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lakhdar_brahimi_catherine-ashton_ban_kimoon_imageLa conférence Genève II va s’ouvrir dans quelques heures à Montreux en Suisse. Elle a pour principal objectif de trouver une solution politique susceptible de mettre fin à la guerre civile en Syrie. Le 7 mai 2013 à Moscou, les chefs de diplomatie russe et américaine Sergueï Lavrov et John Kerry avaient convenu de convoquer une nouvelle conférence internationale sur le possible règlement du conflit syrien. Ce nouveau forum fait suite à celui de juin 2012. Américains et Russes espèrent que le processus débouchera sur un accord visant à mettre un terme à une guerre civile qui a déjà fait quelque 130.000 morts depuis deux ans et demi.

Le conflit syrien avait commencé comme une révolution timide et pacifique, dans un deuxième moment le même s’était radicalisé et militarisé pour se transformer ensuite en guerre civile. Aujourd’hui, le conflit semble sombrer d’un côté dans le jihadisme et dans la croissante menace d’un islamisme militant; de l’autre part le régime baathiste et son chef, le président Bashar al-Assad, qui semblent bien décidés à reprendre la main de la situation.

Quoi attendre alors de la conférence Genève II ? De la réunion, on attend l’institution d’un gouvernement de transition qui pourrait comprendre des représentants du gouvernement actuel et des représentants des groupes d’opposition. Mais, parmi les nombreuses difficultés que devra affronter le sommet, se trouve celle de savoir et de décider qui représente véritablement la population syrienne et quels pays devraient être invités à participer. Le sommet devra en outre ne pas sous-estimer l’urgence représentée par les millions d’évacués présents sur le territoire national et de réfugiés se trouvant actuellement dans les pays limitrophes. Un sommet réussi, ce sera alors une conférence qui réunira ces deux approches. C’est-à-dire établir un gouvernement transitoire et améliorer la situation humanitaire des Syriens.

Sur le terrain, la guerre ne connaît aucun répit. Depuis près de trois ans, ce conflit a déjà fait des millions de réfugiés et de déplacés en provoquant une situation humanitaire pénible dans tout le Pays. La violence continue à faire rage dans de nombreuses zones causant des morts, des lésions et des traumatismes ainsi que de graves restrictions en ce qui concerne l’accès aux soins médicaux. La crise humanitaire est aujourd’hui un problème au moins équivalent à la violence du conflit alors que des atrocités commises par les différents acteurs présents sur le terrain ont été prouvées. Dans ce contexte, il convient de souligner que les solutions ayant le but d’aboutir à une solution politique à la crise actuelle ne seront pas faciles à construire.

Antonio Torrenzano

 

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patrick_chappatte_ilustrationL’année 2013 est en train de terminer et voilà, encore une fois comme chaque mois de décembre, le temps de faire une rétrospective. Je veux simplement remercier tous ceux qui m’ont honoré de leur visite sur les pages de ce carnet numérique. Merci à tous. Vous avez été nombreux à lire mes billets et visiter mon carnet depuis son lancement au 1er janvier 2007. Merci également à tous ceux qui ont écrit des commentaires, à tous ceux qui ont manifesté des critiques, leurs suggestions ou leurs points de vue.

De ma part, je reste avec mes interrogations sans réserve sur notre temps présent. Je reste solidaire avec tous ceux qui veulent changer le monde. Je reste solidaire avec tous ceux qui pensent à une «autre» et «possible» société à édifier. La crise économique reste là, même si la reprise de la croissance et de l’investissement semble s’annoncer aux États-Unis et dans quelques pays émergents. À l’échelle européenne, surtout dans les pays du sud du continent, la croissance ne sera pas au rendez-vous. Une économie en croissance zéro pour Grèce, Portugal, Italie, Espagne ne réduira pas le chômage et le niveau de vie continuera de stagner ou de baisser. Les prochaines élections de mai risquent donc de se traduire presque partout par une forte montée des partis extrêmes. Ces partis politiques influeront-ils sur les décisions du prochain parlement européen en paralysant toute avancée politique ?

