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Conversation avec Naomi Klein, écrivain, journaliste. La carrière d’écrivain de la Klein commença avec ses contributions au quotidien « The Varsity », un journal étudiant de l’Université de Toronto dont elle était rédactrice en chef. Naomi Klein est devenue une représentante de l’altermondialisation grâce à son best-seller « No Logo » dans l’année 2000, une sorte de manifeste du mouvement anticapitaliste. Dans l’essai, elle dénonçait la réduction de l’espace public, social et de citoyens au profit des multinationales à travers la prolifération de leurs logos et leurs profits. Elle a également écrit « Fences and Windows » en 2002 ainsi que des articles pour différents journaux (The Nation, The Globe and Mail, Harper’s Magazine, The Guardian, Rolling Stone ), et participé avec son mari, le journaliste de la télévision canadienne Avi Lewis, à la réalisation d’un film « The Take » sur le phénomène des entreprises autogérées par les salariés en Argentine. Elle est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009. Lauréat du Prix Warwick en 2009. Autrice de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues étrangères, dont « No Logo : la tyrannie des marques » éditions Actes Sud, 2001; « Journal d’une combattante : nouvelles du front de la mondialisation » éditions Actes Sud, 2003; « La Stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre » éditions Actes Sud, 2008. Le dialogue a eu lieu à Rome et Milan en février 2011.

Antonio Torrenzano. Le monde – Edgar Morin affirme – est de plus en plus soumis à une pensée à la fois linéaire, quantitative, spécialisée. Cette pensée – soutiens encore Edgar Morin – réduit le réel à tout ce qui est quantifiable et elle devient aveugle à la souffrance, la joie, la passion, la poésie, le bonheur et le malheur de nos vies. Pourquoi notre demain est-il encore suspendu dans notre imagination ?

Naomi Klein. Dans mes nombreux voyages de travail, j’ai toujours rencontré beaucoup des gens ordinaires qu’ils percevaient notre temps présent comme une période historique encore suspendue entre crises et instabilité. Tout le monde, pendant mes séminaires et rencontres,il m’a toujours confirmé l’urgence politique de construire un nouveau modèle social.

Antonio Torrenzano. La régulation de la finance est une question technique, mais je crois aussi qu’elle est une question politique. L’économie mondiale a-t-elle subi à votre avis une perte de confiance générale ? Un nouveau modèle économique est-il nécessaire ?

Naomi Klein. La crise financière et économique depuis l’année 2008 a souligné toutes les limites de la pensée neo-libérale. Aujourd’hui, nous pouvons désormais considérer l’apologie du marché libre de Milton Friedman comme une contre-révolution souterraine contre les droits sociaux, contre la démocratie et contre la dignité de chaque individu. La pensée libérale a réduit notre réel à tout ce qui est quantifiable. Cette pensée a produit une régression démocratique dans presque tous les pays occidentaux, une faiblesse des pouvoirs publics et de plus en plus une absence d’État. Pour ce qui concerne votre deuxième question, moi aussi, je crois qu’il faudrait développer un autre type d’organisation sociale pour le XXIe siècle.

Antonio Torrenzano. Dans votre dernier essai, vous soulignez que l’action du libéralisme dans la première décennie du XXI siècle s’est caractérisée pour la désastreuse privatisation de nombreuses fonctions que l’État national avait développé jusqu’au XX siècle. Après la crise financière et économique de l’année 2008 jusqu’à aujourd’hui quelle est-elle votre analyse ?

Naomi Klein. Une très forte augmentation de la pauvreté au sud de la planète, mais aussi dans notre société occidentale. Une choquante et nouvelle marginalisation sociale pour ce qui concerne le manque de travail, une réduction des investissements pour l’éducation publique, une réduction aux droits à la santé. Je pense que dans cet instant contemporain la société civile devrait développer son initiative. S’organiser. Promouvoir une nouvelle pensée créative en opposition à la pensée réductrice, quantitative, disjonctive de ces dernières années.

