Un spécial remerciement à l’auteur compositeur et interprète Paolo Conte pour la video de sa chanson “Vieni via con me”. Son site numérique http://www.paoloconte.it
Un spécial remerciement à l’auteur compositeur et interprète Paolo Conte pour la video de sa chanson “Vieni via con me”. Son site numérique http://www.paoloconte.it
Conversation avec Daniel Pennac, écrivain, professeur de langue française. Prix Renaudot en 2007 avec son dernier roman «Chagrin d’école», aux éditions Gallimard. Le dialogue a été développé dans deux reprises : dans la ville de Mantoue auprès du «festival della letteratura» pendant le mois de séptembre 2008, à Milan près la fondation Feltrinelli.
Antonio Torrenzano. Comment expliquez-vous la crise de l’école secondaire dans presque tout l’occident démocratique? Alain Touraine, par exemple,recommande de passer d’une école du devoir à une école du sujet .
Daniel Pennac. Quand j’ai commencé à enseigner en 1969, j’entendais déjà dans la salle de professeurs mes collègues décréter dans une manière unanime:le niveau se baisse. Ce refrain sur l’abaissement du niveau d’apprentissage des garçons et des jeunes filles, il trahit un autre malaise: l’incapacité de notre société de dépasser la reproduction de l’élite de la part de soi-même. Mais, aujourd’hui, la vraie difficulté d’enseigner concerne aussi d’autres aspects : le conflit permanent, par exemple, entre les désirs et des besoins des nouvelles générations. Nos fils grandissent dans une société de marketing, dont du matin au soir, elle cherche de taquiner leurs désirs superficiels : consommer toujours de plus, changer de marques, désirer le dernier pull-over de cachemire. En revanche, la mission d’un professeur consiste à s’adresser à leurs besoins fondamentaux: penser, lire,écrire, compter, raisonner. Mais comment enseigner, comment rendre curieuse cette génération qu’un marketing et une publicité effrénée fait vivre dans un embarras permanent entre désirs et besoins?
Antonio Torrenzano. Dans votre dernier roman «Chagrin d’école», vous racontez votre parcours tourmenté comme étudiant. Votre expérience personnelle, combien a-t-elle été utile quand vous êtes devenu enseignant ? Avez-vous obtenu une connaissance supplémentaire pour mieux comprendre les élèves en difficulté ?
Daniel Pennac. Oui, je pense que mon expérience d’étudiant réfractaire m’a donné une connaissance supplémentaire. Qu’est-ce que j’entends pour connaissance supplémentaire? C’est de connaître la nature de ce qu’un étudiant ou une étudiante sentent quand ils sont en difficulté. Cette connaissance, je la considère comme absolument indispensable si on veut enseigner à tout le monde et si on choisit le métier d’enseignant. Le devoir d’un professeur, il est celui de faire avancer toute la classe et pas seulement dix élèves. Je trouve, alors, cette connaissance absolument indispensable. Le roman «Chagrin d’école» n’est pas un livre sur l’école, mais sur la douleur de ne pas comprendre. Moi aussi, j’ai été un étudiant en difficulté et le livre parle de la souffrance de l’enfant que, déjà de petit, sens cette douleur particulière de ne pas comprendre et d’avoir de difficultés dans l’acquisition de savoirs . Cet étudiant, il ne comprend pas sa présence dans la classe autant que les buts didactiques de l’institution scolaire dont il tâchera de s’échapper. Cette douleur provoque dans l’étudiant ou l’étudiante un manque d’estime permanente. Et, un adolescent manqué, il se sent privé d’avenir, prisonnier d’une éternité présente.
Antonio Torrenzano. Par delà nos différences d‘âge, de sexe, de conditions sociales, nous sommes tous et toutes générés par un système familial et un système scolaire. Famille et École sont des générateurs d’impulsions. Toutes deux, affirme le pédagogue Patrick Traube, se reconnaissent dans une commune osmose avec les flux et reflux qui agitent la société, dans une commune sensibilité aux turbulences et soubresauts qui la travaillent. Famille et École font la société. Et, vous n’avez jamais été tendre vers les absences éducatives et culturelles des parents.