Au moment où j’écris, de nombreux conflits, très bien visibles, continuent à tuer de milliers d’individus. Au moment où j’écris nombreux de réfugiés, ils ne sont pas rentrés chez eux et, peut-être, ils ne retourneront pas chez leurs habitations pour une longue période. Je crois encore qu’une autre société soit possible. Qu’est-ce qui reste quand il ne reste rien ? J’affirme encore que vivre l’Humanité est une mission et inventer l’humanisme de temps nouveaux reste encore le véritable enjeu de l’avenir.

Je tiens à remercier tous les maitres à penser, tous les prix Nobel, tous les écrivains, les professeurs et les fonctionnaires internationaux qui ont bien voulu nous accorder des entretiens et répondre à nos questions. Par ces conversations et ces dialogues, j’espère que nous avons pu fixer de nouvelles idées qui pourront devenir des options pour demain.

Antonio Torrenzano

 

 * Un particulier remerciement à l’artiste Patrick Chappatte pour l’illustration.

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nelson_mandela_image24_photoL’auteur de ce témoignage, Bryan Pearson, un Sud-Africain, a été correspondant de l’AFP en Afrique du Sud de 1990 à 1999. Il a, à ce titre, suivi le parcours de Nelson Mandela depuis sa sortie de prison jusqu’à son départ du pouvoir.

À part, bien sûr, le fait d’avoir croupi vingt-sept ans dans les geôles de l’apartheid et d’en avoir émergé sans la moindre rancune. À part son insistance pour que la «réconciliation» soit au centre d’une commission de vérité constituée pour soigner les plaies infligées à l’Afrique du Sud par des décennies de haine raciale. À part son apparition sur le terrain de la finale de la Coupe du monde de rugby en 1995, un maillot des Springboks sur les épaules, courageux appel au pays pour qu’il s’unisse derrière une équipe sud-africaine composée en grande majorité de Blancs. Et à part son départ de la présidence de l’Afrique du Sud au terme de son premier mandat, contrairement à tant de dirigeants dans le monde qui, une fois qu’ils ont goûté au pouvoir, s’accrochent à lui jusqu’à ce qu’il les détruise ou jusqu’à ce qu’ils détruisent les pays qu’ils gouvernent. Voilà les qualités les plus connues du héros de la lutte contre l’apartheid.

Mais pour les journalistes qui ont eu la chance de suivre son remarquable parcours, depuis sa sortie de prison en 1990, pendant les années de transition jusqu’aux premières élections présidentielles multiraciales de 1994 et jusqu’à ce jour de 1999 où —trop tôt pour certains— il tira sa révérence, Nelson Mandela était plus que cela. Beaucoup plus que cela. Il n’était pas un politicien comme les autres. Couvrir «l’histoire Mandela» vous marquait pour la vie. Il nous incitait tous à devenir de meilleurs êtres humains ou, plus exactement, à reconnaître les vertus de la réconciliation à une époque où les Sud-Africains, blancs ou noirs, subissaient encore les stigmates de l’apartheid.

J’assiste à un meeting de campagne dans la township d’Alexandra, dans la banlieue de Johannesburg. La tension est extrême. Mandela prend la parole devant une foule imprégnée de sentiments anti-Blancs après un énième massacre de Noirs attribué à la «Troisième force» —des barbouzes blancs qui cherchent à torpiller par la violence le processus de démantèlement de l’apartheid. Et puis, brusquement, il s’arrête de parler. Il montre du doigt une femme blanche qui se tient debout parmi les participants, un peu en retrait. «Cette femme, là-bas», dit-il avec un large sourire, «Elle m’a sauvé la vie».

Il l’invite à monter sur scène et l’embrasse chaleureusement. Il raconte qu’en 1988, alors qu’il était incarcéré dans la prison de Pollsmoor, près du Cap, il avait été hospitalisé après avoir attrapé la tuberculose et que c’était cette femme, une infirmière, qui l’avait soigné. Mandela réussissait à renverser l’humeur de la foule. Les grondements vengeurs se taisent, noyés sous les murmures d’approbation. Il y a aussi ce jour où Mandela, devenu président de l’Afrique du Sud, accueille une réunion de la Communauté de développement d’Afrique australe. Pratiquement tous les chefs d’État et de gouvernement de la région sont là. Depuis le matin, les journalistes attendent une conférence de presse qui n’arrive pas. Une reporter radio, très agitée, doit s’éclipser en milieu d’après-midi pour récupérer son fils à l’école, en priant pour que la conférence de presse ne démarre pas pendant son absence.