Antonio Torrenzano

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Edgar Morin est écrivain, sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Edgar Morin est docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde. Son travail a exercé et il continue à exercer une forte influence sur la réflexion contemporaine, notamment dans le monde méditerranéen et en Amérique latine. Il a créé et préside l’Association pour la pensée complexe (APC). Il est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence. Il soutient, depuis sa création en 2001, le fonds associatif Non-Violence XXI. Il est président du comité scientifique du Groupe d’Études et de Recherches pour le Francais Langue Internationale GERFLINT ensemble à Jacques Cortès. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues étrangères, nous rappelons les derniers: «Éduquer pour l’ère planétaire, la pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude humaine» (avec Raul Motta, Émilio-Roger Ciurana), Balland,2003; «Université, quel avenir?» (avec Alfredo Pena-Vega), Paris, éditions Charles Léopold Mayer, 2003; «Pour entrer dans le XXIe siècle», réédition de Pour sortir du XXe siècle publié en 1981, éditions Le Seuil, 2004; «L’an I de l’ère écologique» (avec la collaboration de Nicolas Hulot), Paris, Tallandier, 2007; «Vers L’abîme», Paris, L’Herme, 2007; « Comment vivre en temps de crise » ( avec la collaboration de Patrick Viveret), Montrouge, éditions Bayard, 2010. Le dialogue avec le sociologue a eu lieu à Turin au mois de mars 2011.

Antonio Torrenzano. L’occident a vécu une rupture temporelle avec l’implosion de l’Union Soviétique (1989-1990), mais le Nouveau Monde qui était en train d’arriver il l’a continué à gérer avec les anciens moyens d’hier. Toutes les crises aggravent les incertitudes, mais elles favorisent les interrogations. Comment sortir nettement de ce cycle de postmodernité occidentale en gardant le meilleur ?

Edgar Morin. L’incertitude est désormais notre terrain, non seulement dans l’action, mais aussi dans la connaissance. Nous sommes peut-être arrivés à un moment de rupture. Nous sommes peut-être parvenus à une étape, prélude d’une métamorphose. Le propre de la métamorphose, comme de toute création, est de ne pas être prévisible. Le défi de la crise est en même temps un défi à la mondialisation et un défi de la complexité. Les crises aggravent les incertitudes, mais elles peuvent stimuler les interrogations. Elles peuvent encore stimuler la recherche de solutions nouvelles. Il faut s’efforcer à bien penser, à élaborer des stratégies. Nous sommes dans une période de crise mondiale et nous ne savons ce qui en sortira; tout ce qui témoignera de la possibilité de dépasser cette crise sera une bonne nouvelle.

Antonio Torrenzano. La crise économique d’aujourd’hui est fille d’une bulle spéculative dont l’argent des pauvres a été l’hydrogène.Croyez-vous que la globalisation financière a empêché de construire une véritable mondialité ? Cette mondialisation réductrice, centrée sur la seule dimension économique, a effacé la question des grands enjeux du monde à faveur d’un fondamentalisme marchand . Cette démesure – affirme votre collegue Patrick Viveret – se trouve au coeur de la crise financière : sur les 3200 milliards de dollars qui s’échangeaient quotidiennement sur les marchés financiers, avant la faillite de la Banque Lehman Brothers, seuls 2,7% correspondaient à des biens et à des services réels. Le reste était de l’économie spéculative qui tournait sur elle-même.

Edgar Morin. On peut discuter longtemps des bienfaits et des méfaits de cette mondialisation, je crois que c’est la misère qui domine. Le processus de mondialisation a porté à l’hégémonie de l’économie, du profit et des échanges. Ce processus a apporté lui-même ses ambivalences : création de nouvelles zones de prospérité, un nouveau développement en Chine, Brésil, Inde, mais aussi de nouvelles zones de misère. Mais ce qui est important, c’est son ambivalence profonde; ce processus n’a pas de régulation interne. Contrairement aux anciens États , c’est un processus déchaîné, sans contrôle aucun, qui peut produire des crises. Or, une des tragédies de la pensée actuelle, c’est que nos universités produisent de spécialistes dont la pensée est très compartimentée. L’économiste ne verra que la dimension économique des choses, comme le démographe ou le juriste la leur, et tous se heurteront à la difficulté de concevoir les relations entre deux dimensions. Ainsi, plus les problèmes deviennent planétaires, plus ils deviennent impensés. Plus progresse la crise, plus progresse l’incapacité à penser la crise.

Antonio Torrenzano. Mais, derrière les «comptes », soutient votre collègue Patrick Viveret, il y a toujours des « contes ». L’occident, très récemment – soutenait Marcel Mauss – a fait de l’homme un animal économique. Mais nous ne sommes pas encore tous des êtres de ce genre.

