ActualitéBlogrollLivresWeblogs

esquivel_arcadio_illustration.1229001873.jpg

Conversation avec Stéphane Hessel, écrivain, diplomate, cosmopolite. Né à Berlin, dans une famille d’origine juive luthérienne polonaise prussienne, immigré à Paris à 7 ans, bachelier en philosophie à 15, deux fois reçu à École Normale Superieure, d’abord comme élève étranger puis comme français naturalisé à 20 ans. Arrêté par la Gestapo en 1944, déporté à Buchenwald et Dora, il survivra, comme dit-il toujours, qu’à de constants concours de circonstances favorables. À la Libération, reçu au concours du Quai d’Orsay, il entame une carrière de diplomate auprès des Nations Unies. Le 1945, le voit au service de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme aux Nations Unies, dans la proximité de René Cassin. Sa carrière de diplomate le mènera en Afrique, à Saigon, à Alger, à Genève, à New York, au Burundi au service de thématiques centrées sur la coopération internationale, l’aide au développement (PNUD-ONU), la promotion culturelle des immigrés, la réconciliation entre les hommes. Auteur de nombreux essais dont «Danse avec le siècle», autobiographie publiée en 1997 aux éditions Seuil; «Dix Pas dans le nouveau siècle», toujours aux éditions Seuil, 2002. Le recueil de poèmes français, allemand et anglais «Ô ma mémoire» que Stéphane Hessel récitait en 1944, publié en 2006; le dernier livre «Citoyen sans frontières» conversations avec J.M.Helvig en 2008 .

Antonio Torrenzano. Vous avez toujours affirmé que la Déclaration universelle des droits de l’homme a créé un monde différent, que ses 30 articles s’appliquent à tous les hommes et toutes les femmes du monde, et que même si le respect intégral des droits de l’homme n’a jamais été atteint, quel que soit l’État, les citoyens, les peuples connaissent ces droits, peuvent s’y référer et demander aux États qu’ils soient appliqués. Le XXIe siècle sera-t-il le siècle de la revendication des peuples pour le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales ?

Stéphane Hessel. Il est nécessaire de donner à tous les peuples du monde la possibilité de jouir de leurs droits . Beaucoup de ces pays ont raté ce passage, mais aussi notre contribution, entreprise avec des moyens insuffisants, a eu des résultats déplorables. Après l’indépendance de ces Pays, notre responsabilité était de les aider à trouver la voie de leur propre organisation dans la construction d’un État de droit. Mais, notre écoute à l’égard de ce que réclamaient vraiment les populations paysannes ou les jeunes du sud de la planète a été très médiocre. Toutefois, la Déclaration universelle des droits de l’homme a créé une façon nouvelle de penser. Les dictateurs, les régimes autoritaires qui existent encore en grand nombre, ils sont de moins en moins acceptés par leurs populations elles-mêmes au nom des valeurs internationales. Leur base est de plus en plus fragile, surtout avec les dernières élaborations juridiques, comme la création de la Cour criminelle internationale. On peut dire aujourd’hui qu’un chef d’État n’est plus à l’abri d’une contestation qui viendrait peut-être de chez lui,mais peut être aussi de l’extérieur. C’est un phénomène très neuf et il ne faut pas sous-estimer ce progrès.

Antonio Torrenzano. Le progrès de revendication.

Stéphane Hessel. Oui, bien sûr, la revendication démocratique, la revendication de la lutte contre l’arbitraire, la revendication pour les droits des individus. Là où ces droits sont bafoués, tous les régimes dictatoriaux trouveront désormais des hommes et des femmes à protester, pour rappeler aux autorités responsables leurs devoirs. La lutte pour les droits humains est encore très longue, mais passionnante. Passionnante, parce qu’il s’agit de soutenir cette lutte à faveur des populations qui n’ont pas encore joui de leurs droits, de surmonter les obstacles et donner un visage pacifique au monde de demain.

Antonio Torrenzano. Avons-nous besoin d’une organisation des Nations Unies encore plus forte et solide ?

Stéphane Hessel. Nous avons terriblement besoin d’une organisation mondiale forte, qui surmonte ses faiblesses. L’ONU n’est pas une entité abstraite. À mon sens, il ne s’agit pas de réformer l’ONU, il s’agit de réaffirmer le primat de cette institution pour les États membres.Si l’ONU paraît insuffisamment efficace, c’est que ses États membres et, notamment les plus puissants d’entre eux, n’ont trop souvent pas pris au sérieux les engagements qu’ils ont pris en signant la Charte. La Charte n’a pas vieilli, même si la situation du monde et les défis nouveaux exigent une adaptation de son fonctionnement pratique. Pour remplir ces missions, cette organisation internationale a besoin de la coopération énergique des nations qui assument dans le monde actuel les principales responsabilités, au plan mondial et au plan régional. Il faut renforcer cette organisation pour que les conditions d’entrée en guerre des États-Unis en Irak, par exemple, elles ne se reproduisent plus. Pour que le Rwanda ne se reproduise plus. Dans ce nouveau climat de financiarisation de l’économie et de dégradation de la planète, la réaction de la communauté internationale devra être forte et nouvelle. De plus, il faut bien se rendre compte qu’on ne pourra réformer ce monde dangereux que si on le fait très largement tous ensemble. Ce qui signifie qu’il faut renforcer les institutions internationales, notamment les Nations Unies, grâce à un appui plus fort des États, mais aussi de l’opinion publique, afin qu’elles puissent faire face à ces nouveaux grands défis. Cette organisation a survécu aux crises, aux disparités, aux difficultés entre les différents États membres et elle constitue aujourd’hui une grille selon laquelle on doit pouvoir lire l’avenir.

Antonio Torrenzano. Quels seront-ils, à votre avis, les défis du XXIe siècle ?

Stéphane Hessel. Un risque de violence nouvelle à l’intérieur même des États et dans toute la communauté internationale.Les impacts du terrorisme où de violents conflits ethniques sont désormais une réalité. Le deuxième grand défi, évident, mais pas suffisamment pris en compte, concerne la dégradation de la planète. Le troisième défi, à mon avis encore plus grave, concerne l’écart croissant entre les très riches et les très pauvres. Cet écart a toujours existé, mais le développement économique n’a pas encore réussi à réduire cette fracture. Les grands défis pour les nouvelles générations sont là. Se désengager… c’est renoncer à l’avenir.

Antonio Torrenzano

 

*Un spécial remerciement à l’artiste Esquivel Arcadio (quotidien La prensa) pour l’illustration.

 

ActualitéBlogrollLivresWeblogs

illustration_plantu.1228848421.jpg

Conversation avec Monique Ilboudo, juriste, écrivain, ancien ministre pour la Promotion des droits humains au Burkina Faso.Professeur de droit, elle a enseigné le droit privé à l’université d’Ouagadougou. Militante convaincue des droits de l’homme et en particulier de ceux des femmes, elle est aussi une figure importante dans la littérature africaine de langue francophone. Auteur de nombreux essais, dont «Le mal de peau », Paris, éditions Serpent à plumes, 2001; «Droit de cité, être femme au Burkina Faso», éditions du Remue-ménage, 2006. Le dialogue a eu lieu à Paris auprès de l’organisation internationale UNESCO.

Antonio Torrenzano. Vous avez plusieurs fois déclaré que la pauvreté est une question de droits humains. Mais, comment travailler pour faire accepter à la communauté internationale cette vision ?

