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Conversation avec Gina Bianchini, économiste, diplômée à l’université Standford, CEO et fondatrice avec Marc Andreessen du Réseau social Ning. L’approche architecturale de Ning, née par une idée de Marc Andreessen, père du navigateur Mosaic et de la société Netscape, est très différente de tous les autres réseaux sociaux comme Facebook ou Myspace. En effet, Ning a choisi non pas de créer un réseau social unique, mais plutôt une plate-forme permettant à tout le monde de créer son réseau social personnel autour d’une niche d’intérêts très spécifique. La société californienne propriétaire de Ning,basée à Palo Alto, a choisi de manière spéciale cet aspect: favoriser la création d’un très grand nombre de réseaux sociaux ciblés que chaque membre propriétaire de son réseau configure et oriente vers déterminés et spécifiques sujets d’intérêts. L’entretien avec Gina Bianchini a eu lieu en Suisse pendant le dernier World Economic Forum.

Antonio Torrenzano. Pourquoi Ning est-il différent des autres réseaux sociaux comme Facebook ou Myspace ?

Gina Bianchini. Le Réseau Ning est complémentaire à Facebook et à Myspace. Avec Facebook, tout le monde dialogue et il reste en contact avec les individus qu’il connaît déjà. La force de Myspace est la musique et d’une façon générale le monde du spectacle. Avec du Ning, en revanche, l’usager à la liberté de créer, de manière simple, son réseau social autour d’une niche d’intérêts très spécifique.

Antonio Torrenzano. La révolution numérique n’est pas une simple révolution technique, mais comparable à ce que fut l’apparition de l’alphabet ou à l’invention de l’imprimerie. La radio a employé presque 38 ans pour atteindre un accueil favorable de presque 50 millions d’auditeurs. À la télévision, ils ont été nécessaires seulement treize ans pour gagner la même ligne d’arrivée. Internet a employé au contraire seulement quatre ans pour rattraper les résultats de la radio et de la télévision, pendant qu’à l’iPod ils sont servis trois mois seuls pour arriver au même objectif. Selon vous, les Réseaux sociaux dans un futur très proche pourront-ils devenir plus populaires de la télévision ?

Gina Bianchini. Les deux médias ils ont des fonctions totalement différentes. Je crois qu’à présent chaque individu, chaque entreprise, mais aussi chaque institution publique doit apprendre à utiliser tous les moyens que les nouvelles technologies mettent à leur disposition en comprenant cependant la force et les limites que chaque moyen peut leur donner .

Antonio Torrenzano. La crise financière mondiale continue à causer des dégâts à travers le monde autant que la récession économique. Dans quelle mesure cette période économique incertaine influera-t-elle sur l’économie numérique? Votre collègue Tim O’Reilly pendant une conférence de presse a affirmé: «la crise économique ne fait pas qu’accélérer ce procès naturel et inévitable d’élimination des entreprises qui n’avaient pas un business consistant dans l’économie virtuelle».

Gina Bianchini. La crise existe, mais il nous offre l’opportunité de réfléchir sur la consolidation du Web 2.0. Nous sommes dans une phase de transition et cette longue tempête économique éliminera de nombreuses entreprises de l’économie non plus performantes. Une fois passée cette période nous retrouverons du temps pour nous poser encore une fois les questions qui comptent : c’est-à-dire comme et où nous pourrons appliquer les technologies et les techniques du web 2.0 pour résoudre les problèmes réels du monde.

Antonio Torrenzano. Quel est-elle la formule pour qu’un social network puisse avoir du succès ? Le professeur Derrick De Kerckhove, pendant un entretien à Milan il m’a répondu :«le partage, la recherche d’une majeure simplicité d’utilisation du Web et la rapidité par laquelle l’usager peut trouver ce qu’il cherche ».

Gina Bianchini. En dix secondes l’usager doit comprendre comme le réseau social fonctionne et à quoi il peut servir. Le seuil critique pour qu’un social network puisse avoir du succès ce sont les premiers 150 utilisateurs, après la plate-forme il grandira de manière exponentielle.

Antonio Torrenzano

*Un spécial remerciement à l’Université de Standford pour l’image de Gina Bianchini.

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Selon Luke Hayman, designer et expert de nouveaux médias américains, celui qui a refait le style et le nouveau nom en ligne de quotidiens comme «Time», «New York» ou des magazines comme «Travel» et «Leisure», le monde de l’édition de demain sera un métissage entre le web et les plus innovantes solutions réalisées par la presse écrite dans ces dernières années. Le nouvel environnement communicationnel, caractérisé par la centralité de la Toile, est en train de modifier en profondeur la nature traditionnelle des liens spatio-temporels qui définissent le travail journalistique (par exemple le bouclage) avec pour conséquence une mutation du métier de grande ampleur dans les processus productifs et des critères éditoriaux. Cette transition est en cours et elle suscite souvent des réserves dans la plupart des rédactions.