Daniel Pennac. J’aimerais vous raconter le circonstance d’un Père de mon élève qu’il était venu chez mon établissement scolaire pour se plaindre de l’insuffisante maturité du Fils et… que le jour suivant, je l’ai croisé sur un trottoir au centre ville, habillé de manières impeccables, mais sur une patinette ! Cette histoire, elle me semble symptomatique d’une société dans laquelle trop souvent ils disparaissent les frontières entre parents et fils. Parents et fils qui sont unis par le même infantilisme à la consommation. La facilité de certains enfants de maîtriser, mieux que les adultes, le fonctionnement de gadgets électroniques à la mode, c’est seulement une pseudo-maturité. La nouvelle génération numérique a fait perdre à leurs parents le sens de l’éducation et de l’amour à donner. Les adultes sont, en outre, beaucoup de fois absents dans l’éducation de leurs fils et incapables à donner de réponses certaines et conformes. Je ne fais pas l’avocat de l’austérité, mais je déplore l’infantilisme des certains adultes, d’un certain marketing permanent ou d’une certaine publicité.
Antonio Torrenzano. Pour être un excellent professeur, quel secret faut-il posséder?
Daniel Pennac. L’amour. Mais, attention:il ne s’agit pas de rendre sentimental le rapport pédagogique. Ce que j’appelle amour, il est un cocktail fait de passion pour la discipline enseignée, un très haut plaisir de la transmettre, une bienveillante curiosité vers la jeunesse et leurs aspirations toujours nouvelles. Ces trois ingrédients, ils me semblent indispensables au métier de l’enseignant.
Antonio Torrenzano
* Un spécial remerciement à l’Artiste italienne Giovanna Magnani pour l’aquarelle, titré “vorrei incontrarti”,dont sa peinture bride dans la lumière la poussière magique de chaque récit.
Dialogue avec Alain Touraine, sociologue, écrivain, professeur, directeur d’études à l’École des Hautes Études en sciences sociales de Paris. Alain Touraine est docteur honoris causa des Universités de Cochabamba (1984), Genève (1988), Montréal (1990), Louvain-la-Neuve (1992), La Paz (1995), Bologne (1995), Mexico (1996), Santiago (1996), Québec (1997), Córdoba (Argentine, 2000). Auteur des nombreux essais traduits dans plusieurs langues diplomatiques, il vient de publier «Penser autrement» (éditions Fayard, 2007) et «Si la gauche veut des idées» avec Ségolène Royal aux éditions Grasset. Le dialogue a eu lieu dans la ville d’Assise pendant le séminaire: « I cittadini, le loro individualità, i loro contributi al rinnovamento».
Antonio Torrenzano. Qui sont les lycéens européens du XXI siècle?
Alain Touraine. Ils sont des garçons et des jeunes filles animées par de grandes idées, aspirations, envie de nouveau. Sociologiquement, les lycéens sont la nouvelle génération qui a un 50% de mener le Continent européen vers nouveau objectif et un 50% de rester aux marges de cette société. Par leur action, la société civile et politique a découvert les problèmes de l’instruction à l’ère du XXI siècle. Les lycéens demandent de communiquer dans une manière nouvelle avec leurs professeurs, ils demandent c’est-à-dire que l’école devient plus attentive aux nouveaux défis de la société. L’enseignement est en France, et il reste, aristocrate. En haut, nous avons les grandes écoles, les plus nobles et les plus inaccessibles; puis, la préparation professionnelle, les médecins, les avocats, les professeurs. En bas, l’enseignement technique: chose qui est paradoxale pour une société qu’on définit industrielle. En France, l’école n’aime pas l’industrie et elle impose un modèle unique, ce de l’employé dirigeant au détriment de la formation des techniciens. Il est urgent de diminuer les distances sociales et, donc, de remplacer la hiérarchie des formations par la diversification des chemins éducatifs offerts à chaque niveau.