Monique Iboudo. Faire admettre que la pauvreté constitue une violation des droits humains est difficile, mais je suis sûr que cela permettra à nos pays d’avancer plus rapidement. La lutte contre la pauvreté n’est pas une question de charité ou de philanthropie. Ceux qui en sont victimes, ils sont des individus qui ont des droits déjà codifiés dans la Charte des Nations Unies et dans beaucoup de Conventions internationales. La seule question à se poser devrait-elle donc être : comment satisfaire ces droits ? La question du bien-être des individus n’est pas seulement une question économique. La liberté, la dignité, la responsabilisation des citoyens sont des facteurs déterminants. Si vous traitez les gens comme des incapables, eux-mêmes ne se sentent pas en mesure de pousser à la réalisation de certains objectifs. De fait, si l’on admettait que la pauvreté est une question de droits humains, on pourrait aborder autrement la question des responsabilités. Du point de vue individuel, par exemple, si chacun sentait que la solidarité est un droit pour autrui et un devoir pour soi, le monde changerait plus rapidement.

Antonio Torrenzano. Changer l’approche de la lutte contre la pauvreté est-il donc fondamental?

Monique Iboudo. Ce que je demande ! C’est une question de justice et de respect pour la dignité de chaque individu. C’est pour cette raison que cette réflexion doit être largement partagée. Si nous étions plus nombreux à considérer cette approche comme réalisable, cela pourrait déjà changer les politiques du développement. Depuis quelques années, on parle beaucoup de développement humain durable. Il s’agit de faire de l’être humain le point de départ et le point d’arrivée des politiques et des actions de développement. Jusqu’à ce moment, il a été difficile, mais pas impossible à rejoindre. Si cette vision était davantage partagée, on pourrait porter la réflexion un peu plus loin. Pour les pays africains, il est en effet la question essentielle. Si nous arrivons à être solidaires entre nous, nous avancerons plus vite. Saisir la pauvreté en termes de droits humains nous obligerait à revoir toutes les politiques, tous les programmes, tout ce qui concourt au développement des pays pour faire du respect des droits humains une priorité.

Antonio Torrenzano

 

*Un spécial remerciement à l’artiste Plantu pour l’illustration.

 

ActualitéBlogrollLivresWeblogs

muhammad_yunus.1226695360.jpg

Conversation avec Muhammad Yunus, économiste, entrepreneur bangladais connu pour avoir fondé la première institution de microcrédit, la Grameen Bank, prix Nobel de la paix en 2006. Surnommé le «banquier des pauvres », après avoir occupé le poste de sous-directeur au Planning Commission du gouvernement de son Pays, il devient responsable du département d’économie de l’université de Chittagong où avec des étudiants, il crée un groupe de recherche-action, dont les premiers travaux porteront surtout sur des questions agronomiques. Ce n’est que dans un second temps que Muhammad Yunus en vient à penser qu’une grande partie des problèmes rencontrés par les paysans pauvres de Jobra (le village voisin à l’Université de Chittagong) tiennent à leurs difficultés d’accès à des capitaux. C’est ainsi que le jeune professeur d’économie en vient à proposer un premier microprêt à quelques dizaines d’habitants du village, en utilisant son propre argent. L’effet de ces prêts au montant dérisoire s’avère rapidement très favorable sur la situation matérielle des bénéficiaires. Après avoir tenté d’impliquer qu’une banque commerciale dans le lancement d’une première ligne d’action de microcrédit, l’économiste Yunus décide de créer son propre programme. Celui-ci est officiellement mis en place en 1977, sous le nom de « Grameen ». La « Grameen bank» obtiendra le statut d’établissement bancaire en 1983. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues diplomatiques, dont «Portraits de microentrepreneurs», avec Jacques Attali, éditions le Cherche midi, Paris 2006; «Vers un monde sans pauvreté», avec Alan Jolis,Paris, édition Lattès, 1997; Muhammad Yunus a publié son dernier livre «Vers un nouveau capitalisme», toujours aux éditions Lattès en 2008. Le dialogue s’est développé dans plusieurs reprises en Italie dans les villes de Bologne et Rome.

Antonio Torrenzano. Qu’est-ce que vous pensez de la dernière crise financière aux États-Unis et dans presque tout l’occident développé ?

Muhammad Yunus. Une manifestation typique des défauts du système. L’occident a été tellement obnubilé par le fait de faire de l’argent pour soi-même qui est arrivé à convaincre les autres, sachant ou devinant qu’il y avait un risque d’échec, mais en tant que vendeur il a embellissé le tableau… Et dans cette manière que les banques ont vendu à des personnes qui n’avaient rien demandé et qui ne comprenaient rien, même pas les éléments juridiques écrits sur les contrats, des prêts qu’ils n’ont pas pu rembourser. Ces individus n’avaient pas dès le début les moyens financiers pour conclure leurs contrats à l’échéance fixée. Avec la crise, rien ne marche plus comme prévu et la catastrophe est sans précédent. Il y a, toutefois, toujours le même problème: après chaque catastrophe financière, le système oublie ce qui arrive à ces victimes du rêve qu’on a leur vendu.

Antonio Torrenzano. Croyez-vous que le capitalisme contemporain a oublié l’individu dans le sens politique de la parole ?

Muhammad Yunus. La dérégulation des marchés financiers a produit cette catastrophe. La communauté internationale devra à présent produire une nouvelle planification et de rigides vérifications de la finance internationale pour que le bénéfice puisse se distribuer vers tout le monde, vers les économies plus faibles et les individus plus démunis. Le problème central du capitalisme unidimensionnel veut que le seul but de l’entreprise soit de gagner de l’argent,de maximiser son profit et que le bonheur soit lié à la consommation. Dans le capitalisme unidimensionnel, tout le monde espère gagner de l’argent en faisant des affaires, de posséder de plus en plus des biens économiques ou de l’argent pour être heureux. Mais, de quel bonheur parle-t-il l’occident ? Le bonheur ne pas un multiple de richesse de ce qu’un individu possède. Ceci n’a pas de sens. L’homme est un être multidimensionnel qui aime aider et coopérer avec les autres sujets humains. En revanche, l’homme artificieusement dessiné par le système capitaliste ne devrait que de gagner de plus en plus de l’argent. La différence entre les deux représentations sociologiques, il est abyssal. L’individu multidimensionnel souffre s’il voit ses congénères en difficulté, il s’implique pour créer un monde meilleur ; l’homme économique est égoïste, seul et ses relations sociales sont projections exclusivement visées à de nouveaux profits.

Antonio Torrenzano. Pourquoi et comment la Grameen Bank est-elle différente des banques traditionnelles ?

Muhammad Yunus. Les instituts traditionnels prêtent de l’argent à qui il en a déjà. Le microcrédit renverse cette pratique: nous donnons de prêts aux pauvres. La garantie unique est la confiance. Qui a reçu de prêts il sait que, s’il rend l’argent dans la limite temporelle préétablie, il pourra accéder à d’autres sommes allouées. Il est un système vertueux qui fonctionne pratiquement toujours. Grâce à cette expérience au Bangladesh, le 80% des pauvres, il est entré dans les programmes du microcrédit. Le défi est d’arriver au 100%: dans cette manière non seulement on améliore l’existence des gens, mais on stimule l’économie du Pays. Il y a des choses que j’ai apprises en cours de route et que je ferais sans doute différemment, à la lumière de ce que je sais aujourd’hui. Dans tout cas, je continuerai à tout essayer pour voir si telle ou telle idée peut marcher,comme nous l’avons fait pour la banque, sans jamais m’arrêter en me disant que ça ne fonctionnera jamais. Le meilleur moyen de savoir si l’on peut réussir quelque chose est d’essayer. La finance et l’investissement ont été toujours vus comme des modèles du rendement, du capital et de l’intérêt avec toutes les limites qu’une vision mono thématique elle peut avoir. Je suis content de ce que j’ai fait,et de l’avoir fait. Content d’avoir trouvé en face de moi du répondant,de la motivation de la part des personnes auxquelles je m’adressais.Content d’avoir été obstiné, de n’avoir jamais laissé tomber,d’y avoir toujours cru même dans les périodes de découragement. Il faut croire dans l’homme multidimensionnel. Croire en ses énormes capacités, qui sont illimitées et qu’il est dommage de ne pas utiliser. Chacun n’utilise qu’une part infime du potentiel qu’il a en lui,et c’est un vrai gâchis. La vie est un processus irréversible,il n’y aura pas de deuxième chance. Depuis le 1989 à aujourd’hui, notre expérience a offert la possibilité de destiner des ressources à des initiatives d’utilité sociale.

