ActualitéBlogrollEconomiePolitique

Conversation avec Jeremy Rifkin, écrivain, économiste. Il est également fondateur et président de la Fondation pour les tendances économiques basée à Washington. Auteur de nombreux essais, publiés dans plusieurs langues étrangères, dont «Le rêve européen», Fayard, 2005; «L’économie hydrogène : après la fin du pétrole, la nouvelle révolution économique», La Découverte, 2002 ; «L’âge de l’accès : la vérité sur la nouvelle économie», La Découverte, 2000; «Le siècle biotech : le commerce des gènes dans le meilleur des mondes», La Découverte, 1998; «La Fin du travail», toujours aux éditions la découverte, 1996, et «Les apprentis sorciers : demain la biologie » écrit en collaboration avec Ted Howard), aux éditions Ramsay, 1979. Le livre «La Fin du travail», paru en 1995 à New York, est encore un livre à gros tirage aux États-Unis avant de rencontrer le même succès en Europe. La conversation a eu lieu à Reggio Émilia en Italie, au mois d’avril 2013, pendant un colloque scientifique auprès de l’université de la ville.

Antonio Torrenzano. Après trois ans et demi de crise économique, de tensions accrues et d’une constante instabilité de l’économie mondiale, l’avenir de l’occident reste incertain. Quelle serait alors la bonne nouvelle ? Je note de toute façon qu’une prise de conscience de l’amplitude, de la profondeur et de la complexité de la crise économique est en cours.

 

Jeremy Rifkin. C’est la crise économique contemporaine la plus grave que le genre humain est en train de vivre et d’affronter. Mais, elle pourrait représenter une opportunité immense. L’être humain est une espèce belliqueuse, voire prédatrice : il cherche l’autonomie et le plaisir, il a une vision utilitaire de la nature. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Ma conviction ? Si nous poursuivons sur cette voie, si nous restons agressifs et prédateurs les uns avec les autres et avec la nature, alors nous avons oublié le concept de futur. Face à la menace d’un désastre écologique, notre civilisation devra revoir son modèle. Il faudra que tout le monde comprenne qu’une autre histoire est possible. Je crois qu’il est urgent d’acheminer un vrai débat mondial sur ce thème en assumant toutes nos responsabilités. Je reste confiant.

 

Antonio Torrenzano. Le paradoxe – soutiens Edgar Morin – est aussi l’incertitude cognitive et l’incertitude historique sur ce qui s’est produit. Les économistes ont appris la connaissance des limites de leurs connaissances. La crise contemporaine reflète des problèmes qui dépassent la conduite de la politique monétaire et la réglementation du secteur financier; elle a révélé des erreurs plus générales dans la façon de comprendre le fonctionnement des marchés. Tout le monde était convaincu par exemple que des marchés sans limites juridiques pouvaient, par eux-mêmes, s’autocorriger rapidement et être efficaces. Encore, cet échec a produit d’importantes externalités négatives sur la production et l’emploi. Il est clair encore que revenir au statu quo ante sera impossible. Pour que le monde émerge de cette épreuve avec une croissance équilibrée et durable, il est essentiel que la communauté occidentale entreprenne des réformes radicales. Dans un monde où la satisfaction de l’individu est la seule valeur partagée, y a-t-il encore un espace pour vivre ensemble ?

 

Jeremy Rifkin. Dans mes cours d’économie, je souligne à mes étudiants que le marché n’est pas omnipotent. Le marché est seulement un moyen. Un moyen utile à la culture et au développement de la société. Le marché n’est pas une institution primaire.Le débat reste ouvert. Mais, je constate que, parmi les PDG de grands groupes et les chefs d’État que je conseille, beaucoup sont conscients de la nécessité de changer de modèle. Évidemment, quand un ancien système économique atteint son apogée ou il se sent menacé, certains de ses dirigeants prennent peur. La résistance sera peut-être dure et aveugle, mais une nouvelle révolution industrielle se fera. C’est à ce prix que nous pourrons sauver notre espèce.

