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Derrick De Kerckhove dirige le programme McLuhan en culture et en technologie et il est professeur au département d’Études françaises de l’Université de Toronto. Parallèlement à ses études, il a collaboré avec le Centre pour la culture et la technologie (1972-1980) où il fût un collaborateur de Marshall McLuhan. Il organise des ateliers sur la connectivité de l’intelligence dans lesquels il propose une nouvelle façon de réfléchir en utilisant les technologies de l’information. La conversation avec le professeur Derrick De Kerckhove a eu lieu à Reggio Emilia et Milan.

Antonio Torrenzano. Depuis quelques années, le Web s’est accompagné d’une multiplication et d’une diversification de l’offre de contenus, en même temps que d’une généralisation de l’accès aux ressources. Malgré des tentatives pour approfondir des modèles cognitifs capables d’expliquer l’ensemble des comportements sur le Web, ces recherches posent encore un problème de généralisation des résultats. Une description tout à la fois planétaire et circonscrite à un lieu des usages de la toile reste donc encore à construire. Je crois qu’il faudra encore mieux analyser cette évolution dans les conditions de « danger-opportunité », pour bien comprendre les effets de la nouvelle ère du virtuel.

Derrick De Kerckhove. Aujourd’hui, la technologie nous offre la possibilité de repenser le monde et le processus en cours de manière critique et favorable. Le web 2.0, et… bientôt le Web 3.0, comme architecture sociale nous offre la possibilité d’affronter cette évolution historique de manière constructive. Le problème est que le concept sur lequel il repose le Web 2.0 est nouveau et, en tout cas, assez décalé par rapport aux tendances de la vision l’éducation contemporaine. Néanmoins le Web 2.0 c’est une réalité tangible que les gens vivent à travers de multiples expériences. L’information est elle-même une multiplicité d’informations. On comprend bien ce qu’est une opinion, et une opinion publique est issue du collectif, on sent bien que ça a une réalité et qu’au-delà de ce que pense chaque personne, il y a quelque chose qui accompagne le collectif de toutes ces personnes qui pensent ensemble. Les grandes évolutions sociales sont toujours arrivées par implosion ou par explosion : aujourd’hui, nous vivons une implosion électronique. Je vois dans l’invention du web une rupture historique avec notre passé et une accélération sociale pour ce qui concerne la connaissance. Je crois enfin que l’Internet porte bien son nom, c’est-à-dire qu’il est un système d’interconnexion de réseaux dominé par des processus de communication.

Antonio Torrenzano. Carnets virtuels, forums de discussion, réseaux sociaux… L’homme numérique écrit, se mobilise, partage ses enthousiasmes, ses combats. Depuis dix ans, le Réseau net n’en finit plus d’élargir l’espace public. La diffusion dans nos sociétés de la convergence numérique a connu dans la première décennie du XXI siècle une vitesse sans précédent. Comment, à votre avis, ce partage de connaissances changera-t-il nos habitudes?

Derrick De Kerckhove. À partir de la fin du XXe et le début du XXIe siècle, les carnets numériques autant que les réseaux sociaux sont devenus l’agora électronique dans laquelle tout le monde se rencontre en restant chez lui. Nous sommes passés d’un monde dominé par le savoir à un monde dominé par la connaissance. Je pense que c’est une mutation importante. C’est une mutation du monde très importante et il me semble que le web en est la résultante comme il en est l’accélérateur. La génération numérique est une génération sans peur sociale, politique, professionnelle. Il me semble qu’il y a, là, une rupture importante ; une rupture à la fois technique, économique et sociale, car dès le départ cette technologie a été extrêmement peu chère. Avec le web, nous assistons à quelque chose de tout à fait nouveau et dans ce moment économique nous avons un besoin nécessaire de ces individus pour dépasser la tendance à la stagnation des générations passées. Je parle de la génération numérique qui a la même période de la vie qu’internet, née avec le Réseau net comme aujourd’hui nous le connaissons. Cette génération appartient à la phase historique contemporaine : celle des réseaux sociaux, de Facebook, de Myspace, du réseau Ning, des blogs. Cette génération a un sens inné du web 2.0 et elle n’a pas de problème avec la technologie. C’est une génération qui a inventé une autre façon de voir les choses.

Antonio Torrenzano. Dans vos derniers séminaires, vous avez affirmé que le passage du Web 2.0 au Web 3.0, il est sur le point de se produire. Quel sera-t-il l’avenir du réseau? Le partage des connaissances sur le web est-il encore limité ?

Derrick De Kerckhove. Je ne pense pas que le partage des connaissances est limité. L’avenir du Web est de comprendre ce qu’il est étroitement indispensable pour celui qui l’utilise. Le web reste la machine sur laquelle partager la connaissance. Le concept même de pages web est un concept de partage. Je fais ma page web et je la dépose pour la partager. Les efforts dans ce moment se concentrent sur la recherche d’une majeure simplicité d’utilisation du Web et la rapidité par laquelle l’usager peut trouver ce qu’il cherche. Nombreux sites web sont encore trop difficiles à utiliser : pleins de renseignements insignifiants, avec des fonctionnalités pas toujours claires et trop de publicité. Le web est désormais délinéé directement par l’utilisateur. Beaucoup d’individus, par exemple, ont commencé à utiliser Twitter ou Facebook pour la rapidité des messages directs et rapides qui pouvaient s’échanger entre eux en mettant de côté leur courrier électronique parce que le courriel il exigeait un grand numéro de passages physiques pour communiquer.