Antonio Torrenzano

 

ActualitéBlogrollLivresWeblogs

perkins_john_image.1226517024.jpg

Conversation avec John Perkins, écrivain, économiste, consultant financier. Perkins naît le 28 janvier du 1945 à Hanover dans le New Hampshire. Il a fréquenté le Tilton High School, le Middlebury Collège et le Boston University School of Management dans les années 60. Il a travaillé pour une société internationale de conseil de Boston comme chef économiste, mais il était, dans la réalité, un sicaire de l’économie. Il a vécu et travaillé en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient, en Amérique latine. Il a tenu caché son rôle jusqu’aux événements du 11 septembre 2001 qui l’a convaincu à révéler les secrets de sa vie et la corruption économique de la mondialisation. Aujourd’hui, John Perkins est un écrivain et un partisan pacifique pour les droits des tribus autochtones et dans les mouvements à défense de l’environnement. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues diplomatiques, dont «Les Confessions d’un assassin financier», Paris, éditions Ariane, 2006 et «The Secret History Of The American Empire», New York, Peguin group, 2008. Le dialogue s’est développé en deux reprises :à Milan où l’auteur a présenté son livre «Les Confessions d’un assassin financier» en 2007 près de la librairie Feltrinelli et par téléphone dans l’été 2008. Son site web http://www.johnperkins.org.

 

Antonio Torrenzano. Quels rôles ont-ils joués les grandes corporations dans ces dernières années? Pourquoi parlez-vous de pouvoir absolu de corporations dans votre dernier livre «The Secret History Of The American Empire» ?

John Perkins. À la base du pouvoir absolu des corporations, il y a les grandes multinationales. Ce sont les grandes corporations à définir la manière et le style de vie de tous les citoyens de la planète. Les corporations sont de dictatures impérialistes dans lesquelles un numéro très resserré d’individus prend d’importantes décisions planétaires en produisant une grande quantité de profits. Les corporations se sont montrées, dans ces dernières années, très efficaces dans la gestion des ressources rares, dans la manipulation de l’opinion publique, dans l’accroissement d’une grande quantité de profits. Contrairement aux vrais idéaux de justice, ces patrimoines privés sont terriblement avides, matérialistes et ils agissent par la plus grande discrétion. Je compare les corporations à des nuages qui entourent la planète et qu’ils influent sur les décisions politiques de chaque État. Dans mes nombreux débats avec des étudiants, j’ai expliqué que les présidents de ces multinationales sont comparables à des souverains absolus, mais ils ne sont pas élus par le peuple ni sujets à la volonté de la loi et avec un mandat de gestion illimitée dans le temps. Ces individus contrôlent les médias, les gouvernements et, à travers des portes à tambour, ils se remuent avec désinvolture entre le monde des affaires et le monde de la politique dans presque tout le monde occidental. Toujours dans mes discours, j’avertis en outre et souvent l’exigence de rappeler à qui m’écoute un élément pas connu souvent par tout le monde. C’est-à-dire, que les grandes institutions économiques internationales comme le Fond monétaire international ou la Banque mondiale ne sont pas des institutions indépendantes. Elles ont été depuis longtemps, au contraire, des institutions vivement conditionnées par la politique américaine. Les États-Unis maîtrisent presque le 17% de votes près du Fond monétaire international et presque le 16% de votes auprès de la Banque mondiale. Les étudiants que j’ai rencontrés, à la fin de chaque débat, ils m’ont toujours dit: «continuez-vous à dire la vérité, nous avons besoin de nouveaux espoirs, continuez-vous à indiquer de nouvelles solutions ».

Antonio Torrenzano. Vous avez travaillé pour ces corporations comme sicaire financier, comme vous vous appelez dans l’essai «Les Confessions d’un assassin financier». Pourquoi avez-vous décidé de dénoncer cette partie secrète de l’économie mondiale et aussi secrète à l’opinion publique .

John Perkins. Oui, j’ai travaillé pour ce système, mais après les événements du 11 septembre 2001, j’ai choisi de dénoncer et décrire la réalité. Sicaire financier… ? Oui, c’est comme ça que nous nous appelions. Officiellement, j’étais un économiste en chef. Mais nous nous appelions les tueurs à gages économiques. C’était de l’ironie! Notre travail consistait à construire le maximum de profits, créer des situations où le maximum de ressources était drainé vers nos multinationales, vers le marché financier, vers notre gouvernement et nous avons été très efficaces. Nous travaillions en créant des manipulations économiques, des fraudes aussi par la corruption de personnes dans d’autres États qui aimaient notre mode de vie. Pour une longue période, j’ai été séduit par ce système: le pouvoir, l’argent, le sexe; ils exerçaient une forte attirance sur moi. Mais, un jour un très haut sentiment de culpabilité m’a convaincu à dénoncer cette partie secrète de l’économie globale. La crise financière d’aujourd’hui est une conséquence de ce système malade. Je savais que je devais raconter la vraie histoire. C’est la seule manière pour retrouver la sécurité de tout le monde, reconstruire les régions dévastées de la planète, effacer définitivement la pauvreté et les personnes qui meurent de faim chaque jour… désormais un peu partout. Je crois à présent que le système peut-il changer.

Antonio Torrenzano

 

ActualitéBlogrollLivresWeblogs

robert_reich_photo.1226091445.jpg

Conversation avec Robert Reich, professeur d’économie à la Goldman school of public policy l’université de Berkeley, ancien secrétaire au travail de l’administration Clinton. Aujourd’hui, il est l’un des conseillers économiques de Barack Obama, 44e président américain. Le professeur Reich est auteur de nombreux essais économiques et il vient de publier en France, aux éditions Vuibert:«Super-capitalisme. Le choc entre le système économique émergent et la démocratie». Le dialogue avec le professeur Reich a eu lieu par téléphone.

Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer ce dialogue avec la différence entre capitalisme et super-capitalisme dont vous parlez dans votre dernier essai. Un super-capitalisme qui a porté la planète à une extraordinaire crise financière, à une crise alimentaire, à une crise des ressources rares.

Robert Reich. Le capitalisme que nous avons eu dans le passé est différent de celui d’aujourd’hui. Le super-capitalisme contemporain est très compétitif. Les tarifs d’accès aux marchés sont très bas, les consommateurs peuvent choisir de biens économiques et de produits dans chaque angle du monde, les investisseurs peuvent tourner la planète à la recherche de profits toujours plus élevés, l’argent voyage à la vitesse de la lumière, biens économiques et actions ils peuvent être achetés sur internet. Chaque investisseur et consommateur, il a l’entier globe à disposition. Tout ceci a créé un capitalisme différent de ce que nous avions il y a dix ans. Avoir eu plus d’occasions pour acheter ou investir, il a produit de hautes discriminations et cette nouvelle phase que j’appelle super-capitalisme, il a dramatiquement réduit la sphère des droits civils et des droits publics des citoyens. Un élève pourcentage de conservateurs aux États-Unis croyait, avant de la crise financière, que le bien-être de consommateurs était la valeur unique dont il fallait s’occuper. Au contraire, beaucoup de monde dans plusieurs reprises, ils croyaient que cette évolution aurait pu imploser. Le super-capitalisme doit être balancé par de nouvelles règles juridiques et économiques. La seule manière aujourd’hui pour protéger la démocratie et nos droits civils,c’est limiter cette évolution de l’économie.

