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Conversation avec Stéphane Hessel, écrivain, diplomate, cosmopolite. Né à Berlin, dans une famille d’origine juive luthérienne polonaise prussienne, immigré à Paris à 7 ans, bachelier en philosophie à 15, deux fois reçu à École Normale Superieure, d’abord comme élève étranger puis comme français naturalisé. Arrêté par la Gestapo en 1944, déporté à Buchenwald et Dora, il survivra, comme dit-il toujours, qu’à de constants concours de circonstances favorables. À la Libération, reçu au concours du Quai d’Orsay, il entame une carrière de diplomate auprès des Nations Unies. Le 1945, le voit au service de la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme aux Nations Unies, dans la proximité de René Cassin. Sa carrière de diplomate le mènera en Afrique, à Saigon, à Alger, à Genève, à New York, au Burundi au service de thématiques centrées sur la coopération internationale, l’aide au développement (PNUD-ONU), la promotion culturelle des immigrés, la réconciliation entre les hommes. Son combat pour les droits de l’homme et le développement lui a valu en 2004 le Prix nord-sud du Conseil de l’Europe. Auteur de nombreux essais traduits dans plusieurs langues étrangères dont «Danse avec le siècle», autobiographie publiée en 1997 aux éditions Seuil; «Dix Pas dans le nouveau siècle», Paris, éditions Seuil, 2002;«Citoyen sans frontières» conversations avec J.M.Helvig en 2008 et son dernier pamphlet « Indigniez-vous», collection ceux qui marchent contre le vent, Montpellier, Indigène éditions, 2010; «Engagez-vous», entretiens avec Gilles Vanderpooten, Paris, éditions de l’Aube, mars 2011. Le dialogue a eu lieu à Strasbourg au mois de février 2011 pendant la 5e session des Dialogues de Strasbourg en faveur des droits de l’Homme et de la démocratie organisés par le Conseil de l’Europe et la ville de Strasbourg près du Palais de congrès et de la musique. Le débat a été introduit par Mme Maud de Boer-Buquicchio et a été modéré par le journaliste Jacques Fortier.

 

Antonio Torrenzano. Les déferlantes révoltes dans l’Afrique du Nord revendiquent le respect des règles du jeu, la fin du favoritisme et de la corruption généralisée. Les jeunes revendiquent d’être les nouveaux sujets de leurs pays en soulignant avec ces protestations que la classe dirigeante est déconnectée des réalités. Aspirations qui me semblent identiques au reste du monde : liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de choisir leurs gouvernants, transparence dans la gestion des biens publics. Encore, ces événements naissent d’attentes de gens ordinaires qui sont tous de jeunes hommes et de jeunes filles. Et dans la Rive-Sud de la Méditerranée, les jeunes sont la société. Ces jeunes réclament avec la force de leurs vingt ans leur avenir.

 

Stéphane Hessel. C’est souvent à travers des formes plus ou moins organisées de la société civile qu’émergent dans le champ politique les nouvelles questions. Les révoltes montrent que tous les pouvoirs sont justiciables et tenus de rendre des comptes. En particulier, tout pouvoir public est justiciable. Toute souveraineté est limitée et chaque État est tenu de rendre des comptes non seulement à ses propres citoyens, mais aussi aux instances internationales compétentes. Ces mouvements de contestation sont parvenus à faire précipiter des autocrates vers leurs chutes. Le manque du respect des règles du jeu a révélé de manière exemplaire un défaut de cohérence et un déficit majeur de légitimité. Ces initiatives populaires devraient maintenant susciter l’organisation d’une réunion régionale pour un nouveau consensus partagé des peuples des deux rives.

 

Fabio Gualtieri. L’accessibilité de l’information par l’action de nouvelles technologies et de médias a déjà permis aux jeunes de construire leurs propres points de vue sur la réalité du monde. Comment faire alors pour donner aux jeunes la gestion et la responsabilité de ces nouveaux défis ?

 

Stéphane Hessel. Les actions de jeunes déjà existantes pour le changement social sont innombrables. La responsabilité et la participation des nouvelles générations dans la construction du monde d’aujourd’hui et de demain sont plus que jamais fondamentales.Les jeunes n’ont pas seulement une grande énergie, mais aussi une vision commune de l’avenir. Malheureusement, cette force n’est pas considérée à sa juste valeur. Les jeunes sont particulièrement conscients des nombreux défis auxquels ils sont confrontés, de la complexité et de la gravité des problèmes dans le monde présent et à venir. Ils ne sont pas satisfaits des systèmes contemporains : politiques, économiques, sociaux. Toutefois, ils sont prêts à s’occuper du monde tel qu’il est et à prendre la responsabilité de le changer. Ils sont parfaitement conscients de leur responsabilité dans une telle démarche.

 

Antonio Torrenzano. Alexis de Toqueville disait : « Il faut prendre garde de juger les sociétés qui naissent avec les idées de celles qui ne sont plus ». L’analyse de notre temps présent est-elle donc correcte ? Croyez-vous que la classe dirigeante a elle bien compris cette nécessité ?

 

Stéphane Hessel. Ce sont les nouvelles générations qui devront apporter, comme toutes les autres, leur contribution au chef d’oeuvre de la vie sur cette planète. Il est important de donner cette responsabilité à cette nouvelle génération pour la construction du XXIe siècle. La vision des jeunes doit être prise en considération de façon sérieuse.

 

Claudio Poletti. Avons-nous besoin d’une organisation des Nations Unies encore plus forte et solide ?

 

Stéphane Hessel. Nous avons terriblement besoin de cette Organisation mondiale forte et qui puisse surmonter ces faiblesses. L’ONU n’est pas une entité abstraite. À mon sens, il ne s’agit pas d’améliorer l’ONU, il s’agit de réaffirmer le primat de cette institution sur les États membres. Le système des Nations Unies constitue, aujourd’hui, le maillon faible de l’élaboration de règles mondiales. Nous devons nous engager pour un nouveau processus évolutif et pragmatique de réforme des Nations Unies qui s’inspireraient de la démarche suivie par la Communauté européenne. Nous devons stimuler ce débat afin d’avoir une formulation complète.

