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L’économiste Elinor Ostrom, prix Nobel pour l’économie en 2009, est décédée le 12 juin 2012. Elle avait été la première femme à laquelle la banque de Suède avait attribué en 2009 le prix Nobel pour l’économie. Elinor Ostrom était peu connue dans le monde francophone. Professeure de sciences politiques à l’université d’Indiana aux États-Unis, elle avait mené ses recherches et ses analyses sur l’importance des biens communs. Son travail de recherche avait toujours été multidisciplinaire en combinant travail de terrain, théorie des jeux et économie expérimentale pour mieux affronter la complexité de notre temps présent. Approche multidisciplinaire que Elinor Ostrom soulignait presque toujours pendant ses séminaires avec la suivante affirmation : « there is not yet a single well-developed theory that explains all of the diverse outcomes obtained in microsettings ». Dans son essai « La gouvernance des biens communs » (éd. De Boeck, 2010), publié en français vingt ans après sa publication aux États-Unis, Elinor Ostrom affirmait que le système capitaliste occidental en poursuivant seulement le profit il était en train de détruire la pérennité des ressources communes sans contribuer à nouvelles créations. Ce carnet numérique pour rappeler les recherches d’Elinor Ostrom publie un extrait de la conversation que la chercheuse française Alice Le Roy a eue avec le prix Nobel le 14 juin 2010 à Bloomington aux États-Unis. L’entière conversation peut être lu sur le site de la chercheuse Alice Le Roy à la suivante indication numérique http://www.aliceleroy.net

Alice Le Roy. « Governing the Commons », votre livre le plus connu, a été traduit en français, vingt ans après sa publication aux États-Unis. Dans cet ouvrage, vous vous attaquez à deux théories : la « Tragédie des communs », qui postulent que chaque individu cherche à maximiser ses gains aux dépens de la pérennité d’une ressource commune, et la théorie dite du « Passager clandestin », qui démontre que dans certaines conditions les individus sont incités à profiter d’un bien commun sans contribuer à sa création.

Elinor Ostrom. Dans l’article « La Tragédie des communs », Garrett Hardin prend l’exemple d’une zone de pâturage. Selon lui, le bien commun, ouvert à tous, est promis à la ruine, chaque éleveur ayant intérêt à agrandir son troupeau puisqu’il retire intégralement le bénéfice de chaque animal supplémentaire, alors qu’il ne subit qu’une fraction des coûts collectifs. Avec cet article, ainsi qu’avec la théorie du « passager clandestin », énoncée par Mancur Olson, on a affaire à une démonstration théorique, plutôt qu’empirique. Cette théorie de l’action collective, qu’en plaisantant j’appelle théorie de l’inaction collective, prédit à son tour que les individus chercheront à profiter des efforts collectifs des autres sans y apporter de contribution. La conclusion était qu’il fallait donc soit essayer d’imposer des droits de propriété privée, soit faire appel au gouvernement pour qu’il impose une solution. Dans « Governing the Commons », je ne nie pas que le modèle hiérarchique fondé sur l’intervention gouvernementale peut fonctionner, dans certains cas, tout comme les solutions basées sur le marché. Mais ce qui importe, c’est d’analyser ces questions sans idées préconçues. Est-ce que les solutions envisagées correspondent vraiment aux conditions locales ? Le marché, le gouvernement, une communauté, peuvent être créés comme des fictions. Mais imposer une fiction sur une situation réelle ne mène en général pas à la réussite.

Alice Le Roy. Vous avez démontré qu’il était important de déterminer les limites biophysiques d’une ressource avant de déterminer un mode de gestion.

Elinor Ostrom. Oui. Il est important d’en connaître les contours. Pour les nappes phréatiques dans le sud de la Californie, nous savions où était l’océan, mais on ne savait pas grande chose d’autre. Quelle était l’histoire de l’utilisation de la ressource dans le passé ? Et comment peut-on faire pour faire reconnaître cela de manière incontestable ? Une fois que le débat contradictoire a abouti à un consensus, ça reste compliqué de parvenir à un accord. Mais au moins, cela devient possible.

Alice Le Roy. Vous avez grandi pendant la Dépression, le New Deal puis la Deuxième Guerre mondiale. Vous avez déclaré avoir découvert à ce moment-là que les individus pouvaient être motivés par autre chose que la seule recherche du profit individuel.

Elinor Ostrom. J’ai découvert ça avec ma mère, avec qui je jardinais dans un Victory Garden pendant la guerre à Los Angeles (NDR : les Victory Gardens étaient des jardins potagers qui devaient permettre d’augmenter l’autosuffisance alimentaire des Américains pendant la Deuxième Guerre mondiale). C’était assez dur d’ailleurs, surtout quand il fallait mettre les fruits en conserve alors qu’il faisait plus de 30 degrés. Mais c’est aussi là que j’ai beaucoup appris sur la nécessité d’investir pour l’avenir.

Alice Le Roy. Vous employez des méthodes inhabituelles. En plus de mener des recherches sur le terrain, vous travaillez dans un cadre pluridisciplinaire.

Elinor Ostrom. Mon jury de thèse était composé d’un sociologue, d’un géologue, d’un économiste et d’un ingénieur hydrographe. Notre sentiment de frustration lié au manque de travail pluridisciplinaire dans le monde universitaire nous a ensuite poussé Vincent Ostrom et moi à démarrer un séminaire mêlant économie et science politique. Les travaux de recherche à l’Atelier de théorie et d’analyse des politiques publiques font aussi appel au droit, souvent à l’anthropologie, et maintenant nous travaillons de plus en plus souvent avec des géographes, des chercheurs issus d’écoles de gestion, des spécialistes de la théorie des jeux, de l’économie expérimentale, et bien d’autres.

Alice Le Roy. Pourquoi l’approche pluridisciplinaire est-elle si peu répandue ?

Elinor Ostrom. Pour beaucoup, il est plus rassurant de se cantonner à sa discipline, on publie plus aisément. Pour être nommé professeur, pour avoir une promotion, il vaut mieux que vos pairs reconnaissent votre contribution à un domaine. Cela dit, je ne conseille pas à mes étudiants de maîtriser sept ou huit approches différentes pour leur thèse. Ce que je leur dis, c’est d’utiliser des méthodes multiples, qu’ils en connaissent au moins deux très bien et qu’ils se familiarisent avec deux autres, situés à la lisière de leur discipline. Je pousse ceux des étudiants qui envisagent d’utiliser les systèmes d’information géographique (SIG) et la détection à distance de le faire avec sérieux. Ça ne s’apprend pas en quelques semaines, il faut au moins un an d’apprentissage.

Alice Le Roy. Dans vos travaux vous n’utilisiez jamais les mots « capitalisme » . Pourquoi ?

Elinor Ostrom. Eh bien parce que lorsque vous voulez diagnostiquer un problème dans le corps humain, l’utilisation d’un seul terme suffit rarement. Je pense que, de la même manière, nous devrions nous pencher plus sérieusement sur les problèmes dans le corps social. Il faut se poser beaucoup de questions avant d’avoir une bonne idée de la manière d’établir un diagnostic. La méthode diagnostique me semble d’ailleurs très importante dans le domaine des sciences sociales.