Edgar Morin. Les économistes ont le regard fixé sur les seuls résultats chiffrés, et ignorent les réalités humaines, faites de sensibilité, de haine, d’amour, de passion. Ils analysent encore le quantitatif en oubliant le qualitatif. Nos espoirs, sans être autant utopiques, sont improbables. Mais l’improbable a toujours eu ses chances historiques. Sachons donc espérer l’inespéré et œuvrer pour l’improbable.

Antonio Torrenzano

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Après trois ans de crise économique, de tensions accrues et d’une constante détérioration de l’économie mondiale, l’avenir de l’occident reste incertain. Quelle serait alors la bonne nouvelle? Une prise de conscience de l’amplitude, de la profondeur et de la complexité de cette crise économique en cours. Le paradoxe – soutiens Edgar Morin – est aussi l’incertitude cognitive et l’incertitude historique sur ce qui s’est produit. Les économistes ont appris la connaissance des limites de leurs connaissances. Ortega aurait affirmé : «nous ne savons pas ce qui se passe, et c’est justement ce qui se passe ».

Antonio Gramsci, il nous rappelait qu’une crise se produit au moment où le vieux monde tarde à disparaitre, et le Nouveau Monde tarde à naitre. Et dans cette période de clair-obscur, il affirmait, des monstres peuvent apparaitre. Dans ce contexte économico-historique, nous pouvons alors commencer à fixer les premiers points de repère. La crise contemporaine reflète des problèmes qui dépassent la conduite de la politique monétaire et la réglementation du secteur financier ; elle a révélé des erreurs plus générales dans la façon de comprendre le fonctionnement des marchés : on était convaincu par exemple que des marchés sans limites juridiques pouvaient, par eux-mêmes, s’autocorriger rapidement et être efficaces.

L’échec des marchés dans le secteur financier a eu d’importantes externalités sur la production et l’emploi. Il est clair encore que revenir au statu quo ante il sera impossible. Pour que le monde sorte de cette épreuve avec une croissance équilibrée et durable, il est nécessaire que la communauté occidentale entreprenne des réformes radicales qui s’attaquent aux raisons profondes de ce long et grave choc. Nous sommes dans une période de crise planétaire et nous ne savons ce qui en sortira.

Antonio Torrenzano

*Un remerciement particulier à l’artiste Patrick Chappatte pour l’illustration.

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Conversation avec Noreena Hertz, économiste, essayiste, professeur et doyen associé au Centre for International Business and Management à l’université de Cambridge. Dans les années quatre-vingt-dix, Noreena Hertz a été conseiller économique du Fond monétaire international (FMI) à Moscou. À la fin des années quatre-vingt-dix, l’économiste travaille au Proche-Orient comme responsable de l’ONG Center for Middle East Compétitives Strategy où elle collabore avec l’Autorité palestinienne, le gouvernement Israélien, Jordanien et Égyptien pour le développement de programmes financiers et initiatives économiques pour débloquer la crise dans la région après la mort de Yitzhak Rabin. Autrice de nombreux essais dont « Russian Business Relationships in the Wake of Reform » dans l’année 1997, « The Silent Takeover : Global Capitalism and the Death of Democracy » en 2002, « The Debt Threat : How Debt Is Destroying the Developing World » publié dans l’année 2005. L’argument phare de Noreena Hertz est sur les processus de globalisation, et le pouvoir, sans cesse plus importants des multinationales, qui ont rendu les gouvernements démocratiques impuissants à influencer les décisions clés qui guident la vie quotidienne des gens ordinaires. Le dialogue avec M.me Hertz a eu lieu dans la ville italienne de Reggio Émilia en occasion d’un séminaire organisé par la confédération de sociétés coopératives Legacoop au mois de juin 2011.

Antonio Torrenzano. L’économie coopérative est-elle une solution aux instabilités financières et économiques qui ont produit le désastre contemporain ?

Noreena Hertz. L’histoire offre de nombreux exemples de folie financière dans nos pays industrialisés, mais il y a des choses que nous pouvons faire pour atténuer les dégâts. Nous avons besoin d’urgence d’une nouvelle discussion franche et sincère sur les limites du néolibéralisme et du libre-échange. Le capitalisme est instable par nature, mais décider de refuser tout ce qui vient de ce vieux modèle il est probablement faux et inexact. Je crois en effet qu’à l’intérieur de ce modèle, il y a encore quelque chose de favorable. Le capitalisme, il a toujours exalté l’innovation, l’envie d’expérimenter de nouveaux produits, de nouveaux systèmes d’organisation. Cette idée représente encore aujourd’hui une stimulation pour le développement des entreprises et pour la naissance de nouvelles idées. Celui-ci est l’aspect du capitalisme que je ne veux pas repousser. Je repousse en revanche de l’ancien modèle la gestion du profit, limité à un entourage très resserré d’individus. Cet aspect je le trouve terrible et dépassé. La dernière crise financière et économique qui a bouleversé l’Occident, il est selon moi une extraordinaire opportunité pour faire accomplir un énorme pas de type évolutif à ce modèle. L’économie coopérative alors devient une possible réponse.