Heureusement pour elle, elle revient juste à temps, accompagnée de son gamin dont la «chemise Madiba» tranche avec les costumes stricts de l’assistance. En entrant dans la salle avec les autres dirigeants, Mandela remarque l’enfant. Sans hésiter, il se dirige vers lui, lui serre la main et lui dit : «Bien le bonjour. Comme c’est gentil d’avoir pris le temps de venir parmi nous malgré votre emploi du temps chargé!» Le gamin rayonne, sa mère aussi. Les journalistes sont enchantés et les présidents et premiers ministres ont l’air de bien s’amuser.

Il en allait toujours ainsi. Nous étions émerveillés en voyant Mandela s’adapter sans difficulté à son nouveau rôle d’homme d’État d’envergure mondiale. Nous étions émus lorsque, de temps en temps, il laissait entrevoir son côté humain. Pendant son divorce, il avait confié publiquement que la femme qu’il aimait si profondément, Winnie, n’avait pas passé une seule nuit avec lui depuis sa sortie de prison. L’activiste Strini Moodley, incarcéré à Robben Island, raconte que Mandela avait toujours une photo de Winnie avec lui dans sa cellule. Un jour, Moodley demande à emprunter l’image pour réaliser un croquis. «Tu peux l’avoir pendant la journée, mais la nuit elle revient avec moi», lui répond Mandela.

Pendant la campagne électorale, Nelson Mandela n’oubliait jamais de demander aux journalistes s’ils avaient bien dormi et s’ils avaient bien pris leur petit-déjeuner. Il connaissait beaucoup de reporters et de photographes par leur nom. Il s’arrêtait souvent pour bavarder avec eux, en commençant toujours par un: «Comme c’est bon de vous revoir !» Un des moments les plus emblématiques de ses efforts permanents pour réconcilier les Sud-Africains fut sa visite à Betsie Verwoerd, la veuve de l’architecte de l’apartheid Hendrik Verwoerd, l’homme qui l’avait, de fait, envoyé en prison. C’est sous Verwoerd, premier ministre de 1958 jusqu’à son assassinat en 1966, que le «Congrès national africain» (ANC) et le «Parti communiste» avaient été mis hors la loi. Contraint à la clandestinité, Mandela avait été arrêté et condamné à la prison à vie, en 1964, pour «actes de sabotage» et «complot en vue de renverser le gouvernement ».

Le «Thé avec Betsie» se déroula au domicile de cette dernière, dans une enclave blanche connue sous le nom d’Orania, au nord-est du Cap, en août 1995. Mme Verwoerd, alors âgée de 94 ans, n’a jamais révélé grand-chose sur cette rencontre, se contentant de dire qu’elle était contente que le président lui ait rendu visite. Sa petite-fille, Elizabeth, s’était avérée moins accueillante, affirmant qu’elle aurait préféré que Mandela devienne «le président d’un pays voisin». Mandela était digne. Il était généreux. Il devait affirmer plus tard qu’il avait été reçu à Orania «comme à Soweto», la gigantesque township noire de Johannesburg dont il est le héros. Toujours prêt à rappeler qu’il s’inscrivait dans la lignée de nombreux dirigeants sud-africains, il avait posé pour les photographes au pied d’une statue de Verwoerd haute d’environ 1,80 m. «Vous avez érigé une bien petite statue pour cet homme», avait-il même dit aux résidents d’Orania en prenant un air déçu.

Quelques mois plus tôt, le 27 avril 1994, les journalistes s’étaient massés dans une école près de Durban où Mandela devait voter lors des premières élections multiraciales à avoir lieu dans le pays. Je me souviens avoir pensé : est-ce que tout cela est bien réel ? Est-ce que Mandela est bien en train de voter ? Est-ce que l’apartheid est vraiment en train de se terminer ? Oui, c’était bien le cas. Dans un bref discours, Mandela avait salué l’aube d’une «Nouvelle Afrique du Sud où tous les Sud-Africains sont égaux ». Puis il avait déposé son bulletin dans l’urne et, rayonnant sous le soleil matinal, il avait souri. Un long sourire. Un sourire heureux. Le genre de sourire qui, on le sent, n’est pas destiné aux caméras. Le genre de sourire qui vient du très profond de l’âme. Et dans le cas de Mandela, d’une âme d’une grande rareté, et d’une grande sagesse.