Alice Le Roy. Votre travail de recherche s’est tourné vers la connaissance, envisagée comme un bien commun. Quelles sont les principales pistes de réflexion dans ce domaine ?

Elinor Ostrom. Il reste de nombreuses énigmes. Nous savons par exemple que certains brevets protègent ceux qui font de nouvelles découvertes, mais que si on n’y prend garde, la législation sur la propriété intellectuelle peut entraîner la création d’un monopole qui exclut des usagers pendant de très nombreuses années. Dans le domaine de la connaissance, il se passe en même temps des choses très enthousiasmantes, comme le copyleft et les licences sous Creative Commons, qui permettent d’empêcher que des données ou un texte soient utilisés sans en citer la référence. Je suis très heureuse que mes travaux circulent sur le Net, et je suis également contente d’y trouver beaucoup de recherches. Cela devrait nous obliger à adopter une attitude respectueuse vis-à-vis du travail de longue haleine fourni par d’autres.

Alice Le Roy

 Bibliographie électronique.

Elinor Ostrom, « La gouvernance des biens communs : Pour une nouvelle approche des ressources naturelles », Paris, Ed. De Boeck, 2010.

Elinor Ostrom, « Governing the Commons: The Evolution of Institutions for Collective Action », Cambridge University Press, 1990.

Elinor Ostrom, Larry Schroeder et Susan Wynne, « Institutional Incentives and Sustainable Development: Infrastructure Policies in Perspective », Oxford, Westview Press, 1993.

Charlotte Hess et Elinor Ostrom, « Understanding Knowledge as a Commons: From Theory to Practice», The MIT Press, Cambridge, Massachusetts, 2007.

Roy Gardner, Elinor Ostrom et James Walker « Rules, Games, and Common Pool Resources » , University of Michigan Press, 1994.

Elinor Ostrom, « Understanding Institutional Diversity », Princeton, Princeton University Press. 2005.

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Pierre Rosanvallon, historien, écrivain, professeur au Collège de France. Ses recherches portent principalement sur l’histoire de la démocratie, sur le modèle politique français, sur le rôle de l’État et la question de la justice sociale dans la société contemporaine. Il occupe depuis 2001 la chaire d’histoire moderne et contemporaine au Collège de France et il est également directeur d’études près de l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) de Paris.

Auteur de nombreux essais traduits dans plusieurs langues étrangères dont «La crise de l’État-providence »,Paris, édition Seuil, 1981; « Misère de l’économie », Seuil, 1983; « L’État en France de 1789 à nos jours »,Paris, Le Seuil, L’Univers historique, 1998; « Le Sacre du citoyen. Histoire du suffrage universel en France», Paris, Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1992; « Le Nouvel Âge des inégalités» avec Jean-Paul Fitoussi, Paris, Le Seuil, 1996 ; «La nouvelle question sociale. Repenser l’État-providence », Paris, éditions du Seuil, 1995; « Le Peuple introuvable. Histoire de la représentation démocratique en France», Gallimard, Bibliothèque des histoires, 1998 ; « Pour une histoire conceptuelle du politique », Paris, éditions du Seuil, 2003; « La contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance »,Paris, éditions du Seuil, 2006 ; « La Légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité », Paris, éditions du Seuil, 2008 et « La Société des égaux » en 2011.

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Conversation avec Paul Auster, écrivain américain, traducteur . En 2007, l’auteur a reçu le titre de docteur honoris causa de l’université de Liège et la Grande Médaille de Vermeil de la ville de Paris en 2010. L’auteur a également travaillé pour le cinéma. De 1965 à 1967, le jeune Paul Auster étudie près de l’Université Columbia pour des cours de littérature française, italienne et anglaise et il commence à traduire des auteurs français en particulier Jacques Dupin et André du Bouchet. Il écrit dans cette période aussi des scénarios pour des films muets qui ne verront pas le jour, mais qu’on retrouvera, plus tard, dans « Le Livre des illusions ». Après la publication des romans «L’invention de la solitude », « L’Art de la faim » en 1982, le recueil en prose « Espaces blancs », suivi du roman « Effigies et Murales » en 1987 et «Disparitions » en 1993, Paul Auster commence à être un écrivain très reconnu. De 1986 (sortie de Cité de verre) à 1994 (avec le roman Mr. Vertigo), il publie ses oeuvres majeures comme « Moon Palace » et «Léviathan ». Avec le roman Léviathan , il obtiendra le prix Médicis étranger en 1993. Il retournera à écrire avec le roman Tombouctou en 1999 dont ils suivront « Le Livre des illusions » en 2002, « La Nuit de l’oracle » en 2004 et l’oeuvre « Brooklyn Follies » l’année suivante. En 2006, Paul Auster a reçu le prix Prince des Asturies pour l’ensemble de son œuvre. L’entretien avec l’auteur a été développé à plusieurs reprises dans la ville italienne de Pordenone pendant la rencontre internationale « Dedica festival » dans l’année 2010 et dans le village italien de Novello (Cuneo) dans la région du Piémont pendant le Festival international « Collisioni » à la fin du mois de mai 2011.

Antonio Torrenzano. La crise économique a été due par des politiques économiques libérales qui ont cru dans un marché sans règles, capable d’autorégulation. La crise financière du 2008 et après la crise économique ont produit un désastre pour l’entière communauté humaine. Pourquoi le monde de demain reste-t-il encore suspendu dans notre imagination ?

Paul Auster. Le désastre financier a eu beaucoup de causes. La première a été surement l’avidité qui a fait retourner en vogue le vieux capitalisme omnivore. Aux États-Unis, quelqu’un affirme que la situation est en train d’améliorer, mais cela il vaut pour les financiers qui ont recommencé à gagner leurs gratifications stratosphériques. Nombreux d’Américains ils sont encore au chômage.

Fabio Gualtieri. Les évènements de la Rive-Sud de la Méditerranée de Tunis à Damas, en passant par Sanaa, Le Caire, Bhengasi, Amman, Riyad, Alger ou Casablanca, nous indiquent-ils que la société arabe s’est réveillée ?

Paul Auster. Je crois que les jeunes de l’Afrique du Nord ont anticipé les nouvelles générations de l’occident. J’attends depuis longtemps quelque chose de ce genre en Amérique et en Europe, mais il n’y a pas de gestes.

Claudio Poletti. Comment trouvez-vous notre temps présent en Occident ?

Paul Auster. La situation devient de plus en plus insoutenable. Et j’observe encore que nos garçons et nos jeunes filles restent immobiles. Nos nouvelles générations elles me semblent aujourd’hui déprimées et découragées.

Antonio Torrenzano. Trouvez-vous que l’Occident est encore dans un temps de restriction ?

Paul Auster. Les effets de cette crise sont en train de produire de longs bouleversements sociaux qui frappent de manière terrible les familles et les communautés dans mon Pays. Je trouve cette situation très troublante .