Luke Hayman écrit dans son carnet virtuel : « le nouveau iPad de la société Apple ou le lecteur Kindle sont en train de produire le passage définitif de la presse écrite au numérique ». L’auteur, toujours dans le même billet de son carnet, énumère de plus les possibles orientations des médias traditionnels caractérisés par la nouvelle centralité d’Internet. Jusqu’à aujourd’hui, le reportage journalistique se déployait dans un domaine spatio-temporel bien précis qui peut être résumé par trois phases : a) la phase de la production de l’événement, b) le temps de sa représentation journalistique, c) la phase de sa consommation. Ces trois phases jusqu’à présent se sont suivies et se sont engrenées selon une séquence logique : production, représentation, consommation. Mais, le Réseau net en devenant le lieu d’une convergence croissante, où il est en train de se développer une différente méthode journalistique de travailler: rédaction intégrée entre rédactions des formats imprimés et en ligne, interactivité/participation du lecteur, mashup et distribution multisupport et enfin l’interactivité, il a modifié quasi définitivement l’ancienne logique.

Pour Luke Hayman dans un futur très proche, la cadence journalière ou mensuelle d’un quotidien ou d’un magazine ne devrait plus avoir du sens. Par l’iPad ou par le lecteur Kindle, affirme l’expert, les quotidiens ou les revues mensuelles pourront être constamment ajournés comme il se produit déjà sur le web. Pour ce qui concerne, en revanche, la publicité, Luke Hayman soutient que les anciennes bannières publicitaires seront substituées à une nouvelle formule de communication publicitaire interactive. Communication capable de véhiculer beaucoup plus de renseignements comme déjà il arrive dans les modèles utilisés de la télévision. Les mêmes pour les textes qui seront plus longs et articulés, car l’iPad ou le lecteur Kindle sont pensés pour lire des livres en ayant un écran plus limpide que celui d’un microordinateur et une batterie de grande durée.

Pour s’adapter à la nouvelle puissance des technologies numériques, l’industrie des médias traditionnels devra modifier en profondeur la vision qu’elle a eue jusqu’à aujourd’hui de soi-même. Luke Hayman affirme encore que cette transition soit presque arrivée et qu’elle puisse provoquer un fort séisme dans l’industrie des médias traditionnels. Dans un tel contexte d’un monde pluridimensionnel et une société plus dense et complexifiée par la multiplication des acteurs sociaux, le monde du journalisme a-t-il compris sa nouvelle centralité sociale ?

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec Jean-Rémi Deleage, producteur de nouveaux médias pour la société I.Marginal. Cet entretien a été réalisé par Ghislaine Azémard, suite à la conférence que Jean-Rémi Deleage a donnée dans le cadre des Rencontres Médias du master Création et édition numérique de l’Université Paris 8. Réalisation et montage: Leden, Renan Mouren et Gilles Donnard.

 

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Conversation avec de Norbert Paquel, consultant CANOPE. Cet entretien a été réalisé par Ghislaine Azémard, suite à la conférence que Norbert Paquel a donnée dans le cadre des Rencontres Médias du master Création et Édition numériques de l’Université Paris 8. Réalisation et montage: Leden, Renan Mouren et Gilles Donnard.

 

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Derrick De Kerckhove dirige le programme McLuhan en culture et en technologie et il est professeur au département d’Études françaises de l’Université de Toronto. Parallèlement à ses études, il a collaboré avec le Centre pour la culture et la technologie (1972-1980) où il fût un collaborateur de Marshall McLuhan. Il organise des ateliers sur la connectivité de l’intelligence dans lesquels il propose une nouvelle façon de réfléchir en utilisant les technologies de l’information. La conversation avec le professeur Derrick De Kerckhove a eu lieu à Reggio Emilia et Milan.

Antonio Torrenzano. Depuis quelques années, le Web s’est accompagné d’une multiplication et d’une diversification de l’offre de contenus, en même temps que d’une généralisation de l’accès aux ressources. Malgré des tentatives pour approfondir des modèles cognitifs capables d’expliquer l’ensemble des comportements sur le Web, ces recherches posent encore un problème de généralisation des résultats. Une description tout à la fois planétaire et circonscrite à un lieu des usages de la toile reste donc encore à construire. Je crois qu’il faudra encore mieux analyser cette évolution dans les conditions de « danger-opportunité », pour bien comprendre les effets de la nouvelle ère du virtuel.

Derrick De Kerckhove. Aujourd’hui, la technologie nous offre la possibilité de repenser le monde et le processus en cours de manière critique et favorable. Le web 2.0, et… bientôt le Web 3.0, comme architecture sociale nous offre la possibilité d’affronter cette évolution historique de manière constructive. Le problème est que le concept sur lequel il repose le Web 2.0 est nouveau et, en tout cas, assez décalé par rapport aux tendances de la vision l’éducation contemporaine. Néanmoins le Web 2.0 c’est une réalité tangible que les gens vivent à travers de multiples expériences. L’information est elle-même une multiplicité d’informations. On comprend bien ce qu’est une opinion, et une opinion publique est issue du collectif, on sent bien que ça a une réalité et qu’au-delà de ce que pense chaque personne, il y a quelque chose qui accompagne le collectif de toutes ces personnes qui pensent ensemble. Les grandes évolutions sociales sont toujours arrivées par implosion ou par explosion : aujourd’hui, nous vivons une implosion électronique. Je vois dans l’invention du web une rupture historique avec notre passé et une accélération sociale pour ce qui concerne la connaissance. Je crois enfin que l’Internet porte bien son nom, c’est-à-dire qu’il est un système d’interconnexion de réseaux dominé par des processus de communication.