Antonio Torrenzano. Quel est-il, le rôle de l’enseignement et de l’école dans cette phase historique de début siècle?
Alain Touraine. Il doit apporter des solutions concrètes à des problèmes concrets. Deux choses sont à se faire tout de suite à l’école: il faut la recréer et organiser nouvelles relations entre les professeurs et les étudiants. De l’autre côté, il faut rétablir la relation entre l’école et l’emploi. Le devoir de l’école est de dévoiler, de rendre visible ce que les médias ils cachent. L’école doit fournir à la politique de nouveaux instruments parce que les citoyens peuvent devenir la nouvelle classe dirigeante. L’école doit contribuer à faire manifester leur passion, la sensibilité civile.Sensibilité porteuse de nouvelles instances, de nouveaux droits: contributions uniques au renouvellement de la démocratie. La crise financière du mois d’octobre 2008 a fermé un cycle historique. L’élite du profit et de la Bourse, de la publicité et des affaires, il a raté et produit une grande catastrophe. Historiquement, c’est toujours arrivé ainsi : que les dominants ne soient pas renversés par les dominés, mais par l’énormité de leur ambition et de leurs mensonges. Heureusement, nos nouvelles générations sont infiniment plus vitales et dynamiques des classes dirigeantes européennes. Je l’affirme comme spécialiste, mais aussi comme citoyen: nous devons rénover la politique en commençant par les aspirations de citoyens en faisant attention à tout ce qui se développe dans nos sociétés civiles .
Antonio Torrenzano. Pour ce qui concerne la crise financière, propre, l’Europe a endigué la catastrophe financière.
Alain Touraine. Tout ceci c’est vrai, mais il est vrai aussi que la politique européenne s’est de plus en plus révélée contradictoire et dépourvue d’une position commune entre tous les pays membres. De l’entrée de la Grande-Bretagne, l’Europe a perdu son aspiration sociale. L’Europe est devenue un engrenage de la mondialisation et le technicisme de Bruxelles il a été mis au service d’une révolution liberiste silencieuse. Nous ne sommes indépendants en rien. Tout ça, il est paradoxal pour un continent habité de presque 350 millions de personnes, avec une économie entre les premières de la planète. Les États-Unis, en ce moment décisif et critique, ils ont réussi à élire Barack Obama. Ici chez nous en Europe, ils sont vingt ans qu’un leader digne de ce nom il ne se voit pas. Le niveau de la classe politique européenne est désarmant. Quel leader européen peut-il se présenter aux électeurs pour critiquer le marché qu’il a loué jusqu’au jour avant la crise financière ? Sur ce ballottement, ils pèsent évidemment aussi de fautes historiques, parmi lesquels un certain marxisme survécu pour longtemps. Mais aussi le choix d’épouser dans une manière pas critique l’éthique du marché en laissant la défense de l’État aux mouvements nationalistes. On doit recommencer de l’intelligence et du vécu de chaque citoyen, par sa créativité porteuse de sensibilité civile. Le nouveau terrain de la politique doit redémarrer par la créativité et les aspirations de chaque citoyen. Dans le sentiment diffus que la limitation de la liberté de l’autre, aussi dans un angle caché de la planète, il soit une attaque potentielle à la liberté de soi-même.
Antonio Torrenzano. J’ai de doutes sur comme on puisse concrétiser en pratique ces nécessités.
Alain Touraine. Tout ceci arrive parce que l’Académie, l’Université et l’État, comme nous les connaissons, ils sont le fruit d’un monde au déclin, sorti de la révolution industrielle de moitié du 1800. Notre devoir d’intellectuels, il est d’arrêter ce déclin. De déconstruire le langage dont nous nous servons, de renouveler les schémas désuets d’analyse de la société qui cachent la réalité. De rendre de la visibilité et de la dignité aux gens ordinaires et à leurs instances infinies en encourageant la libération d’énergie parce qu’ils les organisent dans une nouvelle société.