Fabio Gualtieri  Claudio Poletti

Antonio Torrenzano


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Conversation avec Amartya Sen, économiste, prix Nobel pour l’économie en 1998 pour ses travaux sur la famine, sur la théorie du développement humain, sur l’économie du bien-être, sur les mécanismes fondamentaux de la pauvreté et sur le libéralisme politique. Le professeur Amartya Sen enseigne à présent auprès de l’université américaine d’Harvard. De 1998 à 2004, il a été professeur et directeur du Trinity College à l’université de Cambridge. Il est le président honoraire de l’ONG Oxfam. Parmi ses nombreuses contributions sur l’économie du développement, Amartya Sen a fait des études sur les inégalités entre les hommes et les femmes. Auteur de nombreux essais, de livres traduits en plus de trente langues, dont «L’économie est une science morale?», Paris, La Découverte, 2004; «Rationalité et liberté en économie», Paris,Odile Jacob, 2005; «La Démocratie des autres : pourquoi la liberté n’est pas une invention de l’Occident», Paris, Payot, 2005;«L’Inde. Histoire, culture et identité» et «Identité et violence», toujours aux éditions Odile Jacob, Paris, 2007. Le dialogue avec le prix Nobel, il a eu lieu dans la ville italienne de Trento à la fin du mois de mai en occasion du Festival international de l’économie 2011 .

Antonio Torrenzano. Comment jugez-vous la situation de l’économie mondiale à présent ?

Amartya Sen. La situation économique mondiale est améliorée, mais la reprise reste encore faible et fragile. Nous avons toutefois besoin de nouvelles analyses économiques et sociales de la situation contemporaine et d’un nouveau modèle de société.

Antonio Torrenzano. L’indice Markit des obligations subprimes est retourné encore une fois à son haut historique depuis la crise financière de 2008. Les investisseurs institutionnels se montrent dans ces mois de l’année 2011 de plus en plus intéressés par la reprise de ces titres qui offrent encore de très hauts rendements. Est-ce que ces titres sont redémarrés comme avant ?

Amartya Sen. La crise financière du 2008 a été produite par une intense déréglementation du marché financier aux États-Unis bien au-delà de celle qui pouvait être justifiée. Le grand nombre de contrats nommés subprimes (pour vous faire un exemple) qui circulait sur les marchés financiers mondiaux, c’était d’un nombre insoutenable. Ces crédits immobiliers produits aux États-Unis entre 2003 et 2007 ont été en effet le déclencheur de la crise. Mais, le mouvement de cette énorme quantité de contrats il a été seulement un aspect du problème. La crise financière a eu de nombreux facteurs causé surtout par l’exagérée déréglementation de l’économie mondiale.

Fabio Gualtieri. La régulation de la finance est une question technique, mais je crois aussi qu’elle est une question politique. L’économie mondiale a-t-elle subi à votre avis une perte de confiance générale ?

Amartya Sen. La crise a produit une énorme perte de confiance de la part des entreprises qui jouaient de manière correcte sur le marché mondial, mais surtout une perte de confiance plus générale et profonde de la part des gens ordinaires. Cette perte de confiance est de nature morale parce que les effets ultimes et dangereux de ce tsunami financier ont produit de désastres dans l’entière communauté humaine.

Claudio Poletti. Pourquoi le système a-t-il perdu l’ancienne valeur d’une équitable redistribution de la richesse pour tous ? Dans votre dernier essai, vous soulignez l’importance de retourner à conjuguer justice et possibilités économiques pour tout le monde.

Amartya Sen. Le système économique contemporain a effacé nombreux de ses aspects originaires : celui par exemple que j’appelle la liberté de réaliser des opportunités pour tous ou rendre les désirs de chacun de nous réels. La vision libérale dans laquelle l’Occident a vécu pour une longue période historique a été inadéquate et injuste. Cette vision a effacé un aspect considérable de la liberté de chaque individu: c’est-à-dire la capacité d’obtenir quelque chose qui est très raisonnable de désirer. Dans plusieurs Pays riches, il existe encore de groupes d’individus qui vivent dans une situation de misère et de cohésion sociale. À la même manière, la pauvreté, la dénutrition, l’analphabétisme, l’absence d’accès à la santé sont des exemples de violations de la liberté humaine de se réaliser. Nous devons dépasser cet horizon limité pour rendre justice à l’aspect des avantages et des occasions favorables pour tous.

Fabio Gualtieri  Claudio Poletti

Antonio Torrenzano


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Conversation avec Orhan Pamuk, écrivain, prix Nobel pour la littérature 2006. Ses romans ont rencontré un énorme succès dans son pays et dans le monde et ses livres ont été traduits dans plus de 20 langues étrangères. Le jeudi 12 octobre 2006, l’Académie suédoise a décerné à l’écrivain le Nobel pour la littérature. Mais, l’auteur a remporté également, avant le prix Nobel du 2006, trois grands prix littéraires : le prix France-Culture en 1995, le prix du meilleur livre étranger du New York Times en 2004, le prix des libraires Allemands le 22 juin 2005 et le prix Médicis étranger pour Neige le 7 novembre 2005. Dans le mai 2007, Orhan Pamuk a reçu le titre de « docteur honoris causa de la Freie Universität de Berlin » et dans l’année 2009 le titre de docteur honoris causa de l’Université de Rouen. L’écrivain est considéré comme « un phénomène exceptionnel dans la littérature mondiale ». Orhan Pamuk a écrit nombreux romans dont les suivants traduits en français, aux éditions Gallimard : « La Maison du silence » en 1988, traduit du turc par Münevver Andaç; « Le Livre noir » en 1995 ; « Le Château blanc » en 1996; « La Vie nouvelle » en 1999; « Mon nom est Rouge » en 2001, trad. du turc par Gilles Authier; « Neige » en 2005, trad. du turc par Jean-François Pérouse ; « Istanbul, souvenirs d’une ville » en 2003 et son dernier roman «Le musée de l’innocence » en 2011, trad. du turc par Valérie Gay-Aksoy. Le dialogue avec l’auteur eu lieu à Milan, Venise, Rome et dans la ville de Bruxelles au mois de mars 2011.

Antonio Torrenzano. Les évènements de la Rive-Sud de la Méditerranée de Tunis à Damas, en passant par Sanaa, Le Caire, Bhengasi, Amman, Riyad, Alger ou Casablanca, ils nous indiquent que les sociétés arabes se sont réveillées. Sans prévenir et sans que le monde occidental il eût pu de tout de suite comprendre les véritables causes de ce réveil. Faut-il se méfier de l’eau qui dort…?

Orhan Pamuk. Beaucoup de pays islamiques n’ont pas eu de régimes démocratiques pour longtemps et ceci justifie les révoltes. Les citoyens ont pris leur destin en main. Ce réveil est un bouleversement historique, mais beaucoup de chemin reste à faire.