Bryan Pearson.

 

 

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Le 27 avril 1994, Nelson Mandela est élu et devient le premier président noir de l’Afrique du Sud, avec 62,2 % des choix.

« Le temps est venu de panser nos blessures. Le moment est venu de réduire les abîmes qui nous séparent. Le temps de la construction approche. Nous avons enfin accompli notre émancipation politique. Nous nous engageons à libérer tout notre peuple de l’état permanent d’esclavage à la pauvreté, à la privation, à la souffrance, à la discrimination liée au sexe ou à toute autre discrimination. Nous avons réussi à franchir le dernier pas vers la liberté dans des conditions de paix relative. Nous nous engageons à construire une paix durable, juste et totale. Nous avons triomphé dans notre effort pour insuffler l’espoir dans le cœur de millions de nos concitoyens. Nous prenons l’engagement de bâtir une société dans laquelle tous les Sud-Africains, blancs ou noirs, pourront marcher la tête haute sans aucune crainte au fond de leur cœur, assurés de leur droit inaliénable à la dignité humaine – une nation arc-en-ciel en paix avec elle-même et avec le monde. Le soleil ne se couchera jamais sur une réussite humaine si glorieuse».

 

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makaziwe_mandela_image18_photoNous publions à nouveau la conversation avec Makaziwe Mandela, 59 ans, économiste, anthropologue, président de l’entreprise Industrial Development Group qui travaille dans le secteur pétrolifère et minier de son pays. Le dialogue avait été déjà publié au mois de juillet 2010 sur ce carnet numérique. La rencontre avec la fille de Nelson Mandela avait eu lieu à Milano Marittima en Italie à la fin du mois de mai 2010 pendant le gala international Mima Show où Makaziwe Mandela avait été invitée en qualité de conférencière.

Makaziwe Mandela est la fille du prix Nobel Nelson Mandela et de sa première femme Evelyn Ntoko Mase. Avant d’être nommée présidente auprès de l’Industrial Development Group, elle avait travaillé près de la Development Bank of Southern Africa où elle s’était occupée du financement des actions industrielles pour des entrepreneurs femmes et de lignes d’action vers l’éducation des nouvelles générations. En 2007, Makaziwe Mandela a reçu l’International Businesswoman of The Year.

Antonio Torrenzano. Votre Père Nelson Mandela a sacrifié toute sa vie pour la destinée de son Pays. J’aimerais commencer ce dialogue en discutant du rôle de votre papa dans l’histoire de l’Afrique du Sud.

Makaziwe Mandela. Quand mon père il commença sa clandestinité, j’avais seulement six ans. J’étais une fillette et je le rencontrais en catimini. Je suis grandie sans lui et sans comprendre pendant mon enfance parce que mon Père Nelson, il était en clandestinité. Seulement après, j’ai appris qu’il signifiait s’opposer à la ségrégation raciale, se battre pour la pleine égalité et les droits civils de tous les individus de l’Afrique du Sud. Mon Père Nelson Mandela il a changé l’histoire de mon pays. Il a mis fin à une époque dont les noirs vivaient ségrégués sans avoir ni droits civils ni liberté ni l’espoir d’un avenir différent.

Antonio Torrenzano. Dans votre pays, vous êtes considérée un point de repère. Quels sont-ils les nouveaux défis auxquels l’Afrique devra faire face ?

Makaziwe Mandela. En Afrique, il y a beaucoup de jeunes femmes avec une consistante expérience internationale. Ces jeunes femmes sont prêtes à donner une nouvelle contribution politique au continent entier. Les nouvelles générations des femmes africaines sont indispensables au développement de l’Afrique. Cependant, ce patrimoine féminin il se disperse rapidement parce qu’il n’a pas du soutien nécessaire. Je pense que la vision féminine est indispensable à présent parce que l’intuition féminine est plus clairvoyante et anticipatrice de besoins de l’Afrique au XXIe siècle.

Antonio Torrenzano. Croyez-vous que de l’évolution du statut politique de la femme dépendra l’avenir du continent ?