Antonio Torrenzano
Conversation avec Jacques Attalì, écrivain, économiste, ancien conseiller de François Mitterand, puis président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Il dirige à présent PlaNet Finance et il a présidé la Commission pour la libération de la croissance française. Il a publié de nombreux essais et romans. La conversation a eu lieu dans plusieurs reprises : à Milan auprès du Forum sur l’innovation 2008 et au mois d’octobre 2008 à Paris, auprès de l’Organisation internationale UNESCO des Nations Unies.
Antonio Torrenzano. J’aimerais commencer cette nouvelle conversation sur l’éducation avec vous après la rencontre de Milan, par la même question que j’ai posée à Edgar Morin: comment expliquez-vous la crise de l’école secondaire dans presque tout l’occident démocratique ?
Jacques Attalì. Je voudrais dire qu’aujourd’hui il me semble qu’une des grandes lacunes, une des grandes révolutions à accomplir c’est de considérer l’éducation aussi importante que la santé. À priori, la santé et l’éducation sont les deux grands secteurs fondateurs de la puissance publique, mais personne ne discute de l’importance de se soigner tout au long de la vie, personne ne discute de l’importance de financer la santé pour tous, tout le monde discute de la question de financer l’éducation pour tous. Alors, d’abord il y a des parallèles dans leur réalité, à titre individuel sans éducation on meurt socialement comme sans santé on meurt physiquement. Et même, non seulement on meurt socialement sans éducation, mais on meurt physiquement parce que l’on ne trouve pas d’activités, de travail et on a faim. Deuxièmement, on peut dire que la santé, la maladie sont une chose beaucoup plus dangereuse que l’ignorance parce que la maladie est contagieuse ; et bien, l’ignorance est aussi une maladie contagieuse. L’ignorance est une maladie contagieuse qui entraîne dans nos sociétés la dictature, la barbarie et le comportement désastreux. Il est clair aujourd’hui qu’il faut arriver à concevoir l’ignorance comme une maladie et l’éducation comme une forme de santé. Les deux secteurs sont parallèles, mais l’un est plus maltraité que l’autre et on n’a pas compris encore globalement que l’éducation mérite d’être traitée comme une forme de santé sociale, l’ignorance comme une forme de maladie et c’est pourquoi aujourd’hui l’éducation est un formidable échec collectif comparé au formidable succès collectif du progrès en matière de santé.
Antonio Torrenzano. Se former tout au long de la vie, comme on se soigne tout au long de sa vie…
Jacques Attalì. L’éducation tout au long de la vie doit être une éducation multiple. Je voudrais défendre ici l’idée que se former est une activité socialement utile. Se former est une activité socialement utile qui mérite rémunérations et je pense que c’est la révolution très profonde qu’il faut penser pour régler le problème de l’éducation pour tous. Comme je disais tout à l’heure que l’éducation et le travail sont des formes qui vont être de plus en plus interdépendantes, il faut considérer que se former est un travail et non pas un service qu’on reçoit. Se former est un travail qui est utile évidemment à celui qui le reçoit comme le fait de se soigner et qui est utile à la société parce que l’ignorance est dangereuse et parce qu’une collectivité qui est de plus haut niveau n’améliore le niveau de vie pas seulement de celui qui est formé, mais de sa collectivité. On arrivera à une éducation pour tous tout au long de la vie que si l’on change radicalement de paradigme et si l’on arrive à penser que se former est une activité socialement utile méritant une rémunération comme se soigner est une activité socialement utile méritant la continuation de la rémunération. C’est une inversion radicale par rapport au mode de penser dominant de plus en plus qui consiste à dire que les jeunes doivent emprunter pour payer leurs études ou que l’ensemble du système éducatif doit être financé seulement par ceux qui en bénéficient. Je considère au contraire que se former est une activité socialement utile et qu’il faut organiser le financement de l’éducation comme on organise le financement de la santé.
Antonio Torrenzano. Les nouvelles technologies sont-elles un facteur important dans le développement de l’éducation ?