Antonio Torrenzano. Vous affirmez que les citoyens sont impuissants devant le super-capitalisme. Je crois, en effet, que la crise des «subprimes» aux États-Unis et la crise financière planétaire, il est une confirmation de sa théorie. Mais, comme pourra-t-on changer le système économique occidental, défendre l’intérêt public et la dignité de l’individu ?

Robert Reich. Les citoyens sont devenus impuissants à cause des immenses capitaux des grandes entreprises qui ont noyé les institutions démocratiques. Aux États-Unis, de hauts dirigeants, des gestionnaires des grandes corporations, les sociétés de lobbying ont pris Washington. Le même arrive à Bruxelles ou dans d’autres Capitales de l’économie mondiale. Si nous cédons à la tentation de penser seulement sur la base des consommations et des investissements, nous oublions notre rôle de citoyens. Je vous fais un exemple:le droit à l’éducation. Un citoyen bien instruit est fondamental au fonctionnement de la démocratie, mais maintenant on discute d’éducation seulement comme fruit d’un investissement privé. Pas plus comme un bien public! Considérer une maîtrise universitaire seulement comme un passepartout vers un salaire plus haut, il signifie confirmer l’idéologie d’un super-capitalisme qui érode l’idée même d’avoir des intérêts communs ou des intentions solidaires. Est-ce que vous me demandez de ce qui est la responsabilité pour fortifier la démocratie? Il touche à nous tous de le faire, c’est une responsabilité et une obligation de tous les citoyens. Les institutions publiques sont composées par des citoyens. Si l’opinion publique permet que les institutions soient dégradées, corrompues, conquises par des fortunes privées ou par de grandes corporations, l’État il ne pourra plus fonctionner. Chacun de nous, il est avant tout un citoyen puis un consommateur. Nous devrons retourner à nous comporter comme citoyens : protéger nos droits civils et sauvegarder la démocratie des règles.

Antonio Torrenzano. La crise financière mondiale impose une nouvelle réglementation des marchés, mais plus en général de l’ingénierie financière même utilisée jusqu’à aujourd’hui. Le sommet économique du 15 novembre du G20 pourra-t-il remédier à ce désastre?

Robert Reich. Pour une longue période, de Ronald Reagan à Margaret Thatcher, la tendance a été celle de ne pas donner de règles aux marchés financiers. Maintenant, on ira dans une direction opposée. Si les institutions politiques étaient encore dominées par des richesses privées et par le pouvoir des grandes corporations, les règles ne pourraient plus être dans l’intérêt collectif. Au contraire, ils serviraient seulement à protéger les riches et les puissants. L’opinion publique mondiale nous y communique plus que jamais, aujourd’hui, qu’il faut se doter de nouvelles et plus efficaces lois à l’intérêt de tous.

Antonio Torrenzano

 

 

Net Bibliogr@phie.

Pour d’autres renseignements sur les activités scientifiques, les publications et les colloques du professeur Robert Reich, consulter son carnet numérique http://robertreich.blogspot.com ou son home page http://www.robertreich.org.Encore, le site universitaire de la Goldam school of public policy de l’université de Berkeley http://gspp.berkeley.edu

 

ActualitéBlogrollLivresWeblogs

enfants_soldat.1194293672.jpg

Conversation avec Éric Toussaint, économiste, président du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde–Belgique. Auteur des nombreux essais dont «Banque du Sud et nouvelle crise internationale», édition CADTM/Syllepse, 2008. Le dialogue a eu lieu à Rimini auprès de la Fondation Pio Manzù pendant la XXXIVe édition des journées internationales d’étude avec le titre «Penia and Poros.The conscience of prosperity:for a new moral economy»

Antonio Torrenzano. La crise de la dette qui a éclaté dans les pays les plus industrialisés depuis l’an 2007 avec la débâcle de ces jours, elle pourrait modifier radicalement les conditions d’endettement des pays en développement (PED) dans un futur proche. La première question par laquelle j’aimerais commencer notre dialogue est la suivante:sommes-nous à la veille d’une nouvelle crise de la dette dans les pays en développement?

Éric Toussaint. La question mérite d’être posée, car si c’est le cas, il est important de s’y préparer et de prendre les mesures appropriées pour en limiter les problèmes. Ces dernières années, une grande partie des PED ont vu leurs recettes d’exportation fortement augmentées en raison de la hausse des prix des marchandises qu’ils vendent sur le marché mondial : hydrocarbures (pétrole et gaz), minéraux et produits agricoles. Cela leur permet à la fois de puiser dans ces recettes en devises pour rembourser la dette et d’être crédibles pour contracter de nouveaux prêts. De plus, les banques commerciales du Nord, qui avaient fortement réduit leurs prêts à partir de la fin des années 1990, suite aux crises financières dans les PED, ont progressivement rouvert le flux des prêts à partir de 2004-20054. D’autres groupes financiers privés (fonds de pension, sociétés d’assurance, hedge funds) ont fourni du crédit aux PED en achetant les bons que ceux-ci émettent sur les principales places financières. Des États ont également augmenté l’offre de crédits aux PED, de la Chine qui prête tous azimuts jusqu’au Venezuela qui finance l’Argentine et des pays de la Caraïbe. En général, les taux demandés et les primes de risque sont nettement inférieurs aux conditions qui ont prévalu jusqu’au début des années 2000. Il faut ajouter à cela l’abondant crédit octroyé à l’intérieur des PED par les banques locales ou étrangères qui opèrent au sud.

Antonio Torrenzano. La situation est-elle en train de changer ?

Éric Toussaint. Un changement est intervenu avec la crise de la dette privée dans les pays les plus industrialisés en 2007. Le déclencheur en a été l’éclatement de la bulle spéculative dans le marché de l’immobilier aux États-Unis qui a entraîné l’effondrement de plusieurs marchés de la dette privée (marché des subprimes, des ABCP (Asset backed commercial paper), des CDO (Collateralized Debt Obligations), des LBO(Leveraged Debt Buy-Out), des CDS (Credit Default Swaps), des ARS (Auction Rate Securities). Cette crise est loin d’être terminée et le monde est seulement en train de découvrir ses multiples répercussions. Alors que l’argent du crédit coulait à flot jusqu’en juillet 2007, les différentes sources privées se sont taries subitement au Nord. Les banques privées complètement engluées dans des montages chancelants de dettes ont commencé à se méfier les unes des autres et ont rechigné à se prêter de l’argent. Il a fallu que les pouvoirs publics des États-Unis, d’Europe occidentale et du Japon injectent massivement et à plusieurs reprises des liquidités (des centaines de milliards de dollars et d’euros) pour éviter la paralysie du système financier au nord. Pendant ce temps, les banques privées qui se finançaient en vendant des titres non garantis n’ont plus trouvé acquéreur pour ceux-ci sur les marchés financiers du nord. Elles ont dû commencer à assainir leurs comptes en amortissant les énormes pertes dues à leurs processus aventureux de dernières années. Pour s’en sortir, elles ont dû faire appel à des apports d’argent frais. Cet argent a été fourni par les fonds souverains des pays asiatiques et par ceux du Golfe Persique. Les banques qui n’ont pas trouvé à temps de l’argent frais ont été rachetées par d’autres (Bear Stearns a été rachetée par JP Morgan) ou par l’État (Northern Rock Bank a été nationalisée par le gouvernement britannique). Certaines d’entre elles n’ont pas évité la faillite. Freddie Mac et Fannie Mae, deux géants nord-américains du crédit hypothécaire, étaient en faillite virtuelle déjà en juillet 2008. Ces deux institutions ont été privatisées au cours de la vague néolibérale, mais elles bénéficient de la garantie de l’État. Leur portefeuille de crédits hypothécaires s’élève à 5.300 milliards de dollars (c’est-à-dire l’équivalent de quatre fois la dette publique externe de l’ensemble des PED).