Makaziwe Mandela. Le nouveau défi sera de faire participer plus les femmes aux processus de décision politique et de gouvernance. Les femmes ont cette capacité que je définis un talent multiple. C’est-à-dire elles réussissent à conjuguer carrière, engagement politique, maternité et famille en même temps et sans jamais perdre la vision générale de l’Histoire. La conscience du rôle des femmes en Afrique est en train d’évoluer dans un sens qui permet d’être relativement optimiste. Dans la réalité quotidienne, les femmes africaines fournissent au total les deux tiers du travail humain. Sans elles, la survie des sociétés africaines ne serait pas assurée. Il n’y aura pas d’évolution décisive en Afrique sans l’évolution du statut politique de la femme.

Antonio Torrenzano

 

 

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Nelson Mandela et le président sud-africain Frederik de Klerk reçoivent le prix Nobel de la Paix en 1993 pour l’abolition de l’Apartheid de juillet 1991. Pendant son discours à l’hôtel de ville d’Oslo, Nelson Mandela rend hommage à Martin Luther King.

« Qu’il ne soit jamais dit par les générations futures que l’indifférence, le cynisme et l’égoïsme nous ont empêchés d’être à la hauteur des idéaux humanistes. Que chacune de nos aspirations prouve que Martin Luther King avait raison, quand il disait que l’humanité ne peut plus être tragiquement liée à la nuit sans étoiles, du racisme et de la guerre. Que les efforts de tous prouvent qu’il n’était pas un simple rêveur quand il parlait de la beauté de la véritable fraternité et de la paix, plus précieux que les diamants en argent ou en or ».

 

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nelson_mandela_inage015_photoNelson Rohihlahla Mandela, le militant antiapartheid obstiné, le prisonnier politique le plus célèbre du monde, le premier président noir de l’Afrique du Sud, est parti. À 95 ans, la nuit du 5 décembre 2013. Absent de la scène politique déjà depuis plusieurs années, Mandela faisait l’objet d’un véritable culte qui dépassait largement les frontières de son pays. Nelson, il «nous a appris à vivre ensemble», a déclaré l’archevêque Desmond Tutu, un autre héros de la lutte antiapartheid.

Après vingt-sept années d’emprisonnement dans des conditions souvent très dures, Mandela est relâché le 11 février 1990, et il soutient la réconciliation et la négociation avec le gouvernement du président Frederik de Klerk. Lorsqu’il fait ses premiers pas, le 11 février 1990 à 16 h 15, hors de la prison Victor Verster de Paarl à une cinquantaine de kilomètres du Cap, Nelson Mandela est un vieux prisonnier politique, mais déjà une icône de la lutte antiapartheid. Une icône politique qui incarne le combat pour l’émancipation des Noirs d’Afrique du Sud. En 1993, il reçoit avec ce dernier le prix Nobel de la paix pour avoir conjointement et pacifiquement mis fin au régime d’apartheid et jeté les bases d’une nouvelle Afrique du Sud démocratique. Le 27 avril 1994, Nelson Mandela est élu président de sa nation. Pour la première fois, à la tête de l’Afrique du Sud, un Président Noir dirige l’État sud-africain.

Le 10 mai 1994, pendant son discours d’investiture présidentielle, il affirme : « De l’expérience d’un désastre humain inouï qui a duré beaucoup trop longtemps, doit naître une société dont toute l’humanité sera fière […]. Nous comprenons bien qu’il n’y a pas de voie facile vers la liberté. Nous savons bien que nul d’entre nous agissant seul ne peut obtenir la réussite. Nous devons donc agir ensemble en tant que peuple uni, pour la réconciliation nationale, pour la construction de la nation, pour la naissance d’un nouveau monde. Que la justice soit présente pour tous ! Que la paix soit là pour tous ! Que le travail, le pain, l’eau et le sel soient à la disposition de tous! Que chacun sache cela, car tant le corps que l’esprit et l’âme ont été libérés pour leur plein épanouissement ! Que jamais, au grand jamais ce beau pays ne subisse l’oppression de l’un par l’autre et ne souffre l’indignité d’être le pestiféré du monde. Que règne la liberté ! Le soleil ne se couchera jamais sur une réussite humaine si glorieuse».

Nelson Mandela restera dans l’Histoire pour avoir négocié avec le gouvernement de l’apartheid une transition pacifique vers une démocratie multiraciale. Et pour avoir épargné à son peuple une guerre civile raciale qui au début des années 1990 apparaissait difficilement évitable.