Antonio Torrenzano

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La révolution numérique n’est pas une simple révolution technique, mais comparable à ce que fut l’apparition de l’alphabet ou à l’invention de l’imprimerie. La radio a employé presque 38 ans pour atteindre un accueil favorable de 50 millions d’auditeurs. À la télévision, ils ont été nécessaires seulement treize ans pour gagner la même ligne d’arrivée. Internet a employé au contraire seulement quatre ans pour rattraper les résultats de la radio et de la télévision, pendant qu’à l’iPod ils sont servis trois mois seuls pour arriver au même objectif.

Cette révolution culturelle, affirme le directeur de la division de l’Information et de l’Informatique UNESCO Philippe Queau, va si loin qu’on peut même parler de l’apparition d’une nouvelle «manière d’être». «Le fait d’être sur le net refaçonne votre conscience» dit-on. Ceci se paye cependant d’une mathématisation accrue de notre regard sur le monde, d’une «abstraction» croissante de la pensée. Mais, les formes contemporaines de production, de circulation et d’usage du document numérique accompagnent aussi l’émergence d’une nouvelle modernité qui doit encore être analysée et mise en perspective. Pourquoi ? Parce que le numérique est une nouvelle lingua franca permettant la transparence totale entre toutes les formes de représentation et internet est l’équivalent d’une imprimerie universelle, personnelle, ubiquitaire, instantanée et à très bon marché. Il y a quinze ans, ce que nous appelions par exemple document, il connaît aujourd’hui de profonds bouleversements. Texte, support ou mémoire sont largement redéfinis et auteur, éditeur, lecteur ou bibliothécaire se trouvent repositionnés dans cette nouvelle ère virtuelle.

Le monde de l’édition (presse écrite, quotidiens, hebdomadaires, revues mensuelles) et plus généralement de la publication est à la veille d’une transformation majeure. La technologie et les habitudes de lecture se sont donné un nouveau rendez-vous. Ce qui va se passer à très court terme est dans la lignée des évolutions que l’on a constatées pour la musique (le mp3, le mp4) et que l’on constate pour la vidéo : disponibilité totale de l’objet multimédia par l’action de la dématérialisation. Le livre ou le quotidien, en particulier, ne sont plus un fin en-soi, mais un composant d’une démarche d’auteur plus large et plus vaste, le condensé d’une communauté d’intérêts. Cette mutation s’appelle convergence. Convergence devrait être la nouvelle voix de la multiplicité et de l’inséparable. Dans le monde des médias, par exemple, le changement fondamental consistera que chaque médium ne déroulera plus de services uniques, mais il sera apte à répandre plus services : radio, e-book, TV, social network. Le réseau définera donc les nouveaux modes de communication et nos habitudes. L’écran de notre ordinateur nous proposera dorénavant d’écouter la radio, de lire le journal, de regarder la télévision ou de revoir pour une énième fois la fête de notre fils.

L’édition, telle que nous la connaissons aujourd’hui, objet papier que l’on achète à l’unité, va probablement devenir un choix au sein d’un abonnement, comme une classique chaîne de télévision au sein d’un bouquet. Son rôle va changer et, comme pour la musique, il va devenir objet de promotion d’un auteur qui gagnera de l’argent autrement, grâce à sa notoriété. Quant à l’édition, elle va passer d’une culture de comptage d’unités produites et vendue à une culture d’audience. Tout cela est très proche. Que pourront-ils dire les linguistes devant un octet et les sémiologues devant un pixel ? La croissance rapide de ce média a suscité dans les premiers temps les spéculations les plus diverses sur des usages encore en construction et même le Net a été l’objet d’espoirs ou de rejets radicaux. Pour autant, rares sont encore les recherches d’étude qui permettent d’en rendre compte de manière exhaustive et objective.

Antonio Torrenzano

 

Bibliographie électronique.

*Roger T. Pédauque, «Le document à la lumière du numérique», Caen, C&F éditions, 2007. Roger T. Pédauque est le nom collectif d’un réseau de scientifiques francophones travaillant dans les divers domaines d’expertise des sciences humaines et sociales ainsi que des sciences et techniques de l’information et de la communication.

*Carlo Sorrentino, « À travers le Réseau. Du journalisme monomédia à la convergence crossmédia», Rome, RAI-ERI éditions, 2008.

* Un excellent exemple de ce que peut être aujourd’hui l’ébauche de cette évolution est proposé par Joël de Rosnay sur son site Internet : http://www.scenarios2020.com

*Sur l’évolution de l’édition, le lecteur peut lire le rapport:Livre 2010,disponible à suivant adresse http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000434/0000.pdf

 

