autrice de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues étrangères, dont « No Logo : la tyrannie des marques » éditions Actes Sud, 2001; « Journal d’une combattante : nouvelles du front de la mondialisation » éditions Actes Sud, 2003; « La Stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre » éditions Actes Sud, 2008. Le dialogue a eu lieu à Rome et Milan en février 2011.
Antonio Torrenzano. Le monde – Edgar Morin affirme – est de plus en plus soumis à une pensée à la fois linéaire, quantitative, spécialisée. Cette pensée – soutiens encore Edgar Morin – réduit le réel à tout ce qui est quantifiable et elle devient aveugle à la souffrance, la joie, la passion, la poésie, le bonheur et le malheur de nos vies. Pourquoi notre demain est-il encore suspendu dans notre imagination ?
Naomi Klein. Dans mes nombreux voyages de travail, j’ai toujours rencontré beaucoup des gens ordinaires qu’ils percevaient notre temps présent comme une période historique encore suspendue entre crises et instabilité. Tout le monde, pendant mes séminaires et rencontres,il m’a toujours confirmé l’urgence politique de construire un nouveau modèle social.
Antonio Torrenzano. La régulation de la finance est une question technique, mais je crois aussi qu’elle est une question politique. L’économie mondiale a-t-elle subi à votre avis une perte de confiance générale ? Un nouveau modèle économique est-il nécessaire ?
Naomi Klein. La crise financière et économique depuis l’année 2008 a souligné toutes les limites de la pensée neo-libérale. Aujourd’hui, nous pouvons désormais considérer l’apologie du marché libre de Milton Friedman comme une contre-révolution souterraine contre les droits sociaux, contre la démocratie et contre la dignité de chaque individu. La pensée libérale a réduit notre réel à tout ce qui est quantifiable. Cette pensée a produit une régression démocratique dans presque tous les pays occidentaux, une faiblesse des pouvoirs publics et de plus en plus une absence d’État. Pour ce qui concerne votre deuxième question, moi aussi, je crois qu’il faudrait développer un autre type d’organisation sociale pour le XXIe siècle.
Antonio Torrenzano. Dans votre dernier essai, vous soulignez que l’action du libéralisme dans la première décennie du XXI siècle s’est caractérisée pour la désastreuse privatisation de nombreuses fonctions que l’État national avait développé jusqu’au XX siècle. Après la crise financière et économique de l’année 2008 jusqu’à aujourd’hui quelle est-elle votre analyse ?
Naomi Klein. Une très forte augmentation de la pauvreté au sud de la planète, mais aussi dans notre société occidentale. Une choquante et nouvelle marginalisation sociale pour ce qui concerne le manque de travail, une réduction des investissements pour l’éducation publique, une réduction aux droits à la santé. Je pense que dans cet instant contemporain la société civile devrait développer son initiative. S’organiser. Promouvoir une nouvelle pensée créative en opposition à la pensée réductrice, quantitative, disjonctive de ces dernières années.
Antonio Torrenzano