Antonio Torrenzano

 

 

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Le 10 décembre 1957, Albert Camus reçoit le prix Nobel de littérature. Celui qui était déconsidéré dans les années 50 et 60 parce qu’il n’avait jamais été subjugué par la vulgate marxiste. C’est un homme debout qui, à seulement 44 ans, prononce son discours devant les souverains suédois. Ce discours a été prononcé, selon la tradition, à l’Hôtel de Ville de Stockholm, à la fin du banquet qui clôturait les cérémonies de l’attribution des prix Nobel.

En recevant la distinction dont votre libre Académie a bien voulu m’honorer, ma gratitude était d’autant plus profonde que je mesurais à quel point cette récompense dépassait mes mérites personnels. Tout homme et, à plus forte raison, tout artiste désire être reconnu. Je le désire aussi. Mais il ne m’a pas été possible d’apprendre votre décision sans comparer son retentissement à ce que je suis réellement. Comment un homme presque jeune, riche de ses seuls doutes et d’une œuvre encore en chantier, habitué à vivre dans la solitude du travail ou dans les retraites de l’amitié, n’aurait-il pas appris avec une sorte de panique un arrêt qui le portait d’un coup, seul et réduit à lui-même, au centre d’une lumière crue ? De quel cœur aussi pouvait-il recevoir cet honneur à l’heure où, en Europe, d’autres écrivains, parmi les plus grands, sont réduits au silence, et dans le temps même où sa terre natale connaît un malheur incessant ?

J’ai connu ce désarroi et ce trouble intérieur. Pour retrouver la paix, il m’a fallu, en somme, me mettre en règle avec un sort trop généreux. Et, puisque je ne pouvais m’égaler à lui en m’appuyant sur mes seuls mérites, je n’ai rien trouvé d’autre pour m’aider que ce qui m’a soutenu, dans les circonstances les plus contraires, tout au long de ma vie : l’idée que je me fais de mon art et du rôle de l’écrivain. Permettez seulement que, dans un sentiment de reconnaissance et d’amitié, je vous dise, aussi simplement que je le pourrai, quelle est cette idée.

Je ne puis vivre personnellement sans mon art. Mais je n’ai jamais placé cet art au-dessus de tout. S’il m’est nécessaire au contraire, c’est qu’il ne se sépare de personne et me permet de vivre, tel que je suis, au niveau de tous. L’art n’est pas à mes yeux une réjouissance solitaire. Il est un moyen d’émouvoir le plus grand nombre d’hommes en leur offrant une image privilégiée des souffrances et des joies communes. Il oblige donc l’artiste à ne pas s’isoler ; il le soumet à la vérité la plus humble et la plus universelle. Et celui qui, souvent, a choisi son destin d’artiste parce qu’il se sentait différent, apprend bien vite qu’il ne nourrira pas son art, et sa différence, qu’en avouant sa ressemblance avec tous. L’artiste se forge dans cet aller-retour perpétuel de lui aux autres, à mi-chemin de la beauté dont il ne peut se passer et de la communauté à laquelle il ne peut s’arracher. C’est pourquoi les vrais artistes ne méprisent rien ; ils s’obligent à comprendre au lieu de juger. Et, s’ils ont un parti à prendre en ce monde, ce ne peut être que celui d’une société où, selon le grand mot de Nietzsche, ne régnera plus le juge, mais le créateur, qu’il soit travailleur ou intellectuel.

Le rôle de l’écrivain, du même coup, ne se sépare pas de devoirs difficiles. Par définition, il ne peut se mettre aujourd’hui au service de ceux qui font l’histoire : il est au service de ceux qui la subissent. Ou, sinon, le voici seul et privé de son art. Toutes les armées de la tyrannie avec leurs millions d’hommes ne l’enlèveront pas à la solitude, même et surtout s’il consent à prendre leur pas. Mais le silence d’un prisonnier inconnu, abandonné aux humiliations à l’autre bout du monde, suffit à retirer l’écrivain de l’exil, chaque fois, du moins, qu’il parvient, au milieu des privilèges de la liberté, à ne pas oublier ce silence et à le faire retentir par les moyens de l’art.