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Conversation avec Manuel Castells, écrivain, sociologue, professeur de sociologie et de planification urbaine et régionale depuis 1979 près de l’université de Berkeley en Californie. Il quitte l’Espagne à 20 ans, pour cause d’activisme antifranquiste, et il étudie en France la sociologie et l’urbanisme. Il développe dans ses travaux, notamment The Urban Question: a Marxist Approach et The City and the Grassroots, une approche structuraliste des formes urbaines et des relations entre l’économie, le social et les structures spatiales. Il s’est particulièrement intéressé au rôle de l’État en tant que régulateur des crises urbaines. Entre 1967 et 1979, il enseigne à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, avant de rejoindre Berkeley. Il s’intéresse alors à la Silicon Valley et la société de l’information. Il en devient un spécialiste reconnu avec sa trilogie consacrée à « L’ère de l’information » qui met particulièrement en évidence les transformations de la société par le développement des réseaux et la convergence numérique. Il est également directeur de recherche à l’Internet Interdisciplinary Institute de Barcelone, université virtuelle mondiale. Auteur de nombreux essais publiés dans plusieurs langues étrangères, dont « L’ère de l’information. Vol. 1. La société en réseaux », Paris, éditions Fayard, 1998 ; « L’ère de l’information. Vol. 2. Le pouvoir de l’identité », Paris, Fayard, 1999; « L’ère de l’information. Vol. 3. Fin de millénaire », Paris, Fayard, 1999; « Dans quel monde vivons-nous ? Le travail, la famille et le lien social à l’ère de l’information », en collaboration avec Martin Carnoy et Paul Chemla, 2001; « La Galaxie Internet », 2002. Le dialogue a eu lieu dans la ville de Milan auprès de l’université Milano Bicocca au mois de mai 2009.

Antonio Torrenzano. La diffusion dans nos sociétés de la convergence numérique a connu donc dans la première décennie du XXI siècle une vitesse sans précédent. Selon le philosophe français Paul Virilio, cette augmentation de la vitesse de la réalité a produit, en même temps, de plus grandes vulnérabilités et instabilités de la société même. Est-ce qu’il est ainsi aussi pour vous ?

Manuel Castells. Le réseau internet est dans une phase de transition. Je considère le réseau net comme l’équivalent de l’électricité dans l’ancienne ère industrielle. La toile est désormais à la base du networking : la forme d’organisation plus importante de notre société. L’essence même de notre présent, de la politique, de la guerre, du travail, des relations sociales, des actions militaires, du mouvement altermondialiste jusqu’au terrorisme international. Le réseau internet, cependant, ne résout pas les problèmes de la société, mais il les exprime et il les amplifie en rendant plus vulnérables les gouvernements, mais pas la société. Je trouve alors que la thèse de Paul Virilio on peut la partager seulement si nous pensons que la vulnérabilité de la société dépend de celle des gouvernements.

Antonio Torrenzano. Comment, selon vous, la Toile peut-elle influer sur la politique des gouvernements et des États ?

Manuel Castells. La particulière situation internationale que nous sommes en train de vivre, elle a aiguisé la pression des gouvernements sur le web. Depuis les origines du réseau net, les gouvernements, de droite et de gauche sans aucune distinction, ils l’ont considéré comme une grande menace. Les gouvernements effrayés par l’incapacité d’une vérification centralisée de la Toile, ils ont développé celle que j’appelle «China syndrome». Je pense, au contraire, qu’il faudra seulement trouver les nouvelles modalités appropriées pour les appliquer au Réseau sans aucun besoin de législations exceptionnelles.

Antonio Torrenzano. Dans votre dernier essai, vous écrivez que dans cette ère numérique les batailles culturelles elles sont en réalité de batailles pour le pouvoir. Qu’est-ce que vous entendez pour batailles pour le pouvoir ?

Manuel Castells. Dans mon dernier essai, j’affirme que les campagnes culturelles produites par le réseau internet, elles sont des combats en termes de valeurs. Je vous fais un exemple : si je donne de la valeur à la protection de l’environnement plus qu’aux consommations matérielles, je produis par mon blog des pressions sur les usines et sur les gouvernements afin qu’ils puissent modifier le modèle de croissance économique dans cette orientation. Si ma valeur est l’argent, alors je me concentrerai sur la production de la richesse, mais aujourd’hui pour produire du nouveau profit sur la Toile j’aurai besoin d’une nouvelle innovation et de nouvelles idées fondées sur les valeurs. Puisque notre société désormais est basée sur la prise de décisions fondées sur l’information, le changement des catégories culturelles sur lequel ces informations sont développées change les décisions et il modifie les relations entre le pouvoir et la société.

Antonio Torrenzano

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Conversation avec Zygmunt Bauman, sociologue, écrivain. Il a enseigné aux universités de Tel-Aviv et de Leeds. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues étrangères, il a publié en France : «Le Coût humain de la mondialisation», éditions Hachette, 1999; «Modernité et Holocauste» éd. La Fabrique, 2002; «La Vie en miettes, Expérience postmoderne et moralité» éditions du Rouergue/Chambon, 2003; «L’Amour liquide, de la fragilité des liens entre les hommes» éditions du Rouergue/Chambon, 2004; « La Société assiégée», éditions Hachette, 2005. Le dialogue a eu lieu à Rome, Milan et Reggio Émilia pendant des séminaires universitaires dans l’automne 2009.

Antonio Torrenzano. Vingt ans ans après de la chute du mur de Berlin, comme analysez-vous les profondes transformations de l’occident ? Y a-t-il quelque chose de nouveau dans notre conscience du temps aujourd’hui ?