 Fabio Gualtieri, Claudio Poletti,

Antonio Torrenzano

 

*Un remerciement particulier au service de presse du Conseil de l’Europe pour l’image de Stéphane Hessel. L’image est du photoreporter Candice Imbert.

 

 

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Le texte « Penser la Méditerranée et méditerranéiser la pensée » est un extrait d’un colloque tenu par le professeur Edgar Morin pour la Chaire Averroes, Université Cadi Ayayad, éditions de l’UNESCO, au mois de décembre 2001. Au vu de ce vent de changement soufflant sur la région, l’Europe doit penser à revoir les bases sur lesquelles seront reconstruites ses politiques moyen-orientales. Ce carnet numérique retient que cette analyse est encore très contemporaine. Un point de repère pour l’Europe duquel partir de nouveau. Espérons-le… !

 

« Le monde est de plus en plus soumis à une pensée à la fois linéaire, quantitative, spécialisée. Une telle pensée ne perçoit que la causalité mécanique alors que tout obéit de plus en plus à la causalité complexe. Elle réduit le réel à tout ce qui est quantifiable, devient aveugle à la souffrance, la joie, la passion, la poésie, le bonheur et le malheur de nos vies. Elle produit l’aveuglement, non seulement sur l’existence, le concret, l’individuel, mais aussi sur le contexte, le global, le fondamental.

 

Elle entraîne un morcellement, une dilution et finalement une perte de la responsabilité. Elle favorise à la fois les rigidités de l’action et le laxisme de l’indifférence. Elle contribue fortement à la régression démocratique dans les pays occidentaux où tous les problèmes devenus techniques échappent aux citoyens au profit des experts et où la perte de la vision du global et du fondamental laisse libre cours, non seulement aux idées parcellaires les plus closes, mais aussi aux idées globales les plus creuses, aux idées fondamentales les plus arbitraires, y compris et surtout chez les techniciens et scientifiques eux-mêmes (d’où le primat du programme au détriment de la stratégie, l’hyperspécialisation au détriment de la compétence générale, la mécanicité au détriment de la complexité organisationnelle).

 

Elle ignore l’individu vivant et sa qualité de sujet, donc les réalités humaines subjectives. La logique d’efficacité, prédictibilité, calculabilité, hyperspécialisation, chronométrie s’est répandue hors du secteur industriel, notamment dans le monde administratif où son organisation était déjà préfigurée dans l’organisation bureaucratique. Elle s’est emparée de nombreux domaines de l’activité sociale : comme l’a dit Giedeon, la mécanisation prend les commandes.

 

Elle devient maîtresse d’abord dans le monde urbain, puis dans le monde rural où elle transforme les paysans en agriculteurs et banlieusardise bourgs et villages… Elle envahit la vie quotidienne: elle règle voyages, consommation, loisirs, éducation, services et provoque ce que George Ritzer appelle la macdonaldisation de la société. Elle se répand sur la planète. Ainsi, la rationalité close produit de l’irrationalité. La « pensée unique » n’est qu’un rameau économique de la pensée réductrice disjonctive qui règne dans tous les domaines et qui commande également les pourfendeurs de cette pensée unique. La pensée disjonctive et la pensée réductrice, incapables de relever le défi des problèmes planétaires, sont tout aussi incapables de traiter les problèmes méditerranéens. La pensée quantitative ne peut qu’être aveugle aux qualités méditerranéennes.

 

C’est le Nord qui a hyper développé la pensée réductrice, quantitative, disjonctive. La pensée du Nord anglo-saxon est faite pour aménager, traiter la prose de la vie, les problèmes d’organisation techniques, pratiques, quantifiables. Or la prose fait survivre alors que la poésie est vivre : une pensée méridionale, comme l’a dit justement Cassano, intègre en elle l’art de vivre, la poésie de la vie. C’est la Méditerranée qui a besoin d’une pensée qui relie, qui reconnaît et défend les qualités de la vie, qui sont art de vivre, clairvoyance, poésie, compréhension.

 

La pensée méridionale, que propose Cassano, est précisément une pensée complexe. La pensée complexe devient nécessairement une pensée méridionale, c’est-à-dire méditerranéenne ».

Edgar Morin.

 

 

 

 

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La vague de protestations déferlant sur le monde arabe marque une nouvelle ère pour les peuples de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient. Il est rare qu’un désir de justice se réalise dans cette manière devant nos yeux et concrètement. Nombreux médias, ils ont soutenu que pour la Tunisie a été la première fois. Mais, déjà en 1994, dix-huit intellectuels et universitaires, dont les juristes Ali Mezgheni, Iyad Ben Achour et Abdelwahab Meddeb par une lettre ouverte à l’ancien président Ben Ali, ils dénonçaient la désertification de l’espace politique et la fermeture d’une confrontation d’opinions et d’idées avec un très haut risque de révoltes et de besoin de liberté. Dans cette occasion, la lettre fut reçue comme une insulte par l’ancien autocrate et la même communauté internationale sans mot dire elle resta muette. Seize ans après,tout ça s’est produit.

La révolte tunisienne s’est diffusée après en Égypte,Barehien, en Libye et dans presque tout le Proche-Orient. Pour ce qui concerne la Libye, au contraire, les récents événements ont pris une tournure inattendue, violente et encore très incertaine. Toutefois, ces mouvements de contestation conduite par des citoyens pacifiques sont parvenus à faire précipiter les autocrates vers leurs chutes. Le monde a constaté que c’est chose faite. Les communautés nationales de la Rive-Sud de la Méditerranée confrontées à leurs tyrans redécouvrent que c’est possible.