Antonio Torrenzano. Pourquoi le fantôme du fondamentalisme a-t-il rendu aveugle le monde occidental ?

Orhan Pamuk. Le monde occidental ne craint pas l’Islam, mais le fondamentalisme qui ne représente pas du tout les centaines de millions de musulmans dans le monde. Les sociétés occidentales depuis le 11 septembre 2011 avaient associé le monde islamique au terrorisme. Une interprétation fausse que jusqu’aux années soixante-dix personne n’aurait rêvé de la faire. Cette vision dépourvue de chaque fondement, elle a créé dans la réalité les conditions idéales pour un non-dialogue entre les deux systèmes sociaux. J’ajouterais encore le rôle des médias occidentaux que dans leurs interprétations plusieurs fois pas correctes de la réalité ils ont manipulé l’opinion publique en modifiant sa perception vis-à-vis de l’entier monde islamique. Mais, celui-ci a été seulement un petit aspect du non-dialogue entre les deux cultures pendant la dernière décennie.

Antonio Torrenzano. Les prétentions des individus de l’Afrique du Nord et du Continent africain, elles me semblent identiques au reste du monde : liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de choisir leurs gouvernants. Encore, la transparence dans la gestion des biens publics ! Les jeunes sont exaspérés par leur quotidien sans avenir. Il y a encore le problème de la pauvreté économique dans nombreux États de la région. Qu’est-ce qu’on peut faire pour réduire ce gap ?

Orhan Pamuk. Je ne crois pas aux grandes lignes d’action d’ingénierie sociale. Surtout, si ces actions sont produites par les gouvernements. Parce que les intérêts économiques et politiques – tôt ou tard – ils prévalent toujours sur les aspirations des individus. Nombreuses fois dans l’histoire humaine, les mensonges et le son des bombes ont effacé et couvert la voix des individus. Notre devoir, c’est de défendre les valeurs dans lesquelles nous croyons sans exiger de les imposer à tout le monde.

Antonio Torrenzano

 


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Conversation avec Jean-Pierre Dupuy, polytechnicien et ingénieur des mines, est professeur de français et chercheur au Centre d’Étude du Langage et de l’Information (C.S.L.I.) de l’université Stanford, en Californie. Il est aussi philosophe des sciences, et il a enseigné la philosophie sociale et politique et l’éthique des sciences et techniques jusqu’en 2006 à l’Écolepolytechnique. Il est également membre de l’Académie des technologies. Jean-Pierre Dupuy est aussi fondateur avec d’autres membres du Collegium international éthique, politique et scientifique, association qui souhaite « apporter des réponses intelligentes et appropriées qu’attendent les peuples du monde face aux nouveaux défis de notre temps. » Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues diplomatiques, dont «Avions-nous oublié le mal ? Penser la politique après le 11 septembre», Paris, Bayard, 2002; «La Panique. Les empêcheurs de penser en Rond», 2003; «Pour un catastrophisme éclairé, quand l’impossible est certain»,Paris, Seuil, 2004 ; « Petite métaphysique des tsunamis »,Paris, Seuil, 2005;«Retour de Tchernobyl, Journal d’un homme en colère », Paris, Seuil, 2006; «La marque du sacré : essai sur une dénégation», Paris, Carnets Nord, 2009; «Dans l’œil du cyclone », Carnets Nord, 2009. La conversation avec le professeur a eu lieu à Modène à la fin du mois de septembre 2010 pendant le Festival international de la philosophie organisé par la Fondation Collegio San Carlo.

Antonio Torrenzano. Pourquoi affirmez-vous qu’il soit utile de faire comme si le pire était inévitable ?

Jean-Pierre Dupuy. Le pire n’est jamais certain, mais il est parfois utile de faire comme s’il était inévitable. Le certain et le nécessaire sont deux prédicats qu’il convient soigneusement de distinguer. Comme disait Jorge Luis Borges : « L’avenir est inévitable, mais il peut ne pas avoir lieu ». Ce qui fait qu’un destin puisse ne pas s’accomplir est aussi ce qui fait qu’il s’accomplisse.

Antonio Torrenzano. Est-ce que par exemple, le réchauffement climatique ou plus en général la crise écologique pouvait être évité ?

Jean-Pierre Dupuy. En conclusion de son film « Une vérité qui dérange», Al Gore formule des propos qu’un spectateur inattentif a tendance à tenir pour des lieux communs, alors qu’ils posent un problème philosophique considérable: «Les générations futures auront vraisemblablement à se poser la question suivante – affirme l’ancien vice-président américain après avoir montré les conséquences pénibles que le changement climatique en cours produira si l’humanité ne se mobilise pas à temps – à quoi pouvaient donc bien penser nos parents ? Pourquoi ne se sont-ils pas réveillés alors qu’ils pouvaient encore le faire ? Cette question qu’ils nous posent, c’est maintenant que nous devons l’entendre.» Mais comment, dira-t-on, comment donc pourrions-nous recevoir un message en provenance de l’avenir ? Si ce n’est pas là simple licence poétique, que peut bien signifier cette inconcevable inversion de la flèche du temps ? Les responsables de Greenpeace ont trouvé un moyen plaisant et efficace de poser la même question, sinon de la résoudre, lors du sommet raté de Copenhague sur le changement climatique. Sur des affiches géantes, ils ont vieilli de dix ans les principaux chefs de gouvernement d’aujourd’hui pour leur faire dire: «Je m’excuse. Il nous était possible d’éviter la catastrophe climatique. Mais nous n’avons rien fait.» Suivait l’injonction : «Agissez maintenant et changez l’avenir.» Je pourrais en continuant multiplier les exemples.

Antonio Torrenzano. Deux prédilections développées par la philosophie que nous appelons métaphysique, et même par son rameau de la logique métaphysique.

Jean-Pierre Dupuy. Sans doute que devant des défis aussi gigantesques que ceux qui pèsent sur l’avenir de l’humanité, il est impossible de ne pas poser à nouveau frais les grandes questions qui l’agitent depuis l’aube des temps. Ces manières de jouer avec le temps sont autant de façons de nous enjoindre de donner un poids de réalité suffisant à l’avenir. Car pour donner sens à l’idée que l’avenir nous regarde et nous juge maintenant, il faut bien que, d’une façon à déterminer, l’avenir soit dès à présent ce qu’il sera. Est-ce que cela implique du fatalisme ?

Antonio Torrenzano. Faut-il en déduire que tout est déjà écrit d’avance ?