 

Antonio Torrenzano. Qu’est ce qu’il s’est passé avec la révolution numérique ? Pourquoi le monde de demain est-il encore suspendu dans l’imagination de la génération Y et non de la «politique », au sens traditionnel de l’expression ?

 

Jeremy Rifkin. La révolution digitale a connecté le système nerveux de trois milliards d’individus. Grâce aux réseaux sociaux : Facebook, Twitter, les individus du monde entier ont été touchés dans leur chambre par le tsunami japonais, le printemps arabe, les violences en Syrie. La toile peut réduire autant qu’augmenter la capacité d’attention de chacun : c’est une source ininterrompue de stimulation, mais aussi de dispersion, et la pensée a besoin de profondeur et d’attention. La génération du millénaire, elle ne parle jamais d’idéologie ! Quand on lui soumet une idée, elle analyse le projet de manière collaborative, «open source», transparent et «non-excluant». Pour la génération digitale, les projets doivent être collaboratifs. Si oui, parfait! Sinon, passez votre chemin!

 

Antonio Torrenzano. Je retourne encore une fois sur la politique, la «politique» au sens traditionnel du terme. Terme presque absent dans vos essais ?

 

Jeremy Rifkin. La politique est encore idéologique même si la confrontation capitalisme-communisme est disparue. Nous avons aujourd’hui d’autres contrastes, d’autres questions, mais très différents. La politique répond encore aux enjeux contemporains par l’ancien modèle de gestion de la révolution industrielle du XIXe et du XXe siècle avec sa distribution d’énergie et d’information organisée de façon verticale, centralisée et hiérarchisée. Il faudra que la politique contemporaine comprenne qu’une autre histoire est possible que celle qu’a racontée jusqu’ici.

 

Antonio Torrenzano

 

ActualitéBlogrollEconomiePolitique

Croissance, lutte contre les paradis fiscaux, régulation financière, chômage seront les principaux thèmes économiques de l’agenda officiel du G20 de Saint-Pétersbourg. Au palais Constantin, ancienne résidence d’été de Pier le Grand, Vladimir Poutine reçoit aujourd’hui et demain les chefs d’État et de gouvernement des vingt plus grandes économies mondiales.

 

Mais, la destinée de l’économie mondiale semble intéresser pas trop l’opinion publique russe à quelques jours d’une possible attaque américaine en Syrie et de la délicate situation en général au Moyen-Orient. L’opinion publique russe regarde avec le même intérêt comme les relations russo-américaines se dépasseront. Relations très glaciales et à leur minimum historique depuis les années 1960. La goutte qui a fait déborder le vase a été la récente affaire d’Edward Snowden, mais en réalité cette rupture parmi les deux Pays est due au manque de progrès sur des questions vitales comme le dossier nucléaire iranien, la Syrie, la défense antimissile, les relations commerciales, les questions de sécurité internationale et les droits de l’homme. Selon d’experts, l’affaire Snowden a été plutôt la conséquence que la cause des mauvaises relations entre les deux États. Longue serait la liste de désaccords qui se sont accumulés depuis le retour au Kremlin de Poutine en mai 2012.

 

Dans sa ville natale de Saint-Pétersbourg, Vladimir Poutine alors ne manquera pas de mettre le dossier syrien sur la table. Mais, dans quelle manière pour le chef de la diplomatie russe ? Le chef du Kremlin défendra le droit international et les principes de non-ingérence en demandant aux autres leaders politiques des efforts pour une résolution politique du conflit et en condamnant toutes les éventuelles opérations militaires développées au dehors des pouvoirs du Conseil de sécurité de l’ONU.

 

Et les marchés quoi s’attendent-ils de cette réunion internationale ? Ils n’attendent presque rien de cette réunion.Ce forum économique très efficace en 2008 et 2009 pendant l’apogée de la crise financière et le début de la récession économique, il semble de plus en plus aveugle devant la situation contemporaine.