Antonio Torrenzano. Mais, jusqu’à ce moment, la plupart des PED n’ont pas souffert.

Éric Toussaint. Dans un premier temps, les Bourses de valeur d’une série de PED ont vu affluer de l’argent spéculatif qui fuyait de l’épicentre du séisme financier, c’est-à-dire l’Amérique du Nord. Les capitaux libérés par l’explosion de la bulle immobilière qui a traversé l’Atlantique d’ouest en est et a frappé l’Irlande, la Grande-Bretagne et d’autres pays européens (la liste s’allongera dans les mois qui viennent), se sont jetés sur d’autres marchés : les Bourses de matières premières et de produits alimentaires qui sont situés au nord (en renforçant l’augmentation des prix) et certaines Bourses de valeur du sud. Jusqu’à ce moment les PED n’ont pas souffert parce que les prix des matières premières sont restés élevés et tout ça, il a permis aux pays exportateurs du sud d’épargner des recettes importantes.

Antonio Torrenzano. Le ralentissement de la croissance économique dans les pays du nord de la planète, comment influencera-t-il à présent les pays en développement ?

Éric Toussaint. Le maintien de très importantes recettes en devises pour les pays exportateurs qui en ont le plus bénéficié jusqu’à aujourd’hui n’est pas garanti. Il est probable que les rentrées baisseront dans les années à venir pour nombreux facteurs. La réduction de l’activité économique dans les pays industrialisés, en Chine et dans d’autres pays asiatiques gros consommateurs de matières premières (Malaisie, Thaïlande, Corée du Sud) devrait finir par pousser à la baisse les prix des hydrocarbures et d’autres matières premières. Certes, le prix du pétrole pourrait être maintenu si l’OPEP se mettait d’accord pour diminuer l’offre de pétrole ou si un gros producteur était empêché de fournir le pétrole au rythme normal (agression contre l’Iran de la part d’Israël ou des États-Unis; possible crise sociale et politique au Nigeria ou ailleurs; catastrophe naturelle ici ou là…) et si les spéculateurs à la hausse poursuivaient leurs achats de produits pétroliers. L’évolution des prix des aliments exportés dépendra de plusieurs facteurs. Par ordre d’importance, je signale le maintien ou non de l’augmentation de la production d’agro-combustibles, la poursuite de la spéculation à la hausse sur les Bourses de produits agricoles, le résultat des récoltes (celles de céréales devraient augmenter en Europe) qui est influencé notamment par le changement climatique. Il faut y ajouter une réduction probable des transferts des migrants vers leur pays d’origine. On verra… mais je ne suis pas optimiste. Selon les auteurs du rapport annuel 2008 de la Banque des règlements internationaux (BRI), les pays les plus menacés sont l’Afrique du Sud et presque tous les pays du Continent africain, la Turquie, les pays baltes et ceux d’Europe centrale et orientale comme la Hongrie et la Roumanie (ces deux pays sont au bord de l’éclatement d’une bulle immobilière avec comme facteur aggravant que les prêts ont été indexés sur des devises fortes, en particulier le franc suisse).

Antonio Torrenzano

 

Net Bibliogr@phie.

Pour d’autres renseignements sur les activités, les publications et les colloques du Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde, consulter le site numérique de l’organisation http://www.cadtm.org.Pour lire le dernier rapport 2008 de la Banque des règlements internationaux (BRI), consulter le site web de l’institution internationale http://www.bis.org

 

ActualitéLivresReligionWeblogs

antonello_da_messina_peinture_vergine_annunciata.1221500557.jpeg

Conversation avec Henri Tincq, journaliste, écrivain, ancien responsable des informations religieuses au quotidien Le Monde. Auteur des nombreux essais traduits en plusieurs langues européennes, Henri Tincq a publié cette année, chez l’édition Grasset, son dernier essai intitulé «Les catholiques». La conversation avec l’auteur fait le point sur les profonds changements de la géographie chrétienne en Occident autant qu’au sud de la planète.

Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer notre dialogue en vous demandant pourquoi un livre sur les catholiques et sur les fondements de cette foi que partagent un milliard d’hommes. Encore, comment analysez-vous l’incompréhension parmi les médias et l’Église catholique ?

Henri Tincq. Après nombreuses années de fréquentation des milieux religieux, je me suis dit qu’il était temps de rassembler tout ce que j’avais appris et le mettre à la destination d’un public qui comprend encore assez mal ce qu’est la religion catholique. Un livre dédié au grand public qui ignore encore les trésors et l’histoire de cette Église. Pendant plus de 20 ans, comme responsable des informations religieuses au journal Le Monde, j’ai essayé de maintenir un rendez-vous d’information sur les religions avec la volonté d’être le plus honnête possible. J’espère avoir réussi à prendre la distance nécessaire, tout en respectant les communautés de croyants pour qui j’ai toujours eu beaucoup de respect. Les médias ont une part de responsabilité dans cette vision parcellaire de l’Église. Ils font preuve parfois de paresse intellectuelle et à force de lire les messages des catholiques à travers une grille stéréotypée, ils en répercutent une image déformée. L’incompatibilité entre les médias et l’Église est presque intrinsèque :d’un côté, on a une logique de complexité, qui porte un message nuancé prenant en compte toute la dimension de l’homme, de l’autre une logique de la simplification, qui entraine à la réduction et parfois à la vedettisation. Les références sont si différentes qu’il est difficile de s’entendre. Cela dit, ne tombons pas non plus dans l’excès, ils ne sont pas si mal traité.Il y a peut-être aussi chez eux une vraie difficulté à se percevoir non plus comme majoritaires. Ils sont devenus minoritaires dans le concert mondial des voix d’aujourd’hui.

Antonio Torrenzano. Le Pape Paul VI affirmait que l’Église était «experte en humanité» avec une très forte proximité avec les hommes d’aujourd’hui. Pourquoi, alors, les médias parlent-ils d’archaïsmes de l’Église ?

Henri Tincq. À écouter les médias, le message de l’Église se réduit à l’interdiction du préservatif. C’est une imposture! Pourquoi personne ne cherche-t-il à comprendre l’anthropologie chrétienne qui sous-tend les positions de l’Église? Pourquoi parler d’archaïsmes quand elle ne fait que tirer des sonnettes d’alarme par rapport à une société et même une humanité qui court au suicide? Il y a par ailleurs une grande injustice à n’évoquer que cette dimension morale privée en sous-estimant tout le travail de l’Église en matière sociale et politique. L’Église, c’est aussi le respect des immigrés, l’attention aux exclus. Pourquoi ne pas dire plus souvent que ce sont des priorités jamais démenties dans les Églises d’Occident ? Certes, la situation de l’Église en Occident s’est dégradée. On observe même un effondrement sur trois chapitres : les pratiques régulières, la croyance dans les dogmes fondamentaux du christianisme et l’application des normes morales de l’Église. Mais on ne peut pas juger l’état de l’Église à travers ces seuls signes quantitatifs. Sur ce fond de désaffection, d’autres données qualitatives indiquent des formes de vitalité: le retour de la piété populaire telle que la vénération des reliques ou encore un sentiment d’appartenance revendiqué, comme en témoigne le nombre de pèlerinages ou de temps forts liturgiques qu’on tend à préférer aujourd’hui à l’obligation de la messe.