Ces mouvements ont prudemment reçu le soutien moral de l’Union européenne, de ses États membres et d’autres nations occidentales. Toutefois, ces révoltes invitent encore une fois l’Europe à s’interroger sur le sens de ces événements et sur les nouvelles solutions pour relancer un vrai chantier politique euroméditerranéen. Nombreuses sont les questions auxquelles répondre. Par exemple, l’Europe est-elle obligée à repenser les bases sur lesquelles devront être reconstruites ses nouvelles politiques moyen-orientale et nord-africaine ? Au vu de ce vent de printemps, la même finance et l’industrie européennes sont-elles obligées à repenser leurs conduites menées jusqu’à aujourd’hui ? Les relations économiques étroites de certains de ses États membres de l’UE avec le gouvernement Kadhafi influent profondément sur la crédibilité de l’Union européenne ainsi que les objectifs et les valeurs de la politique méditerranéenne. Encore, l’Europe est-elle vraiment prête à faire face à une nouvelle pensée politique avec la Rive-Sud au long terme en vue d’obtenir des avantages de démocratie et stabilité ?

Pour ce carnet numérique, l’Europe a déjà de nombreux moyens culturels pour le faire. L’Europe doit commencer de nouveau par sa «pensée méridienne» parce que la Mer Méditerranée signifie « mer au milieu des terres ». Que signifie le terme « pensée méridienne»? La pensée méridienne est la pensée qui veut raisonner à propos du Sud. Le sud étant dans ce cas-ci la Méditerranée. L’homme méditerranéen – affirme Franco Cassano – vit toujours entre terre et mer, il limite l’une grâce à l’autre; dans son regard technologique et dans ses vices, il y a une mesure que d’autres ont perdue ». Avec ses caractéristiques, la Méditerranée est et reste à présent un centre vital de la grandeur et des richesses de la civilisation européenne. Cette mer a la capacité de protéger et de relier les différences. Intérioriser la mer, c’est savoir qu’il n’existe pas qu’un seul horizon, un seul pays et un seul accent, que des visions divergentes peuvent coexister. Pourquoi l’Europe a-t-elle oublié cette pensée, plusieurs fois soulignée d’Albert Camus et Pierpaolo Pasolini ? Edgar Morin conclurait de manière lucide:« nos espoirs, sans être autant utopiques, sont improbables. Mais l’improbable a toujours eu ses chances historiques. Sachons donc espérer l’inespéré et œuvrer pour l’improbable.»

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec Angelo Del Boca , essayiste, historien italien auprès de l’Institut d’histoire du temps présent de Piacenza et de Milan, journaliste, spécialiste de la période coloniale italienne. Il est également directeur de la revue d’histoire contemporaine. Après avoir participé à la résistance au fascisme, Angelo Del Boca devient journaliste et il se consacra des années 1960 à nos jours, à étudier l’histoire coloniale italienne en Libye, Éthiopie, Érythrée pendant la première moitié du XXe siècle. Ses recherches se sont développées notamment sur les méfaits causés par l’emploi de gaz et la création de camps de concentration dans les anciennes colonies. Récemment, il a regretté que la traduction en langue arabe de sa dernière étude consacrée à la colonisation italienne de la Libye par le titre « Naissance de la nation libyenne», aux éditions Milelli en 2008 , elle ait été interdite. Comme auteur il a publié nombreux essais en langue italienne dont « Gli italiani in Africa orientale », Milan, édition Mondadori 2000; « Le guerre coloniali del fascismo », Rome, édition Laterza, 1991; « L’Africa nella coscienza degli italiani. Miti, memorie, errori, sconfitte », Rome, édition Laterza, 1992 ; « Gli italiani in Libia », Volume 1 et Volume 2, Milan, édition Mondadori, 1997; « Gheddafi. Una sfida dal deserto », Rome, Laterza, 2001; « L’impero africano del fascismo. Nelle fotografie dell’Istituto Luce», ensemble Nicola Labanca, Rome, Editori Riuniti, 2002; « La storia negata. Il revisionismo e il suo uso politico », aux éditions Neri Pozza en 2009. Le dialogue a eu lieu dans la ville de Piacenza et Milan.

Antonio Torrenzano.Comment jugez-vous la situation en Libye ?

Angelo Del Boca. Les dernières nouvelles nous indiquent que le Pays il est fendu en deux. Les villes de la région de la Cyrénaïque, elles sont dans les mains des insurgés. Dans le Désert oriental, les tribus Zuwayya et les habitants menacent Tripoli de bloquer les exportations de pétrole si la violence ne cesse pas. Après l’est du pays et de nombreuses villes de l’ouest, la résistance gagne toujours plus de terrain. La situation est au contraire tout à fait différente dans la région occidentale de la Nation. Mais le clan Kadhafi tient toujours Tripoli. Nous ne savons pas encore exactement le numéro des victimes,les numéros de réfugiés et le grand nombre de travailleurs égyptiens qui sont à la frontière avec la Tunisie pour retourner dans leur Pays. La situation reste très incertaine.

Antonio Torrenzano. Après les révoltes en Tunisie et en Égypt, en Libye pouvions-nous prévoir ces événements ?

Angelo Del Boca. Pour ce qui concerne la région de la Cyrénaïque, je réponds sans hésitation oui ! Sans hésitation pour de nombreuses raisons : la très forte influence forte de la confrérie politique religieuse de la famille clanique de Senoussi, mais aussi pour les anciens événements du 1996 quand le régime bloqua dans le sang la révolte islamiste de la population de cette région avec une violence inouïe.

Antonio Torrenzano. Sur la révolte du 1996 nos avons encore peu d’informations.

Angelo Del Boca. Sur la révolte du 1996, la communauté internationale n’est jamais venue à la connaissance du numéro de victimes et du numéro des individus arrêtés. Dans la révolte du 1996, l’aviation tira aussi des coups contre la Montagne verte qui est le symbole pour la population de cette région du héros Omar Al Muhtar. En Cyrénaïque, il y avait donc un ressentiment très ancien vers le régime de Mouhammar Ghadafi.

