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La crise de la dette souveraine dans la zone euro, après l’annonce de la Grèce d’un référendum sur l’accord de sauvetage européen du Pays, risque d’être au coeur du sommet G20 de Cannes. Mais ces soubresauts ne pourront pas faire oublier les autres thèmes à l’ordre du jour de la réunion économique comme la régulation financière, la volatilité des prix des matières premières, les déséquilibres macroéconomiques entre le Nord et le Sud de la planète, la lutte contre la pauvreté. En matière de régulation, les efforts de Paris et Berlin d’instaurer une taxe sur les transactions financières risquent-ils de passer inaperçus ?

La lutte contre la pauvreté et les déséquilibres macroéconomiques de la planète concernent une croissance plus équilibrée et plus soutenable au service de tous. Dans des pays où manquent encore les biens les plus élémentaires de la santé, de l’alimentation et de la protection contre les intempéries, plus d’un milliard de personnes doivent survivre avec un revenu moyen inférieur à un dollar par jour. Cette situation montre comme les inégalités ont augmenté de façon considérable au sein des différents pays, et entre eux. Tandis que certains pays et certaines zones économiques (par exemple les plus industrialisés) ont vu s’accroître considérablement la production du revenu, d’autres ont en effet été exclus du processus d’amélioration généralisé de l’économie et ont même vu leur situation empirer. Plusieurs des peuples africains dans leurs bidonvilles ne sont pas dans le circuit de confort des pays riches, mais ils sont également dans le circuit planétaire. Le continent africain – soutiens Edgar Morin– a subi dans sa vie quotidienne les contrecoups du marché mondial qui influent sur les cours du cacao, du sucre, des matières premières que l’Afrique produit. Les dangers d’une situation de développement économique conçu en termes libéraux ont déjà été dénoncés avec lucidité par l’éclatement de la crise dans laquelle le monde se trouve plongé encore aujourd’hui.

L’aggravation de la crise de la dette souveraine dans la zone euro compliquera-t-elle l’obtention des résultats concrets à ces sujets ? Augmenter la croissance dans les pays pauvres et réduire les inégalités sera-t-elle possible ? La réunion de Cannes, quelle décision prendra-t-elle sur cette question ? L’aggravation des questions économiques mondiales devrait obliger les chefs d’État et de gouvernement des vingt principaux pays riches et émergents à adopter un vaste plan d’action pour endiguer le ralentissement de l’économie mondiale. La réunion de Cannes pourra-t-elle rééditer l’exploit des sommets G20 du 2008-2009, lorsqu’ils avaient su coordonner la lutte contre la récession ?

Antonio Torrenzano

* Un remerciement particulier à l’artiste Patrick Chappatte pour l’illustration.

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Conversation avec Zygmunt Bauman, sociologue, écrivain, professeur de sociologie dans plusieurs universités du monde. Il a enseigné aux universités de Tel-Aviv et de Leeds. Auteur de nombreux essais, traduit dans plusieurs langues étrangères, il a publié en France : «Le coût humain de la mondialisation», éditions Hachette, 1999; «Modernité et Holocauste» éd. La Fabrique, 2002; «La Vie en miettes, Expérience postmoderne et moralité» éditions du Rouergue/Chambon, 2003; «L’Amour liquide, de la fragilité des liens entre les hommes» éditions du Rouergue/Chambon, 2004; « La Société assiégée», éditions Hachette, 2005. Le dialogue a eu lieu à Modène pendant le festival international de la philosophie organisé par la Fondation Collegio San Carlo au mois de septembre 2011.

Antonio Torrenzano. Perchées sur le fil de la dette, les économies occidentales tremblent de crise en crise. Réunions, de sommets exceptionnels sont devenus désormais un fait périodique. Depuis trois ans de crise, comment peut-on rompre avec cette mondialisation financière réductrice ?

Zygmunt Bauman. La crise économique que tout le monde est en train de vivre depuis le 2008, elle dérive de cette perverse mondialisation sans réglementation. La mondialisation financière a toujours détesté toutes les vérifications juridiques et les surveillances comptables autant que les organisations criminelles. Les vérifications ont été toujours des obstacles qui bloquaient la rapidité des échanges et du profit. Nous pouvons donc affirmer que les marchés les plus florissants au monde, ils sont le criminel et le marché financier. Cette crise économique est la énième crise cyclique produite par le capitalisme financier. Il faudra encore comprendre quel prix la société civile devra payer. Mais, je crains que le prix de ce désastre cette fois soit très haut, surtout pour les nouvelles générations.

Antonio Torrenzano. Quel sera-t-il l’avenir politique de l’Europe ? L’Europe politique réfléchira-t-elle sur ses vraies questions ?