Aucun de nous n’est assez grand pour une pareille vocation. Mais, dans toutes les circonstances de sa vie, obscur ou provisoirement célèbre, jeté dans les fers de la tyrannie ou libre pour un temps de s’exprimer, l’écrivain peut retrouver le sentiment d’une communauté vivante qui le justifiera, à la seule condition qu’il accepte, autant qu’il peut, les deux charges qui font la grandeur de son métier : le service de la vérité et celui de la liberté. Puisque sa vocation est de réunir le plus grand nombre d’hommes possible, elle ne peut s’accommoder du mensonge et de la servitude qui, là où ils règnent, font proliférer les solitudes. Quelles que soient nos infirmités personnelles, la noblesse de notre métier s’enracinera toujours dans deux engagements difficiles à maintenir : le refus de mentir sur ce que l’on sait et la résistance à l’oppression.

Pendant plus de vingt ans d’une histoire démentielle, perdu sans secours, comme tous les hommes de mon âge, dans les convulsions du temps, j’ai été soutenu ainsi par le sentiment obscur qu’écrire était aujourd’hui un honneur, parce que cet acte obligeait, et obligeait à ne pas écrire seulement. Il m’obligeait particulièrement à porter, tel que j’étais et selon mes forces, avec tous ceux qui vivaient la même histoire, le malheur et l’espérance que nous partagions. Ces hommes, nés au début de la Première Guerre mondiale, qui ont eu vingt ans au moment ou s’installaient à la fois le pouvoir hitlérien et les premiers procès révolutionnaires, qui ont été confrontés ensuite, pour parfaire leur éducation, à la guerre d’Espagne, à la Deuxième Guerre mondiale, à l’univers concentrationnaire, à l’Europe de la torture et des prisons, doivent aujourd’hui élever leurs fils et leurs oeuvres dans un monde menacé de destruction nucléaire. Personne, je suppose, ne peut leur demander d’être optimistes. Et je suis même d’avis que nous devons comprendre, sans cesser de lutter contre eux, l’erreur de ceux qui, par une surenchère de désespoir, ont revendiqué le droit au déshonneur, et se sont rués dans les nihilismes de l’époque. Mais il reste que la plupart d’entre nous, dans mon pays et en Europe, ont refusé ce nihilisme et se sont mis à la recherche d’une légitimité. Il leur a fallu se forger un art de vivre par temps de catastrophe, pour naître une seconde fois, et lutter ensuite, à visage découvert, contre l’instinct de mort à l’œuvre dans notre histoire.

Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde se défasse. Héritière d’une histoire corrompue où se mêlent les révolutions déchues, les techniques devenues folles, les dieux morts et les idéologies exténuées, où de médiocres pouvoirs peuvent aujourd’hui tout détruire, mais ne savent plus convaincre, où l’intelligence s’est abaissée jusqu’à se faire la servante de la haine et de l’oppression, cette génération a dû, en elle-même et autour d’elle, restaurer, à partir de ses seules négations, un peu de ce qui fait la dignité de vivre et de mourir. Devant un monde menacé de désintégration, où nos grands inquisiteurs risquent d’établir pour toujours les royaumes de la mort, elle sait qu’elle devrait, dans une sorte de course folle contre la montre, restaurer entre les nations une paix qui ne soit pas celle de la servitude, réconcilier à nouveau travail et culture, et refaire avec tous les hommes une arche d’alliance. Il n’est pas sûr qu’elle puisse jamais accomplir cette tâche immense, mais il est sûr que, partout dans le monde, elle tient déjà son double pari de vérité et de liberté, et, à l’occasion, sait mourir sans haine pour lui. C’est elle qui mérite d’être saluée et encouragée partout où elle se trouve, et surtout là où elle se sacrifie. C’est sur elle, en tout cas, que, certain de votre accord profond, je voudrais reporter l’honneur que vous venez de me faire.