Antonio Torrenzano

 

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Après la Tunisie et l’Égypte, la contestation du monde arabe a gagné la Libye. Mais, la révolte éclatée à Tripoli, au contraire des conflits tunisien et égyptien, elle semblerait être d’origine tribale et clanique. Les contestations en Libye ne viennent pas des intellectuels ou des travailleurs plutôt des tribus qui pourraient arranger l’action définitive pour détrôner le régime du Colonel Mouhammar Ghadafi. Le rôle du tribalisme dans la politique libyenne a été toujours bien évident et il a représenté un pilier fondamental du pouvoir de Muhammar Gheddafi depuis 40 ans. La société libyenne se compose de quasi 140 familles claniques qui incluent presque toutes les six millions d’habitants. Sur une population totale de six millions, presque les quatre-vingt-cinq pour cent d’individus ils appartiennent à une tribu. Les plus importantes sont les tribus de Warfala, de Zintan, de Rojahan, d’Orfella, de Riaina, al Farjane, al Zuwayya et la famille tribale de Tuareg. De tribus très anciennes et riche d’histoire dont leur rôle était déjà présent en Libye pendant la société précoloniale, durant la colonisation italienne et après l’accession à l’indépendance. Le tribalisme constitue donc la structure principale de cette communauté.

Quand on parle de tribus, il s’agit d’un ensemble social polyvalent singulièrement adapté aux conditions écologiques du milieu géographique et climatique de la région où ce groupe social vit. Une analyse interne de différents groupes nous relève encore l’absence du concept de classe sociale. Cette caractéristique a des raisons précises, parce qu’elle rend possibles l’homogénéité et la cohérence d’un groupe clanique. La propriété tribale ou familiale par exemple elle prévaut sur la propriété personnelle qui est reléguée au second plan. La lutte victorieuse contre la colonisation italienne modifia radicalement les relations entre toutes les tribus libyennes avec l’apparition de l’État. L’apparition de l’État (dans le sens juridique occidental) modifia leurs relations, leurs intérêts et les enjeux. L’État apparaît comme: le symbole de richesse, le pouvoir extraordinaire, l’employeur. En d’autres termes, l’État représente l’argent, le travail, l’épée. Dans leur rivalité, les tribus tendent par le jeu des influences et des alliances à s’assurer la maîtrise de l’appareil de l’État. Et cette domination signifia avant tout appropriation des privilèges et non-enrichissement des possibilités offertes. Par définition, l’État et la tribu constituent deux entités antithétiques.

Comment alors Mouhammar Ghadafi a-t-il pu gouverner pour 40 ans ? Pour un motif simple : parce que chaque tribu a exercé son pouvoir dans les différentes fonctions publiques suite à sa projection et sa localisation spatiale dans le pays. Toutes les tribus, par exemple, ont toujours eu leurs leaders politiques dans l’establishment militaire autant que dans les Comités populaires et révolutionnaires constitués par le colonel après la prise du pouvoir en 1969. Il a été ce pacte qui a permis au régime de gouverner. Mais ce pacte tribal depuis quelques mois s’est brisé en produisant les révoltes de ces jours et une nouvelle possible alliance. La tribu Tuareg participe à la révolte ensemble à la tribu Warfala. Les tribus Zuwayya du Désert oriental menacent Tripoli de bloquer les exportations de pétrole si la violence ne cesse pas. Actions que les nombreuses tribus de la Cyrénaïque ( Zuwayah, Awaqir, Abid, Barasa, Majabrah, Awajilah, Minifah, Abaydat, Fawakhir) ont déjà produites. Toutes les tribus de la Cyrénaïque, il faut ajouter encore, elles ont toujours considéré le coup d’État de 1969 contre le Roi Idris et la monarchie Senussi comme une action d’hégémonie des tribus occidentales sur la destinée du pays.

Dans la brève durée, les perspectives d’une stabilisation politique pour la Libye sembleraient très incertaines, mais c’est sûr que la communauté internationale devra dialoguer avec ces anciennes tribus pour ce qui concerne la Libye d’après Ghadafi… Au moins pour conjurer une nouvelle Somalie.

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec Shirin Neshat, vidéaste, photographe, Lion d’or de la XVIIIe Biennale de Venise. Shirin Neshat a quitté l’Iran pour étudier l’art aux États-Unis et en Europe. Après ses études universitaires, elle a travaillé à New York, San Francisco, Los Angeles. Son travail artistique se rapporte aux codes sociaux, culturels et religieux des sociétés musulmanes et à la complexité du temps présent. Le travail de Shirin Neshat analyse les dimensions sociales, politiques et psychologiques de la vie des femmes dans les sociétés islamiques contemporaines. Mais, Sherin Neshat n’offre jamais des représentations stéréotypées de la société musulmane. Ses objectifs artistiques ne sont pas formellement polémiques. Plus exactement, son travail reconnaît la complexité des forces intellectuelles et religieuses formant l’identité des femmes musulmanes dans le monde. Shirin Neshat est devenue internationalement connue en 1999, quand elle a obtenu le Lion d’or de la XVIIIe Biennale de Venise avec Turbulent et Rapture, un ouvrage avec 250 figurants, produit par la galerie Jérôme de Noirmont. Avant Venise, elle avait déjà rencontré un grand succès critique et de public après son avant-première mondiale à l’Institut d’art de Chicago au mois de mai de la même année. Ses oeuvres récentes sont : Fervor, ans 2000. Installation vidéo et sonore sur deux écrans; Passage, ans 2001. Installation vidéo; Logic of the Birds, ans 2002 (une performance multimédia);The Last Word, ans 2003 (installation vidéo); Zarin, ans 2005 (installation vidéo); Munis, de l’année 2008 (film vidéo) et le film vidéo Faezeh dans la même année. Comme photographe ses principales expositions individuelles ont été en 1998 près de la Maison européenne de la photographie à Paris, en 1999 avec Rapture à l’Art Institute de Chicago et au Kunstmuseum de Bonn, en 2001 au Musée d’art contemporain de Montréal, en 2002 auprès du Castello di Rivoli de Turin, en 2005 avec «Women without Men and Other Works» à la Neue Nationalgalerie de Berlin. Le dialogue a eu lieu à Rome, Venise et Berlin au mois de janvier 2011.