Zygmunt Bauman. Pour ce qui concerne le futur de l’Europe et de l’organisation qu’elle s’est donnée, je ne suis pas pessimiste ni sceptique. L’Union européenne atteindra ses nouveaux objectifs politiques, j’en suis sûr. Mais, ces objectifs ne devront pas être seulement de natures économique et monétaire. Le débat devra se développer sur la grande crise du capitalisme et sur quel type de nouvelle société européenne nous voulons édifier.

Antonio Torrenzano. Nouvelle société européenne ?

Zygmunt Bauman. La thèse est simple à la souligner, mais la discussion sera compliquée. Paul Valéry disait que deux grands dangers menacent l’homme : le désordre et l’ordre. Si on vit dans le désordre, on ne peut donner forme au monde qu’on perçoit. On perd sa cohérence, on est confus. Il faut donc un ordre, mais pas seulement, car l’ordre se pétrifie, se transforme en doctrine et finit par être désadapté du monde vivant. Ordre et désordre sont deux forces opposées qui doivent se marier pour fonctionner ensemble. L’Histoire européenne a été toujours caractérisée de merveille et tragédie humaine, l’Europe peut donc réussir à bâtir son nouveau projet social. Mais, elle doit redécouvrir ses valeurs fondamentales et devra guérir la grande crise de valeurs et de doutes qui la serre.

Antonio Torrenzano. La mondialisation économique unifie et divise, égalise et inégalise. Les développements économiques du monde occidental et de l’Est asiatique tendent à y réduire les inégalités, mais l’inégalité s’accroit à l’échelle de la planète, entre développés et sous-développés. Pourquoi, selon vous, la Chine est-elle préoccupée ?

Zygmunt Bauman. La Chine est préoccupée pour la quantité énorme d’argent qui a presté aux États-Unis. L’État chinois, il devient de plus en plus inquiet pour l’idée de perdre le marché américain pour ses exportations. Pourquoi ? Parce que le marché américain reste encore pour les exportations chinoises un endroit économique de référence. Cette situation préoccupe beaucoup l’économie chinoise. Perdre cet important marché de distribution terrorise Pékin. Où exporteraient-ils leur infinie quantité de marchandises produites ? Cet exemple met dans une grande évidence les effets négatifs de la mondialisation.

Antonio Torrenzano

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Le groupe des vingt pays émergents et industrialisés se réunira des 3 et 4 novembre à Cannes pour son énième sommet de crise et d’incertitude. La France a cumulé cette année les présidences du G20 et du G8. La communauté internationale est encore ébranlée par la crise financière et le fossé des déséquilibres macroéconomiques il reste encore profond. L’économie mondiale est encore très volatile et cette faiblesse demeurera aussi dans les années qui viennent. Dans ce contexte, la réunion de Cannes devra être porteuse d’un message fort, ordonné autour d’un double principe. D’une part, la croissance n’est pas une fin en soi, elle doit être au service du bien-être de l’humanité sans oublier la dimension sociale, la lutte contre les inégalités et la pauvreté. De l’autre côté, pour que le monde émerge de cette épreuve avec une croissance équilibrée et durable, il est nécessaire que la communauté occidentale entreprenne des réformes radicales qui s’attaquent aux raisons profondes de ce long et grave désastre économique.

Parallèlement, la crise de la dette dans la zone euro et le risque de la voir se répercuter au reste du monde préoccupent tellement les dirigeants du G20 qu’ils devraient en faire une priorité de ce sommet. L’Europe sera-t-elle au centre de toutes les attentions au sommet de Cannes ? Les partenaires du G20 ont l’impression que, si l’Europe ne résout pas la crise de la dette souveraine qui l’affecte aujourd’hui, l’économie mondiale pourrait subir de graves répercussions. Les réunions des chefs d’État et de gouvernement de l’UE de la semaine passée à Bruxelles ont cherché, de prouver que l’Union européenne est déterminée à faire tout ce qui est nécessaire pour surmonter les difficultés contemporaines. Mais, la situation n’est pas meilleure aux États-Unis où le taux de chômage et le taux de croissance restent stables malgré les efforts de l’Administration américaine.