Antonio Torrenzano. Votre réponse me rappelle d’anciennes analyses du professeur John Kenneth Galbraith qui affirmait : «… je ferai remarquer qu’une crise financière épure le système bancaire, le système industriel et, dans une certaine mesure, le gouvernement de leurs incompétences ». Dans vos analyses économiques autant que dans vos essais, vous affirmez qu’il faut revenir à conjuguer le principe de la solidarité avec celui-ci, de la compétition économique. Mais pour conjuguer solidarité et concurrence la communauté occidentale aurait-elle besoin de nouvelles lois internationales pour une surveillance majeure de la finance et d’institutions économiques mondiales avec un très consistant pouvoir de représentativité ? Sera-t-il possible ?

Noreena Hertz. L’ancien système capitaliste pensait que ces deux idées représentaient deux extrêmes, incompatibles et contraires. La solidarité était considérée d’exclusive valeur de la gauche ou de la doctrine sociale catholique pendant que l’avantage économique concernait seulement qui avait comme seul objectif celui de maximiser du profit. J’ai démontré au contraire dans mes recherches qui si nous mêlons ces deux valeurs, on s’obtient quelque chose d’incroyable.

Antonio Torrenzano. Pouvez-vous nous faire des exemples ?

Noreena Hertz. L’histoire de la Silicon Valley, en Californie, aux États-Unis c’est le premier exemple. Une des histoires de plus grand succès écrites en matière de compétitivité industrielle des dernières vingt années. Une expérience basée entièrement sur un modèle de collaboration dans lequel les petites entreprises se sont divisées la ressource et le système bancaire s’est bien équipé pour les soutenir. Cette culture de la collaboration a permis à ces entreprises d’émerger et de devenir les plus grandes et innovantes du monde. Le deuxième exemple est celui de la région de l’Émilia Romagna en Italie qui est avec son économie coopérative parmi les régions les plus riches de l’Union européenne. Encore une fois ce métissage du principe de la collaboration, de la solidarité, de l’innovation, de l’avantage économique et un système bancaire bien équipé ont permis d’écrire une nouvelle histoire économique. Le dernier exemple est le projet Red en Grande-Bretagne. Cette action a été voulue par l’artiste Bono Vox des U2 avec la participation des entreprises comme GAP, Motorola ou Giorgio Armani. Les produits Red quand ils sont achetés ils destinent un pourcentage de revenu à la lutte contre le sida. Cette action économique depuis deux ans a déjà produit 140 millions de dollars à faveur de la lutte contre la maladie.

Antonio Torrenzano


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Conversation avec Amartya Sen, économiste, prix Nobel pour l’économie en 1998 pour ses travaux sur la famine, sur la théorie du développement humain, sur l’économie du bien-être, sur les mécanismes fondamentaux de la pauvreté et sur le libéralisme politique. Le professeur Amartya Sen enseigne à présent auprès de l’université américaine d’Harvard. De 1998 à 2004, il a été professeur et directeur du Trinity College à l’université de Cambridge. Il est le président honoraire de l’ONG Oxfam. Parmi ses nombreuses contributions sur l’économie du développement, Amartya Sen a fait des études sur les inégalités entre les hommes et les femmes. Auteur de nombreux essais, de livres traduits en plus de trente langues, dont «L’économie est une science morale?», Paris, La Découverte, 2004; «Rationalité et liberté en économie», Paris,Odile Jacob, 2005; «La Démocratie des autres : pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident», Paris, Payot, 2005;«L’Inde. Histoire, culture et identité» et «Identité et violence», toujours aux éditions Odile Jacob, Paris, 2007. Le dialogue avec le prix Nobel, il a eu lieu dans la ville italienne de Trento à la fin du mois de mai en occasion du Festival international de l’économie 2011 .