 

Antonio Torrenzano. Les prétentions des individus de l’Afrique du Nord et du Proche-Orient,elles me semblent identiques au reste du monde : liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de choisir leurs gouvernants. Encore, la transparence dans la gestion des biens publics !

 

Shirin Neshat. Les jeunes désirent seulement que leur avenir soit meilleur. Cette nouvelle génération bien éduquée est en train de dénoncer la corruption, la censure, le déclin économique, l’absence d’un dialogue démocrate, la liberté d’expression. Au mois de décembre, je me trouvais en Égypte et je comparais la force des jeunes Égyptiens à la volonté des jeunes Iraniens d’obtenir de changements sociaux et économiques.

 

Antonio Torrenzano. Les jeunes sont-ils exaspérés d’un quotidien sans avenir ?

 

Shirin Neshat. Les protestations des nouvelles générations arabes en Tunisie, en Égypte, en Algérie ou les mêmes revendications des partis d’opposition dans mon Pays : l’Iran, ils n’ont rien d’idéologique. Ces revendications désirent simplement un changement social.

 

Antonio Torrenzano. Pourquoi la voix des femmes est-elle presque absente de la politique?

 

Shirin Neshat. Le travail des artistes et des intellectuels femmes consiste à raconter une possible et nouvelle société musulmane. Mon travail artistique, par exemple, il reflète ma propre vie, mes propres anxiétés et mes désirs. Mon intérêt pour une certaine narration du monde et l’analyse de certains sujets, il reflète ma sensibilité et ma vision politique au féminin. Mes sujets racontent de situations sociales, ils racontent des désirs, mais aussi la complexité d’un passé très ancien et riche et d’un avenir incertain pour les sociétés du Proche-Orient. Le Proche-Orient peut avoir un avenir meilleur et les femmes ont déjà perçu depuis longtemps cette nouvelle vision du changement.

 

Antonio Torrenzano

 

* Dans l’image, Shirin Neshat avec Silvia Lucchesi pendant un séminaire à Rome.

 

 

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Conversation avec Wassyla Tamzali, écrivaine, ancienne directrice des droits de femmes à l’UNESCO de Paris, avocate à Alger. Aujourd’hui, elle partage son temps entre l’écriture et les actions militantes au sein du mouvement féministe maghrébin et pour un dialogue entre les peuples de la Méditerranée. En qualité d’autrice, elle a publié « Une éducation algérienne », en 2007 et pour les éditions Gallimard « Une femme en colère, lettre d’Alger aux Européens désabusés » 2009. Wassyla Tamzali a reçu le Prix Méditerranéen pour la Culture 2008 pendant une cérémonie qui s’est déroulée au Complesso Museale Santa Maria La Nova de Naples. La Fondazione Mediterraneo lui a assigné le Prix pour avoir su exprimer, à travers son œuvre de témoignage de la guerre de libération algérienne, sur les multiples dimensions et contradictions de la Rive Sud de la Méditerranée et pour avoir donné voix aux femmes victimes d’abus. Le dialogue a eu lieu en plusieurs fois dans la ville de Rimini auprès de la Fondation Pio Manzù pendant les journées internationales d’étude, dans la ville de Naples près de l’université Federico II-L’orientale et dans la ville de Erice au mois de juillet 2010.

 

Antonio Torrenzano. Pourquoi la voix des femmes est-elle presque absente de la politique mondiale ?

 

Wassyla Tamzali. Dans ce temps de complexité, la vision féminine serait une très bonne approche. Les pays du nord et du sud de la planète auraient besoin de la vision politique des femmes comme nouvel élément pour la gestion politique. Les femmes ont une très grande sensibilité par laquelle elles analysent les problèmes sous multiples aspects. La sensibilité féminine pourrait apporter à la communauté internationale une nouvelle manière pour dialoguer parmi les États et de nouvelles valeurs. Je crois vraiment que le XXIe siècle a besoin de la vision féminine pour retrouver la juste orientation. Les femmes possèdent de nouveaux éléments qui manquent dans le panorama politique contemporain.

 

Antonio Torrenzano. Et dans le Continent africain et l’Afrique du Nord ?

 

Wassyla Tamzali. L’Afrique a besoin des femmes. Le rôle de la femme en Afrique a eu un rôle très important dans la période avant la colonisation. Annie Lebeuf, mais aussi Catherine Coquery-Vitrovich, historiennes et spécialistes pour ce qui concerne le rôle de la femme en Afrique, elles décrivent la femme comme point de repère, comme mère du territoire où elle déroule son action politique, sociale et économique. La femme africaine a été une souveraine très influente dans la période avant la colonisation. Déjà au XVIe siècle, dans certaines sociétés africaines, ils existaient de cercles et de comités féminins qui discutaient et résolvaient les possibles problématiques. Puis, dans la période coloniale et successivement dans la période moderne, tous les préjugés importés par le colonialisme pour ce qui concerne l’identité féminine, ils commencèrent à se développer de manière négative. Dans la période moderne, au contraire, avec l’entrée de la femme africaine dans l’univers féminin mondial, on pourrait affirmer de ses soumissions ou exclusions presque totales de la gestion politique et sociale du continent. De plus, la femme africaine aujourd’hui est encore tourmentée par le problème de son identité et elle n’a pas encore trouvé son espace et une image très claire de soi-même.

