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Deux ans après le début du « printemps arabe », la situation politique dans la Rive-Sud de la Méditerranée demeure instable et fragile. Le « printemps arabe » a connu son déclenchement en Tunisie suite à l’immolation de Mohamed Bouazizi, un vendeur de légumes de la localité de Sidi Bouzid. Si les évènements qui ont suivi, ils ont ouvert la voie à la chute de plusieurs dictateurs comme le président Ben Ali, Mouammar Kadhafi en Lybie, ou encore le pharaon égyptien Hosni Moubarak, le bilan démocratique des révolutions arabes reste encore contrasté. À l’exception de l’Algérie, dont le système politique a su profiter de la manne pétrolière pour calmer la protestation sociale et du Maroc, qui a engagé une transformation constitutionnelle débouchant sur un partage du pouvoir exécutif, les autres pays de la façade sud-méditerranéenne de l’Afrique sont tous aux prises avec des situations instables et fragiles. Mais, pour ces États les défis restent toujours les mêmes comme il y a deux ans.

 

Le défi de la démocratisation. Si les révolutions ont rappelé les aspirations au changement politique de populations qui réclament à présent un processus de modernisation sur le long terme, comme l’accès croissant à l’éducation, la mutation de la famille ou des comportements individuels, les résultats des élections n’ont pas montré la construction d’une nouvelle et singulière modernité proprement arabe. Une modernité qui peut conjuguer le culte religieux et les nouvelles revendications politiques et culturelles des populations sans aucune fracture sociale. Les femmes ont pris une part active au printemps arabe à la fois sur Internet et dans les rues. Que ce soit en Tunisie, au Maroc et en Égypte ou encore en Libye, au Yémen et en Syrie, elles ont montré une aspiration à la liberté et à l’égalité aussi grande et aussi déterminée que celle des hommes. Mais, deux ans après le déclenchement du printemps arabe, le combat des femmes pour la liberté et pour l’égalité semble entravé par des forces classiques un peu partout. Les femmes arabes sont confrontées au paradoxe de sociétés tiraillées entre l’appel de la modernité et la revendication identitaire.

 

Le défi économique est le deuxième aspect. « Plus de misère, plus de chômage », criait un jeune de la ville de Sidi Bouzid en mettant fin à ses jours en s’électrocutant au contact de lignes de hautes tensions après avoir escaladé un poteau sur la voie publique au début de la révolution. Sans modernisation économique et sociale, sans attention aux attentes concrètes de la jeunesse, les réformes politiques ne pourront pas suffire à produire des perspectives d’avenir et d’espoir. Derrière les revendications politiques et démocratiques, le défi du développement demeure omniprésent. D’une part en effet, son échec est au coeur des bouleversements politiques. D’autre part, ne pas répondre aux attentes économiques et sociales empêchera toute stabilisation durable en alimentant les mécontentements et les frustrations. Les faiblesses des économies maghrébines et les inégalités sociales constituent la toile de fond des revendications populaires au Maghreb.

 

Les institutions publiques de ces pays devront remettre en question leurs modèles de développement avec un renforcement de la lutte contre la corruption. Corruption qui reste encore à présent délétère. À plus court terme, la gouvernance et la lutte contre la corruption et la prédation devraient être au coeur des réformes attendues, aussi bien pour attirer les investisseurs étrangers et pour répondre au désir de justice sociale des populations. Mais pour sortir des effets, la lutte contre la corruption devra s’appuyer sur une nouvelle méthodologie locale. Obtenir, par exemple, que la corruption cesse tout de suite en Lybie, en Tunisie, en Égypte ou en Algérie, c’est s’attaquer à un équilibre complexe et collaboratif qui implique de mobiliser durablement différentes catégories d’acteurs de l’action publique. En Algérie par exemple, le gouvernement a refusé dans ces dernières années de coopérer avec l’Association algérienne de lutte contre la corruption, affiliée à Transparency International.

 

L’enjeu économique reste important et prioritaire autant que le défi d’une amélioration des politiques sociales. Les jeunes sont particulièrement touchés par ces blocages. En septembre 2012, le chômage en Tunisie était de 44%, mais environ deux fois plus élevé chez les moins de 25 ans. Dans la région, outre cet écart entre le chiffre du chômage des jeunes et d’autres catégories de la population, la discrimination opère à deux autres niveaux : les diplômés universitaires sont moins employés que les travailleurs non qualifiés. Le printemps arabe a fragilisé, à des niveaux divers, les économies de la région et les effets négatifs se feront surtout sentir dans les années à venir. Ce constat impose à Tunis comme au Caire en passant par Tripoli autant que pour la même Union européenne des solutions urgentes. De nouveaux regards à cette situation inédite.

 

Les Européens sont les premiers partenaires économiques des États maghrébins et cette inattendue évolution politique dans la région sud impose de renouveler leur approche. Les échanges commerciaux des pays de l’Union du Maghreb avec l’Union européenne représentent entre 60 et 70% de leur commerce extérieur, les échanges intra-maghrébins ne représentent que 2%, avec pour conséquence une perte estimée à deux points de croissance économique, soit plus de 10 milliards de dollars pour l’ensemble de la région. L’Europe devrait soutenir une relance politique et économique de la coopération intra-maghrébine par l’Union du Maghreb arabe (UMA) et une coopération économique et sociale encore plus étroite entre les deux rives de la Méditerranée.

Pourquoi alors l’Union du Maghreb arabe demeure-t-elle encore dans un horizon d’attente ? Pourquoi l’Union européenne n’a-t-elle pas encore développé un nouveau partenariat euro-méditerranéen ? Le déblocage de financements du partenariat euro-méditerranéen ne constitue qu’un aspect du renforcement des liens entre les deux rives de la Méditerranée. Derrière ces questions économiques et financières, les relations euro-méditerranéennes ont besoin d’un nouveau chantier, d’un horizon pouvant mobiliser non seulement les décideurs, mais aussi les populations des deux rives. Pour cela, une approche mondiale s’impose, un nouveau projet géopolitique régional, une approche qui tiendra compte des trois défis que les pays et les peuples du Maghreb ont voulu relever par leur Printemps arabe.

Antonio Torrenzano