Antonio Torrenzano. Comment jugez-vous la situation de l’économie mondiale à présent ?

Amartya Sen. La situation économique mondiale est améliorée, mais la reprise reste encore faible et fragile. Nous avons toutefois besoin de nouvelles analyses économiques et sociales de la situation contemporaine et d’un nouveau modèle de société.

Antonio Torrenzano. L’indice Markit des obligations subprimes est retourné encore une fois à son haut historique depuis la crise financière de 2008. Les investisseurs institutionnels se montrent dans ces mois de l’année 2011 de plus en plus intéressés par la reprise de ces titres qui offrent encore de très hauts rendements. Est-ce que ces titres sont redémarrés comme avant ?

Amartya Sen. La crise financière du 2008 a été produite par une intense déréglementation du marché financier aux États-Unis bien au-delà de celle qui pouvait être justifiée. Le grand nombre de contrats nommés subprimes (pour vous faire un exemple) qui circulait sur les marchés financiers mondiaux, c’était d’un nombre insoutenable. Ces crédits immobiliers produits aux États-Unis entre 2003 et 2007 ont été en effet le déclencheur de la crise. Mais, le mouvement de cette énorme quantité de contrats il a été seulement un aspect du problème. La crise financière a eu de nombreux facteurs causé surtout par l’exagérée déréglementation de l’économie mondiale.

Fabio Gualtieri. La régulation de la finance est une question technique, mais je crois aussi qu’elle est une question politique. L’économie mondiale a-t-elle subi à votre avis une perte de confiance générale ?

Amartya Sen. La crise a produit une énorme perte de confiance de la part des entreprises qui jouaient de manière correcte sur le marché mondial, mais surtout une perte de confiance plus générale et profonde de la part des gens ordinaires. Cette perte de confiance est de nature morale parce que les effets ultimes et dangereux de ce tsunami financier ont produit de désastres dans l’entière communauté humaine.

Claudio Poletti. Pourquoi le système a-t-il perdu l’ancienne valeur d’une équitable redistribution de la richesse pour tous ? Dans votre dernier essai, vous soulignez l’importance de retourner à conjuguer justice et possibilités économiques pour tout le monde.

Amartya Sen. Le système économique contemporain a effacé nombreux de ses aspects originaires : celui par exemple que j’appelle la liberté de réaliser des opportunités pour tous ou rendre les désirs de chacun de nous réels. La vision libérale dans laquelle l’Occident a vécu pour une longue période historique a été inadéquate et injuste. Cette vision a effacé un aspect considérable de la liberté de chaque individu: c’est-à-dire la capacité d’obtenir quelque chose qui est très raisonnable de désirer. Dans plusieurs Pays riches, il existe encore de groupes d’individus qui vivent dans une situation de misère et de cohésion sociale. À la même manière, la pauvreté, la dénutrition, l’analphabétisme, l’absence d’accès à la santé sont des exemples de violations de la liberté humaine de se réaliser. Nous devons dépasser cet horizon limité pour rendre justice à l’aspect des avantages et des occasions favorables pour tous.

Fabio Gualtieri  Claudio Poletti

Antonio Torrenzano


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L’ordre du jour du G-8 à Deauville sera sûrement dominé par l’aide aux pays du printemps arabes. Les démocraties occidentales devraient, à Deauville, s’engager dans un possible partenariat de longue durée avec les pays qui vivent ce réveil dans la Rive-Sud de la Méditerranée.

Le sommet devrait délibérer de mesures immédiates pour la Tunisie et l’Égypte. Ces deux pays ont chiffré leurs besoins de financement à, respectivement, 25 milliards de dollars sur cinq ans et une douzaine de milliards jusqu’à la mi-2012. L’Administration américaine a déjà communiqué la semaine dernière un plan d’aide de plusieurs milliards de dollars pour encourager la démocratisation, le même effort devrait être soutenu de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd). Aussi la Banque mondiale par un communique de presse a déclaré qui pourrait débourser jusqu’à 6 milliards si les réformes se poursuivent.

Cinq mois après le début des soulèvements, ce bouleversement historique atteint Deauville où les Pays du G-8 discuteront de cette métamorphose du monde arabe.

Antonio Torrenzano


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Dans une « démocratie parfaite », le système politique, le système financier et le système économique sont trois éléments inséparables. Les trois systèmes interagissent quotidiennement entre eux et, dans une gestion politique saine, s’équilibrent eux-mêmes compensant les erreurs de l’un et bénéficiant du succès de l’autre. Depuis le mois de septembre 2008 à aujourd’hui, paniques financières, récession économique, crises politiques et crises diplomatiques sont en train de bouleverser la communauté occidentale et de miner définitivement sa crédibilité. 