 

Antonio Torrenzano. Vous avez affirmé que la situation est devenue pire dans la première décennie du siècle XXIe. Pourquoi le fantôme du fondamentalisme a-t-il rendu aveugle le monde occidental ?

 

Wassyla Tamzali. Sans doute. D’une manière plus générale, j’y vois un aveuglement pour tout ce qui relève à tort ou à raison de l’Islam. L’islam est devenu le continent noir de la pensée occidentale. À tous les échelons de la société. Cela est tellement répandu que j’y vois, sinon de la discrimination du moins de l’ethnicisme. Le monde européen a oublié peut-être Fernad Braudel qui affirmait : « Quatre ou cinq siècles durant, l’Islam fut la civilisation la plus brillante de tout l’Ancien Monde ». Aujourd’hui, cette aggravation des circonstances a bloqué chaque possibilité d’avoir une démocratie durable dans tout le continent africain et aussi dans l’Afrique du Nord. Les gouvernements, effrayés par ces faits marquants, ils ont blindé le dialogue.

 

Antonio Torrenzano

 

 

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Depuis le 1989, l’Europe s’est orientée vers la recherche d’instruments politiques afin de préparer une nouvelle situation géopolitique à l’intérieur d’elle-même et en Méditerranée. La ligne d’action prévoyait comme objectif celui d’un régionalisme ouvert sous le nom du partenariat Euro-Méditerranéen pour la paix et de prospérité partagée. Ce partenariat nait à la suite de la Déclaration de Barcelone des 27 et 28 novembre 1995. Le programme euroméditerranéen de Barcelone entre l’UE et les Pays du sud et de l’est de la Méditerranée (PSEM, c’est-à-dire Algérie, Chypre, Égypte, Israël, Jordanie,Liban, Malte, Maroc, Syrie, Tunisie, Turquie, Territoires palestiniens) rompait avec la tradition des préférences en programmant des accords de libre-échange. Le partenariat euroméditerranéen, avec le démantèlement de la protection, devait être un stimulateur de réformes structurelles et jouer un rôle de catalyseur. Ce défi, Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne, l’avait compris lorsqu’il avait lancé le partenariat dans la ville espagnole en 1995.

 

Le but toujours recherché a toujours été celui de faire de ce bassin une zone de paix et de prospérité partagée, mais aussi de dialogue. La force de cette ligne d’action était de marier les volets politique et sécurité (jugés essentiels pour le nouvel ouvrage géostratégique de l’intégration européenne) aux volets économique et financier, social, culturel et humain. Le déroulement prévu comportait des clauses importantes tant pour le pôle européen que pour les pays partenaires méditerranéens (PPM). L’Union européenne avait besoin de plus de stabilité pour la partie sud et est de la Méditerranée tandis que ses voisins riverains avaient besoin d’instruments commerciaux et financiers pour gérer leurs nouveaux processus d’ouverture économique. C’est pour tout ça que, dans la Déclaration de Barcelone, les pays signataires parlent de « paix et de prospérité partagée ». Les 15 dernières années ont été marquées par crises et instabilité en Méditerranée. Des conflits et des déstabilisations ont affecté plusieurs régions du Proche-Orient et des Balkans ainsi que l’Algérie en bloquant le développement. Au nord, l’intégration dans l’Union européenne de plusieurs pays riverains a permis un renfoncement des échanges et d’importants progrès en terme de modernisation économique, mais le modèle d’intégration régionale qui s’est construit au nord du bassin n’a pas eu d’équivalents dans la rive sud et à l’est. En dépit de plusieurs initiatives, la région reste caractérisée par la persistance d’une coopération non structurée.

 

En 2003, le partenariat il s’évolue par la nouvelle politique européenne de voisinage, mais cette politique manque encore de moyens et d’engagements réciproques. Elle a été surtout centrée sur des questions sécuritaires, la libéralisation du commerce (objectif d’une zone de libre-échange) et des approches bilatérales, mais il a peu intégré le développement durable. L’aide financier a été jusqu’aujourd’hui encore limité. Ce partenariat a eu ses mérites, mais il n’a pas répondu aux attentes qu’il avait suscitées. En 2005, à l’occasion des dix ans de la Déclaration de Barcelone, de nombreux responsables politiques du nord et du sud de la Méditerranée ont demandé qu’il vînt réorganisé autour de nouvelles lignes d’actions d’intérêt commun à l’Europe et aux Pays méditerranéens. Depuis le premier sommet de l’Union le 12 juillet 2008 à Paris, le processus politique s’est enlisé.

 

Quel en est le bilan ? Peut-on dire que les mises à niveau sont restées limitées ? Cet enlisement politique peut-il être surmonté ? L’Europe et l’Afrique du Nord sont aujourd’hui devant un choix stratégique : s’unir et représenter un nouveau sujet mondial, capable de parler d’égal à égal avec la Chine, le Brésil, L’Indie, les États-Unis ou rester séparés et être définitivement marginalisés dans la mondialisation. Les pays méditerranéens sont entrés dans une nouvelle ère. C’est le message qu’envoient la Tunisie et d’autres Pays de la Rive-Sud. Les gouvernants de Tunis et du Caire n’ont pas voulu voir cette réalité en face autant que la même Europe. Quant à l’Union européenne qui avait conduit une simple ligne d’action de stabilité politique rassurante avec ces pays, elle n’a pas davantage fait preuve de clairvoyance. Elle devra surement revoir sa conception diplomatique pour se montrer plus à l’écoute des évolutions traversant ces sociétés. La révolution tunisienne de la génération Twitter a montré les limites des relations d’État à État, nécessaires certes, mais insuffisantes de comprendre un pays.