Antonio Torrenzano. Et les catholiques du sud de la planète ?

Henri Tincq. Il est indéniable que les catholiques changent d’hémisphère et de couleur: le chrétien de demain sera plus africain, brésilien, philippin, coréen ou chinois. Imaginez qu’un quart des Jésuites provient du continent indien. Il est loin le temps où l’Europe et l’Amérique du Nord avaient le monopole des grands théologiens, du clergé, des grandes organisations de laïcs. C’est tout le paradoxe d’un catholicisme qui reste très européo-centré dans son rite et son gouvernement, mais perd ses fidèles dans son centre et les trouve dans des continents lointains. Sans renoncer à son universalité héritée de Jesus Christ, l’Église doit trouver les moyens de mieux faire entendre son message dans la diversité du monde d’aujourd’hui, de ses races, de ses cultures, de ses langues.

Antonio Torrenzano

 

 

*Dans l’image, particulier de la Vergine Annunciata (1475-1476), de Antonello da Messine, huile sur panneau de noyer, Munich, Alte Pinakothek.

*Un remerciement particulier aux journalistes et amis fraternels de la rédaction centrale de KTO Télévision Catholique de France et à la rédaction centrale du magazine Le Messager de Saint Antoine pour la précieuse collaboration fournie.

 

ActualitéBlogrollLivresWeblogs

edgard_pisani_image.1219507491.jpg

Conversation avec Edgard Pisani, né à Tunis en 1918, ancien résistant et libérateur de la préfecture de Paris en 1944, préfet de la Haute-Marne à 29 ans puis sénateur et ministre de l’Agriculture du Général de Gaulle. Edgard Pisani a été commissaire européen et il a présidé l’Institut du monde arabe de 1988 à 1995. Auteur de nombreux essais comme «Utopie foncière» (1977), «Socialiste de raison» (1978), «Défi du monde, campagne d’Europe» (1979), «La main et l’Outil» (1984), «Pour l’Afrique» (1988), il a récemment publié «Le sens de l’État», recueil d’entretiens avec Stéphane Paoli et Jean Viard. Le dialogue a eu lieu à Paris, près de la Fondation pour l’innovation politique pendant le séminaire « L’héritage de mai 68 » au mois de juin 2008.

Antonio Torrenzano. Vous avez toujours affirmé que le drame contemporain de l’Afrique résulte par trois paramètres: démographique, politique, économique/technologique. Dans la situation présente,le continent est dans une immense régression structurelle ?

Edgard Pisani. Sur une partie de l’Afrique, la terre a toujours été difficile et la vie précaire. Cependant, au fil des siècles, les sociétés africaines avaient appris à s’adapter aux contraintes écologiques, à l’irrégularité des pluies comme à la fragilité des sols. Le drame actuel de l’Afrique ne tient ni à son climat ni à ses sols, mais au fait que l’homme a transformé des fragilités en déséquilibres. Ces éléments de crise résultent de trois paramètres. Démographique d’abord, politique ensuite, enfin économique/technologique. Dans le domaine politique, l’Afrique a été très vite obligée de construire des nations dont les frontières, au lendemain de la colonisation, étaient artificielles et amenées à le faire sans le soutien de consciences nationales, de structures sociales, d’économies autonomes ou d’encadrement humain.Ainsi, de nombreux pays sont composés d’ethnies multiples, plus ennemis que disposées à construire ensemble. Ainsi se sont assemblés des espaces contradictoires, immenses ou trop exigus, surpeuplés ou sous-peuplés, riches ou pauvres, habités de population que rien n’unissait sinon le gouvernement colonial et, plus tard, un État exigeant et inexpérimenté. Les États africains ont privilégié leur propre fonctionnement bureaucratique au détriment de l’ensemble de la société. Urbanisation, industrialisation, cultures de rente, grands travaux, sociétés d’État : les choix se sont la plupart du temps opérés au détriment des intérêts des populations, des communautés rurales traditionnelles en particulier. À la différence de bien d’autres pays du monde, la nation n’a pas précédé en Afrique la construction de l’État. Le fait est de taille: les pays africains sont devenus majeurs en l’absence d’un courant s’enracinant dans les profondeurs d’une entité nationale. Pour naître et s’imposer à tous, le consensus national a besoin de générations qui lui permettent d’oublier les différences et de découvrir son identité. L’organisation de la société ne se met en place que progressivement et souvent douloureusement. Ne disposant au départ d’aucune base nationale, les dirigeants africains ont tout fait à la fois. Ils ont dû brûler les étapes. L’État, le géniteur de la conscience collective, le berceau du sentiment national. L’État, la bureaucratie, le parti unique, l’armée, la ville capitale sont les seules et inévitables priorités. Au détriment de tout le reste: organisation sociale, société civile, démocratie, libertés, développement. Au détriment surtout des paysans, qui sont la société africaine. Tout ça, il donne une idée juste de la situation générale du continent, qui chaque jour s’enfonce dans une dépendance alimentaire qui aggrave la dépendance économique et rend futile l’indépendance politique.

Antonio Torrenzano. Crise agro-alimentaire, migration de masse, poids de la dette, dégradation de l’environnement, insécurité politique et dépendance économique: la question africaine est-elle insoluble?

Edgard Pisani. L’adoption de modèles économiques venus du nord, ils ont détruit les modes de faire, les comportements, la culture des Africains. Ces modèles ont même empêché que les Africains se les approprient. Ces modèles ont déstructuré le système communautaire qui assurait la solidarité des membres du clan et rien n’a pu combler ce vide. Ainsi, l’Afrique a été livrée corps et âme à des concepts, des outils, des technologies, des organisations, des valeurs, des règles de procédure, des choix qui n’étaient pas siens. Au lieu de l’enrichir, ils l’ont mutilée. La ville plutôt que la campagne, l’industrie au détriment de l’agriculture, les cultures de rente plutôt que les cultures vivrières, les grands travaux au lieu de l’organisation des populations. L’Afrique s’est glissée dans des habits faits pour des autres.Extravagante présomption des pays riches, pour lesquels il ne peut y avoir de société accomplie qu’à l’image de la leur. Tout le monde s’est fait le complice de cette aliénation culturelle: les gouvernements du nord, les agences internationales, les organismes de coopération, les églises. Les Africains aussi; parce qu’ils ont utilisé l’aide qui leur était nécessaire comme une potion magique, non comme un instrument d’appui à leur propre développement. Tout cela explique l’appauvrissement du continent.

Antonio Torrenzano. Est-ce que la société africaine s’est repliée sur elle-même ?