Les thèmes inscrits au programme du G20 de Cannes sont nombreux et complexes. Les décisions qui seront prises ou les lignes d’action pas prises, ils auront un impact sur la vie quotidienne des salariés, des entrepreneurs, des populations dans leur ensemble. Le pouvoir politique doit reprendre la main sur une économie dérégulée. Les mesures prises lors des G20 des années 2009 et 2010 – par exemple – n’ont pas produit de résultats vers un changement profond des principes de la régulation financière. La mise en œuvre de ces nouvelles règles s’avère lente et ces vérifications sont encore incomplètes. Il faut poursuivre ces efforts pour une meilleure régulation des marchés, mais surtout il faut restaurer la confiance des citoyens vis-à-vis des acteurs économiques et financiers. L’ancien système financier, comme nous l’avons connu jusqu’à la crise financière de 2008, est-il presque arrivé à sa solution finale ? Après des décennies de laisser-faire, la question de fond reste à développer : c’est-à-dire devrons-nous continuer à vivre dans une mondialisation financière et spéculative ou construire une véritable mondialité? Martin Luther King, s’il avait été encore vivant, il aurait aujourd’hui affirmé que l’occident est en train de se préparer à périr comme un imbécile.

L’enjeu de cette réunion internationale sera alors d’inscrire son action dans la durée et d’avancer vers un nouvel ordre économique mondial. Les points de repère restent toujours les mêmes : le développement, une concrète réglementation du système financier. Dans l’urgence de la catastrophe des années 2008 et 2009, le G20 a su démontrer sa capacité de réaction. Le défi reste de passer d’un G20 de crise à un G20 de construction.

Antonio Torrenzano

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Conversation avec Rasmata Kabre, économiste, coordonnatrice de la fondation pour la promotion des droits des femmes au Burkina-Faso, vice-présidente de l’association de BPW (Business and professional women) dans la capitale Ouagadougou. La conversation avec Rasmata Kabre a eu lieu à Rimini pendant la 42e édition des journées internationales d’étude de la Fondation Pio Manzù (http://www.piomanzu.org) en cours à Rimini du 21/23 octobre 2011 sur le génie féminin.

Antonio Torrenzano. L’échec des marchés dans le secteur financier a eu d’importantes externalités sur la production et l’emploi, mais aussi sur les interdépendances nord-sud de la planète. Après trois ans de crise économique, de tensions accrues et d’une constante détérioration de l’économie mondiale, l’avenir de la communauté internationale reste incertain. Est-il possible de repenser l’argent et le profit dans une manière différente au sens normal du mot ?

Rasmata Kabre. La valeur monétaire n’est qu’une partie de nos valeurs. Il est important de ne pas tout réduire à une dimension économique. La crise actuelle reflète des problèmes qui dépassent la conduite de la politique monétaire. Les femmes africaines ont une façon bien à elles d’exercer leur ascendant, façon du tout différente des hommes. Les femmes sont détentrices de savoirs cruciaux qui peuvent produire le changement social. Des savoirs cruciaux pour regarder au-delà d’un PIB ou de la simple dimension économique. Les capacités féminines doivent être des moteurs de changement social et politique encouragés pour le bien de tous.

Antonio Torrenzano. Votre engagement au Burkina Faso est ancien. Depuis le 2006, vous avez créé à Ouagadougou une association pour aider les femmes avec graves problèmes de santé. Femmes qu’une fois malades, elles viennent refusées par leurs maris et par leur famille d’origine. Comment a-t-il été le déclic de votre engagement ?

Rasmata Kabre. La pauvreté dans mon Pays fait vivre presque le 44% de la population dans une situation de misère. Dans ce pourcentage, les femmes sont les victimes majeures, les victimes silencieuses. La situation de la pauvreté extrême au Burkina Faso, c’est une blessure ouverte. Les femmes de mon Pays souffrent de manière disproportionnée cette condition. Condition aussi aggravée par l’inégalité entre le sexe. Un des problèmes prioritaires qui nous concernent est aussi la mortalité maternelle. Sur ce sujet, nous sommes loin d’avoir progressé suffisamment. L’association a pris en main la défense de toutes les femmes exclues du tissu social et économique de mon Pays.Toutefois, l’association se bat pour la réalisation de tous les objectifs du millenaire convenus au plan international, mais aussi pour l’égalité des genres retenue vitale pour la lutte contre la pauvreté extrême et le droit à la santé de toutes les femmes au Burkina Faso.

Antonio Torrenzano. Nous vivons, dans cette période historique, un décalage entre une mondialisation réductrice, financière et spéculative et la recherche d’une véritable mondialité. Comment et dans quelle manière le «Génie féminin» pourra-t-il être le moteur du changement social et politique?

Rasmata Kabre. Les femmes adoptent un style différent. Les femmes discutent, les hommes monologuent. Dans une perspective historique, des progrès immenses ont été accomplis. L’important, c’est avoir un nombre toujours plus croissant de femmes qui entrent en politique pour apporter leur vision d’un avenir conjuguée chaque jour. Partout dans le continent africain, les femmes construisent de nouveaux ponts pour l’avenir. Elles défendent les droits des personnes et des communautés victimes d’oppression et de discrimination. La plupart de femmes connaissent très bien les risques qu’elles courent et les difficultés du quotidien. Après tous les conflits armés dans mon continent, les femmes ont été toujours les piliers de la réconciliation même si pendant la guerre elles étaient restées victimes des mauvais traitements et de violences.