Antonio Torrenzano. Carnets virtuels, forums de discussion, réseaux sociaux… L’homme numérique écrit, se mobilise, partage ses enthousiasmes, ses combats. Depuis dix ans, le Réseau net n’en finit plus d’élargir l’espace public. La diffusion dans nos sociétés de la convergence numérique a connu dans la première décennie du XXI siècle une vitesse sans précédent. Comment, à votre avis, ce partage de connaissances changera-t-il nos habitudes?

Derrick De Kerckhove. À partir de la fin du XXe et le début du XXIe siècle, les carnets numériques autant que les réseaux sociaux sont devenus l’agora électronique dans laquelle tout le monde se rencontre en restant chez lui. Nous sommes passés d’un monde dominé par le savoir à un monde dominé par la connaissance. Je pense que c’est une mutation importante. C’est une mutation du monde très importante et il me semble que le web en est la résultante comme il en est l’accélérateur. La génération numérique est une génération sans peur sociale, politique, professionnelle. Il me semble qu’il y a, là, une rupture importante ; une rupture à la fois technique, économique et sociale, car dès le départ cette technologie a été extrêmement peu chère. Avec le web, nous assistons à quelque chose de tout à fait nouveau et dans ce moment économique nous avons un besoin nécessaire de ces individus pour dépasser la tendance à la stagnation des générations passées. Je parle de la génération numérique qui a la même période de la vie qu’internet, née avec le Réseau net comme aujourd’hui nous le connaissons. Cette génération appartient à la phase historique contemporaine : celle des réseaux sociaux, de Facebook, de Myspace, du réseau Ning, des blogs. Cette génération a un sens inné du web 2.0 et elle n’a pas de problème avec la technologie. C’est une génération qui a inventé une autre façon de voir les choses.

Antonio Torrenzano. Dans vos derniers séminaires, vous avez affirmé que le passage du Web 2.0 au Web 3.0, il est sur le point de se produire. Quel sera-t-il l’avenir du réseau? Le partage des connaissances sur le web est-il encore limité ?

Derrick De Kerckhove. Je ne pense pas que le partage des connaissances est limité. L’avenir du Web est de comprendre ce qu’il est étroitement indispensable pour celui qui l’utilise. Le web reste la machine sur laquelle partager la connaissance. Le concept même de pages web est un concept de partage. Je fais ma page web et je la dépose pour la partager. Les efforts dans ce moment se concentrent sur la recherche d’une majeure simplicité d’utilisation du Web et la rapidité par laquelle l’usager peut trouver ce qu’il cherche. Nombreux sites web sont encore trop difficiles à utiliser : pleins de renseignements insignifiants, avec des fonctionnalités pas toujours claires et trop de publicité. Le web est désormais délinéé directement par l’utilisateur. Beaucoup d’individus, par exemple, ont commencé à utiliser Twitter ou Facebook pour la rapidité des messages directs et rapides qui pouvaient s’échanger entre eux en mettant de côté leur courrier électronique parce que le courriel il exigeait un grand numéro de passages physiques pour communiquer.

Antonio Torrenzano

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La révolution numérique n’est pas une simple révolution technique, mais comparable à ce que fut l’apparition de l’alphabet ou à l’invention de l’imprimerie. La radio a employé presque 38 ans pour atteindre un accueil favorable de 50 millions d’auditeurs. À la télévision, ils ont été nécessaires seulement treize ans pour gagner la même ligne d’arrivée. Internet a employé au contraire seulement quatre ans pour rattraper les résultats de la radio et de la télévision, pendant qu’à l’iPod ils sont servis trois mois seuls pour arriver au même objectif.

Cette révolution culturelle, affirme le directeur de la division de l’Information et de l’Informatique UNESCO Philippe Queau, va si loin qu’on peut même parler de l’apparition d’une nouvelle «manière d’être». «Le fait d’être sur le net refaçonne votre conscience» dit-on. Ceci se paye cependant d’une mathématisation accrue de notre regard sur le monde, d’une «abstraction» croissante de la pensée. Mais, les formes contemporaines de production, de circulation et d’usage du document numérique accompagnent aussi l’émergence d’une nouvelle modernité qui doit encore être analysée et mise en perspective. Pourquoi ? Parce que le numérique est une nouvelle lingua franca permettant la transparence totale entre toutes les formes de représentation et internet est l’équivalent d’une imprimerie universelle, personnelle, ubiquitaire, instantanée et à très bon marché. Il y a quinze ans, ce que nous appelions par exemple document, il connaît aujourd’hui de profonds bouleversements. Texte, support ou mémoire sont largement redéfinis et auteur, éditeur, lecteur ou bibliothécaire se trouvent repositionnés dans cette nouvelle ère virtuelle.