 

Malgré une prise de conscience que le destin de l’Europe est lié à celui du Sud et de l’Est de la Méditerranée, l’UE ne parvient guère à y jouer le rôle historique que l’importance de ses interdépendances et de ses intérêts bien compris justifierait. Les coopérations Nord/Sud et Sud/Sud restent insuffisantes. L’intégration euroméditerranéenne s’est développée jusqu’aujourd’hui à géométrie variable, avec peu de moyens, avec de demi-mesures et avec le résultat de tractations de bazar. Et la coopération politique ? Sur cette question,les solutions manquent. La Méditerranée se retrouve à aujourd’hui en risque de fracture accrue, instabilité, sans une vision commune, mais surtout pas prête à prendre la juste orientation dans cette nouvelle intersection historique.

 

Antonio Torrenzano

 

 

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Conversation avec Samir Amin, écrivain, économiste, professeur de sciences économiques. Samir Amin est né au Caire d’une mère française et d’un père égyptien, tous les deux médecins. Il a passé son enfance et son adolescence à Port-Saïd où il suivit les cours près de l’école française. De 1947 à 1957, il a étudié à Paris pour ses diplômes en sciences politiques en statistique et en économie. Théoricien principal de l’altermondialisme, il est moins connu pour ses recherches sur les formes précapitalistes des pays colonisés, notamment africains. Il a travaillé de 1957 à 1960 dans l’administration égyptienne du développement économique et il a été de 1960 à 1963 conseiller du gouvernement du Mali, puis directeur de l’Institut africain de développement économique et de la planification. Il dirige actuellement le bureau africain du Forum du Tiers-Monde à Dakar. Auteur de nombreux essais dont « L’Égypte nassérienne» en 1964, « Trois expériences africaines de développement : le Mali, la Guinée et le Ghana» en 1965, « L’économie du Maghreb » en 1966, « L’impérialisme et le développement inégal » et «La nation arabe » en 1976, « L’économie arabe contemporaine» en 1980, avec F. Yachir « La Méditerranée dans le système mondial » en 1988, « Les enjeux stratégiques en Méditerranée » en 1991, « L’Ethnie à l’assaut des nations » en 1994, « L’hégémonisme des États-Unis et l’effacement du projet européen » dans l’année 2000, avec Ali El Kenz « Europe and the Arab world: patterns and prospects for the new relationship » en langue anglaise dans l’année 2005, « l’Éveil du Sud, le Temps des cerises » en 2008, « Sur la crise, le Temps des cerises » en 2009. Le dialogue a eu lieu dans plusieurs reprises : à Rimini près de la Fondation Pio Manzù, à Naples près de la Fondation Euromed pour les études méditerranéennes en 2008 et 2009 et par téléphone.

 

Antonio Torrenzano. Les prétentions des individus de l’Afrique du Nord et du Continent africain, elles me semblent identiques au reste du monde : liberté de pensée, liberté d’expression, liberté de choisir leurs gouvernants. Encore, la transparence dans la gestion des biens publics ! Les jeunes sont exaspérés par leur quotidien sans avenir.

 

Samir Amin. La démocratie est une condition indissociable de l’émancipation des hommes. On ne peut pas concevoir l’émancipation s’il n’y a pas une émancipation de l’esprit. La démocratie réelle est celle qui se préoccupe des intérêts de tous et non seulement des intérêts de quelqu’un. Une vraie démocratie est indissociable du progrès social, mais tout ceci signifie qu’elle doit conjuguer les exigences de la liberté à celles de l’égalité et d’un chantier concret pour l’avenir à réaliser.

 

Antonio Torrenzano. Combiner la liberté et l’égalité représentera-t-elle un nouveau défi historique que l’Afrique du Nord et le Continent africain devront affronter de manière réelle?

 

Samir Amin. La « démocrature » proposée par l’idéologie dominante jusqu’aujourd’hui, elle a produit plus d’obstacles qu’un vrai progrès social parce qu’elle a sacrifié l’égalité à la compétition, l’égalité à la suprématie du marché. Cette formule est idéologiquement fausse dans les sens le plus vulgaires de la parole. Ce serait mieux de parler d’une démocratie blessée, d’une démocratie élaborée à l’usage d’un capitalisme mondialisé et d’un capitalisme financier caractérisé par de puissants oligopoles financiers.

 

Antonio Torrenzano. Mais, ce type de démocratie n’est pas porteur d’un progrès réel ou potentiel.

 

Samir Amin. Au contraire, elle devient un type de système politique vide, un système sans légitimité ou de la crédibilité. Ce système remet le pouvoir réel dans les mains d’un chef en réduisant la démocratie à la pratique d’inutiles rituels.

 

Antonio Torrenzano. Quel avenir pour le partenariat euroméditerranéen ? Le partenariat euroméditerranéen est-il en concurrence avec les travaux d’un marché commun du Moyen-Orient, un projet totalement de l’administration des États-Unis ?

 

Samir Amin. Le projet d’un marché commun du Moyen-Orient proposé par l’administration de Washington cherche d’éliminer les Européens de toute influence dans la région. Or sur cette question, on ne voit pas, jusqu’à présent, la vision de l’Europe. L’Europe refusera-t-elle l’idée américaine ? L’Union européenne sera-t-elle capable de devenir un concurrent mettant une limite à l’hégémonie américaine ?

 

Antonio Torrenzano. La question est donc de savoir si les Pays riverains de la Méditerranée avec les autres membres de l’UE s’orienteront ou non vers une nouvelle représentation de leurs relations économiques et de sécurité avec les pays de la Rive-Sud de la Méditerranée.

 

Samir Amin. La raison pure devrait faire évoluer dans cette direction. Mais, jusqu’à ce jour, l’Europe n’a donné aucune indication allant dans ce sens. Une raison qui explique peut-être, en partie, l’inertie européenne, c’est que les intérêts des partenaires de l’Union européenne sont, sinon divergents, tout au moins chargés d’un coefficient de priorité relative fort différent d’un pays à l’autre. La façade méditerranéenne n’est pas centrale dans les polarisations industrielles du capitalisme développé : les façades de la mer du Nord, du nord-est atlantique américain et du Japon central sont d’une densité sans commune mesure. Pour les Nordiques de l’Europe – l’Allemagne et la Grande-Bretagne – a fortiori pour les États-Unis et le Japon, le danger de chaos dans les pays situés au sud de la Méditerranée n’a pas la gravité qu’il devrait avoir pour les Italiens, les Espagnols et les Français.