Edgard Pisani. Le transfert orgueilleux et obscurantiste des techniques et schémas des pays développés n’a pas résolu la crise africaine. Il n’a fait que la nourrir et l’aggraver. Le nord du monde a voulu que du passé en Afrique, il soit fait de la table rase: on a décidé que les méthodes culturales traditionnelles étaient archaïques et inefficaces sans penser que, peut-être, elles étaient adaptées aux sols et aux climats.Or le blé est absurde là où le mil existe; tracteurs et engrais sont mortels pour certaines terres. Le développement n’est pas une machine qu’il suffit de mettre en marche; il n’est pas un processus linéaire inspiré des pays industrialisés. Industrialisation, exode rural, capitalisation, décollage économique, consommation de masse, internationalisation des échanges… la méthode a fait ses preuves dans l’hémisphère nord après une longue histoire, mais à quel prix ? L’Afrique, telle qu’elle est aujourd’hui, ne se montre ni capable ni désireuse de suivre ce rythme, cette trajectoire. Le modèle véhiculé par les pays développés à travers leurs politiques de coopération et d’aide n’a pas été sans profit pour eux. Les donneurs n’ont pas eu pour premier souci le développement, mais le plus souvent le profit et la défense de positions stratégiques et d’intérêts économiques. Aussi la coopération internationale, ses orientations et les modalités financières adoptées ont produit des désastres. Il a paru simple et facile de réduire la malnutrition en accordant une aide alimentaire massive. L’aide alimentaire a été indispensable à l’Afrique, mais pratiquée comme elle l’a été, elle a découragé la production locale, suscitée l’adoption d’un modèle de consommation importé, déprimé le revenu des agriculteurs, elle a incité les paysans à se replier sur leur propre subsistance. Le plus grave sans doute est que l’aide alimentaire a modifié les habitudes en implantant des modèles de consommation que l’Afrique ne pourra pas satisfaire à partir de ses sols et de ses climats.

Antonio Torrenzano

 

ActualitéBlogrollLivresWeblogs

refugees_darfur_james-nachtwey.1218995827.jpg

Conversation avec Jeffrey Sachs, économiste, écrivain, directeur de l’Institut de la Terre à l’université de Columbia à New York. Il est aussi conseiller spécial du secrétaire général des Nations Unies, Ban Ki-Moon. Auteur de nombreux essais, dont deux livres à gros tirage : «The end of Poverty » et «Common Wealth». Le dialogue avec le professeur a eu lieu en deux moments et dans deux villes différentes: Strasbourg et Rome.

Antonio Torrenzano. Est-ce que la pauvreté peut être un facteur d’instabilité internationale? Les crises alimentaires en Somalie, Éthiopie, au Darfur et, plus en général, dans le continent africain sont devenues très graves et fréquentes. Les crises alimentaires ne sont pas une fatalité,comment faire alors ?

Jeffrey Sachs. L’Afrique, on aime ou on n’aime pas. On la met de côté ou on décide de s’en occuper vraiment. L’Afrique, hier autosuffisante, importe aujourd’hui le 60% de sa subsistance. Elle en importera le double dans vingt ans. Et les devises qu’elle consacrera aux céréales et aux produits alimentaires en général, elle ne les consacrera pas aux machines et aux activités de services dont elle aura besoin. L’aide alimentaire qui lui est accordée allège sa balance des comptes, mais elle autorise chacun de pays à pratiquer des prix agricoles et alimentaires artificiellement bas et qui découragent les producteurs de produire. Cette aide infère des modes de consommation que les terroirs africains ne peuvent pas satisfaire et risque de rendre l’Afrique irréversiblement dépendante de l’extérieur. Le paysan africain n’a pas seulement été économiquement marginalisé. Il l’a été politiquement, socialement. Le paysan africain est enfermé dans une stricte autosubsistance. Il faut augmenter la production alimentaire dans les pays pauvres. Le plus important est d’augmenter la production alimentaire dans les régions pauvres du monde. La plupart d’entre elles ont des niveaux de production alimentaire inférieurs de moitié ou de deux tiers à ce qu’ils pourraient être.La première chose à faire et la plus importante, c’est de fournir une aide financière rapide aux pays pauvres pour les aider à augmenter leur propre production alimentaire. Le problème est que les fermiers sont tellement pauvres qu’ils ne peuvent acheter ni les bonnes graines ni les engrais, ni organiser des systèmes d’irrigation. Donc je crois que pour surmonter cette crise, nous devons aider financièrement les producteurs agricoles dans les pays pauvres; cela augmenterait la production et donc ferait baisser les prix. Cela aiderait également à résorber l’urgence actuelle. La crise alimentaire mondiale n’est pas une fatalité. La demande de biens alimentaires dans le monde a surpassé l’offre. Le problème de l’offre a en fait plusieurs causes. Tout d’abord, la productivité agricole très basse en Afrique et dans d’autres régions pauvres du monde. Ensuite, les chocs climatiques en Australie, en Europe et dans d’autres pays produisant des céréales. Encore l’utilisation d’une partie de la production alimentaire pour les biocarburants. Enfin, les niveaux très bas de stocks de céréales: lorsque la demande mondiale a augmenté, les stocks de céréales ont été insuffisants. Ce qui a causé une explosion des prix. Pour terminer, les barrières douanières des pays exportateurs d’alimentation ont été relevées pour maintenir les prix bas dans leur pays, ce qui a encore accru les prix dans les pays importateurs. La demande de denrées alimentaires a fortement augmenté,mais pas l’offre. Si nous voulons faire vivre l’Afrique, il faut donner aux paysans des raisons de produire, d’acheter,de s’organiser, d’investir, de ménager la nature.De l’autre côté, la communauté internationale est appelée à démontrer non sa générosité, mais sa sagesse. La sagesse de prévenir de nouveaux désordres et de nouvelles catastrophes à venir.

Antonio Torrenzano. Mais, la communauté internationale, sera-t-elle assez myope pour ne pas s’engager? L’Afrique apparait toujours sur les écrans du monde sous forme de clichés dramatiques : sécheresses, famines, désordres, coups d’État, épidémies, réfugiés. L’Afrique semble maudite, condamnée à n’être que le tiers monde du tiers monde, le pôle négatif .

Jeffrey Sachs. Ce genre de politique demande des fonds budgétaires, puisque le gouvernement garantit la disponibilité d’engrais et de graines à bas prix aux fermiers. C’est justement là où l’Europe pourrait aider : en offrant une aide financière aux gouvernements africains qui pourraient la répercuter sur leurs fermiers pour qu’ils produisent plus. Selon moi, ceci est la première étape. Le Malawi a par exemple lancé, en 2005, un programme pour que chaque ferme du pays ait accès aux engrais et à des graines de haut rendement: rapidement, d’une saison à l’autre, ce petit pays a été capable de doubler sa production alimentaire! Et il a su maintenir ce niveau élevé de récolte, par l’action heureuse de cette politique. Il faut plus accepter la pauvreté. L’Afrique de la nature est somptueuse; celle des hommes est dure, impitoyable, misérable. C’est celle d’un continent immensément pauvre, soumis à la fatalité. Un ancien compte africain affirme que l’homme y passe son temps à repousser sa mort de quelques instants sous un ciel magnifique. Il ne faut plus accepter que les populations acceptent la fatalité de la misère, de la sécheresse, de la famine. L’aide alimentaire devra être substituée d’une augmentation de la production alimentaire des pays pauvres. Un sac de farine ne construit plus l’avenir, quelques sacs de blé ne deviennent plus le raccourci miracle qui tranquillise les consciences. Une deuxième phase, elle serait de revoir notre politique envers les biocarburants: il ne faut promouvoir que des biocarburants qui ne rivalisent pas avec l’offre de denrées alimentaires ou avec des terres sur lesquelles elles pourraient pousser. Le drame est d’abord alimentaire. La production vivrière a baissé de 30% par habitant depuis 1960. L’autosuffisance n’est plus assurée, même en l’absence de grande sécheresse. La malnutrition et les maladies tuent chaque jour 100.000 individus. L’écart se creuse entre le nombre de bouches à nourrir et les quantités de nourriture disponible. Par rapport à la crise actuelle et dans l’immédiat, je pense que notre rôle est d’alerter nos gouvernements sur le fait que nous ne voulons pas d’une politique qui néglige les besoins urgents d’un milliard de personnes pauvres affamées. Nous voulons donc que l’Europe, les États-Unis et d’autres gouvernements aident les fermiers dans les pays pauvres à accroître leur production alimentaire pour que cette crise ne perdure pas. Déjà, la ration quotidienne d’un Africain est la plus faible du monde: 850 calories dans certains pays. Le nécessaire est de 3000 calories pour un adolescent et de 2700 calories pour un adulte.