Jacques Attalì. Bien sûr, il y a un discours très général qu’on répète depuis 20 ans, 25 ans, de colloque en colloque, sur lequel les nouvelles technologies sont un facteur essentiel de développement de l’éducation. Bien sûr, il y a des ordinateurs dans beaucoup de classes, bien sûr il y a des cours par la télévision à travers le monde, bien sûr il y a beaucoup de progrès qui ont été faits dans simplement l’usage de nouvelles technologies dans l’éducation. Mais, en réalité, ce n’est pas du tout du progrès technique en matière d’éducation c’est de l’introduction des technologies extérieures pour communiquer des méthodes traditionnelles d’enseignement. Bien sûr, il y a de grands pédagogues, il y a de grandes recherches depuis Piaget et bien d’autres sur les méthodes d’enseignement, mais en réalité si on regarde bien le progrès en matière d’éducation, de technologie d’éducation sont nuls.
Antonio Torrenzano
Que deviennent l’éducation et la formation par rapport aux mutations contemporaines ? Si apprendre tout au long de la vie est aujourd’hui reconnue comme un instrument-clé pour relever les défis sociaux dans toutes les économies, la prise en compte du débat par les décideurs politiques montre que le temps est venu de réduire l’écart entre les discours et les pratiques.
Sur la question comment apprendre face aux mutations contemporaines, l’organisation internationale UNESCO des Nations Unies et le Conseil régional d’Île-de-France, ensemble au Comité mondial pour l’éducation et la formation tout au long de la vie (CMEF) et le Centre INFFO, ont dédié le 1er Forum mondial de l’éducation et de la formation, inauguré le 28 octobre 2008 auprès du Conseil régional d’Île-de-France et développé le 29 octobre auprès du siège de l’UNESCO à Paris.
Aujourd’hui, l’éducation et la formation ne sont plus réservées à une période initiale de la vie : on apprend, au contraire, tout au long de la vie. C’est la question à laquelle répondront Alain Touraine et Jacques Attalì dans cette deuxième partie de notre dossier sur l’éducation que ce carnet numérique a consacré au débat en cours.
Antonio Torrenzano
Conversation avec Edgar Morin, écrivain,sociologue, directeur de recherche émérite au CNRS. Edgar Morin est docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde dont de l’université de Natal, Université de Porto Alegre et Université de Joa Pessoa au Brésil. Son travail a exercé et il continue à exercer une forte influence sur la réflexion contemporaine, notamment dans le monde méditerranéen et en Amérique latine. Il a créé et préside l’Association pour la pensée complexe (APC). Il est membre du comité de parrainage de la Coordination française pour la Décennie de la culture de paix et de non-violence. Il soutient, depuis sa création en 2001, le fonds associatif Non-Violence XXI. Auteur de nombreux essais, traduits dans plusieurs langues étrangères, nous rappelons les derniers: «Éduquer pour l’ère planétaire, la pensée complexe comme méthode d’apprentissage dans l’erreur et l’incertitude humaine» (avec Raul Motta, Émilio-Roger Ciurana), Balland,2003; «Université, quel avenir?» (avec Alfredo Pena-Vega), Paris, éditions Charles Léopold Mayer, 2003; «Pour entrer dans le XXIe siècle», réédition de Pour sortir du XXe siècle publié en 1981, éditions Le Seuil, 2004; «L’an I de l’ère écologique» (avec la collaboration de Nicolas Hulot), Paris, Tallandier, 2007; «Vers L’abîme», Paris, L’Herme, 2007. Le dialogue a eu lieu à Rome au mois de janvier 2008 et à Paris au mois de septembre 2008.
Antonio Torrenzano. Comment l’école devrait-elle éduquer les nouvelles générations à l’ère planétaire ?