Antonio Torrenzano

*Un remerciement particulier au photoreporter Riccardo Gallini pour l’image de Rasmata Kabre.

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Conversation avec Jayati Gosh, économiste, professeur à l’université Jawaharlal Nehru de nouvelle Delhi et à l’université de Cambridge. Autrice de nombreux essais sur le développement et sur les interdépendances économiques entre les Pays de la communauté internationale dont nous rappelons «Crisis and conquest : learning from East Asia », 2001; «The market that failed : a decade of neoliberal economic reform in India », 2002. La conversation avec Jayati Gosh a eu lieu à Rimini pendant la 42e édition des journées internationales d’étude de la Fondation Pio Manzù en cours à Rimini du 21/23 octobre 2011.

Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer cette conversation en dialoguant avec vous sur cette longue période de crise économique de l’année 2008 à aujourd’hui. Pourquoi le système a-t-il perdu l’ancienne valeur d’une équitable redistribution de la richesse pour tous ?

Jayati Gosh. Tout le monde sait désormais que la crise financière du 2008 reposait sur des pratiques spéculatives rendues possibles et encouragées par la déréglementation du secteur financier, et qu’il n’était pas durable. Il est désormais unanimement reconnu qui est nécessaire de réformer le système financier international. Ce système s’est montré incapable de respecter deux règles élémentaires : prévenir l’instabilité et les crises, et assurer le transfert des ressources des économies les plus riches vers les plus pauvres. Le système a encouragé encore un comportement d’instabilité, c’est-à-dire l’accentuation non nécessaire des fluctuations dans les économies nationales. Il a fait de la finance un secteur opaque et impossible à réglementer. Il a encouragé les bulles et la ferveur spéculatives. Le système n’a pas produit de véritables investissements productifs au profit de la croissance future. Il a permis la prolifération des transactions parallèles par le biais des paradis fiscaux et de vérifications nationales peu sévères. En outre, il a affaibli le rôle d’un outil essentiel au développement économique : le crédit dirigé qui permet d’allouer une partie du prêt à des secteurs spécifiques de l’économie. Malheureusement, tout porte à croire que ce sont ceux qui n’ont rien gagné qui devront payer pour réparer les erreurs d’un système financier irresponsable et dérèglementé.

Antonio Torrenzano. L’échec des marchés dans le secteur financier a eu d’importantes externalités sur la production et l’emploi. Il est clair encore que revenir au statu quo ante sera impossible. D’une certaine façon – soutient l’économiste français Patrick Viveret – c’est qui arrive avec la crise n’est que la manifestation de grandes vagues de mutation nées après la chute du mur de Berlin en 1989. La première vague de mutation par exemple pourrait être caractérisée par la non-soutenabilité de ce qu’on pourrait appeler le modèle « dérégulation, compétition à outrance, délocalisation ».

Jayati Gosh. La restructuration de l’ordre mondial devra reposer sur des efforts robustes en vue de réduire les inégalités économiques tant entre les pays de toute la communauté internationale, qu’au rang national. Les limites « acceptables » en termes d’inégalités ont été largement dépassées dans la plupart des sociétés et les politiques futures devront inverser cette tendance. Il est indispensable de tenir compte sur les plans mondial et national de la nécessité de réduire les inégalités de revenus et de richesses, mais aussi, et surtout, à la hauteur de la consommation des ressources naturelles. Millions de personnes dans les pays du sud, ils continuent d’être privés d’un accès suffisant ou approprié aux conditions les plus élémentaires d’une vie décente, notamment à un niveau minimal de santé, d’éducation et d’infrastructures, transports et moyens de communication. Il faut édifier un nouveau cadre économique international pour soutenir ces efforts.

Antonio Torrenzano. Partout dans le monde, les femmes construisent de ponts pour l’avenir. Elles défendent les droits des personnes et des communautés victimes d’oppression, de discrimination et de violences. Toutefois, les inégalités entre les sexes restent profondément ancrées dans beaucoup de sociétés. Les femmes se voient souvent refuser l’accès à l’éducation et aux soins de base, elles doivent surmonter la ségrégation des emplois et les écarts de rémunération, elles sont sous-représentées dans les processus décisionnels.