Le monde de l’édition (presse écrite, quotidiens, hebdomadaires, revues mensuelles) et plus généralement de la publication est à la veille d’une transformation majeure. La technologie et les habitudes de lecture se sont donné un nouveau rendez-vous. Ce qui va se passer à très court terme est dans la lignée des évolutions que l’on a constatées pour la musique (le mp3, le mp4) et que l’on constate pour la vidéo : disponibilité totale de l’objet multimédia par l’action de la dématérialisation. Le livre ou le quotidien, en particulier, ne sont plus un fin en-soi, mais un composant d’une démarche d’auteur plus large et plus vaste, le condensé d’une communauté d’intérêts. Cette mutation s’appelle convergence. Convergence devrait être la nouvelle voix de la multiplicité et de l’inséparable. Dans le monde des médias, par exemple, le changement fondamental consistera que chaque médium ne déroulera plus de services uniques, mais il sera apte à répandre plus services : radio, e-book, TV, social network. Le réseau définera donc les nouveaux modes de communication et nos habitudes. L’écran de notre ordinateur nous proposera dorénavant d’écouter la radio, de lire le journal, de regarder la télévision ou de revoir pour une énième fois la fête de notre fils.

L’édition, telle que nous la connaissons aujourd’hui, objet papier que l’on achète à l’unité, va probablement devenir un choix au sein d’un abonnement, comme une classique chaîne de télévision au sein d’un bouquet. Son rôle va changer et, comme pour la musique, il va devenir objet de promotion d’un auteur qui gagnera de l’argent autrement, grâce à sa notoriété. Quant à l’édition, elle va passer d’une culture de comptage d’unités produites et vendue à une culture d’audience. Tout cela est très proche. Que pourront-ils dire les linguistes devant un octet et les sémiologues devant un pixel ? La croissance rapide de ce média a suscité dans les premiers temps les spéculations les plus diverses sur des usages encore en construction et même le Net a été l’objet d’espoirs ou de rejets radicaux. Pour autant, rares sont encore les recherches d’étude qui permettent d’en rendre compte de manière exhaustive et objective.

Antonio Torrenzano

 

Bibliographie électronique.

*Roger T. Pédauque, «Le document à la lumière du numérique», Caen, C&F éditions, 2007. Roger T. Pédauque est le nom collectif d’un réseau de scientifiques francophones travaillant dans les divers domaines d’expertise des sciences humaines et sociales ainsi que des sciences et techniques de l’information et de la communication.

*Carlo Sorrentino, « À travers le Réseau. Du journalisme monomédia à la convergence crossmédia», Rome, RAI-ERI éditions, 2008.

* Un excellent exemple de ce que peut être aujourd’hui l’ébauche de cette évolution est proposé par Joël de Rosnay sur son site Internet : http://www.scenarios2020.com

*Sur l’évolution de l’édition, le lecteur peut lire le rapport:Livre 2010,disponible à suivant adresse http://lesrapports.ladocumentationfrancaise.fr/BRP/074000434/0000.pdf

 

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Conversation avec Manuel Castells, écrivain, sociologue, professeur de sociologie et de planification urbaine et régionale depuis 1979 près de l’université de Berkeley en Californie. Il quitte l’Espagne à 20 ans, pour cause d’activisme antifranquiste, et il étudie en France la sociologie et l’urbanisme. Il développe dans ses travaux, notamment The Urban Question: a Marxist Approach et The City and the Grassroots, une approche structuraliste des formes urbaines et des relations entre l’économie, le social et les structures spatiales. Il s’est particulièrement intéressé au rôle de l’État en tant que régulateur des crises urbaines. Entre 1967 et 1979, il enseigne à l’École des hautes études en sciences sociales à Paris, avant de rejoindre Berkeley. Il s’intéresse alors à la Silicon Valley et la société de l’information. Il en devient un spécialiste reconnu avec sa trilogie consacrée à « L’ère de l’information » qui met particulièrement en évidence les transformations de la société par le développement des réseaux et la convergence numérique. Il est également directeur de recherche à l’Internet Interdisciplinary Institute de Barcelone, université virtuelle mondiale. Auteur de nombreux essais publiés dans plusieurs langues étrangères, dont « L’ère de l’information. Vol. 1. La société en réseaux », Paris, éditions Fayard, 1998 ; « L’ère de l’information. Vol. 2. Le pouvoir de l’identité », Paris, Fayard, 1999; « L’ère de l’information. Vol. 3. Fin de millénaire », Paris, Fayard, 1999; « Dans quel monde vivons-nous ? Le travail, la famille et le lien social à l’ère de l’information », en collaboration avec Martin Carnoy et Paul Chemla, 2001; « La Galaxie Internet », 2002. Le dialogue a eu lieu dans la ville de Milan auprès de l’université Milano Bicocca au mois de mai 2009.

Antonio Torrenzano. La diffusion dans nos sociétés de la convergence numérique a connu donc dans la première décennie du XXI siècle une vitesse sans précédent. Selon le philosophe français Paul Virilio, cette augmentation de la vitesse de la réalité a produit, en même temps, de plus grandes vulnérabilités et instabilités de la société même. Est-ce qu’il est ainsi aussi pour vous ?