Les crises politiques et diplomatiques ne sont pas nouvelles dans nos démocraties occidentales autant que les paniques financières et les récessions économiques dans notre capitalisme.  Mais, depuis le mois de septembre 2008 à aujourd’hui, les trois systèmes ont produit une série innombrable de dommages et effets négatifs dont nous ne connaissons pas encore le montant final ni le bilan entier. Chaque Pays avant la mondialisation avait toujours géré à sa manière ses systèmes politique, économique et militaire. Chacun d’eux possédait ses élites qui étaient chargées d’en assurer le fonctionnement. Mais, dans l’ère de la mondialisation, selon la théorie du chaos d’Edward Lorenz : « le battement d’ailes d’un papillon au Brésil, il peut provoquer une tornade au Texas ». De la dernière panique financière en 2008 aux dernières révélations Wikileaks, ces éléments imprévus montrent encore une fois que la mondialisation est elle-même un accélérateur de crise.

Mais, il y a encore d’autres coïncidences très ironiques ! La crise financière en 2008, commencée aux États-Unis elle est devenue une crise économique mondiale. Les révélations des télégrammes de la diplomatie américaine par le site Wikileaks, commencées toujours aux États-Unis, ils risquent de provoquer une possible crise planétaire de légitimité de l’Administration américaine et de miner les mêmes relations diplomatiques entre les membres de l’OTAN. Depuis deux années, nous vivons donc une crise économique mondiale et une crise diplomatique globale qu’elles me semblent étroitement liées à cause de plusieurs raisons complémentaires. Premièrement, de façon qualitative, la crise économique s’est propagée au-delà des limites pour le comportement de l’élite financière américaine, qui a profité des complexités du système légal pour s’enrichir à la place des actionnaires et des clients, vis-à-vis desquels ils étaient supposés être responsables. Deuxièmement, toujours de façon qualitative, les révélations Wikileaks soulignent que l’élite politique américaine est responsable d’une opacité et d’intérêts qui ne sont pas sûrement d’idéaux très élevés d’une «démocratie parfaite». Un exemple ? L’affaire d’espionnage aux fonctionnaires ONU et au même secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon voulu de l’ancienne Administration du président George W. Bush,mais aussi de l’Administration américaine du président Barack Obama. 

Cette situation imposerait en effet de la discipline et une très forte moralisation. Les crises politiques – il a affirmé dans un article récent le professeur George Friedman – apparaissent lorsque les téméraires semblent profiter des crises qu’ils ont eux-mêmes causées, tandis que le reste de la société soutient le poids de leur inconscience. Qu’est-ce qu’on s’attend la société civile de sa part ? Je crois de nouvelles limites à ces comportements qui sont très embarrassants. Parce que si toutes les valeurs se valent – il écrivait Claude Lévi-Strauss – le cannibalisme n’est qu’une affaire de goût .

Antonio Torrenzano

 

** Un remerciement particulier à l’artiste et dessinateur Patrick Chappatte pour l’illustration. 

 

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Après le sommet de Pittsburgh qui a officialisé le G20 comme principal forum de coopération économique internationale, plusieurs questions restent encore sans réponse. La première : le G20 est une institution internationale sans statut, mais qui s’est réunie à quatre reprises depuis novembre 2008 (Washington, Londres, Pittsburgh et Toronto), avec de nombreux problèmes à régler pour ce qui concerne son organisation à l’intérieur.

«C’est en 2010 – les dirigeants affirmaient à Pittsburgh – que nous essaierons de discuter de la nouvelle architecture du G20». Mais, à aujourd’hui, quels pays devront-ils devenir membres? Encore à quelle fréquence devra-t-il se réunir le sommet ? Aux prochains sommets du G20, les économies à faible développement participeront-elles à la gouvernance mondiale? D’autres questions pratiques restent toutefois en suspens: le G20 devrait-il comporter un secrétariat permanent de façon à assurer le suivi de ses travaux? Quel pouvoir aura-t-il ? Ses décisions auront-elles force de loi ? Comment ce forum économique international pourra-t-il faire respecter ses engagements vers les Pays membres ? Encore, quelles seront-elles les relations entre le G20 et l’ONU ?