 

Antonio Torrenzano

 

ActualitéBlogrollEconomiePolitiqueWeblogs

Dans mon essai « Le capitalisme est-il moral ?», paru en 2004, je montrais que la réponse, à la question qui lui servait de titre, était non. Le capitalisme n’est pas moral. D’abord parce que, pour être moral ou immoral, il faut être un individu, un sujet, une personne : un système impersonnel, comme est le capitalisme, n’est ni moral ni immoral. Ensuite parce que, même si on veut, à tort, lui appliquer ce critère de la moralité, le capitalisme, d’évidence, ne saurait y satisfaire. Le capitalisme ne fonctionne pas à la vertu, à la générosité ou au désintéressement. Tout au contraire : il fonctionne à l’intérêt, personnel ou familial ; il fonctionne à l’égoïsme. Cela ne réfute pas le capitalisme, au contraire : le capitalisme fonctionne à l’égoïsme ; c’est pourquoi il fonctionne si fort (l’égoïsme est la principale force motrice).

Bref, le capitalisme n’est ni moral ni immoral: il est amoral. C’est pourquoi il fonctionne si fort, et c’est pourquoi il ne suffit pas : l’égoïsme n’a jamais suffi à faire une civilisation,ni même une société qui soit humainement acceptable. Il faut donc autre chose. Quoi ? Trois « choses », ce que j’ai appelé trois ordres, qui viennent limiter l’ordre économico-techno-scientifique : a) l’ordre juridico-politique (le droit, l’État) ; b) l’ordre de la morale ; c) enfin l’ordre éthique ou l’ordre de l’amour. Cela ne veut pas dire que la morale n’a pas sa place dans l’entreprise. Elle a toute sa place. Laquelle ? La place des individus, autrement dit (si vous travaillez en entreprise) votre place ! Ne comptez pas sur le marché pour être moral à votre place. Les économistes me disent maintenant que mon livre était prémonitoire…Disons plutôt que la crise confirme,bien plus qu’elle n’infirme, mes analyses.

 

1 – D’abord, la crise confirme le caractère amoral du capitalisme. Certains se sont enrichis scandaleusement,y compris en laissant leur entreprise au bord de la faillite (stock-options,parachutes en or,salaires exorbitants, retraites faramineuses, etc.) ; d’autres, qui ont fait leur boulot convenablement, sont ruinés, perdent leur emploi ou restent pauvres. Vous trouvez ça moral ? Les gens sont mus par l’égoïsme. C’est-à-dire par l’intérêt ? Plutôt par la passion. Alan Greenspan,ancien patron de la Fed: « J’ai été déçu par les banquiers; je pensais qu’ils auraient assez conscience de leurs intérêts pour éviter des comportements aberrants ou trop risqués… ». Alain, contre Marx: ce n’est pas l’intérêt qui meut les gens, c’est la passion: passion nationaliste, qui entraîne des guerres contraires à l’intérêt national des pays belligérants, ou passion de l’argent (cupidité) qui pousse à des comportements contraires à nos intérêts financiers. Les banquiers : On découvre qu’ils aimaient l’argent ! Mais seraient-ils banquiers autrement? On découvre que les traders aimaient l’argent et le risque. Mais seraient-ils traders autrement ?

 

2 – La crise confirme que le capitalisme est incapable de se réguler lui même d’une façon qui soit socialement et moralement acceptable. Il y a bien des régulations (par ex. cette crise !) , mais qui n’évitent pas un certain nombre d’effets pervers, qui choquent légitimement nos contemporains. Bref, les ultralibéraux avaient tort – socialement,politiquement et moralement tort (quand bien même ils auraient, ce qui reste à démontrer, économiquement raison).Cf. Jean-Paul Fitoussi: « Il a été scientifiquement démontré que dans un État ultralibéral, ou l’État ne s’occupe absolument pas d’économie,le plein emploi est assuré… pour tous les survivants. »

 

3 – La crise confirme que la morale est tout aussi incapable de réguler l’économie ! Cf. la réaction d’Henry Paulson,Secrétaire au Trésor américaine,et… la mienne, lors de la faillite de Lehmann-Brothers ! Une bonne réaction morale peut s’avérer économiquement catastrophique. Cf.Talleyrand: « Méfiez-vous du premier mouvement : c’est le bon ! » C’est aussi vieux que le capitalisme. Si on avait compté sur la conscience morale des chefs d’entreprise pour améliorer le sort de la classe ouvrière, nous serions toujours au XIXe siècle ou chez Zola. C’est confirmé par cette crise. Si on avait compté sur la conscience morale des banquiers, des financiers et autres spéculateurs pour éviter les crises… nous serions dans la crise que nous connaissons !

