Conversation avec Stéphane Hessel, écrivain, diplomate, cosmopolite. Né à Berlin, dans une famille d’origine juive luthérienne polonaise prussienne, immigré à Paris à 7 ans, bachelier en philosophie à 15, deux fois reçu à École Normale Superieure, d’abord comme élève étranger puis comme français naturalisé. Arrêté par la Gestapo en 1944, déporté à Buchenwald et Dora, il survivra, comme dit-il toujours, qu’à de constants concours de circonstances favorables. À la Libération, reçu au concours du Quai d’Orsay, il entame une carrière de diplomate auprès des Nations Unies. Le 1945, le voit au service de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme aux Nations Unies, dans la proximité de René Cassin. Sa carrière de diplomate le mènera en Afrique, à Saigon, à Alger, à Genève, à New York, au Burundi au service de thématiques centrées sur la coopération internationale, l’aide au développement (PNUD-ONU), la promotion culturelle des immigrés, la réconciliation entre les hommes. Son combat pour les droits de l’homme et le développement lui a valu en 2004 le Prix nord-sud du Conseil de l’Europe. Auteur de nombreux essais traduits dans plusieurs langues étrangères dont «Danse avec le siècle», autobiographie publiée en 1997 aux éditions Seuil; «Dix Pas dans le nouveau siècle», Paris, éditions Seuil, 2002;«Citoyen sans frontières» conversations avec J.M.Helvig en 2008 et son dernier pamphlet « Indigniez-vous», collection ceux qui marchent contre le vent, Montpellier, Indigène éditions, 2010; «Engagez-vous», entretiens avec Gilles Vanderpooten, Paris, éditions de l’Aube, mars 2011. Le dialogue a eu lieu à Strasbourg au mois de février 2011 pendant la 5e session des Dialogues de Strasbourg en faveur des droits de l’Homme et de la démocratie organisés par le Conseil de l’Europe et la ville de Strasbourg près du Palais de congrès et de la musique. Le débat a été introduit par Mme Maud de Boer-Buquicchio et a été modéré par le journaliste Jacques Fortier.
Antonio Torrenzano. Les déferlantes révoltes dans l’Afrique du Nord revendiquent le respect des règles du jeu, la fin du favoritisme et de la corruption généralisée. Les jeunes revendiquent d’être les nouveaux sujets de leurs pays en soulignant avec ces protestations que la classe dirigeante est déconnectée des réalités. Aspirations qui me semblent identiques au reste du monde : liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de choisir leurs gouvernants, transparence dans la gestion des biens publics. Encore, ces événements naissent d’attentes de gens ordinaires qui sont tous de jeunes hommes et de jeunes filles. Et dans la Rive-Sud de la Méditerranée, les jeunes sont la société. Ces jeunes réclament avec la force de leurs vingt ans leur avenir.
Stéphane Hessel. C’est souvent à travers des formes plus ou moins organisées de la société civile qu’émergent dans le champ politique les nouvelles questions. Les révoltes montrent que tous les pouvoirs sont justiciables et tenus de rendre des comptes. En particulier, tout pouvoir public est justiciable. Toute souveraineté est limitée et chaque État est tenu de rendre des comptes non seulement à ses propres citoyens, mais aussi aux instances internationales compétentes. Ces mouvements de contestation sont parvenus à faire précipiter des autocrates vers leurs chutes. Le manque du respect des règles du jeu a révélé de manière exemplaire un défaut de cohérence et un déficit majeur de légitimité. Ces initiatives populaires devraient maintenant susciter l’organisation d’une réunion régionale pour un nouveau consensus partagé des peuples des deux rives.
Fabio Gualtieri. L’accessibilité de l’information par l’action de nouvelles technologies et de médias a déjà permis aux jeunes de construire leurs propres points de vue sur la réalité du monde. Comment faire alors pour donner aux jeunes la gestion et la responsabilité de ces nouveaux défis ?
Stéphane Hessel. Les actions de jeunes déjà existantes pour le changement social sont innombrables. La responsabilité et la participation des nouvelles générations dans la construction du monde d’aujourd’hui et de demain sont plus que jamais fondamentales.Les jeunes n’ont pas seulement une grande énergie, mais aussi une vision commune de l’avenir. Malheureusement, cette force n’est pas considérée à sa juste valeur. Les jeunes sont particulièrement conscients des nombreux défis auxquels ils sont confrontés, de la complexité et de la gravité des problèmes dans le monde présent et à venir. Ils ne sont pas satisfaits des systèmes contemporains : politiques, économiques, sociaux. Toutefois, ils sont prêts à s’occuper du monde tel qu’il est et à prendre la responsabilité de le changer. Ils sont parfaitement conscients de leur responsabilité dans une telle démarche.
Antonio Torrenzano. Alexis de Toqueville disait : « Il faut prendre garde de juger les sociétés qui naissent avec les idées de celles qui ne sont plus ». L’analyse de notre temps présent est-elle donc correcte ? Croyez-vous que la classe dirigeante a elle bien compris cette nécessité ?
Stéphane Hessel. Ce sont les nouvelles générations qui devront apporter, comme toutes les autres, leur contribution au chef d’oeuvre de la vie sur cette planète. Il est important de donner cette responsabilité à cette nouvelle génération pour la construction du XXIe siècle. La vision des jeunes doit être prise en considération de façon sérieuse.
Claudio Poletti. Avons-nous besoin d’une organisation des Nations Unies encore plus forte et solide ?
Stéphane Hessel. Nous avons terriblement besoin de cette Organisation mondiale forte et qui puisse surmonter ces faiblesses. L’ONU n’est pas une entité abstraite. À mon sens, il ne s’agit pas d’améliorer l’ONU, il s’agit de réaffirmer le primat de cette institution sur les États membres. Le système des Nations Unies constitue, aujourd’hui, le maillon faible de l’élaboration de règles mondiales. Nous devons nous engager pour un nouveau processus évolutif et pragmatique de réforme des Nations Unies qui s’inspireraient de la démarche suivie par la Communauté européenne. Nous devons stimuler ce débat afin d’avoir une formulation complète.
Fabio Gualtieri, Claudio Poletti,
Antonio Torrenzano
*Un remerciement particulier au service de presse du Conseil de l’Europe pour l’image de Stéphane Hessel. L’image est du photoreporter Candice Imbert.