Jean-Pierre Dupuy. La réponse est négative, mais il faut beaucoup de travail théorique pour s’en convaincre. Un concept controversé de la philosophie morale peut nous y aider : celui de «fortune morale». Si le concept de fortune morale n’a pas toujours eu bonne presse, c’est qu’il a servi à justifier les pires abominations. Le général Curtis Lemay, par exemple, le premier patron du Strategic Air Command, c’est-à-dire des forces aériennes américaines pendant la guerre du Pacifique, qui, en tant que tel,fut responsable de la destruction par bombes incendiaires de 70 villes du Japon impérial, le tout couronné par le largage de deux bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki, eut un jour ce mot: « Si nous avions perdu la guerre, nous aurions été jugés et condamnés comme criminels de guerre». Qu’est-ce qui fait qu’une même action est morale si on gagne et immorale si on perd ? Il y a cependant des circonstances où le concept de fortune morale pose moins de problèmes. Dans la question qui nous occupe, on peut raisonner ainsi : l’humanité prise comme sujet collectif a fait un choix de développement de ses capacités virtuelles qui la fait tomber sous la juridiction de la fortune morale. Il se peut que son choix mène à de grandes catastrophes irréversibles; il se peut qu’elle trouve les moyens de les éviter, de les contourner ou de les dépasser. Personne ne peut dire ce qu’il en sera. Le jugement ne pourra être que rétrospectif. Cependant, il est possible d’anticiper, non pas le jugement lui-même, mais le fait qu’il ne pourra être porté que sur la base de ce que l’on saura lorsque le voile de l’avenir sera levé. Il est donc encore temps de faire que jamais il ne pourra être dit par nos descendants : « trop tard ! ». Un trop tard qui signifierait qu’ils se trouvent dans une situation où aucune vie humaine digne de ce nom n’est possible. « Nous voici assaillis par la crainte désintéressée pour ce qu’il adviendra longtemps après nous – mieux, par le remords anticipateur à son égard », écrit le philosophe allemand Hans Jonas, à qui nous devons le concept d’éthique du futur : non pas l’éthique qui prévaudra dans un avenir indéterminé, mais bien toute éthique qui érige en impératif absolu la préservation d’un futur habitable par l’humanité. L’avenir a besoin de nous, gens du présent. Si par malheur nous devions détruire toute possibilité d’un avenir vivable, c’est tout le sens de l’aventure humaine, depuis la nuit des temps, que nous réduirions à néant. C’est donc nous qui avons besoin de l’avenir, beaucoup plus que l’inverse.

Antonio Torrenzano

 

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Umberto Eco, écrivain, professeur à l’université de Bologne, titulaire de la chaire de sémiotique et directeur de l’École supérieure des sciences humaines à la même université. Né en 1932 à Alexandrie, dans le Piémont, il est l’auteur de nombreux essais comme « Les limites de l’interprétation », « Kant et l’ornithorynque », « Comment voyager avec un saumon », et de trois romans à la renommée universelle, « Le Nom de la Rose » en 1980, « Le Pendule de Foucault» en 1988, et « L’Île du jour d’avant » en 1994. Devenu ensuite un pionnier des recherches en sémiotique ( « La Structure absente » en 1968, « Trattato di semiotica generale» en 1975), il développe une théorie de la réception (« Lector in fabula », « The Limits of Interpretation », « The role of the Reader » ) qui le place parmi les penseurs européens les plus importants de la fin du XXe siècle. Son premier roman, « Le Nom de la rose » (1980) connaît un succès mondial avec 16 millions d’exemplaires vendus à ce jour et des traductions en vingt-six langues, malgré un contenu dense et ardu. Umberto Eco met en application dans ce « policier médiéval » ses concepts sémiologiques et ses théories du langage, ceux-là mêmes qu’il enseigne à Bologne. Tout au long de sa carrière, il écrit régulièrement dans des quotidiens et des hebdomadaires et il donne plusieurs conférences sur ses théories de la narration en littérature. Parmi ses activités les moins connues, Umberto Eco est membre du forum international de l’UNESCO (1992), de l’Académie universelle des cultures de Paris (1992), de l’American Academy of Arts and Letters (1998) et il a été nommé au conseil de la bibliothèque d’Alexandrie (2003). Il a assuré en 1992-1993 des cours à la chaire européenne du Collège de France sur le thème « La quête d’une langue parfaite dans l’histoire de la culture européenne». En 2009, Umberto Eco, a publié l’ouvrage « Vertige de la liste» et avec Jean-Claude Carrière, l’essai « N’espérez pas vous débarrasser des livres », aux éditions Grasset. L’entretien avec le professeur a été développé à Bologne et Milan.

Antonio Torrenzano. Croyez-vous que le nouvel e-book pourra se débarrasser du livre ?

Umberto Eco. Quant à la disparition du livre, c’est une vieille histoire, un fantasme qui hante les âmes contemporaines. Il y a un noyau dur de lecteurs en Europe qui aime lire et qui permet aux maisons d’édition de vivre. Nous avons calculé par une recherche statistique développée à l’université de Bologne que les maisons d’édition italiennes ont environ assumé dans leurs structures presque mille personnes par an. Il y a eu des milliers de réunions, de congrès sur cette question, et je répète toujours la même chose : le livre est comme la cuillère. Je pense qu’il pourra s’évoluer dans ses composantes… les pages, par exemple, elles ne seront plus en papier, mais il demeurera ce qu’il est. Le monde de l’édition, au moins en fait de numéros statistiques, il me semble bien vital.

Antonio Torrenzano. Croyez-vous, alors, qu’Internet ne tuera pas la « galaxie Gutenberg » ?

Umberto Eco. L’homme du web est un homme de Gutenberg parce qu’il est obligé de lire énormément et d’une manière plus ardue et moins confortable devant à son écran. Les gens lisent, et probablement plus vite que leurs grands-pères, mais à présent ils ont seulement plusieurs instruments pour le faire : la nouvelle technologie numérique et de moyens non électroniques. Ils passent d’un sujet à l’autre, mais ils continuent à lire. Des statistiques ont démontré que ceux qui regardent beaucoup la télévision, qui utilisent Internet, qui écoutent de la radio, ils sont aussi ceux qui lisent le plus. Le web encourage la lecture de livres parce qu’il augmente la curiosité. La technologie pourra éliminer certains genres de livres ou de documents, mais rien n’éliminera l’amour du livre en soi. La photographie a changé la vision des peintres, mais elle n’a pas tué la peinture, ni la télévision a tué le cinéma. L’impératif pour les éditeurs reste toujours la même : faire de livres. Parce que malgré toutes les visions apocalyptiques, le livre est comme le couteau, le marteau. C’est-à-dire une chose qu’une fois qu’elle a été inventée, il y n’aura pas un designer ou une nouvelle technologie encore plus performante qui réussira à le modifier pour le faire devenir moins efficace.

Antonio Torrenzano. Les bibliothèques ont toujours gardé nos savoirs universels de manière exceptionnelle. Aujourd’hui, en revanche, les moyens d’archiver nos savoirs contemporains sont des supports virtuels. Mais ces supports ne sont pas éternels.

Umberto Eco. La conservation de nos savoirs est le grand problème de notre époque. Nous vivons dans une civilisation alphabétique, et Marshall McLuhan s’est trompé quand, en 1962, il a annoncé la fin de la galaxie Gutenberg. La numérisation de tous les écrits de tous les temps elle me semble impossible. Qu’est-ce qu’il arriverait en cas d’un colossal et inattendu black-out électronique ?