 

4 – Conclusion : si le capitalisme est amoral, si l’économie est incapable de se réguler suffisamment elle-même, et si la morale ne parvient pas davantage à la réguler, il ne reste que le droit et la politique. C’est ce qu’on appelle « le retour des États ». Avec un danger : retomber dans les erreurs anciennes. Attention de ne pas retomber dans l’erreur qu’on croyait dépassée : demander à l’État de créer de la richesse ! L’État doit être le garant, non le gérant de l’économie de marché.

 

Andrée Comte Sponville

 

 

*Andrée Comte Sponville, philosophe et enseignant. Ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (où il fut l’élève de Louis Althusser), André Comte-Sponville fut longtemps maître de conférences à la Sorbonne (Université Paris I), dont il démissionna en 1998 pour se consacrer exclusivement à l’écriture et aux conférences qu’il donne en dehors de l’Université. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont « Traité du désespoir et de la béatitude» (1984-1988), « Une éducation philosophique » (1989), « L’amour la solitude» (1992), « Petit Traité des grandes vertus » (1995), « Pensées sur l’athéisme » (1999), « Le bonheur désespérément » (2000), « A-t-on encore besoin d’une religion ? » (2003), « L’esprit de l’athéisme» (2006).

 

 

ActualitéBlogrollEconomiePolitiqueWeblogs

Le sommet du G20 se déroulera demain cinq et vendredi six septembre 2013 à Saint-Pétersbourg sous la présidence de la Russie. Cette huitième édition de la réunion du G20 sera la première à se dérouler en Russie. L’année dernière, la réunion économique s’était déroulée à Los Cabos au Mexique.

 

Les thèmes de cette rencontre seront nombreux du point de vue de l’économie et en matière diplomatique. Le conflit en Syrie et les tensions au Proche-Orient seront minimums au programme des entretiens bilatéraux qui se tiendront en marge du forum international. Des entretiens entre le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping ont été déjà confirmés par le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov qui a rencontré lundi passé l’ambassadeur de Chine à Moscou Li Hui. Les interlocuteurs ont échangé leurs vues sur les questions du prochain sommet du G20 de Saint-Pétersbourg, ainsi que sur plusieurs dossiers internationaux, comme le ministère a indiqué dans un communiqué. De sa part, Yang Jiechi, membre du Conseil d’État chinois, avait antérieurement annoncé qu’une rencontre des chefs de gouvernement russe et chinois aurait eu lieu d’ici la fin de l’année.

 

Le G20 de St-Pétersbourg pourra-t-il rapprocher les États-Unis et la Russie ? Les relations entre les deux États sont glaciales. Un air de guerre froide souffle sur les relations russo-américaines. Mais, le cas diplomatique d’Edward Snowden est-il le vrai et la seule pomme de discorde ? Le président américain Barack Obama s’entretiendra, d’une manière ou d’une autre, avec son homologue russe Vladimir Poutine pendant la réunion économique comme le porte-parole de la Maison blanche, Jay Carney a annoncé lundi 26 août.

 

Le G20 réunit les principales économies avancées et émergentes du monde. Le forum est composé de 19 pays : l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, l’Italie, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, le Mexique, le Royaume-Uni, la Russie et la Turquie et de l’Union européenne. Ensemble, ses membres représentent environ 90 % du PIB mondial et deux tiers de la population mondiale. Les rencontres du G20 se déroulent toujours avec la participation du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Banque Mondiale.

 

Antonio Torrenzano.