Zygmunt Bauman. Nous vivons dans une époque de crise. Le vieux système est en train de mourir, mais la nouvelle société n’est pas encore née. Nous sommes dans une époque de transition comme déjà Antonio Gramsci affirmait dans ses « Cahiers ». Les forces dominantes d’aujourd’hui, en particulier le capitalisme financier, elles gèrent par l’argent le monde dans leur intérêt. La récente visite, par exemple, du président américain Barack Obama près de la Republique populaire de la Chine, m’est semblé plus un entretien d’un client chez son directeur de banque qu’une visite diplomatique. Nous vivons désormais dans une société fondée sur la production de marchandises. La situation devient alors chaotique, imprévisible pour les forces qui la dominaient jusqu’à aujourd’hui. Dans une époque de transition, il soutient encore Antonio Gramsci, ils se révèlent alors tous les symptômes, les incertitudes, les instabilités qui tourmentent la société. Nous vivons un grand capotage de l’Histoire occidentale. Le capitalisme a réussi à extraire le capital d’un cadre qui le contraignait trop, celui de l’État-nation avec ses législations et ses tutelles légales et aujourd’hui il règne dans un espace extraterritorial où il n’y a aucune surveillance.

Antonio Torrenzano. L’historien Fernand Braudel distinguait le temps de la longue durée, qui voit se succéder dans l’histoire humaine des systèmes régissant les rapports de l’homme à son environnement matériel, et à l’intérieur de ces phases, le temps des cycles conjoncturels qui ont été décrits par des économistes comme Nicolas Kondratieff ou Joseph Schumpeter. Nous sommes aujourd’hui de façon intelligible dans une phase B d’un cycle de Kondratieff qui a commencé il y a trente à trente-cinq ans, après une phase A qui a été la plus longue de 1945 à 1975 des cinq cents ans d’histoire du système capitaliste. Dans une phase A, le profit est généré par la production matérielle et industrielle ; dans une phase B, le capitalisme doit, pour continuer à générer du profit, se financiariser et se réfugier dans la spéculation. Quelle est-elle votre analyse ?

Zygmunt Bauman. Souvenez-vous du passé et vous perdrez un oeil. Oubliez le passé et vous perdrez les deux yeux : c’est ce qu’affirme un vieux proverbe russe, qui entend souligner la perte d’identité qui frappe celui qui s’exile du passé et s’abandonne à l’amnésie de l’histoire. Je crois que nous sommes à présent dans la dernière partie d’une phase B de Kondratieff, lorsque le déclin virtuel devient réel, et que les bulles explosent les unes après les autres. Les faillites se multiplient, le chômage progresse. Les crises et l’instabilité permanente démontrent la situation contemporaine. Tous les problèmes d’aujourd’hui sont mondiaux alors que la politique reste coincée dans le local. Les liens entre pouvoir et politique, si forts dans le passé, sont desserrés. Tel est notre problème ! Les leaders de la communauté internationale se trouvent dans un labyrinthe : incapables de produire un nouveau système des normes et de concevoir une nouvelle manière de vivre ensemble. C’est pour ça que les lieux ne protègent plus et notre environnement social, que nous espérions rendre homogène, demeure vraisemblablement dans une mosaïque de diasporas.

Antonio Torrenzano. Rarement, au cours de l’histoire de l’humanité, il est apparu aussi urgent qu’aujourd’hui d’interroger notre passé afin qu’il nous dise encore une fois qui nous sommes et où nous allons. Pourquoi dans un système mondial, la communauté internationale n’a-t-elle pas encore développé une gouvernance globale ?

Zygmunt Bauman. L’État nation n’est plus le moteur du progrès social et je pense que l’on ne reviendra plus en arrière. Aujourd’hui, l’État-nation se trouve dans la même situation historique que les petites communautés de l’Ancien Régime. On ne peut pas s’en sortir politiquement en cherchant à restaurer ces ordres anciens, mais en reconstruisant l’alliance entre pouvoir et politique sur des préoccupations mondiales. Le capitalisme est omnivore, il capte le profit là où il est le plus important ; il ne se contente pas de petits profits marginaux. Au contraire, il les maximise en constituant des monopoles. Mais je pense que les possibilités d’accumulation réelle du système ont atteint leurs limites. Le tourbillon de la mondialisation et la fascination qu’exercent les nouvelles technologies semblent inviter tout le monde à rejeter, sans discrimination, les clés du passé. La menace concerne surtout les jeunes tentés de débrancher les fils du passé, une fois pour toutes, et de se laisser aller à la dérive d’une actualité despote et omnivore. Comme si les fragiles équilibres de l’intelligence humaine pouvaient tolérer, sans en compromettre la fraîcheur et la créativité, cette amputation brutale de la dimension du temps et de la durée. L’autosuffisance du présent est toujours et de toute façon une tromperie perverse. Je crois qu’elle est devenue aussi illusoire la possibilité de changer les conditions de vie des hommes, de lutter contre l’insécurité, la servitude, l’injustice, la violence, la souffrance, l’humiliation, de s’opposer à toutes les violations de la dignité humaine.

Antonio Torrenzano. Depuis un certain temps, la recherche en sciences sociales exige si l’État est encore capable de mobiliser la confiance nécessaire pour son action. On peut comprendre l’État moderne comme un système général de réduction d’incertitude. Après une première phase pendant laquelle il s’est agi de garantir la survie physique des citoyens, l’État-providence a également pris en charge la question sociale et il doit désormais s’occuper des risques écologiques. Mais, si le politique ne peut plus assumer son rôle, alors les relations citoyens/État deviennent fragiles. Est-ce qu’il faut réinventer les relations politiques ?