Jayati Gosh. Il est important que, partout dans le monde, les États se montrent plus ouverts et plus attentifs aux besoins de la majorité des citoyens lors de la formulation et de la mise en oeuvre des politiques économiques. La clairvoyance féminine est un atout. La plupart de femmes connaissent très bien les risques qu’elles courent et les difficultés du quotidien.

Antonio Torrenzano

** Du 21 au 23 octobre 2011, la 42e édition des journées internationales d’étude de la Fondation Pio Manzù à Rimini s’occupe des grandes questions de ce nouveau millénaire. L’édition de cette année est : «XXI siècle, le siècle de femmes? Réponses féminines pour le futur de l’Humanité ». Nombreux les conférencières invitées qui sont en train de discuter sur ce sujet dans ces jours. Ellen Johnson-Sirleaf, prix Nobel pour la paix 2011 et présidente du Libéria, Ngozi Okonjo-Iweala, ministre des Finances de l’État du Nigéria, Nouzha Skalli, ministre du Royaume du Maroc pour le développement, la famille et la solidarité, Mary Akrami (fondatrice du centre pour le développement et l’éducation des femmes Afghanes), Jayati Gosh, économiste près de l’université Jawaharlal Nehru de nouvelle Delhi, Rasmata Kabre, présidente du centre de soutien aux femmes du Burkina Faso, Marie Wilson de l’institut américain White House Project. Pour suivre les journées internationales d’étude, la consultation en ligne est accessible au suivant adresse http://www.piomanzu.org

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Conversation avec Naomi Klein, écrivain, journaliste. La carrière d’écrivain de la Klein commença avec ses contributions au quotidien « The Varsity », un journal étudiant de l’Université de Toronto dont elle était rédactrice en chef. Naomi Klein est devenue une représentante de l’altermondialisation grâce à son best-seller « No Logo » dans l’année 2000, une sorte de manifeste du mouvement anticapitaliste. Dans l’essai, elle dénonçait la réduction de l’espace public, social et de citoyens au profit des multinationales à travers la prolifération de leurs logos et leurs profits. Elle a également écrit « Fences and Windows » en 2002 ainsi que des articles pour différents journaux (The Nation, The Globe and Mail, Harper’s Magazine, The Guardian, Rolling Stone ), et participé avec son mari, le journaliste de la télévision canadienne Avi Lewis, à la réalisation d’un film « The Take » sur le phénomène des entreprises autogérées par les salariés en Argentine. Elle est membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine dont les travaux ont commencé le 4 mars 2009. Lauréat du Prix Warwick en 2009. Autrice de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues étrangères, dont « No Logo : la tyrannie des marques » éditions Actes Sud, 2001; « Journal d’une combattante : nouvelles du front de la mondialisation » éditions Actes Sud, 2003; « La Stratégie du choc : la montée d’un capitalisme du désastre » éditions Actes Sud, 2008. Le dialogue a eu lieu à Rome et Milan en février 2011.

Antonio Torrenzano. Le monde – Edgar Morin affirme – est de plus en plus soumis à une pensée à la fois linéaire, quantitative, spécialisée. Cette pensée – soutiens encore Edgar Morin – réduit le réel à tout ce qui est quantifiable et elle devient aveugle à la souffrance, la joie, la passion, la poésie, le bonheur et le malheur de nos vies. Pourquoi notre demain est-il encore suspendu dans notre imagination ?

Naomi Klein. Dans mes nombreux voyages de travail, j’ai toujours rencontré beaucoup des gens ordinaires qu’ils percevaient notre temps présent comme une période historique encore suspendue entre crises et instabilité. Tout le monde, pendant mes séminaires et rencontres,il m’a toujours confirmé l’urgence politique de construire un nouveau modèle social.

Antonio Torrenzano. La régulation de la finance est une question technique, mais je crois aussi qu’elle est une question politique. L’économie mondiale a-t-elle subi à votre avis une perte de confiance générale ? Un nouveau modèle économique est-il nécessaire ?

Naomi Klein. La crise financière et économique depuis l’année 2008 a souligné toutes les limites de la pensée neo-libérale. Aujourd’hui, nous pouvons désormais considérer l’apologie du marché libre de Milton Friedman comme une contre-révolution souterraine contre les droits sociaux, contre la démocratie et contre la dignité de chaque individu. La pensée libérale a réduit notre réel à tout ce qui est quantifiable. Cette pensée a produit une régression démocratique dans presque tous les pays occidentaux, une faiblesse des pouvoirs publics et de plus en plus une absence d’État. Pour ce qui concerne votre deuxième question, moi aussi, je crois qu’il faudrait développer un autre type d’organisation sociale pour le XXIe siècle.