Manuel Castells. Le réseau internet est dans une phase de transition. Je considère le réseau net comme l’équivalent de l’électricité dans l’ancienne ère industrielle. La toile est désormais à la base du networking : la forme d’organisation plus importante de notre société. L’essence même de notre présent, de la politique, de la guerre, du travail, des relations sociales, des actions militaires, du mouvement altermondialiste jusqu’au terrorisme international. Le réseau internet, cependant, ne résout pas les problèmes de la société, mais il les exprime et il les amplifie en rendant plus vulnérables les gouvernements, mais pas la société. Je trouve alors que la thèse de Paul Virilio on peut la partager seulement si nous pensons que la vulnérabilité de la société dépend de celle des gouvernements.

Antonio Torrenzano. Comment, selon vous, la Toile peut-elle influer sur la politique des gouvernements et des États ?

Manuel Castells. La particulière situation internationale que nous sommes en train de vivre, elle a aiguisé la pression des gouvernements sur le web. Depuis les origines du réseau net, les gouvernements, de droite et de gauche sans aucune distinction, ils l’ont considéré comme une grande menace. Les gouvernements effrayés par l’incapacité d’une vérification centralisée de la Toile, ils ont développé celle que j’appelle «China syndrome». Je pense, au contraire, qu’il faudra seulement trouver les nouvelles modalités appropriées pour les appliquer au Réseau sans aucun besoin de législations exceptionnelles.

Antonio Torrenzano. Dans votre dernier essai, vous écrivez que dans cette ère numérique les batailles culturelles elles sont en réalité de batailles pour le pouvoir. Qu’est-ce que vous entendez pour batailles pour le pouvoir ?

Manuel Castells. Dans mon dernier essai, j’affirme que les campagnes culturelles produites par le réseau internet, elles sont des combats en termes de valeurs. Je vous fais un exemple : si je donne de la valeur à la protection de l’environnement plus qu’aux consommations matérielles, je produis par mon blog des pressions sur les usines et sur les gouvernements afin qu’ils puissent modifier le modèle de croissance économique dans cette orientation. Si ma valeur est l’argent, alors je me concentrerai sur la production de la richesse, mais aujourd’hui pour produire du nouveau profit sur la Toile j’aurai besoin d’une nouvelle innovation et de nouvelles idées fondées sur les valeurs. Puisque notre société désormais est basée sur la prise de décisions fondées sur l’information, le changement des catégories culturelles sur lequel ces informations sont développées change les décisions et il modifie les relations entre le pouvoir et la société.

Antonio Torrenzano

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Les années 2000 ont confirmé la spectaculaire progression de la convergence numérique dans notre environnement journalier. Carnets virtuels, forums de discussion, réseaux sociaux… L’homme numérique écrit, se mobilise, partage ses enthousiasmes, ses combats. Depuis dix ans, le réseau net n’en finit plus d’élargir l’espace public. Manuel Castells soutient que : « les réseaux constituent la nouvelle morphologie sociale de nos sociétés, et la logique de la mise en réseau détermine largement les processus de production, d’expérience, de pouvoir et de culture […] Ce qui est nouveau aujourd’hui c’est le fait que les technologies de l’information fournissent la base de son expansion à la société tout entière ». Société en réseau émancipée des hiérarchies verticales dans laquelle le sociologue Manuel Castells pense que l’individu peut trouver de nouveaux leviers pour réaffirmer soi-même, faire vivre avec plus de force son identité dans un monde déterritorialisé. Manuel Castells soutient encore que le réseau est en train de construire une intelligence collective qui a l’occasion de substituer une organisation en réseau égalitaire aux vieilles hiérarchies pyramidales.

La diffusion dans nos sociétés de la convergence numérique a connu donc dans la première décennie du XXI siècle une vitesse sans précédent. L’installation de la société de l’information dans notre quotidien est désormais, comme nombreuses statistiques européennes constatent largement acquise. En France, plus de 25 millions de Français sont désormais des utilisateurs constants d’internet, près de 17 millions de foyers sont abonnés au haut débit, envoyer un courrier électronique est devenu aussi banal que de passer un appel téléphonique par le mobile. Comme l’avait déjà prophétisé Nicholas Negroponte il y a quelques années, le réseau net est omniprésent dans notre quotidien, il est devenu un élément structurant de notre économie, un point de repère de la vie d’homme numérique. Si en 1985, la passion pour le micro-ordinateur et la culture du langage de programmation étaient exclusivement de savoirs et de questions pour les spécialistes ; désormais, l’ordinateur n’est plus une affaire de passionnés ou professionnels.

Dans la société de l’information, il a écrit Laurent Sorbier, Teknê et Polis s’entrelacent encore plus intimement et fortement que par le passé jusqu’à former une seule et même toile, celle de l’internet. Mais la convergence numérique a transformé aussi l’environnement de l’information. Le passage rapide au numérique a changé l’édition, la recherche, l’apprentissage, la culture, les professions, tout ce qui concerne notre vie quotidienne. Le secteur de l’édition est intrinsèquement numérique maintenant. La photographie a fait la même chose autant que la production audiovisuelle. Les sites Web, qui constituent la plus récente des formes d’édition, documentent maintenant une large partie de l’activité commerciale et économique en Europe autant que dans la planète.