Zygmunt Bauman. L’État-nation, une des inventions les plus fécondes de l’âge moderne,il était un contrat qui permettait d’atteindre ce but à travers une souveraineté circonscrite au territoire et des lois qui définissaient des limites. Un nouveau contrat politique devrait répartir par ces points. Sans une nouvelle assurance collective, il n’y aura aucune stimulation. Sans de nouveaux droits sociaux, un large numéro d’individus croira que leurs droits politiques seront inutiles et pas dignes d’attention. D’un côté, nous avons une politique sans pouvoir et, de l’autre, un pouvoir économique émancipé de la vérification institutionnelle. Le pouvoir économique agit dans un espace mondial, tandis que l’action politique est restée reléguée dans un espace relatif à un lieu particulier comme avant. Chateaubriand dans ses « Mémoires d’outre-tombe » il affirmait : Le monde actuel, le monde sans autorité consacrée, est placé devant une double impossibilité : l’impossibilité du passé, l’impossibilité de l’avenir.

Antonio Torrenzano

 

 

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La première décennie du XXI siècle commença dans la nuit de l’an 2000, pendant laquelle à tout le monde il fut expliqué que le réseau internet aurait été avalé dans le « Bug Y2K » qu’il aurait enterré dans un trou noir tous les micro-ordinateurs. Dix ans plus tard, la même humanité survécu au millenium bug, elle aurait vécu une nouvelle saison d’incertitude et de panique par une autre formule : la H1/N1, plus simplement connue comme grippe porcine. Les années 2000, donc, elles commencèrent par la peur du bogue informatique qui devait causer des pannes gigantesques et elles terminèrent avec la crainte d’une pandémie de grippe.

Entre les deux événements, il y a eu la tragédie des attentats terroristes du 11 septembre, les lettres contenant l’anthrax, deux krachs boursiers, la guerre en Irak, la destruction de la Nouvelle-Orléans, le tsunami en Asie, la catastrophe et effondrement de l’économie mondiale, l’évolution de changements climatiques de manière irréversibles. La première décennie du XXI siècle a été une décennie d’incertitudes, de tragédies vraies et imprévues, de fausses tragédies annoncées et jamais arrivées, de saturation économique de tout l’espace disponible en sens général et en sens le plus abstrait possible. Rarement, au cours de l’histoire de l’humanité, il est apparu aussi urgent qu’aujourd’hui d’interroger notre passé afin qu’il nous dise encore une fois qui nous sommes et où nous allons. Par exemple, comment devrons-nous analyser la saturation de l’espace vierge, la saturation de la planète par nos déchets, la saturation des nos désirs ?

Si ! La saturation des nos désirs par la publicité ou le storytelling, cette forme moderne, insidieuse et inédite de contrôle des esprits pour l’amour du bien-être. Encore, une montée d’oxymores et un rapprochement des mots qui associent nombreuses réalités contradictoires. La montée des oxymores comme développement durable, flexisécurité ou encore par exemple 4×4 urbain – il affirme le philosophe Bertrand Méheust dans son dernier essai « La politique de l’oxymore » – constitue un des faits marquants et révélateurs de la société contemporaine, particulièrement occidentale dans cette première décennie. « Selon l’utilisation que l’on en fait, il soutient encore Bertrand Méheust, l’oxymore peut être une force d’équilibration ou de formatage. Aujourd’hui, son emploi de masse par la propagande commerciale ou politique tend à révéler le plus souvent la seconde catégorie. Toutes les sociétés sont traversées par de conflits, par de grands contrastes, qui cherchent leur équilibre, leur synthèse ou leur hybridation dans des figures imaginaires et, de ce fait, l’oxymore, en tant qu’il est le lieu d’expression et/ou de résolution de ces tensions, est au coeur des mécanismes de régulation de la culture. Quand elle produit des oxymores, la société libérale semble donc à première vue poursuivre un processus universel ». Au contraire, dans ce temps présent les oxymores sont utilisés « par la propagande publicitaire et la communication pour légitimer le mensonge raisonné et comme moteur de la vie sociale ».

Dans quelle manière ? « Ses théoriciens – il affirme encore Bertrand Méheust – ont lié l’avenir à une croissance infinie dans un monde fini. À l’instantanéité de la Bourse. Ils vantent le risque et l’initiative individuelle, mais prônent par ailleurs le risque zéro. S’ils revenaient aujourd’hui, Alexis de Tocqueville ou Michel Foucault découvriraient que leurs analyses sont en train de se réaliser. Ils verraient se déchainer le règne de la quantité et le nihilisme occidental. Mais ils seraient effrayés peut-être d’avoir eu à ce point raison. »

Antonio Torrenzano

 

 

** Bibliographie électronique.

Bertrand MÉHEUST , « La politique de l’oxymore. Comment ceux qui nous gouvernent nous masquent la realité du monde » , Paris, éditions La Découverte, 2009.

Philippe PIGNARRE, Isabelle STENGERS, « La sorcellerie capitaliste. Pratiques de désenvoutement », Paris, éditions La Découverte, 2007.

Hans JONAS, « Le principe responsabilité. Une éthique pour la civilisation technologique», Paris, édition Flammarion, 1999.