Edgar Morin. L’école n’enseigne pas comment affronter l’incertitude ou vivre dans une époque mondiale. L’école offre une fragmentation de savoirs qui tuent la curiosité. Je vous fais un exemple. Il y a quelque temps en France, il était de mode la sémiotique. Les professeurs de langue française ne faisaient plus lire des textes : Racine, Voltaire, Molière, Pascal. Ils prenaient quelques pages des textes et ils les analysaient par la méthode sémiotique. Le résultat ? Les jeunes qui aimaient lire, après ce parcours didactique, ils ne voulaient plus lire. L’école n’a pas d’âme. L’Émile de Rousseau dit: je veux apprendre à vivre. L’école manque, en outre, de passion. Sans passion, nous ne pouvons pas transmettre aux garçons et aux jeunes filles ni de savoirs ni la curiosité du futur . Enseigner est une mission. Une mission laïque, comme aussi d’autres métiers: le médecin, l’infirmier, le magistrat.
Antonio Torrenzano. Comment expliquez-vous la crise de l’école secondaire dans presque tout l’occident démocratique ?
Edgar Morin. La crise de l’école secondaire parcourt presque tout l’ouest démocratique. Cette crise est si violente et elle a la même intensité dans tous les Pays du continent européen. Elle est différente seulement dans la manière dont chaque nation et culture décline la façon de l’affronter et de la résoudre. Une crise de ce genre n’a pas précédents: plus virulente du 1968. Nous sommes en train de vivre une crise profonde et, dans les moments de crise, les adolescents sont les plus faibles engrenages de la société. Aujourd’hui, je constate que la situation est plus grave respect au passé. Le nihilisme du présent a produit un manque de sens de l’avenir. La crise de la société occidentale n’a jamais été si aiguë. Cette situation est comparable à un fort état décadent et les jeunes, ils subissent plus que d’autres ce manque d’avenir. L’école, toute seule, elle ne suffit pas. Le problème est multidimensionnel et l’école devrait enseigner l’histoire et les cultures de tous. De qui est né au Kabul, à Palerme, à Paris, à Helsinki, à Pékin. Il faut que l’histoire mondiale soit unie aux histoires locales. Les jeunes sont égaux dans le monde entier : ils sont des êtres humains faits de biologie, de curiosité intellectuelle, de poésie. Il faut espérer dans une nouvelle renaissance, une redécouverte humaniste des valeurs du monde entier. Les jeunes de cette génération n’ont pas de certitude; devant à eux, il existe seulement le chômage. Et personne, il ne répond pas à leurs questions.
Antonio Torrenzano. Pour apprendre, j’ai toujours pensé qu’il fallait le faire avec passion et respect vers mes étudiants. J’ai eu de la chance ou je me suis trompé ?
Edgar Morin. Il faut avoir beaucoup d’amour et passion. Ce n’est pas mon idée, je me réfère à Platon. Il faut réveiller dans les jeunes la curiosité, le sens de l’invention, l’étude par une méthode interdisciplinaire.
Antonio Torrenzano
Conversation avec Umberto Galimberti, écrivain, professeur de philosophie de l’histoire et de psychologie dynamique auprès de l’université Cà Foscari de Venise, membre de l’International Association of analytical psychology, éditorialiste au quotidien italien «La Repubblica». Auteur de nombreux essais, traduits en allemand, espagnol, portugais, grec et japonais, dons nous rappelons : « Il tramonto dell’Occidente nella lettura di Heidegger e Jaspers (1975-1984)», « Il corpo» 1983, «Gli equivoci dell’anima» 1987, «Psiche e Techne. L’uomo nell’età della tecnica» 1999, «Le cose dell’amore» 2004, « La casa di psiche. Dalla psicoanalisi alla pratica filosofica» 2005, « L’ospite inquietante. Il nichilismo e i giovani» 2007 et la dernière publication « Il segreto della domanda. Intorno alle cose umane e divine» Rome, Apogeo éditions, 2007. Il est encore auteur du «Dictionnaire de psychologie» Milan, Utet éditions 1992. Le dialogue a eu lieu à Reggio Emilia et Venise auprès de l’université Cà Foscari.
Antonio Torrenzano. Pourquoi les nouvelles générations ont-elles peur de l’avenir ? L’école déroule-t-elle encore son vrai rôle ?