Antonio Torrenzano. Dans votre dernier essai, vous soulignez que l’action du libéralisme dans la première décennie du XXI siècle s’est caractérisée pour la désastreuse privatisation de nombreuses fonctions que l’État national avait développé jusqu’au XX siècle. Après la crise financière et économique de l’année 2008 jusqu’à aujourd’hui quelle est-elle votre analyse ?

Naomi Klein. Une très forte augmentation de la pauvreté au sud de la planète, mais aussi dans notre société occidentale. Une choquante et nouvelle marginalisation sociale pour ce qui concerne le manque de travail, une réduction des investissements pour l’éducation publique, une réduction aux droits à la santé. Je pense que dans cet instant contemporain la société civile devrait développer son initiative. S’organiser. Promouvoir une nouvelle pensée créative en opposition à la pensée réductrice, quantitative, disjonctive de ces dernières années.

Antonio Torrenzano

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Edgar Morin est écrivain, sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Edgar Morin est docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde. Son travail a exercé et il continue à exercer une forte influence sur la réflexion contemporaine, notamment dans le monde méditerranéen et en Amérique latine. Il a créé et préside l’Association pour la pensée complexe (APC). Il est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence. Il soutient, depuis sa création en 2001, le fonds associatif Non-Violence XXI. Il est président du comité scientifique du Groupe d’Études et de Recherches pour le Francais Langue Internationale GERFLINT ensemble à Jacques Cortès. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues étrangères, nous rappelons les derniers: «Éduquer pour l’ère planétaire, la pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude humaine» (avec Raul Motta, Émilio-Roger Ciurana), Balland,2003; «Université, quel avenir?» (avec Alfredo Pena-Vega), Paris, éditions Charles Léopold Mayer, 2003; «Pour entrer dans le XXIe siècle», réédition de Pour sortir du XXe siècle publié en 1981, éditions Le Seuil, 2004; «L’an I de l’ère écologique» (avec la collaboration de Nicolas Hulot), Paris, Tallandier, 2007; «Vers L’abîme», Paris, L’Herme, 2007; « Comment vivre en temps de crise » ( avec la collaboration de Patrick Viveret), Montrouge, éditions Bayard, 2010. Le dialogue avec le sociologue a eu lieu à Turin au mois de mars 2011.

Antonio Torrenzano. L’occident a vécu une rupture temporelle avec l’implosion de l’Union Soviétique (1989-1990), mais le Nouveau Monde qui était en train d’arriver il l’a continué à gérer avec les anciens moyens d’hier. Toutes les crises aggravent les incertitudes, mais elles favorisent les interrogations. Comment sortir nettement de ce cycle de postmodernité occidentale en gardant le meilleur ?

Edgar Morin. L’incertitude est désormais notre terrain, non seulement dans l’action, mais aussi dans la connaissance. Nous sommes peut-être arrivés à un moment de rupture. Nous sommes peut-être parvenus à une étape, prélude d’une métamorphose. Le propre de la métamorphose, comme de toute création, est de ne pas être prévisible. Le défi de la crise est en même temps un défi à la mondialisation et un défi de la complexité. Les crises aggravent les incertitudes, mais elles peuvent stimuler les interrogations. Elles peuvent encore stimuler la recherche de solutions nouvelles. Il faut s’efforcer à bien penser, à élaborer des stratégies. Nous sommes dans une période de crise mondiale et nous ne savons ce qui en sortira; tout ce qui témoignera de la possibilité de dépasser cette crise sera une bonne nouvelle.

Antonio Torrenzano. La crise économique d’aujourd’hui est fille d’une bulle spéculative dont l’argent des pauvres a été l’hydrogène.Croyez-vous que la globalisation financière a empêché de construire une véritable mondialité ? Cette mondialisation réductrice, centrée sur la seule dimension économique, a effacé la question des grands enjeux du monde à faveur d’un fondamentalisme marchand . Cette démesure – affirme votre collegue Patrick Viveret – se trouve au coeur de la crise financière : sur les 3200 milliards de dollars qui s’échangeaient quotidiennement sur les marchés financiers, avant la faillite de la Banque Lehman Brothers, seuls 2,7% correspondaient à des biens et à des services réels. Le reste était de l’économie spéculative qui tournait sur elle-même.