La révolution actuelle n’est pas une simple révolution technique, mais quelque chose de beaucoup plus profond, comparable à ce que fut l’apparition de l’alphabet ou à l’invention de l’imprimerie. Mais, le net est-il l’équivalent d’une imprimerie universelle, personnelle, ubiquitaire, instantanée ? Cette «intelligence collective» sera-t-elle assimilable à la noosphère de Teilhard de Chardin ? Sera-t-elle une « nappe » d’intelligences personnelles et libres ? Les formes contemporaines de production, de circulation et d’usage du document numérique accompagnent l’émergence d’une nouvelle modernité. Mais, cette nouvelle modernité n’a pas été encore analysée. La déterritorialisation de la mondialisation liée intrinsèquement à la nature du cyberespace, préparent-elles un nouvel ordre mondial ? Devant un tel choc, nos anciens repères s’évanouissent. Alors, vers quoi se tourner ? De quelle clairvoyance avons-nous aujourd’hui besoin ?

Antonio Torrenzano

 

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Conversation avec Zygmunt Bauman, sociologue, écrivain. Il a enseigné aux universités de Tel-Aviv et de Leeds. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues étrangères, il a publié en France : «Le Coût humain de la mondialisation», éditions Hachette, 1999; «Modernité et Holocauste» éd. La Fabrique, 2002; «La Vie en miettes, Expérience postmoderne et moralité» éditions du Rouergue/Chambon, 2003; «L’Amour liquide, de la fragilité des liens entre les hommes» éditions du Rouergue/Chambon, 2004; « La Société assiégée», éditions Hachette, 2005. Le dialogue a eu lieu à Rome, Milan et Reggio Émilia pendant des séminaires universitaires dans l’automne 2009.

Antonio Torrenzano. Vingt ans ans après de la chute du mur de Berlin, comme analysez-vous les profondes transformations de l’occident ? Y a-t-il quelque chose de nouveau dans notre conscience du temps aujourd’hui ?

Zygmunt Bauman. Nous vivons dans une époque de crise. Le vieux système est en train de mourir, mais la nouvelle société n’est pas encore née. Nous sommes dans une époque de transition comme déjà Antonio Gramsci affirmait dans ses « Cahiers ». Les forces dominantes d’aujourd’hui, en particulier le capitalisme financier, elles gèrent par l’argent le monde dans leur intérêt. La récente visite, par exemple, du président américain Barack Obama près de la Republique populaire de la Chine, m’est semblé plus un entretien d’un client chez son directeur de banque qu’une visite diplomatique. Nous vivons désormais dans une société fondée sur la production de marchandises. La situation devient alors chaotique, imprévisible pour les forces qui la dominaient jusqu’à aujourd’hui. Dans une époque de transition, il soutient encore Antonio Gramsci, ils se révèlent alors tous les symptômes, les incertitudes, les instabilités qui tourmentent la société. Nous vivons un grand capotage de l’Histoire occidentale. Le capitalisme a réussi à extraire le capital d’un cadre qui le contraignait trop, celui de l’État-nation avec ses législations et ses tutelles légales et aujourd’hui il règne dans un espace extraterritorial où il n’y a aucune surveillance.

Antonio Torrenzano. L’historien Fernand Braudel distinguait le temps de la longue durée, qui voit se succéder dans l’histoire humaine des systèmes régissant les rapports de l’homme à son environnement matériel, et à l’intérieur de ces phases, le temps des cycles conjoncturels qui ont été décrits par des économistes comme Nicolas Kondratieff ou Joseph Schumpeter. Nous sommes aujourd’hui de façon intelligible dans une phase B d’un cycle de Kondratieff qui a commencé il y a trente à trente-cinq ans, après une phase A qui a été la plus longue de 1945 à 1975 des cinq cents ans d’histoire du système capitaliste. Dans une phase A, le profit est généré par la production matérielle et industrielle ; dans une phase B, le capitalisme doit, pour continuer à générer du profit, se financiariser et se réfugier dans la spéculation. Quelle est-elle votre analyse ?

Zygmunt Bauman. Souvenez-vous du passé et vous perdrez un oeil. Oubliez le passé et vous perdrez les deux yeux : c’est ce qu’affirme un vieux proverbe russe, qui entend souligner la perte d’identité qui frappe celui qui s’exile du passé et s’abandonne à l’amnésie de l’histoire. Je crois que nous sommes à présent dans la dernière partie d’une phase B de Kondratieff, lorsque le déclin virtuel devient réel, et que les bulles explosent les unes après les autres. Les faillites se multiplient, le chômage progresse. Les crises et l’instabilité permanente démontrent la situation contemporaine. Tous les problèmes d’aujourd’hui sont mondiaux alors que la politique reste coincée dans le local. Les liens entre pouvoir et politique, si forts dans le passé, sont desserrés. Tel est notre problème ! Les leaders de la communauté internationale se trouvent dans un labyrinthe : incapables de produire un nouveau système des normes et de concevoir une nouvelle manière de vivre ensemble. C’est pour ça que les lieux ne protègent plus et notre environnement social, que nous espérions rendre homogène, demeure vraisemblablement dans une mosaïque de diasporas.