 

 

ActualitéBlogrollLivresPolitiqueWeb/TechWeblogs

Conversation avec Tzvetan Todorov, essayiste, historien. Sa carrière professionnelle s’est déroulée au CNRS du 1968 au 2005, où il est aujourd’hui directeur de recherche honoraire. Structuraliste au départ, il a beaucoup écrit sur les idéologies du XX siècle. En 2008, son œuvre a été couronnée par le prestigieux prix du Prince des Asturies. Auteur des nombreux essais dont : « L’histoire des idées : théorie du symbole», 1977 ; « Nous et les autres », 1989 ; « Le jardin imparfait », 1998 ; « Éloge de l’individu », 2000 ; « Les aventuriers de l’absolu », 2006; « La peur des barbares », 2008; « La signature humaine », 2009; « Le siècle des totalitarismes », 2010. La conversation a eu lieu à Venise auprès de l’université Cà Foscari au mois de mai 2013 et à Milan pendant le festival La Milanesiana au mois de juillet 2013.

 

Antonio Torrenzano. Antonio Torrenzano. Le monde est en train de vivre de profonds changements. Changements pas seulement financiers et économiques, mais aussi politiques, sociaux, institutionnels et moraux. Est-il urgent de réinventer un nouveau modèle social ? Est-il urgent de renouer les utopies pour redonner du sens à la vie ?

 

Tzvetan Todorov. Pour moi, ce n’est pas exactement une philosophie au sens strict du mot, c’est plutôt un choix de valeurs, une vision du monde. L’être humain peut suivre tout ce qu’on lui dit de faire, mais il peut aussi s’en arracher, s’y opposer. Jean-Jacques Rousseau disait ainsi: “l’homme peut acquiescer ou résister”. Cela est pour moi absolument essentiel.La deuxième caractéristique tout aussi fondamentale est que dans l’optique humaniste, la finalité ultime de nos actes doit être le bien-être des êtres humains eux-mêmes. Enfin, la troisième grande caractéristique est l’universalité, c’est-à-dire que les traits que l’on exige des hommes et qu’on leur propose s’appliquent à tous les êtres humains.

 

Antonio Torrenzano. Vous avez beaucoup écrit et réfléchi sur les grandes tragédies du XXe siècle, quelle est-elle votre pensée en revanche sur notre époque contemporaine?

 

Tzvetan Todorov. La confrontation capitalisme contre le communisme est disparue. Nous avons aujourd’hui d’autres contrastes, mais très différents. Il existe pourtant des mutations dans notre monde et notre actualité, qui ont probablement un impact négatif sur la vie morale de la population. L’invention des ordinateurs et leur mise en réseau influencent en profondeur nos activités de communication, donc les relations entre individus et, par là, nos actes moraux. Il y a un siècle, l’information était rare, le téléphone difficile à obtenir, les nouvelles lentes à nous parvenir ; aujourd’hui, l’information est continue et pléthorique. Chacun de nous est branché en permanence sur plusieurs réseaux et communique avec un grand nombre de personnes. Tout le monde jouit de ces technologies, mais en même temps, il se plaint d’un sentiment de solitude, d’isolement, d’abandon. Triomphe et échec de la communication semblent d’avancer de pair.

 

Antonio Torrenzano. Qu’est ce qu’il s’est passé après la chute du Mur de Berlin ?

 

Tzvetan Todorov. Depuis la chute du Mur de Berlin, qui a déclenché la montée en puissance du néolibéralisme, nous sommes en train d’assister en Europe à un changement de perspective, comme si l’effondrement de l’empire soviétique devait entraîner la déconsidération des valeurs de solidarité, d’égalité, de bien commun, dont ce pays et ses satellites se réclamaient hypocritement. Aujourd’hui, la doctrine néolibérale postule que les intérêts économiques priment sur nos besoins sociaux et que l’être humain soit autosuffisant.

 

Antonio Torrenzano. Ce changement, il me semble néfaste … Les conflits se sont multipliés, la pauvreté est augmentée, le conflit social n’est pas disparu.

 

Tzvetan Todorov. Les conflits aujourd’hui se fondent sur divergences politiques, économiques, sur des rêves de pouvoir plutôt que sur une vision clairvoyante de l’avenir.