 

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Conversation avec Alain Touraine, sociologue, écrivain,directeur d’études à l’École des Hautes Études en sciences sociales de Paris. Alain Touraine est docteur honoris causa des Universités de Cochabamba (1984), Genève (1988), Montréal (1990), Louvain-la-Neuve (1992), La Paz (1995), Bologne (1995), Mexico (1996), Santiago (1996), Québec (1997), Córdoba (Argentine, 2000). Auteur des nombreux essais traduits dans plusieurs langues diplomatiques, il vient de publier «Penser autrement» (éditions Fayard, 2007) et «Si la gauche veut des idées» avec Ségolène Royal aux éditions Grasset. Le dialogue a eu lieu dans la ville de Turin pendant le festival «Biennale Democrazia», au mois d’avril 2009.

Antonio Torrenzano.Je voudrais revenir avec vous sur la période qui s’est ouverte au milieu des années soixante-dix jusqu’à la chute du mur de Berlin. Quelle est votre analyse ?

Alain Touraine. Cette période avait commencé avec la crise du pétrole, autrement dit après un déplacement massif de ressources venues du Japon et de l’Europe occidentale en direction des pays pétroliers, qui placèrent leurs réserves dans des banques de New York afin de générer des intérêts, ce qui témoignait déjà d’une forme de globalisation de l’économie. Depuis un tiers de siècle au moins, malgré l’agressivité du camp soviétique au début de la période, le monde occidental a pris une avance considérable dans presque tous les secteurs de la vie industrielle et économique, où les États-Unis ont acquis une position de plus en plus dominante. Une vision économique de l’histoire s’est alors imposée, conférant de plus en plus d’importance aux facteurs économiques et technologiques du changement social. La mondialisation des marchés, la croissance des entreprises transnationales, la formation de réseaux (networks) dont Manuel Castells a bien souligné l’importance capitale, et la nouvelle efficacité d’un système financier capable de transmettre les informations en temps réel, la diffusion par les mass media, par la publicité et par les entreprises elles-mêmes de biens culturels de masse le plus souvent américains, tous ces faits, maintenant bien connus de tous, ont créé cette globalisation caractérisée à la fois, aux yeux de nombre d’analystes, par un élargissement rapide de la participation aux échanges internationaux et par l’emprise d’un grand capitalisme dont les centres de décision sont le plus souvent américains. Pourtant, dès le début, la société civile souligna l’impossibilité d’une généralisation de ce modèle, et rapidement des protestataires se manifestèrent dans toutes les parties du monde,tandis que se multipliaient les soulèvements contre les États-Unis. Plus récemment, les graves conséquences de la crise financière et de la crise économique, elles ont accentué la défiance à l’égard des grandes entreprises qui sont apparues moins comme l’avant-garde de la modernisation que comme les agents d’une spéculation effrénée, ou comme des sources d’enrichissement direct pour leurs dirigeants.

Antonio Torrenzano. L’élément de la mondialisation de l’économie, en termes historiques, afin de pouvoir comprendre les effets de la désagrégation dès nos sociétés contemporaines.

Alain Touraine. Si le thème de la globalisation a acquis une importance politique centrale, c’est pour une raison qui n’est pas économique, mais idéologique : ceux qui ont chanté le plus fort la gloire de la globalisation ont en effet voulu imposer l’idée qu’aucun mode de régulation sociale ou politique d’une économie mondialisée n’était plus ni possible ni souhaitable, puisque l’économie se situait à un niveau mondial et qu’il n’existait pas d’autorité capable d’imposer des limitations à l’activité économique à ce niveau-là. L’idée même de globalisation portait en effet en elle la volonté de construire un capitalisme ultime, libéré de toute influence extérieure, exerçant son pouvoir sur l’ensemble de la société. C’est cette idéologie d’un capitalisme sans limites qui a suscité tant d’enthousiasme et tant de contestation. Malgré ces résistances, le nouveau «mode de modernisation», fondé sur la libre entreprise et le rôle central du marché dans l’allocation des ressources, s’est vite installé partout. Ces rapides indications nous permettent de dégager les principales implications culturelles et sociales de la mondialisation.

Antonio Torrenzano. Quelles sont-elles, alors selon vous, les principales implications culturelles et sociales ?

Alain Touraine. La plus manifeste est la formation d’une société de masse dans laquelle les mêmes produits matériels et culturels circulent dans des pays de niveaux de vie et de traditions culturelles très variés. Le premier d’entre eux est l’influence culturelle exercée par les grandes entreprises de consommation et de loisirs : Hollywood est bien l’usine à rêves du monde entier. Mais on constatera aussi qu’elle ne fait pas disparaître pour autant les productions circonscrites à un lieu. Car on assiste, d’un autre côté, à la diversification de la consommation dans les pays les plus riches. À New York, Londres ou Paris, il y a plus de restaurants étrangers qu’autrefois, et l’on peut y voir davantage de films en provenance d’autres pays du monde. Enfin, on assiste aussi à une résurgence de formes de vie sociale et culturelle traditionnelles ou nourries par la volonté de sauver une culture régionale ou nationale menacée. Mais partout, comme un effet de ces tendances opposées s’accélère le déclin des formes de vie sociale et politique traditionnelles et de la gestion nationale de l’industrialisation.

Antonio Torrenzano. Pouvons-nous analyser cette phase comme une situation de transition pendant laquelle les nombreux acteurs (institutions internationales, États occidentaux) feront tout ce qu’il est possible pour retrouver l’équilibre ?

