Conversation avec Michel Maffesoli, professeur de sociologie à l’université de Paris-Sorbonne, directeur du CEAQ, fondateur de la revue de sciences humaines et internationales Sociétés. Le dialogue avec l’auteur a eu lieu à Modène pendant le festival international de la philosophie, dans le mois de septembre 2008. La première partie du dialogue a été publié le 07 octobre 2008.
Antonio Torrenzano. La diffusion et le pouvoir social du Web 2.0 confirment votre perspective interprétative que vous avait proposée en 1988 dans votre essai « Les temps des tribus, les déclins de l’individualisme dans les sociétés de masses ».
Michel Maffesoli. Les réseaux sont déjà devenus, en effets, la scène dans laquelle ils s’exhibent et parfois ils prennent forme de différents tribalismes qui marquent notre tissu social. Le réseau net soutient et il accélère la grande mutation qui accompagne le passage à la postmodernité : de la verticalité à l’horizontalité. Le réseau net et le Web 2.0 témoignent ouvertement comme les sociétés contemporaines ne fassent plus pivot sur l’individu rationnel, patron de soi et du monde, mais sur petites agrégations sociales dans lesquels le “moi-même” se perd dans l’autre et il se délivre dans les différentes tribus dont il fait partie. Sa question trouve encore une réponse plus précise dans les travaux du Groupe d’étude sur la technologie et le quotidien du CEAQ, qui ont bien montré combien le développement technologique donne vie à une synergie fructueuse avec le retour de l’archaïque,l’explosion de l’imaginaire et la prolifération de formes d’agrégation tribalistes.
Antonio Torrenzano. Pour ce qu’il concerne les effets socio-anthropologiques de la société en réseau et de la diffusion des nouveaux médias en ligne, il y a une division nette entre deux écoles de recherche sociale: d’une partie Castells, Lévy, De Kerckhove soutiennent que cette évolution préfigure une nouvelle société plus informée et démocratique;de l’autre partie Bréton, Baudrillard, Touraine affirment que les nouveaux médias produiront la fin du social et la mort de la réalité. Est-ce que j’aimerais connaitre votre position?
Michel Maffesoli. Ma perspective théorique est plus voisine à la première école qu’à la seconde. Il me semble que l’interactivité et l’horizontalité des réseaux favorisent de formes de socialité apte à renverser la structure pyramidale de la modernité, sa tendance à obscurcir les diversités et à inscrire les sujets sociaux dans de nouveaux projets de longue période pas au nom d’une idéologie et de la raison abstraite. La technologie a donné vie à un paradoxe intéressant: au commencement elle a été le moyen par lequel désenchanter le monde, dans la postmodernité elle est devenue un des facteurs clé pour le reincanto du monde. Je crois, en même temps, que les chercheurs, que vous avez cités dans votre question, ils sont excessivement optimistes sur le cyberspace. Ceux-ci mettent l’accent sur des aspects relatifs à l’augmentation de l’intelligence dans notre société contemporaine; selon moi, le phénomène se lie plus tôt et, en mesure prépondérante, à la dimension émotionnelle de l’existence, à la pensée du ventre plutôt qu’à celle du cerveau. Cette évolution n’a pas encore été comprise par l’intelligentsia française (universitaire, politique, intellectuel, journalistique) qui reste encore liée aux archétypes interprétatifs du XIX et du XX siècle. Modèles absolument inadéquats devant un certain ordre social qui est en train de se détruire. Ces élites sont en crise sans plus une absolue vérité.
Antonio Torrenzano. Croyez-vous que la démocratie soit en crise?
Michel Maffesoli. À mon avis, même s’il peut sembler une affirmation forte, la démocratie est devenue un système vide. Je crois que, stricto sensu,elle soit devenue une antiphrase: il ne dénote plus le pouvoir du peuple, mais le pouvoir de quelqu’un. Autre confirmation du décrochage entre l’intelligentsia et la société qui vit tous les jours dans le quotidien. Il faut revenir à la vraie démocratie, dans le sens étymologique de la parole, de se faire charge de la vie de la ville à partir de ses éléments plus simples qui donnent du sens aux tribus: consommations, logement, sport, culture. De tout ce qu’il offre la possibilité de faire sentir ensemble et être ensemble un groupe déterminé d’individus. Une démocratie qui retourne à se rapporter avec les nouvelles formes expressives et agrégatives de l’espace public. Une démocratie qui peut être revitalisée seulement par les dynamiques émergentes des gens ordinaires et du quotidien, mais en faisant abstraction des catégories actuelles que la politique utilise.
Antonio Torrenzano
Post scriptum.
*Un remerciement particulier à l’artiste Patrick Chappatte pour l’illustration.
*Toutes les publications de Michel Maffesoli, comme toutes celles du CEAQ-Sorbonne, sont disponibles sur le site web du Centre d’études: Http://www.ceaq-sorbonne.fr .