Du même coup, après avoir dit la noblesse du métier d’écrire, j’aurais remis l’écrivain à sa vraie place, n’ayant d’autres titres que ceux qu’il partage avec ses compagnons de lutte, vulnérable mais entêté, injuste et passionné de justice, construisant son œuvre sans honte ni orgueil à la vue de tous, toujours partagé entre la douleur et la beauté, et voué enfin à tirer de son être double les créations qu’il essaie obstinément d’édifier dans le mouvement destructeur de l’histoire. Qui, après cela, pourrait attendre de lui des solutions toutes faites et de belles morales ? La vérité est mystérieuse, fuyante, toujours à conquérir. La liberté est dangereuse, dure à vivre autant qu’exaltante. Nous devons marcher vers ces deux buts, péniblement, mais résolument, certains d’avance de nos défaillances sur un si long chemin. Quel écrivain dès lors oserait, dans la bonne conscience, se faire prêcheur de vertu ? Quant à moi, il me faut dire une fois de plus que je ne suis rien de tout cela. Je n’ai jamais pu renoncer à la lumière, au bonheur d’être, à la vie libre où j’ai grandi. Mais bien que cette nostalgie explique beaucoup de mes erreurs et de mes fautes, elle m’a aidé sans doute à mieux comprendre mon métier, elle m’aide encore à me tenir, aveuglément, auprès de tous ces hommes silencieux qui ne supportent dans le monde la vie qui leur est faite que par le souvenir ou le retour de brefs et libres bonheurs.

Ramené ainsi à ce que je suis réellement, à mes limites, à mes dettes, comme à ma foi difficile, je me sens plus libre de vous montrer, pour finir, l’étendue et la générosité de la distinction que vous venez de m’accorder, plus libre de vous dire aussi que je voudrais la recevoir comme un hommage rendu à tous ceux qui, partageant le même combat, n’en ont reçu aucun privilège, mais ont connu au contraire malheur et persécution. Il me restera alors à vous en remercier, du fond du cœur, et à vous faire publiquement, en témoignage personnel de gratitude, là même et ancienne promesse de fidélité que chaque artiste vrai, chaque jour, se fait à lui-même, dans le silence.

Albert Camus.

 

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Albert Camus est déjà une icône universelle. L’écrivain français du XXe siècle le plus traduit et le plus lu dans le monde, il a fait la gloire de la maison Gallimard. En 2011, la maison d’édition indiquait vendre plus de six millions d’exemplaires de «L’Étranger» chaque année et trois millions d’exemplaires pour «La Peste». Des chiffres colossaux qui placent Albert Camus à la tête du palmarès des auteurs classiques, suivi de Maupassant, Molière, Zola et Victor Hugo. Pour le centenaire, la maison Gallimard a réédité seize textes majeurs de Camus qui sont rassemblés dans une édition préfacée par Raphaël Enthoven.

Un dossier qui rassemble des documents, des commentaires, des critiques et accompagne le lecteur dans l’univers Camus par une lecture étudiée. Les éditions Folio proposent en revanche une édition limitée de L’Étranger sous coffret, et pour les essais, une nouvelle édition des éditoriaux et des articles de Camus au journal Combat entre 1944 et 1947. Toujours pour le centenaire, José Muñoz, le dessinateur argentin de bande dessinée José Muñoz, lauréat du Grand Prix de la Ville d’Angoulême en 2007, illustre en images le beau roman autobiographique de Camus : « Le Premier Homme ». Le dessinateur argentin avait déjà illustré « L’Étranger » l’année dernière.

Pour ce qui concerne les nouvelles publications : l’essai « Albert Camus et Louis Guilloux, Correspondance (1945-1959) », déjà en librairie depuis le 19 septembre. Quinze ans de correspondance et d’une amitié ininterrompue entre Camus et le breton Louis Guilloux par la lecture des leurs soixante-trois lettres. Au contraire, le roman graphique « Camus, entre justice et mère », de José Lorenzini et Laurent Gnoni, aux éditions Soleil, retrouve de manière différente la vie et les combats du célèbre penseur.

Alors que l’essai « Cahier Camus », dirigé par Raymond Gay-Croisier et Agnès Spiquel-Courdille, respectivement vice-président et présidente de la Société des études camusiennes, offre de nombreux points d’entrée dans l’univers de l’auteur. L’idée est de montrer la multiplicité de ses facettes et talents (penseur, auteur, essayiste, journaliste…), en présentant ses textes et d’autres qui le concernent. Une véritable mine d’or qui expose la complexité de Camus et son influence éternelle. Catherine Camus, enfin, dans « Le monde en partage. Itinéraires d’Albert Camus », chez Gallimard, en librairie du 25 novembre 2013 s’intéresse aux voyages de son illustre père.

Antonio Torrenzano