Antonio Torrenzano

 

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L’e-book détruira-t-il le livre imprimé comme nous le connaissons ? Devrons-nous dire dans peu de temps adieu aux étagères d’une bibliothèque avec des dizaines et dizaines de volumes ? Devrons-nous dire adieu à cette vision réconciliatrice et réconfortante du monde ?

Le passage du livre imprimé au livre numérique autant que l’utilisation des nouveaux canaux de diffusion représente à présent une lente évolution des « moyens de production, de transmission et de manipulation» que Roger Chartier déjà soutenait dans son essai « Le livre en révolutions », en 1997. S’il est vrai que l’utilisation d’Internet et de la Toile devient indispensable à la communication scientifique et aux formes d’édition tournées vers la recherche, il est tout aussi vrai que le respect de standards d’édition impose plus que jamais la nécessité d’une procédure éditoriale de vérification et de surveillance. Le Web, par sa capacité de diffuser et de faire cohabiter plusieurs médias, est un lieu privilégié pour ce type de pratique,mais nombreuses et nouvelles questions se posent à nous. Sous sa forme électronique, par exemple, le texte devra-t-il bénéficier de la fixité, comme le livre imprimé, ou pourra-t-il s’ouvrir aux potentialités de l’anonymat et d’une multiplicité sans fin ?

Le livre imprimé renferme déjà en soi même toutes les perfections. Pour lire un e-book, au contraire, nous avons besoin de beaucoup de technologie à notre disposition: par exemple d’un lecteur capable de rendre accessible la lecture du livre numérique et d’électricité. La rapide obsolescence de la technologie est la limite principale de l’e-book: même si le format numérique sur lequel se trouve le livre avait une durée éternelle, nous savons tous, que d’ici à peu d’ans, les ordinateurs à notre disposition ils seraient remplacés par d’autres incompatibles avec les vieux systèmes. Pour lire un livre, il faut par contre seulement de la lumière.

Dernière question. L’étude des transmissions hypermédiatiques nécessite la mise en place d’une réflexion sur les enjeux des adaptations transmédiatiques qui restent encore insuffisants. Le Web a d’abord été présenté comme une révolution des transmissions du savoir, mais la potentialité des problèmes qui représente la conversion numérique pour la mise à disposition du patrimoine pour le plus grand nombre d’individus n’a pas été encore débattue.

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec Roger Chartier, historien, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire « Écrit et cultures dans l’Europe moderne ». Roger Chartier né à Lyon, il a fait ses études secondaires au lycée Ampère de sa ville natale. Entre 1964 et 1969, il est élève à l’École normale supérieure de Saint-Cloud et en parallèle, il poursuit un cursus universitaire de licence et de maîtrise à la Sorbonne (1966-1967). En 1969, il reçoit l’agrégation d’histoire. En 1970, il devient assistant en Histoire moderne à l’université de Paris I puis maître-assistant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il devient par la suite maître de conférences et puis directeur d’études à l’EHESS jusqu’en 2006. Dans la même année, il est nommé professeur au Collège de France. Roger Chartier anime également l’émission « Les lundis de l’Histoire » sur France Culture, au cours de laquelle il s’entretient avec des historiens qui publient des ouvrages sur l’histoire moderne. Auteur de nombreux essais, traduit dans plusieurs langues étrangères, dont « L’Éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle» avec Marie-Madeleine Compère et Dominique Julia, Paris, Société d’édition d’enseignement supérieur, 1976 ; « Histoire de l’édition française», direction avec Henri-Jean Martin), 4 volumes (1983–1986), Paris, éditions Fayard et Cercle de la librairie, 1991; « L’Ordre des livres. Lecteurs, auteurs, bibliothèques en Europe entre XIVe et XVIIIe siècle», Aix-en-Provence, éditions Alinea, coll. « De la pensée / Domaine historique »,1992 ; « Le Livre en révolutions, entretiens avec Jean Lebrun», Paris, éditions Textuel,1997; « Histoire de la lecture dans le monde occidental » direction avec Guglielmo Cavallo, 1997, réédition, Éditions du Seuil, coll. « Points / Histoire » Paris, 2001; « Au bord de la falaise. L’histoire entre certitudes et inquiétude », Paris, éditions Albin Michel, coll. « Bibliothèque Albin Michel de l’histoire », 1998; « Le sociologue et l’historien », avec Pierre Bourdieu, Marseille, éditions Agone/Raisons d’agir, coll. « Banc d’essais », 2010. L’entière conversation, recueillie par le journaliste Ivan Jablonka, a été publiée sur le site numérique http://www.viedesidees.fr , le 29 septembre 2008.

Ivan Jablonka. Je voudrais évoquer avec vous la manière dont l’objet livre se métamorphose aujourd’hui sous l’influence des technologies liées à Internet (les e-books, le print-on-demand, etc.). Pouvez-vous revenir sur quelques-unes des mutations que le livre a connues depuis l’invention du codex ?

Roger Chartier. Le premier problème, c’est : qu’est-ce qu’un livre ? C’est une question que posait Kant dans la seconde partie des Fondements de la métaphysique des moeurs, et il définissait très clairement ce qu’est un livre. D’un côté, c’est un objet produit par un travail de manufacture, quel qu’il soit – copie manuscrite, impression ou éventuellement production électronique –, et qui appartient à celui qui l’acquiert. En même temps, un livre, c’est aussi une oeuvre, un discours. Kant dit que c’est un discours adressé au public, qui est toujours la propriété de celui qui l’a composé et qui ne peut être diffusé qu’à travers le mandat qu’il donne à un libraire ou à un éditeur pour le mettre dans l’aire de la circulation publique.Tous les problèmes de la réflexion tiennent à cette relation complexe entre le livre comme objet matériel et le livre comme oeuvre intellectuelle ou esthétique, parce que, jusqu’à aujourd’hui, la relation s’est toujours établie entre ces deux catégories, entre ces deux définitions – d’un côté, des oeuvres qui ont une logique, une cohérence, une complétude et, de l’autre, les formes matérielles de leur inscription, qui pouvait être, dans l’Antiquité et jusqu’au premier siècle de notre ère, le rouleau. Dans ce cas-là, très souvent, l’oeuvre est disséminée entre plusieurs objets. À partir de l’invention du codex (c’est-à-dire du livre tel que nous le connaissons encore, avec des cahiers, des feuillets et des pages), une situation inverse apparaît : un même codex pouvait, et c’était même la règle, contenir différents livres au sens d’oeuvre. La nouveauté du présent, c’est que cette relation entre des classes d’objets et des types de discours se trouve brisée, puisqu’il y a une continuité textuelle qui est donnée à lire sur l’écran et que l’inscription matérielle sur cette surface illimitée ne correspond plus à des types d’objet (les rouleaux de l’Antiquité, les codex manuscrits ou le livre imprimé à partir de Gutenberg). Ceci entraîne des discussions qui peuvent avoir des aspects juridiques, sur le plan du droit ou de la propriété. Comment maintient-on les catégories de propriété sur une oeuvre, à l’intérieur d’une technique qui ne délimite plus l’oeuvre comme le faisait l’objet, le rouleau ancien ou le codex ? Ceci peut aussi avoir des conséquences sur la reconnaissance des statuts d’autorité scientifique. À l’époque du codex, une hiérarchie des objets pouvait indiquer plus ou moins une hiérarchie dans la validité des discours. Il y avait une différence immédiatement perceptible entre l’encyclopédie, le livre, le journal, la revue, la fiche, la lettre, etc., qui étaient matériellement donnés à lire, à voir, à manier, et qui correspondaient à des registres de discours qui s’inscrivaient dans cette pluralité de formes. Or, aujourd’hui, le seul objet – il y en a un sur ce bureau – est l’ordinateur, qui porte tous les types de discours, quels qu’ils soient, et qui rend absolument immédiate la continuité entre les lectures et l’écriture. On peut alors entrer dans les réflexions contemporaines, mais en revenant à cette dualité que l’on oublie souvent. Le problème du livre électronique se trouve posé, avec une rematérialisation dans un ordre d’objets, tels que l’e-book ou l’ordinateur portable, qui sont des objets uniques pour toutes les classes de textes. À partir de là, la relation est posée dans des termes nouveaux.