Antonio Torrenzano. Rarement, au cours de l’histoire de l’humanité, il est apparu aussi urgent qu’aujourd’hui d’interroger notre passé afin qu’il nous dise encore une fois qui nous sommes et où nous allons. Pourquoi dans un système mondial, la communauté internationale n’a-t-elle pas encore développé une gouvernance globale ?

Zygmunt Bauman. L’État nation n’est plus le moteur du progrès social et je pense que l’on ne reviendra plus en arrière. Aujourd’hui, l’État-nation se trouve dans la même situation historique que les petites communautés de l’Ancien Régime. On ne peut pas s’en sortir politiquement en cherchant à restaurer ces ordres anciens, mais en reconstruisant l’alliance entre pouvoir et politique sur des préoccupations mondiales. Le capitalisme est omnivore, il capte le profit là où il est le plus important ; il ne se contente pas de petits profits marginaux. Au contraire, il les maximise en constituant des monopoles. Mais je pense que les possibilités d’accumulation réelle du système ont atteint leurs limites. Le tourbillon de la mondialisation et la fascination qu’exercent les nouvelles technologies semblent inviter tout le monde à rejeter, sans discrimination, les clés du passé. La menace concerne surtout les jeunes tentés de débrancher les fils du passé, une fois pour toutes, et de se laisser aller à la dérive d’une actualité despote et omnivore. Comme si les fragiles équilibres de l’intelligence humaine pouvaient tolérer, sans en compromettre la fraîcheur et la créativité, cette amputation brutale de la dimension du temps et de la durée. L’autosuffisance du présent est toujours et de toute façon une tromperie perverse. Je crois qu’elle est devenue aussi illusoire la possibilité de changer les conditions de vie des hommes, de lutter contre l’insécurité, la servitude, l’injustice, la violence, la souffrance, l’humiliation, de s’opposer à toutes les violations de la dignité humaine.

Antonio Torrenzano. Depuis un certain temps, la recherche en sciences sociales exige si l’État est encore capable de mobiliser la confiance nécessaire pour son action. On peut comprendre l’État moderne comme un système général de réduction d’incertitude. Après une première phase pendant laquelle il s’est agi de garantir la survie physique des citoyens, l’État-providence a également pris en charge la question sociale et il doit désormais s’occuper des risques écologiques. Mais, si le politique ne peut plus assumer son rôle, alors les relations citoyens/État deviennent fragiles. Est-ce qu’il faut réinventer les relations politiques ?

Zygmunt Bauman. L’État-nation, une des inventions les plus fécondes de l’âge moderne,il était un contrat qui permettait d’atteindre ce but à travers une souveraineté circonscrite au territoire et des lois qui définissaient des limites. Un nouveau contrat politique devrait répartir par ces points. Sans une nouvelle assurance collective, il n’y aura aucune stimulation. Sans de nouveaux droits sociaux, un large numéro d’individus croira que leurs droits politiques seront inutiles et pas dignes d’attention. D’un côté, nous avons une politique sans pouvoir et, de l’autre, un pouvoir économique émancipé de la vérification institutionnelle. Le pouvoir économique agit dans un espace mondial, tandis que l’action politique est restée reléguée dans un espace relatif à un lieu particulier comme avant. Chateaubriand dans ses « Mémoires d’outre-tombe » il affirmait : Le monde actuel, le monde sans autorité consacrée, est placé devant une double impossibilité : l’impossibilité du passé, l’impossibilité de l’avenir.

Antonio Torrenzano

 

 

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Conversation avec Boutros Boutros-Ghali, né le 14 novembre 1922, au Caire (Égypte), dans une famille de chrétiens coptes, M. Boutros-Ghali fut secrétaire général de l’ONU de 1992 à 1996 et secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie de 1997 à 2002. Président du Conseil national des droits de l’Homme d’Égypte, il préside également le Panel international sur la démocratie et le développement, créé par l’UNESCO en 1998, et il est aussi membre du comité de parrainage du Tribunal Russell sur la Palestine. Docteur en droit international, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris (France), il a enseigné le droit international au Caire et il est l’auteur de plus d’une centaine de publications et de nombreux articles sur les affaires régionales et internationales, le droit et la diplomatie, ou encore les sciences politiques. En avril 2007, il se voit accorder un doctorat honoris causa de la part de l’Université du Québec à Chicoutimi (Canada). Il participe encore activement aux travaux de l’UNESCO, et en particulier aux Entretiens du XXIe siècle, dirigés par Jérome Bindé. L’entière conversation, recueillie par le journaliste Nfaly Savané, a été publiée sur le magazine SHS Regards, numéro 25, mois juillet-septembre 2009, dirigé Pierre Sané. SHS Regards est le magazine du secteur des sciences sociales et humaines de l’UNESCO.