Umberto Galimberti. Les dernières générations ont devant le rien qui s’annonce. Ils vivent dans une absence de sollicitations, qui porte cette génération à s’enivrer par de fortes émotions, de musique et images violentes, de sensations synthétiques, mais artificielles. Même s’ils ne le savent pas, les jeunes vivent très mal leur temps présent. Les horizons sont opaques, leurs âmes sont dans un état de lassitude et leurs sentiments ne brûlent pas dans le coeur comme, par contre, il devrait arriver à cette période de la vie. Le problème est le nihilisme. Les valeurs se sont maintenant écroulées, voilà le problème. Attention, parce que les valeurs dont je parle avec vous, ils ne sont pas affirmés dans le sens spirituel ou moral. Le sens, que j’attribue ici à la parole, est le manque de cohésion sociale, de relations humaines, de reconnaissance de l’autre. Facteurs que notre société contemporaine a perdus au long de la rue. Nous vivons dans une sorte de solitude de masse, où l’avenir est impénétrable. Les nouvelles générations n’ont plus un parcours guidé de croissance émotive ni à l’école ni chez eux avec les parents. Quand l’école n’accroît pas l’émotion, mais seulement les données mnémoniques, les jeunes ne connaissent plus les sentiments. À la place du dialogue succède le geste, qui est un revenir aux origines. Dans le monde primitif, les gestes remplaçaient le conflit exercé avec les mots. Mais si les garçons ne connaissent plus de sentiments ni de mots, le geste finit d’être le seul élément agrégeant.
Antonio Torrenzano. Le nihilisme, dont parlez-vous dans vos derniers essais, est-il en train de priver les nouvelles générations des énergies nécessaires pour construire l’avenir ?
Umberto Galimberti. À la base du nihilisme des nouvelles générations, il y a l’absence de l’avenir. Avenir qu’ils ne voient pas. Futur qui n’attire plus, parce que l’avenir est au-delà de nulle part. Les parents, de leur côté, ils renoncent à leurs autorités et ils deviennent contractuels: si tu prends un bon vote, par exemple, nous te donnons la motocyclette. La situation devient très préoccupante. Les jeunes ne vont pas en avant, mais pour un mécanisme de logique infernale. À mes temps, l’avenir s’annonçait comme espoir; pour eux, le futur est décourageant. Ils devraient réussir à découvrir une ancienne pratique des Grecs: connaitre soi-même. C’est-à-dire ta spécificité, ta vertu, tes capacités uniques. L’ancien proverbe grec affirme que chacun de nous, il vient au monde avec un mandat précis, une fonction. Si chacun de nous réussit à trouver son mandat précis: chacun de nous atteindra son démon, son étoile polaire, son nord. Cet exemple, il fait comprendre l’idée d’eudaimonia, comme les Grecs disaient. C’est-à-dire notre bonheur, la bonne réalisation de notre démon.
Antonio Torrenzano. Mais la société contemporaine a-t-elle aussi la faute de barrer aux jeunes la possibilité de s’exprimer ?
Umberto Galimberti. Si la société réelle ne convoquait pas très bientôt les nouvelles générations à oser, à croire à l’avenir, à créer une nouvelle forme de vivre ensemble, à mettre à disposition de tous leur créativité, alors ils continueront à s’exprimer dans la société virtuelle. La croissance très rapide du Réseau Net, des carnets numériques, de toutes les nouvelles formes de culture électronique donnent une visibilité, une reconnaissance, une identité qu’aujourd’hui est barrée à eux dans l’espace social et politique de la réalité.
Antonio Torrenzano
Il est difficile de prendre la distance du propre métier quand il se l’aime grandement. J’ai aimé et j’aime largement ce que je fais. Et, j’ai toujours pensé qu’il y était seulement une manière pour le faire: lui serrer à moi, tout entièrement.
L’antinomie entre avoir et ne pas avoir une âme dans le propre métier, entre posséder et ne pas posséder une philosophie qui peut guider l’action, c’est le résultat du vivre contemporain. Je n’ai jamais supporté les énonciations, mais les réflexions de mes étudiants et la pratique du doute, ils ont été toujours la manière la plus sûre pour comprendre et interpréter notre présent. Pour moi, l’école, l’enseignement, mes étudiants et étudiantes ont été les points de repère d’une vie.