 

Antonio Torrenzano

 

 

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Les événements qui sont en train de se dérouler dans la Rive-Sud de la Méditerranéenne ouvriront-ils une nouvelle saison sociale, politique et institutionnelle dans l’évolution historique de ces États ? Ces demandes de changement seront-elles seulement des phénomènes isolées ou très bientôt ces questions seront réabsorbées par un retour au statu quo précédent de la tradition autocratique ? Une réponse correcte, clairvoyante et multidimensionnelle à ce phénomène social, aujourd’hui encore obscur, c’est crucial : pour les Européens et pour tout le Peuple de l’Afrique du Nord, car les deux sont membres de la même région, c’est-à-dire la Méditerranée.

 

Par ces faits marquants, l’Europe a été surprise. Pour mieux dire, par ces événements l’Europe a fatigué beaucoup de temps à comprendre que cette fois la rébellion des jeunes méditerranéens de la rive sud avait des racines bien plus profondes. Cette hésitation ou cet effroi, ils posent une multiplicité de questions : l’Europe a-t-elle par hasard oublié que son histoire et sa culture elle vient aussi de la même Mer Méditérannéenne ? L’évolution des sociétés du sud de la Méditerranéenne est ou elle n’est pas un élément très important pour la politique étrangère de l’UE ? À l’Europe du XXI siècle peut-elle seulement intéresser la stabilité politique d’un présent aveugle de l’avenir ? À l’Europe peut-il seulement intéresser la sûreté énergétique, la lutte contre le fantôme du terrorisme, un simple partenariat économique ? Eh de tout le reste, ce qu’il reste ?

 

L’observation des événements nous fait déduire que les événements sont différents, nouveaux, imprévus. La révolution de la génération facebook est un séisme politique majeur et le 14 janvier 2011 restera peut-être dans l’histoire de la Tunisie, du Maghreb et du monde arabe, mais comme une date historique. Dire que rien ne change serait faux. Les jeunes de l’Afrique du Nord, ils ne revendiquent ni du pain ni un simple emploi. Ils revendiquent le respect des règles du jeu, la fin du favoritisme et de la corruption généralisée. Ils revendiquent d’être les nouveaux sujets de leurs pays en soulignant avec ces protestations que la classe dirigeante est déconnectée des réalités. Les syndicats et les partis politiques ne jouent plus leur rôle politique ou social et le pouvoir s’est retrouvé face à la colère de la rue.

 

Ces événements naissent d’expectatives de gens ordinaires, qui sont tous de jeunes hommes et de jeunes filles. Et dans la Rive-Sud de la Méditerranée, les jeunes sont la société. Ces jeunes réclament avec la force de leurs vingt ans leur avenir. Leurs revendications sont spontanées et fraîches comme les ans de leur jeunesse et le parfum d’un jasmin. Tous et toutes utilisent les nouvelles technologies. Twitter, Facebook, mais aussi d’autres réseaux sociaux comme le site tunisien www.naawat.org ou le site algérien www.forumdz.com. De manière plus générale, toutes les nouvelles technologies ont été jusqu’aujourd’hui de moyens numériques très puissants. Les manifestants tunisiens, algériens, égyptiens ne sont pas organisés entre eux, mais ces moyens numériques ont permis de savoir ce qui passait ou il est en train de passer chez le voisin et avoir le même courage. Internet dans ce dernier mois de janvier a été l’agora non plus virtuel de ce qui se produit dans les rues. Tous et toutes sont indignés de leurs gouvernants parce qu’ils ont dépassé la limite de la décence. Ces jeunes ne brûlent pas de drapeaux, ces jeunes sont exaspérés par un quotidien d’un goût amer. Ces jeunes sont indignés parce qu’ils ont dénoncé que la limite entre justice et abus avait été dépassée. Ces jeunes, ils demandent une amélioration des leurs conditions de vie :de la responsabilité, de la créativité afin d’imaginer un nouveau parcours qu’il puisse conjuguer de la démocratie, les valeurs religieuses de l’Islam, la construction d’une modernité autochtone.

 

Est-ce qu’il a eu une logique fructueuse poursuivre pour l’Europe seulement des objectifs économiques ? Est-ce qu’il a eu une logique fructueuse pour l’Europe lutter contre le fantôme du fondamentalisme ? Est-ce qu’il a eu une logique clairvoyante consolider simplement l’aspect commercial avec la Rive-Sud du même espace régional ? Je crois que le prix politique payé par l’Europe devant à la profondeur de ces événements historiques est très haut. L’Europe apparaît encore une fois non préparée à approfondir le rapport entre le principe de la démocratie et le monde musulman. L’Europe apparaît encore une fois sans de nouveaux instruments pour comprendre une réalité si proche et si voisine à elle. L’Europe vraiment a-t-elle oublié comment utiliser son ancienne «Grammaire des civilisations » dont Fernand Braudel écrivait en 1963?

 

” La Méditerranée, écrivait encore Fernand Braudel , c’est … mille choses à la fois. Non pas un paysage, mais d’innombrables paysages. Non pas une mer, mais une succession de mers. Non pas une civilisation, mais plusieurs civilisations superposées… La Méditerranée est un carrefour antique. Depuis des millénaires, tout conflue vers cette mer, bouleversant et enrichissant son histoire”.

 

Antonio Torrenzano

 

Un remerciement particulier à l’artiste et journaliste Noémi Thepot pour l’illustration. Son carnet numérique http://actuencouleurs.blog.lemonde.fr