Edgar Morin. On peut discuter longtemps des bienfaits et des méfaits de cette mondialisation, je crois que c’est la misère qui domine. Le processus de mondialisation a porté à l’hégémonie de l’économie, du profit et des échanges. Ce processus a apporté lui-même ses ambivalences : création de nouvelles zones de prospérité, un nouveau développement en Chine, Brésil, Inde, mais aussi de nouvelles zones de misère. Mais ce qui est important, c’est son ambivalence profonde; ce processus n’a pas de régulation interne. Contrairement aux anciens États , c’est un processus déchaîné, sans contrôle aucun, qui peut produire des crises. Or, une des tragédies de la pensée actuelle, c’est que nos universités produisent de spécialistes dont la pensée est très compartimentée. L’économiste ne verra que la dimension économique des choses, comme le démographe ou le juriste la leur, et tous se heurteront à la difficulté de concevoir les relations entre deux dimensions. Ainsi, plus les problèmes deviennent planétaires, plus ils deviennent impensés. Plus progresse la crise, plus progresse l’incapacité à penser la crise.

Antonio Torrenzano. Mais, derrière les «comptes », soutient votre collègue Patrick Viveret, il y a toujours des « contes ». L’occident, très récemment – soutenait Marcel Mauss – a fait de l’homme un animal économique. Mais nous ne sommes pas encore tous des êtres de ce genre.

Edgar Morin. Les économistes ont le regard fixé sur les seuls résultats chiffrés, et ignorent les réalités humaines, faites de sensibilité, de haine, d’amour, de passion. Ils analysent encore le quantitatif en oubliant le qualitatif. Nos espoirs, sans être autant utopiques, sont improbables. Mais l’improbable a toujours eu ses chances historiques. Sachons donc espérer l’inespéré et œuvrer pour l’improbable.

Antonio Torrenzano

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Après trois ans de crise économique, de tensions accrues et d’une constante détérioration de l’économie mondiale, l’avenir de l’occident reste incertain. Quelle serait alors la bonne nouvelle? Une prise de conscience de l’amplitude, de la profondeur et de la complexité de cette crise économique en cours. Le paradoxe – soutiens Edgar Morin – est aussi l’incertitude cognitive et l’incertitude historique sur ce qui s’est produit. Les économistes ont appris la connaissance des limites de leurs connaissances. Ortega aurait affirmé : «nous ne savons pas ce qui se passe, et c’est justement ce qui se passe ».

Antonio Gramsci, il nous rappelait qu’une crise se produit au moment où le vieux monde tarde à disparaitre, et le Nouveau Monde tarde à naitre. Et dans cette période de clair-obscur, il affirmait, des monstres peuvent apparaitre. Dans ce contexte économico-historique, nous pouvons alors commencer à fixer les premiers points de repère. La crise contemporaine reflète des problèmes qui dépassent la conduite de la politique monétaire et la réglementation du secteur financier ; elle a révélé des erreurs plus générales dans la façon de comprendre le fonctionnement des marchés : on était convaincu par exemple que des marchés sans limites juridiques pouvaient, par eux-mêmes, s’autocorriger rapidement et être efficaces.

L’échec des marchés dans le secteur financier a eu d’importantes externalités sur la production et l’emploi. Il est clair encore que revenir au statu quo ante il sera impossible. Pour que le monde sorte de cette épreuve avec une croissance équilibrée et durable, il est nécessaire que la communauté occidentale entreprenne des réformes radicales qui s’attaquent aux raisons profondes de ce long et grave choc. Nous sommes dans une période de crise planétaire et nous ne savons ce qui en sortira.

Antonio Torrenzano

*Un remerciement particulier à l’artiste Patrick Chappatte pour l’illustration.

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La Somalie est un pays uni en surface, la population y est homogène, et les habitants parlent presque tous la même langue : le Somali. Encore, ils ont tous la même religion (l’Islam), la même culture et la même appartenance ethnique. Pourquoi alors le Pays se trouve-t-il près d’un paradoxe ? Pourquoi le Pays, depuis vingt ans de guerre civile, de famine, de sous-développement, d’enfer, de violence et d’un million et demi de réfugiés se trouve-t-il encore près d’un abîme ? Les mouvements extrémistes religieux ont été et sont encore seulement une petite variable de l’équation historique somalienne. Variable de la dernière décennie surtout liée à l’actualité contemporaine de la menace de Al-Quaida qui était devenue la principale préoccupation de la communauté internationale. Mais, cette progression de mouvements extrémistes en Somalie doit être restituée à un temps plus long de l’histoire du pays et pas seulement aux évènements récents. Faits marquants qui pourraient faire perdre le sens d’une longue perspective. La religion a toujours été en Somalie un agent unificateur qui a été le principal lien entre nombreuses variables : sociales, économiques, culturelles, claniques. Les familles claniques forment la société ethnique somalienne où tout se développe  sur une multitude de combinaisons sociales entre les tribus : Marehan, Ogadeen, Dulbahante, Hawije. Les premiers trois tribus appartiennent à la même famille : le clan Darod.