Ivan Jablonka. Michel de Certeau établit une distinction entre la trace écrite, fixée et durable, et la lecture, qui est de l’ordre de l’éphémère1. Mais, sur Internet, les textes ne cessent de muter et de se transformer. En exagérant un peu, on pourrait dire qu’Internet est un univers de « plagiaires plagiés ». Est-ce selon vous une rupture, ou diriez-vous qu’au cours de l’histoire, et notamment au XVIIe siècle, le texte n’a jamais été une forme stable ?

Roger Chartier. Oui. Dans sa distinction, Michel de Certeau renvoie au lecteur voyageur, qui construit de la signification à partir de contraintes, en même temps qu’il la construit à partir de libertés, c’est-à-dire qui « braconne ». Si l’on braconne, c’est parce qu’il y a un territoire qui est protégé, interdit et fixé. De Certeau comparait souvent l’écriture au labour et la lecture au voyage (ou au braconnage). Effectivement, c’est une vision qui a pu inspirer les travaux sur l’histoire de la lecture ou la sociologie et l’anthropologie de la lecture, à partir du moment où la lecture n’était plus enfermée dans le texte, mais était le produit d’une relation dynamique, dialectique, entre un lecteur, ses horizons d’attente, ses compétences, ses intérêts, et le texte dont il s’empare. Mais cette distinction productrice peut aussi masquer deux éléments. Le premier, c’est que ce lecteur braconnier est lui-même assez strictement déterminé par des déterminations collectives, partagé par des communautés d’interprétation ou des communautés de lecture, et donc que cette liberté créatrice, cette consommation qui est production, a ses propres limites ; elle est socialement différentielle. Deuxièmement, comme vous le dites, ce terrain du texte est un terrain plus mobile que celui d’une parcelle de champ, dans la mesure où, pour de multiples raisons, cette mobilité existait. Les conditions techniques de reproduction des textes, par exemple la copie manuscrite (qui a existé jusqu’aux XVIIIe ou XIXe siècles), sont ouvertes à cette mobilité du texte, d’une copie à l’autre. Sauf pour des textes très fortement marqués de sacralité, où la lettre doit être respectée, tous les textes sont ouverts à des interprétations, des additions, des mutations. À la première époque de l’imprimerie, c’est-à-dire entre le milieu du XVe siècle et le début du XIXe siècle, pour des raisons multiples, les tirages sont toujours très restreints, entre 1 000 et 1 500 exemplaires. À partir de ce moment-là, le succès d’une oeuvre est assuré par la multiplicité des rééditions. Et chaque réédition est une réinterprétation du texte, soit dans sa lettre, modifiable, soit même dans ses dispositifs matériels de présentation qui sont une autre forme de variation. À supposer même qu’un texte ne change pas d’une virgule, la modification de ses formes de publication – caractères typographiques, présence ou non de l’image, divisions du texte, etc. – crée une mobilité dans les possibilités de l’appropriation. On a donc de puissantes raisons pour affirmer cette mobilité des textes. Il y en a d’autres, qui sont intellectuelles ou esthétiques : jusqu’au romantisme, les histoires appartiennent à tout le monde et les textes s’écrivent à partir de formules déjà là. Cette malléabilité des histoires, cette pluralité des ressources disponibles pour l’écriture, crée une autre forme de mouvement, impossible à enfermer dans la lettre d’un texte qui serait stable à tout jamais. Et l’on pourrait même ajouter que le copyright ne fait que renforcer cette donnée. C’est bien sûr paradoxal, puisque le copyright reconnaît que l’oeuvre est toujours identique à elle-même. Mais qu’est-ce que le copyright protège ? Au XVIIIe et au XIXe siècle, il protège toutes les formes possibles de publication imprimée du texte et, aujourd’hui, toutes les formes possibles de publication du texte, que ce soit une adaptation cinématographique, un programme de télévision ou de multiples éditions. On a donc un principe d’unité juridique qui couvre justement la pluralité indéfinie des états successifs ou simultanés de l’oeuvre. Je pense qu’il faut resituer la mobilité du contemporain, avec le texte électronique, ce texte palimpseste et polyphonique, dans une conception de longue durée sur des mobilités textuelles qui lui sont antérieures. Ce qui reste de la question, c’est le fait qu’il y a des tentatives constantes pour réduire cette mobilité dans le monde électronique. C’est la condition de possibilité pour que des produits soient vendables – un «opus mechanicum », comme aurait dit Kant – et c’est la condition de possibilité pour que des noms propres soient reconnaissables à la fois comme créateurs et comme bénéficiaires de la création. De là la contradiction très profonde qu’avait développée Robert Darnton entre cette mobilité infinie de la communication électronique et cet effort pour enserrer le texte électronique dans des catégories mentales ou intellectuelles, mais aussi dans des formes matérielles qui le fixent, qui le définissent, qui le transforment en une parcelle que le lecteur va peut-être braconner – mais une parcelle qui serait suffisamment stable dans ses frontières, ses limites et ses contenus. Ici se situe le grand défi, qui est de savoir si le texte électronique doit être soumis à des concepts hérités et donc du coup doit être transformé dans sa matérialité même, avec une fixité et des sécurités, ou si inversement les potentialités de cet anonymat, de cette multiplicité, de cette mobilité sans fin vont dominer les usages d’écriture et de lecture. Je crois que là se situent la discussion, les incertitudes, les vacillations contemporaines.

Ivan Jablonka. Pour terminer, cet ensemble de questions sur les mutations de l’objet livre, je voudrais aussi vous interroger sur les mutations du lieu qui enferme historiquement cet objet : la bibliothèque. Dans son programme « google.books » , Google a numérisé les livres de vingt-huit bibliothèques, parmi lesquelles celles de Harvard, Stanford et Oxford. Ce programme a des adeptes (critiques) comme Darnton et des adversaires comme Jean-Noël Jeanneney. Croyez-vous que Google va faire émerger une bibliothèque mondiale et ouverte à tous ?