Alain Touraine. Le plus urgent, aujourd’hui, c’est de redonner à la société de nouveaux moyens de se reconnaître et de se représenter. Une société divisée en castes n’est plus une démocratie. De quelle démocratie pourrions-nous discuter sans une égalité des ressources ou une égalité de possibilités ?

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec Saskia Sassen, sociologue, écrivaine, professeur de sociologie à l’université Columbia, membre du Comité pour la pensée globale. Saskia Sassen a été notamment codirectrice du département économie du Global Chicago Project. Auteur de nombreux essais, traduits dans différentes langues étrangères, dont «La globalisation. Une sociologie», aux éditions Gallimard, Paris, 2009. Le dialogue avec Saskia Sassen a eu lieu dans la ville de Bologne et Rome.

Antonio Torrenzano. La communauté internationale se confronte aujourd’hui à une triple crise: crise du système capitaliste, crise de la mondialisation libérale, crise du capitalisme financier. Le collapsus de l’économie de marché du mois de septembre 2008 est-il comparable à celui de l’économie planifiée dont il marqua la fin du système soviétique ? Pouvons-nous conclure que le monde est revenu au point de départ de 1989 ?

Saskia Sassen. Dans mon dernier essai sur la mondialisation, je souligne que les événements d’il y a vingt ans, ils ont aussi marqué le début de l’ère du libéralisme et l’appauvrissement massif d’entiers Pays. La fin de la guerre froide, elle a lancé une des phases économiques les plus brutales de l’ère moderne. Les États-Unis, une fois archivée la justice distributive de la période keynésienne, ils sont devenus l’espace et la ligne de frontière pour une nouvelle et radicale réorganisation du capitalisme jusqu’au 2008. Le 1989, il a ouvert les portes au projet américain de transformer l’entier globe dans un marché dominé par les grandes multinationales. Dans cette phase historique, les grandes multinationales, mais aussi la finance américaine, elles ont développé de modalités inédites de produire profit – par exemple – les subprimes. Ces mécanismes financiers, impensables dans la précédente période au 1989, ils sont devenus une partie intégrante du capitalisme avancé jusqu’à la crise financière de ces derniers mois.

Antonio Torrenzano. Capitalisme financier sauvage que l’historien Éric Hobsbawn considérait, dès le début des années 1990, comme la principale menace qui pesait sur le monde de l’après 1989.

Saskia Sassen. Dans mon dernier essai, j’ai retrouvé au moins trois mécanismes qui ont activé de nouvelles formes d’accumulation primitive dans la phase suivante au 1989. Le plus visible, il a été la réalisation des programmes d’ajustement structural dans le sud du monde par le Fond monétaire international et par l’Organisation mondiale du Commerce. Le deuxième mécanisme a été la croissance du travail informel et la réduction à de plus justes proportions du secteur manufacturier dans le nord de la planète. Il y a eu, enfin, l’élaboration de nouveaux types de crédit hypothécaires pour l’acquisition d’habitations orientées à individus avec de bas revenus économiques et vendus sur le marché financier. La finance au haut risque a amorcé un ensemble de macros crises qu’ils ont mis en difficulté l’entier système économique mondial dans ces derniers vingt ans.

Antonio Torrenzano. Les crises alimentaires et les élevées migrations d’individus du sud du monde, elles sont devenues graves et fréquentes. Dans vos essais, vous affirmez que l’ère de la mondialisation coïncide avec une très forte augmentation de flux migratoires. Est-ce que la pauvreté peut être un facteur d’instabilité internationale ? Quel a-t-il été l’effet de la chute du mur sur les mouvements des individus à travers les frontières ?

Saskia Sassen. L’effondrement du mur de Berlin a rendu lisibles deux trends importants: l’affaiblissement de la surveillance sur les marchandises et sur les capitaux et le défi à la liberté de mouvement des gens. Puis, dans la dernière décennie, le contrôle sur les migrants a été renforcé. Je me demande si l’ouverture des frontières pour de flux d’argent et de marchandises peut coexister avec des vérifications toujours de plus en plus étroites pour les individus. Pour ce qui concerne, le cas des États-Unis: la militarisation des frontières a – par exemple – favorisé un plus grand numéro d’immigrés clandestins. Les politiques de l’Union européenne, en revanche, ont été contradictoires : rigoureuses dans la défense des droits humains, fragiles dans la gestion des flux annuels de migrants qui peuvent résider et travailler dans le Continent européen. J’ai écrit beaucoup à ce sujet : je pense encore que les murs sont insoutenables et qu’ils sont le symptôme d’une crise que le pouvoir ne sait plus comment gérer.

Antonio Torrenzano

 

 

* Un spécial remerciement au photoreporter Gianni Ansaldi pour l’image.