Nfaly Savané. Vous présidez le Panel international sur la démocratie et le développement mis en place par l’UNESCO, en 1998. Quels enseignements tirez-vous de cette expérience ? Vous permet-elle d’affirmer qu’il y a un ou des modèles de démocratie ?

Boutros Boutros-Ghali. La démocratie et le développement entretiennent un lien indissociable. Ils ne peuvent par conséquent être séparés. Le problème est de savoir s’il faut commencer par le développement pour réaliser la démocratie ou au contraire par la démocratie pour réaliser le développement, ou alors aborder tout simplement les deux concepts en même temps. Ma réponse est pragmatique. Dans certains pays on a d’abord besoin du développement pour réaliser la démocratie, car un tel objectif ne peut être atteint quand vous avez, par exemple, 80 % de gens qui meurent de faim et sont illettrés. Dans d’autres pays corrompus, autoritaires, où l’aide au développement est parfois conditionnée au changement de régime, je dirai que la démocratisation est un premier pas, mais il n’y a pas de règle générale. Chaque situation a sa spécificité. Ma seule certitude est qu’une fois réalisé, le couple développement et démocratie devient indissociable.

Nfaly Svané. Les droits humains et la démocratie véhiculent-ils des valeurs auxquelles le monde arabo-africain doit se conformer ?

Boutros Boutros-Ghali. La démocratie, c’est surtout le pluralisme, différents points de vue, différentes opinions. Toutefois, la réalité va varier suivant les pays. Dans un pays divisé, par exemple, entre vingt tribus, ces dernières devront toutes être représentées dans les instances de décision. Ce sera la même chose pour un pays divisé entre 15 religions différentes. Il est en effet important que toutes les communautés représentatives participent au pouvoir. Je veux dire par là qu’il y a différentes formes de démocratie, différentes façons de faire participer les populations à la solution des problèmes auxquelles elles sont confrontées. Ce qui est important, c’est que le pouvoir ne soit pas entre les mains d’une seule personne, d’une seule tribu. La démocratie, c’est le partage du pouvoir, c’est le contrôle du pouvoir par différentes organisations.

Nfaly Savané. Que répondriez-vous à un jeune arabe ou un jeune africain qui vous rétorqueraient de ne pas évoluer dans la tribu, le village, mais dans le monde, et, par conséquent, que sa vie se déroule dans les tribulations de la ville moderne ?

Boutros Boutros-Ghali. Je n’ai pas dit que c’est uniquement à travers la tribu que la démocratie doit se présenter dans la région arabo-africaine, mais qu’à côté de la représentation européenne vous pouvez avoir une autre chambre qui représente les tribus. L’un n’empêche pas l’autre. Vous devriez donc faire participer ce jeune africain ou ce jeune arabe, mais aussi le clan auquel il appartient…

Nfaly Savané. Le développement de la communication et la mondialisation des échanges ont-ils une influence sur l’exercice des droits humains dans la région arabo-africaine ?

Boutros Boutros-Ghali. La mondialisation va avoir une conséquence sur la démocratie nationale dans la mesure où certains problèmes, comme celui de l’environnement et les crises économiques contemporaines, ne pourront plus être résolus à l’échelle nationale, mais internationale. La démocratie nationale, autant que la souveraineté nationale, elles vont perdre de leur importance au profit d’un pouvoir oecuménique, mondial, d’où l’importance de démocratiser la mondialisation.

Nfaly Savané. Quelle pertinence y a-t-il à parler de droits humains et de démocratie quand on sait que le véritable défi que doit relever le monde arabo-africain est celui de la fracture économique et sociale ?

Boutros Boutros-Ghali. Un des obstacles à la démocratisation, à la protection des droits de l’Homme, c’est la grande misère des pays du Tiers-Monde. Quelqu’un qui ne sait ni lire, ni écrire ne s’intéresse pas à la liberté de la presse. Quelqu’un qui n’a jamais quitté son village n’a que de faire d’un passeport pour pouvoir voyager . Cela étant dit, il y a un commun dénominateur aux droits de l’homme, dans la mesure où tous les êtres humains sont semblables : tous ont eu des parents et vont mourir un jour. Prenons un paysan du Sud : bien qu’il n’ait aucun rapport avec un milliardaire de Californie, du fait qu’ils sont tous les deux des hommes, ils ont les mêmes droits parce qu’ils sont semblables. Malgré sa richesse, le milliardaire de Californie va mourir un jour et le paysan du Sud aussi. La condition humaine est la même. Le langage de l’humanité, c’est les droits de l’Homme. Vous ne permettrez pas qu’on s’occupe d’aider les pays pauvres, si vous ne défendez pas les principes selon lesquels les droits de l’Homme sont des droits universels.

Nfaly Savané

 

 

*Un particulier remerciement au Magazine Life pour l’image de Boutros Boutros-Ghali.

*L’entretien électronique elle peut être lue sur le site de l’UNESCO au suivant adresse numérique : http://portal.unesco.org/shs/fr/