Roger Chartier. Là encore, on retrouverait derrière ce projet des mythes ou des figures anciennes, en particulier une bibliothèque qui comprendrait tous les livres. C’était le projet des Ptolémées à Alexandrie. Google serait inscrit dans cette perspective de la bibliothèque qui contiendrait tous les livres déjà là ainsi que les livres que l’on pourra écrire. Techniquement et idéalement, il n’y a aucune raison de penser que tous les livres existants sous une forme ou sous une autre ne pourraient pas être numérisés et donc intégrés dans une bibliothèque universelle. Mais une des premières limites est que le projet de Google est pris en charge par une entreprise capitaliste. Il y a des logiques économiques qui le gouvernent, même si elles ne sont pas immédiatement visibles, et qui peuvent gouverner aussi les annonceurs ou les supports de cette énorme firme. D’autre part, c’est un projet qui, même s’il se prétend universel, fait la part belle à la langue anglaise. Comme le disait une ex-gouverneur du Texas, si l’anglais a été suffisant pour Jésus, il doit être suffisant pour les enfants du Texas. Elle n’avait sans doute lu la Bible que dans la traduction du roi Jacques et non pas les versions antérieures. Le projet ne se présente pas de cette façon, mais néanmoins, étant donné que les cinq premières bibliothèques choisies étaient anglo-saxonnes, la dominante des fonds était nécessairement en langue anglaise. Quelles sont alors les réponses possibles ? On a proposé que les bibliothèques nationales et européennes puissent s’organiser de façon à avoir un projet alternatif. Il était alternatif en termes de variété linguistique et aussi parce qu’il était plutôt fondé sur la puissance publique, et pas sur l’entreprise privée. Mais on peut supposer que, par ces morceaux de bibliothèques universelles, on pourrait arriver à une bibliothèque universelle, même si elle n’est pas unifiée par un Ptolémée contemporain ; et il n’y a pas de raison de penser qu’elle ne pourrait pas être accessible sous une forme électronique. La question posée, à partir de là, est non seulement celle des langues et de la responsabilité, mais aussi la question de savoir si cette bibliothèque universelle, qui potentiellement ne nécessite plus aucun lieu dans la mesure où chacun avec son ordinateur, où qu’il soit, peut appeler tel ou tel titre, signe la mort des bibliothèques telles que nous les connaissions – un lieu où les livres sont conservés, classés et consultables. Je crois que la réponse est non. Le processus de numérisation plaide même encore plus fortement pour le maintien de la définition traditionnelle, parce qu’on en revient à un point toujours fondamental, celui selon lequel, comme disait Don MacKenzie, les formes affectent le sens. Le grand danger du processus de numérisation est de laisser penser qu’un texte est le même quelle que soit la forme de son support. Aussi fondamental que soit l’accès à des textes sous une forme numérique, ce qui se trouve néanmoins renforcé par cette numérisation, c’est le rôle de conservation patrimoniale des formes successives que les textes ont eues pour leurs lecteurs successifs. La tâche de conservation, de catalogage et de consultation des textes dans les formes qui ont été celles de leur circulation devient une exigence absolument fondamentale, qui renforce la dimension patrimoniale et conservatoire des bibliothèques. Les démonstrations peuvent être multiples. Au XIXe siècle, le roman existe dans de multiples formes matérielles, sous la forme de feuilletons hebdomadaires ou quotidiens dans les journaux, sous la forme de publications par livraisons, sous la forme de livres pour les cabinets de lecture, sous la forme d’anthologies d’un seul auteur ou d’oeuvres diverses, sous la forme d’oeuvres complètes, etc. Chaque forme de publication induit des possibilités d’appropriation, des types d’horizon d’attente, des relations temporelles avec le texte. La nécessité de renforcer ce rôle de conservation des patrimoines écrits est non seulement bonne pour les érudits qui voudraient reconstruire l’histoire des textes, mais aussi pour la relation que les sociétés contemporaines entretiennent avec leur propre passé, c’est-à-dire avec les formes successives que la culture écrite a prises dans le passé. La plus grande discussion autour des projets comme ceux de Google, imités ensuite par des consortiums de bibliothèques, se tient là. Lorsqu’ils ont appris l’existence du projet de Google, certains conservateurs de bibliothèques en ont conclu qu’ils allaient pouvoir vider les magasins et réaffecter les salles de lecture. On le voit aussi avec la controverse qui fait rage aux États-Unis sur les destructions de journaux du XIXe et du XXe siècle, dès lors qu’ils ont été reproduits sur un substitut, en l’occurrence le microfilm ; mais le risque serait encore plus fort avec la numérisation. Les bibliothèques ont vendu leurs collections, ou bien elles ont été détruites au cours du processus de microfilmage. Un romancier américain, Nicholson Baker, a écrit un livre pour dénoncer cette politique qui a été celle de la Library of Congress et celle de la British Library, et d’ailleurs pour tenter lui-même de sauver ce patrimoine écrit, puisqu’il a constitué une sorte d’archive des collections de journaux quotidiens américains des années 1850 jusqu’à 1950.

Ivan Jablonka

 

 

* L’entière conversation, recueillie par le journaliste Ivan Jablonka, peut être lue sur le site numérique http://www.viedesidees.fr

 

 

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Le Salon du livre de Paris 2010 fête ses 30 ans. La 30e édition sera un événement totalement inédit pour marquer cet anniversaire ! Une actualité exceptionnelle qui se déroulera du 26 au 31 mars, à Porte de Versailles, pour symboliser les 30 ans du Salon et ses 90 auteurs invités. Parmi eux, 30 auteurs français et 30 auteurs étrangers, ainsi que 30 auteurs portés par la politique publique du Centre national du livre au profit de la création littéraire. Plus de 500 conférences, des débats, des rencontres, de grandes lectures et 25 pays présents.

Les auteurs français et étrangers ont été sélectionnés par un jury composé de partenaires officiels du Salon : France Télévisions, Radio France, Télérama, le Centre national du livre, le ministère des Affaires étrangères et européennes, ainsi que son opérateur Culturesfrance, le Syndicat national de l’édition. Premier Salon culturel grand public en Europe, il rassemble toute la production éditoriale française et internationale.

Le salon de Paris, il a toujours été à la pointe de l’innovation : pionnier des lectures à haute voix, initiateur de cafés littéraires, fédérateur des acteurs du livre, révélateur d’auteurs, vitrine technologique (l’e-book présenté par exemple en première mondiale en 2000), véritable endroit social où se côtoient toutes les idées, toutes les folies en assurant aux maisons d’édition de petite taille une robuste visibilité et la diversité culturelle. Un Salon dédié au livre sous toutes ses formes.

Antonio Torrenzano

 

 

* Le lecteur peut retrouver toutes les informations pratiques et les biographies des auteurs sur le site du salon au suivant adresse électronique : htpp://www.salondulivreparis.com