 

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Conversation avec Kofi Atta Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies de 1997 à 2006, lauréat du Prix Nobel de la paix le 10 décembre 2001. Kofi Annan a été nommé le 14 juin 2007 à la tête de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA), un organisme créé en 2006, financé par la fondation Bill et Melinda Gates et la Fondation Rockefeller avec le but d’aider les paysans africains à améliorer leur rendement. Dans la même année, le 4 octobre 2007, Kofi Annan est devenu le nouveau Président de la Fondation de soutien mondial contre la torture, la plus importante coalition internationale d’ONG actives dans la protection des droits de l’homme dans le monde. Il préside également, depuis sa création en 2007, l’African Progress Panel, rassemblement de personnalités internationales engagées dans la défense du continent africain. Auteurs de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues diplomatiques, dont «Nous les peuples : le rôle des Nations unies au XXIe siècle», «Appel à l’action», «Rénover les Nations Unies». Avec le journaliste James Traub du New York Times, il a écrit « The Best Intentions: Kofi Annan and the UN in the Era of American World Power», Farrar, Straus and Giroux, 2006. Le dialogue avec l’ancien secrétaire général des Nations Unies a été développé dans plusieurs reprises dans les villes de Pordenone au mois d’avril 2008 pendant le festival international littéraire, à Rome près de l’Agence technique FAO-ONU pendant le sommet alimentaire, à Genève au mois de janvier 2009.

Antonio Torrenzano. La crise économique a été due par des politiques économiques libérales qui ont cru dans un marché sans règles, capable d’autorégulation. Il me semble à présent qu’une seule raison d’optimisme, il soit impossible. La réflexion que je vous pose alors est la suivante: la communauté internationale a-t-elle gouverné à suffisance la mondialisation ?

Kofi Annan. Nous ne savons pas encore combien la crise sera durable et profonde et pour combien de temps la communauté internationale subira la récession économique. Mais, des difficultés économiques et sociales pour tous les États, au sens macroéconomique et microéconomique, elles seront toutefois de longues durées. Je crois que les racines de cette crise dépassent la méprisable faillite de gestion financière des subprimes ou des actions financières effectuées par les banques internationales. Cette crise montre de manière nette que l’absence d’une gouvernance mondiale de la globalisation, elle produit un état permanent d’instabilité, pauvreté et conflit. Aucun pays, pas le plus puissant et le plus prospère, il ne peut gérer sans une gouvernance mondiale et une gestion partagée du procès mondial ces effets catastrophiques. Le Sommet du G-8 n’est plus suffisant à répondre à telle situation. En manière particulière, parce qu’il n’exclut et il ne donne pas de voix aux pays les plus pauvres et aux individus plus démunis. Nous avons besoin d’une participation plus ample d’États et de plusieurs voix dans le procès décisionnel international, parce que sans une plus grande participation les solutions perdraient légitimité et efficacité. La justice et l’équité ne peuvent plus être de valeurs éthiques purement abstraites.

Antonio Torrenzano. Vous avez affirmé que la justice et l’équité ne peuvent plus être de valeurs éthiques purement abstraites. Mais, les États du Sommet G-8 sont-ils prêts à servir et non pas à dominer les peuples du monde ?

Kofi Annan. La leçon qu’il faut tirer de la crise financière, éclatée le dernier mois de septembre, c’est l’urgente nécessité de construire de nouvelles relations multilatérales. Sans de nouvelles règles, les graves disparités de richesse et d’opportunités produiront toujours de situations de crise et de conflit. Les solutions pour contrarier cette crise économique doivent produire des effets non seulement pour les Pays développés, mais aussi pour le Continent africain et d’autres régions de la planète encore vivantes dans une situation d’absolue pauvreté. L’Afrique, en particulier, elle se trouve dans une situation de danger. Les aides au développement doivent continuer non seulement à être distribuées, mais ils doivent favoriser la croissance économique en dépassant cette situation de récession. Nous avons besoin de changements et de solutions en ligne avec les défis du XXI siècle : d’une révolution verte, d’une sûreté alimentaire pour tous les habitants de la planète, d’une réglementation efficace du marché.

Antonio Torrenzano. Dans un ancien entretien toujours sur l’urgence d’une révolution verte, vous avez affirmé : « protéger l’environnement coûte cher. Ne rien faire coûtera beaucoup plus cher». La communauté occidentale a-t-elle compris cette urgence?

Kofi Annan. Les économies des pays développés doivent faire face à leurs responsabilités dans la réduction des émissions pour la planète et pour leurs futures générations. Les conséquences pour nos fils sans des économies soutenables seraient désastreuses. Il faut agir très vite pour préserver notre planète. Je me souhaite qu’un accord international puisse être signé à Copenhague à la fin de cette année.

Antonio Torrenzano

 

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Serge Latouche est auteur des nombreux essais, dont «Le pari de la décroissance», Paris, éd. Fayard,2007; «Survivre au développement»,Paris, édition Mille et Une Nuit, 2004;«Décoloniser l’imaginaire»,Paris, édition Paragon, 2003; «La Déraison de la raison économique»,Paris, édition. Albin Michel, 2001. Avec Antonio Torrenzano, «Immaginare il nuovo. Mutamenti sociali, globalizzazione, interdipendenza Nord-Sud», Turin, L’Harmattan Italie, 2000 (essai en langue italienne). En 1995, Serge latouche publie «La mégamachine. Raison techno scientifique, raison économique et mythe du progrès», aux éditions La Découverte, 1995.La 1ère partie de sa contribution video a été publiée mercredi 18 février 2009.

 

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Serge Latouche, économiste et philosophe, professeur émérite à l’Université Paris Sud, spécialiste de l’épistémologie des sciences sociales, défenseur de la décroissance soutenable. Il est l’auteur de nombreux ouvrages traduits en plusieurs langues étrangères. La réflexion video du professeur sur la décroissance est la 1ère partie de sa contribution, dont la 2ème partie sera publiée demain:jeudì 19 février 2009.