Sans un investissement émotif, sans la conscience de servir à quelque chose, au-delà de la routine du métier, il n’y aurait pas été beaucoup de possibilités d’évasion par rapport à une situation plate, dépourvue de perspectives réelles.
Notre temps, il est le lieu privilégié des tièdes. De tous ceux qui ont tendance à un risque zéro. Mais, il n’existe pas d’espoir de futur pour nos sociétés ne s’y en misant pas de nouveau sur les passions. Et avec mes étudiants, j’ai toujours vécu de tout ça. Nous vivons dans un temps qu’on n’aime pas les émotions abondantes; sans grandes illusions, nous avons appris à anticiper les désappointements. Cette époque de compromis journalier est-elle devenue plutôt l’endroit de passions glacées, de passions sous-accrues qui subissent le désenchantement d’une chute presque générale de valeurs collectives .
La tiédeur qui nous entoure, elle tente de se libérer de chaque point obscur trop compromettant. Le monde des passions, de celles civiles en particulier, c’est un univers démodé. Cette perte, elle a permis de tomber dans un quotidien médiocre; de réévaluer un temps présent, quand dans d’autres temps, ce consentement il aurait été accusé de mollesse.
La passion, en revanche, est un sentiment puissant. La passion est une inclination personnelle qui nous fait assumer droits et torts comme une raison vitale de notre manière d’être. Un excès d’ardeur, certaines fois pas demandée de manière exprès par les autres, qui accentue les tons. Mais…, ce sont les tons qui font la musique. L’éducation va bien au-delà de l’excellence intellectuelle donnée à nos garçons et jeunes filles dans nos collèges, nos lycées, nos universités, dans nos instituts de formation. Il s’agit de former la Personne dans sa dimension humaine totale en l’accompagnant durant toutes les étapes de la vie. Éduquer, faire apprendre et apprendre, c’est accompagner sans relâche autrui vers la découverte de lui-même; c’est en même temps apprendre constamment avec autrui à se percevoir et à se recevoir comme un don reçu et donné; c’est le fondement de l’esprit de partage et de coopération.
Aujourd’hui, les vertus que mes étudiants vont cherchant, ils semblent vraiment se concilier avec une nouvelle envie de faire, de s’assumer de nouvelles responsabilités civiles, le courage d’entreprendre. Je trouve, encore, dans mon groupe de garçons et jeunes filles de 17 et 18 ans, la curiosité pour le nouveau qui avance (apparemment lointain) par une logique sensible et multiple. Quand, je dialogue avec eux, une pensée riche émerge de manière articulée, émotionnelle, empathique, mais encore paradoxale pour le monde des adultes. Une pensée qui ne sépare pas les différences, une pensée passionnée, à la fois dure et affectueuse, une pensée jamais plate pour analyser les crises, recueillir les affinités, proposer de nouvelles solutions. Ce sont les adultes, dans plusieurs occasions, à ne pas vouloir écouter cette vision nouvelle qui avance. J’ai vécu mes rapports et mes relations avec mes étudiants et étudiantes toujours dans cette manière. Oh pour mieux dire, sont-ils qui m’ont fait vivre ma vie dans cette manière. De tout ça, je remercie mes élèves pour m’avoir fait rester vif. Pour m’avoir fait rester très vif comme Jankelevitch affirme dans son Traité de vertus: avec élan aventureux, à la chasse de nouvelles curiosités, amour pour la vie. Toujours avec le danger qui me ronge, le coeur qui bat, le parfum printanier d’aventure.
La question fondamentale que se pose aujourd’hui est alors la suivante:comment faire émerger, accepter, respecter et promouvoir ces valeurs humaines, non en opposition, ni même en juxtaposition, mais en corrélation avec les indicateurs économiques de rationalité maximale, de croissance optimale ?
Antonio Torrenzano
Un spécial remerciement aux artistes du groupe Gotan Project (http://www.gotanproject.com) pour la video.