Sur cette dernière question, un groupe d’une trentaine de petits États, dont la Suisse, a lancé des propositions à l’ONU à New York pour mieux coopérer avec les pays du G20. Le président de l’Assemblée générale de l’ONU, Joseph Deiss, a lui souhaité des réunions près des Nations Unies avant chaque sommet et après chaque réunion internationale du G20. Ce groupe de travail est retourné à souligner cette urgence pendant sa troisième réunion ministérielle en marge de l’Assemblée générale de l’ONU au mois de septembre 2010. À cette réunion, la Corée du Sud et la France, hôte du prochain sommet à Cannes, ont participé comme invités à la rencontre autant que le président de l’Assemblée générale Joseph Deiss. Le groupe soutient qu’établir un rapport constructif entre le G20 et l’ONU est désormais devenu crucial. Pourquoi ? Parce que les plateformes internationales de l’ONU déjà existantes devraient mieux interagir dans les efforts du G20. Il ne s’agit pas de nier le rôle que peuvent jouer les sujets membres du G20, mais la crise économique et financière a montré l’importance d’une réponse coordonnée et rapide. Le secrétaire général des Nations Unies Ban Ki-Moon a lui aussi reconnu ce défi et insisté sur le fait que l’organisation doit rester la « boussole morale » du monde.

Selon Michael Hodin, chercheur près du Council on foreign relations de New York, le G20 fait désormais concurrence à l’ONU. Le même analyste pronostique encore que les Nations Unies resteraient un endroit pour faire des discours, mais les activités pour la prospérité économique proviendraient du G20. Mais le G20 comme forum principal de la coopération économique internationale, a-t-il vraiment réussi ? Le G20 pourra-t-il être un forum de la pensée multilatérale ? L’ambition du mandat après la réunion de Pittsburgh, elle semble contraster avec les maigres résultats obtenus à Toronto. Il faut encore rappeler que le Fond monétaire international et la Banque mondiale, parmi d’autres, ont déjà les ressources et le mandat pour fournir tous les éléments nécessaires à la concertation. Il est évident, dans ces conditions, que redéfinir les rôles de ces deux institutions reflète la nouvelle réalité géopolitique et économique. La crise a amplifié les déséquilibres mondiaux, et par là même le besoin de solutions globales.

Antonio Torrenzano

 

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Les chefs d’État et de gouvernement des pays du G20 ont renouvelé à Séoul leur engagement à travailler ensemble à la prospérité de la planète. La réunion a vu de fortes tensions entre les États-Unis et la Chine. Tensions qui ont empêché un accord économique contraignant sur les devises tandis que le dossier du déséquilibre du commerce international. Le communiqué diplomatique final affirme: « Nos efforts incessants de coopération ces deux dernières années ont donné des résultats solides. Nous devons cependant rester vigilants. Les risques persistent (…). Une croissance inégale et des déséquilibres croissants augmentent la tentation d’abandonner des solutions communes au profit d’actions non coordonnées ». Le communiqué final a été le résultat de douze heures de négociations diplomatiques pour ce qui concerne le petit compromis sur les monnaies. Compromis qui montre les tensions entre Américains et Chinois sur le yuan et le dollar. Le G20 appelle à «renforcer la flexibilité des taux de change», afin qu’ils «respectent mieux les fondamentaux économiques». Mais, aucun moyen ne forcera Pékin à apprécier plus sa devise.

Le dossier sur une nouvelle coopération macro-économique visant à résorber les déséquilibres des balances courantes, il reste très évasif. Cette question sera un chantier pour la présidence française du G20 qui devra définir, au premier semestre 2011, avec le travail du Fond monétaire international, de nouveaux indicateurs permettant de juger si un excédent ou un déficit courant est excessif ou non. «Cela ne sera pas facile, a affirmé le président de la République Nicolas Sarkozy. Croyez-moi! Le G20 des temps de crise a accompli un travail considérable; le G20 d’après crise doit apporter des réformes structurelles ». Toutefois, au lieu de fixer des objectifs et des sorties certaines pour un retour à l’équilibre, le sommet de Séoul se contente de charger le FMI de développer et approfondir des indicateurs acceptables par tous et destinés à déterminer à partir de quel niveau d’excédents ou de déficits un pays devient dangereux pour les autres. L’accord de Bâle III, en revanche, qui consolide les fonds propres et les liquidités des banques, a été approuvé.