Antonio Torrenzano. Si les tendances actuelles persistent, le déficit céréalier africain atteindra presque 180 millions de tonnes par an, quarante fois plus qu’en 1970. Les dramatiques famines, connues de l’Éthiopie, elles ont été qu’un prélude du désastre contemporain. Le désastre menace tout un continent dont on a ignoré les ressorts et les rythmes. Comment pourrons-nous sortir de cette urgence ?

Jeffrey Sachs. L’urgence dans ce moment tue l’avenir. Le public ne se rend pas compte qu’il existe quotidiennement dans les pays les plus pauvres un tsunami silencieux qui mérite une mobilisation autant que celle de tsunamis visibles. Un désastre est actuellement à l’œuvre dans la plupart des pays d’Afrique et dans de nombreuses parties du tiers-monde.

Antonio Torrenzano

 

*Special thanks to James Nachtwey pour l’image.

 

ActualitéBlogrollLivresWeblogs

jeanclaude_kaufmann_portrait.1221499735.jpg

Conversation avec Jean-Claude Kaufmann, sociologue, directeur de recherche au CNRS de l’université Paris V-Sorbonne, enseignant. Il a notamment travaillé sur des thématiques telles que la construction du couple et de la famille, les attentes des hommes et des femmes en matière de vie conjugale et d’amour, ainsi que sur la vie à deux. Auteur de nombreux essais dont «La trame conjugale.», Paris,1992; «Corps de femmes, regards d’hommes.» Paris, 1995; «Le coeur à l’ouvrage.», Nathan, 1997; «La femme seule et le prince charmant.», Paris, 1999 . Essais publiés par la maison d’édition Nathan. En 2008, le sociologue a publié une édition réactualisée de « La femme seule et le prince charmant », aux éditions Armand Colin. Le dialogue a eu lieu à Paris près du siège de l’Université.

Antonio Torrenzano. Topless, look nu, monokini, le sujet a passionné, il a fait scandale, il a scandé l’air du temps de la société occidentale dans les derniers quarante ans. Depuis les premiers topless, il y a quarante ans à Saint-Tropez ou aux soutiens-gorge féministes brûlés à Berkeley aux États-Unis, anthropologues et sociologues se sont toujours interrogés sur l’évolution de l’image du sein nu et ses représentations à la plage. Avant d’écrire votre essai “Corps de femmes,regards d’hommes. Sociologie des seins nus”, avec votre équipe vous avez trimé sur les plages de la Bretagne et de la Normandie, de Saint-Malo à Lorient, pour interviewer 300 personnes (femmes et hommes) et vérifier sur le terrain les comportements contemporains et voire quoi il y a derrière le geste de se libérer du soutien-gorge à la plage. Mais, qu’est-ce qu’il arrive aujourd’hui ?

Jean-Claude Kaufmann. Aujourd’hui, il reste encore la magie des seins nus. Un détail dont il a la grâce et la force de raconter le difficile équilibre entre liberté et règles sociales. Non plus à la plage, nous faisons ce qu’il nous semble. Chaque fois que je demandais aux interviewés si toutes les femmes peuvent rester en topless, la réponse la plus classique était: chacun fait ce qu’il veut, mais… ? Tout le monde, ils étaient satisfaits d’affirmer un principe de liberté, mais ils entendaient le devoir d’ajouter toujours quelque chose, peut-être à voix basse : certainement une femme âgée, s’il veut le faire il nous manquerait, mais il serait vraiment une horreur . Ils disaient le contraire de ce qu’exactement ils auraient voulu. Alors, je harcelais dans mes questions, et la réponse immanquable c’était celle des beaux seins normaux dont il était permis la maxime exposition .

Antonio Torrenzano. Pourquoi seulement aux beaux seins est-elle permise l’exposition ?

Jean-Claude Kaufmann. Selon les interviewés, de beaux seins sont ceux des jeunes filles : plutôt petit, dur, bien attaché au thorax. Il y a puis, la catégorie du trop beau: qu’il a un certain avantage, mais qu’à la plage il a moins de libertés de mouvement. Pourquoi seulement aux beaux seins ? Parce qu’ils attirent le regard, seulement pour celui-ci. Ce sont les regards des autres à déterminer les règles du jeu. Prenons-nous, par exemple, les hommes : même s’il ne semble pas, ils observent de manière précise. Avec des yeux pas particulièrement expressifs, qui ne démontrent pas d’intérêt, mais qu’ils coulent rapidement sur le paysage féminin de la plage de manière attentive. De plus, une femme se dénude sans problème quand elle se sent rassurée par le positif lien entre visions et sensations. Pour montrer ses seins, une femme doit se sentir à l’aise. Celles qui le font, en ligne générale, elles ont toujours avant vérifié s’il y a d’autres femmes semblables ou, si à côté, il y a de sujets rassurants. Par exemple d’individus pas envahissants.

Antonio Torrenzano. Mais à la plage, les femmes veulent-elles être regardées ou ignorées par les hommes ? Encore, le beau sein, comme vous l’avez défini, il est regardé aussi par des femmes ?

Jean-Claude Kaufmann. Les femmes désirent être regardées, mais de loin et par une manière anonyme. La plage est un endroit où le corps est au centre des pensées. Je peux, ensuite affirmer, qu’à la plage il y a le désir d’être soi-même, de jouir de la caresse du soleil, du vent, du sel sur la peau et… de l’admiration des hommes. Aussi les femmes regardent les beaux seins, bien sur !! À ce sujet, j’aurais pu écrire un autre essai de sociologie. Celles-ci se divisent en deux catégories. Celles qui apprécient la topless des autres femmes comme une espèce de regard au miroir ou comme comparaison du propre corps. Et les sévères ou celles qui sont agressives et qui voient laideurs partout et qui condamnent parce que l’envie les dévore.

Antonio Torrenzano. À la plage, il y a plus ou moins topless qu’il y a dix ans ? Quel rôle a joué la publicité dans ce changement et la chirurgie plastique?

Jean-Claude Kaufmann. Légèrement moins pour plusieurs de raisons. Il y a plus d’anxiétés pour les risques de maladies produites par le soleil, puis aussi le bronzage qui n’est plus ainsi obligatoire. Mais le phénomène de la topless reste un choix qu’il exprime le désir d’être libres et de communiquer cette liberté. Attention, toutefois : le sens de la pudeur reste toujours présent. Il est seulement devenu plus personnel, hermétique, peut-être esthétique. Il ne faut pas exagérer le rôle de la publicité. Elle amplifie et accélère un processus qui avait vocation à se développer. Mais quand un processus ne peut pas se développer, ce n’est pas la publicité qui peut l’amplifier. Le sein refait par la chirurgie plastique ne correspond pas aux canons de beauté demandée à la plage. Le sein refait par la chirurgie est souvent volumineux, excessif. Une femme avec un tel sein ne peut pas enlever son maillot de bain. Le risque serait d’apparaître une exhibitionniste.

Antonio Torrenzano