En Somalie, ces combinaisons sociales entre les tribus nomades et la rareté des ressources naturelles ont toujours été le problème de nombreux conflits. Toujours confrontées à cette ancienne réalité historique, les différentes tribus ont développé des méthodes de prévention et de résolution des collisions. Les dernières analyses sur le désordre somalien n’ont jamais étudié de manière approfondie le rôle de ces familles dans un conflit qui perdure depuis longtemps. Le possible pris d’une prochaine et urgente solution à long terme pour l’avenir du Pays, elle devra prendre en compte cette question. Le rôle des clans somaliens pourra-t-il être un facteur déterminant pour la paix durable en Somalie ? Une possible réponse pourrait dériver par l’utilisation d’une résolution traditionnelle. C’est-à-dire par un contrat socio-politique, appelé dans la langue Somali le heer. Le heer, c’est un accord juridique typique de la culture somalienne, accord développé au XVI siècle, que signifie « protéger la société contre les dangers extérieurs et de rassembler ses membres autour des mêmes valeurs et intérêts ». Ce contrat contient de plus un ensemble de règles morales ayant pour but un renforcement de la solidarité et la paix entre les tribus.

L’application et la signature générale du contrat se font entre groupes claniques de taille égale, mais des groupes petits peuvent s’allier avec des groupes plus forts. La relation alors qui s’établit entre ces deux groupes est appelée dans la langue Somali sheega. La communauté internationale n’a jamais accordé que peu d’attention aux lois traditionnelles somaliennes pour nombreuses raisons : à priori parce qu’elles ne sont pas de lois écrites. Elles sont transmises qu’oralement de génération en génération. Ces méthodes traditionnelles méritaient d’être utilisées en détail pour la situation complexe et chaotique du Pays à présent. L’échec de l’intervention internationale pourrait alors dériver par l’incapacité de régler le conflit de manière traditionnelle. La paix jusqu’à aujourd’hui n’a pas été restaurée et les efforts n’ont pas eu le succès espéré. Aucune nouvelle solution digne de ce nom ne s’annonce à l’horizon. Sauf l’expérimentation réussie du Somaliland, basée sur la reconnaissance des structures claniques traditionnelles.

Antonio Torrenzano

 

 

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Mogadiscio est une ville totalement abandonnée, il m’a communiqué un ancien ami somalien. La population est laissée aux mains des miliciens et dans la plupart des quartiers de ville il y a seulement misère et dévastation. Mogadiscio reste un champ de guerre. Le point le plus meurtrier du pays. Malgré la capitale reste l’épicentre de guerre, Mogadiscio est en train de connaitre un nouveau et infernal phénomène : nombreux d’individus vont chercher du travail journalier dans la zone urbaine, même si elle reste la plus dangereuse. Aux violences armées, il s’ajoute la sécheresse que comme le poison d’un crotale il est en train de dévorer lentement tout le monde qui ne peut pas fuir. Les insurgés islamistes shebab dominent encore presque la moitié de la capitale, malgré les territoires conquis par la force de l’Union africaine.

Pour cette région agro-pastorale et nomade, c’est une catastrophe qui s’ajoute à toutes celles d’une capitale sans État. Plongée dans une guerre civile quasi incessante depuis la chute du régime du président Mohamed Siad Barre en 1991, Mogadiscio a sombré dans le chaos. Un gouvernement de transition a pu être formé en 2004, mais il est encore aujourd’hui loin et en mesure de fonctionner. Cette situation a presque détruit 80% des infrastructures. Dans la capitale, par exemple, trois individus sur quatre n’ont pas accès à l’eau potable. En total, presque 67% de la population de la ville vit sans approche à ce bien fondamental. Les élites ont fui le Pays et depuis vingt ans aucun docteur ni infirmière n’a été formé. Alors Mogadiscio, terre damnée ? Dans les circonstances actuelles, tout cela y ressemble fort.

La situation devient encore plus grave pour les familles nomades. La question nomade est la question fondamentale; le problème de base d’où découlent tous les autres. De la manière dont cette question sera traitée dans son ensemble, en tant que totalité sociale, économique et culturelle dépendra directement « le possible avenir » de la nation somalienne. À aujourd’hui, ces familles ont dû progressivement s’adapter à cette nouvelle réalité pour survivre. Très dépendantes de leur bétail, elles ont eu du mal à préserver leurs bêtes et elles ont été obligées à se sédentariser pour cultiver la terre. Mais travailler le terrain dans ce Pays aride est très difficile, surtout quand cela n’a jamais été leur métier. Où se réfugier alors ? Fuir est la réponse, peu importe la destination. Rien ne peut les arrêter… parce que l’enfer qui se passe aujourd’hui chez eux, c’est partout ailleurs le paradis.

Antonio Torrenzano