De sa part, le directeur général du Fond monétaire international, Dominique Strauss-Kahn, a qualifié cette réunion du G20 comme « le premier G20 de l’après-crise » en soulignant toutefois que la crise n’était pas du tout terminée. Le forum du G20 trouve encore sur sa table de travail les problèmes qui ont provoqué la crise en 2008 : excès de crédit, d’exportation, de consommation et les déficits budgétaires. La prochaine réunion du G20, sous la présidence française, se déroulera à Cannes en novembre 2011.

Antonio Torrenzano

 

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Avant le sommet de Séoul, le G20 avait déjà tenu quatre rencontres : à Washington, le 15 novembre 2008, à Londres le 2 avril 2009, dans la ville de Pittsburgh les 24 et 25 septembre 2009 et à Toronto les 26 et 27 juin 2010. Il faut encore rappeler que le G20 regroupe les pays du G7 (États-Unis, Japon, Allemagne Grande-Bretagne, France, Italie et Canada), du BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine), ainsi que l’Union européenne, la Turquie, l’Australie, l’Argentine, le Mexique, l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud, l’Indonésie et la Corée du Sud.

Les résultats du sommet de Toronto, cinq mois après, peuvent se résumer par la même déclaration officielle des pays membres : unis pour soutenir la croissance, mais divisés sur les meilleurs moyens pour consolider les faiblesses de la reprise économique mondiale. La déclaration officielle a été donc une preuve de bonne volonté dialectique à coordonner les politiques à l’échelle planétaire, malgré les désaccords. La formule diplomatique utilisée : «Nous avons reconnu qu’il existe une série d’approches stratégiques à cet égard. Certains pays ont choisi une taxe financière. D’autres ont adopté une approche différente » souligne de façon claire ces maigres résultats.

Quels seront-ils alors les thèmes à l’ordre du jour du sommet du G20 à Séoul ? Le sommet aura principalement deux orientations. La première concerne les sujets qui sont toujours en discussion depuis le sommet de Pittsburgh : une nouvelle coopération macro-économique parmi les États, la réforme des systèmes de réglementation financière, la réforme des institutions financières internationales. Les institutions financières internationales comme le FMI et la Banque mondiale, elles se sont réévaluées pendant la crise financière. Mais, la structure dominante de ces organismes donne encore la priorité aux pays développés qui est l’un des objets de la réforme. Fondées en 1945, ces institutions ne reflètent plus la structure contemporaine de l’économie internationale et on discute désormais de nouveaux parcours pour faire obtenir un nouveau rang aux pays en développement dans la réforme interne de ces institutions.

Sur ces premières questions, l’Asie revendique son propre modèle de croissance et elle veut qu’il soit mieux représenté sur la scène internationale. Lors d’un débat organisé auprès du World Economic Forum à Tianjin au mois d’octobre (le Davos chinois), Cui Tiankai et son compatriote Zhu Min, conseiller spécial de Dominique Strauss-Kahn au Fonds monétaire international, ont insisté sur la nécessité d’avoir une meilleure représentation des pays asiatiques et africains tant au G20 qu’au Fond monétaire international. Selon eux, non seulement leurs modèles de croissance ont prouvé leur efficacité durant la crise, mais c’est surtout toute la philosophie occidentale et l’approche de l’économie de marché qu’il faut repenser de nouveau. Cui Tiankai a affirmé, pendant le même forum, «qui est important pour le G20 d’apprendre des pays asiatiques et non de continuer à appliquer des théories économiques dépassées».

La deuxième partie, en revanche, sera consacrée aux nouveaux thèmes proposés par la Corée du Sud pour que le G20 lutte contre la crise avec succès et sur les questions liées au développement des pays émergents et des autres nations qui ne sont pas membres du G20. Le sommet du G20 à Toronto en juin 2010 avait eu pour but d’obtenir des résultats concrets sur ses thèmes afin de montrer l’efficacité du groupe. Mais, pour qu’il devienne véritablement le premier forum, il est nécessaire au G20 de prendre en considération les pays qui ne peuvent pas participer à ces réunions internationales. Bien que les pays en développement aient un faible pouvoir économique au rang international, il n’y a aucun doute qu’ils représentent les nouvelles ressources pour la croissance de l’économie internationale. Par conséquent, l’aide à ces pays sera l’un des thèmes que le G20 de Séoul devra aborder pour une possible croissance durable de l’économie globale.

Antonio Torrenzano