 

Antonio Torrenzano. Dans un monde où la satisfaction de l’individu est la seule valeur partagée, y a-t-il encore un espace pour vivre ensemble ?

 

Tzvetan Todorov. La morale n’est pas menacée d’effondrement définitif : elle est inhérente à la conscience humaine. Si la morale disparaissait, c’est que l’espèce elle-même aurait subi une mutation. Les évolutions technologiques exigent une meilleure maîtrise de nos nouvelles capacités, un peu comme on apprend à utiliser une voiture sans mettre sa vie en danger.

 

Antonio Torrenzano. Avec Rolland Barthes, vous avez approfondi la théorie du structuralisme. Pourquoi préférez-vous parler de méthodologie plutôt que de théorie ?

 

Tzvetan Todorov. C’est une “méthode”. La méthode structurale était une chose utile à introduire dans le champ des études littéraires pour apprendre à mieux lire les textes, mais une fois qu’on l’a introduite, cela cesse d’être un sujet de bagarre ou de débat. La méthode structurale est plutôt un instrument dont il faut apprendre à se servir et si on l’utilise c’est très bien,mais ce n’est pas le seul instrument disponible dont j’aime me servir.

 

Antonio Torrenzano

 

ActualitéBlogrollEconomiePolitiqueWeblogs

Cet article fait suite à deux essais sur les politiques de jeunesse en Tunisie (1) et au Maroc (2), édités par la Commission européenne en 2009. Le grand malaise et les tensions qui traversaient la jeunesse de ces pays à cette époque avaient été largement évoqués et on parlait déjà d’une jeunesse hésitant entre « rébellion et soumission », formule prémonitoire au regard des événements de 2010 et 2011. Il s’agit ici de définir aujourd’hui, un an après, la place des jeunes dans les États du sud de la Méditerranée, leur place dans les sociétés, en termes de force sociale et politique. Il nous faut aussi insister sur les termes de « société civile» et de « transition démocratique », car nous effectuons trop souvent une transposition hâtive de concepts et d’analyse émanant des États du nord de la Méditerranée et, pour faire court, de l’Occident composé d’États démocratiques qui ont des traditions parlementaires et pluralistes bien différentes des rivages sud et est de la Méditerranée. L’ensemble géographique de l’espace méditerranéen est traversé par des tensions et souvent des incompréhensions entre les sociétés des rives nord et sud, si bien que les évènements qui continuent aujourd’hui de bouleverser l’ordre établi des États arabes sont lus et analysés dans les États du nord à partir de grilles de lecture souvent éloignées des réalités. Il nous semble nécessaire, dans cet article, de revisiter tous ces concepts et d’approcher la complexité de cette jeunesse qui a occupé et qui occupe encore des postes avancés lors des manifestations puis des révoltes, qui surfe sur les réseaux sociaux et qui « met le levain dans la pâte sans en recueillir toujours le pain ».

 

Un enchevêtrement de faits.

Le 17 décembre 2010, le jeune Mohamed Bouazizi s’immole par le feu dans la ville de Sidi Bouzid en Tunisie après la confiscation par la police de sa charrette de légumes. Moins d’un mois plus tard, le 14 janvier 2011, Zine el-Abidine Ben Ali, au pouvoir depuis le 7 novembre 1987, fuit son pays, chassé aux cris de « dégage ! » scandés par la foule des semaines durant. À peine un mois plus tard, le 11 février, c’est au tour du raïs égyptien, Mohammed Hosni Moubarak, de partir, poussé dehors par une mobilisation populaire sans précédent. À la même époque, le Yémen, la Jordanie, le Bahreïn, la Libye, la Syrie, tous ces États sont agités par la même fièvre révolutionnaire. En Algérie, le pouvoir tente d’étouffer les tentatives de soulèvement en achetant le calme par la distribution des pétrodollars et en renforçant la pression militaire. La monarchie marocaine, quant à elle, s’empresse de proposer une réforme anticipée de sa Constitution qui limite les prérogatives politiques du roi sans porter atteinte à ses immenses privilèges économiques. Avant la fin de l’été 2011, la Libye, avec l’intervention de forces de l’OTAN, se libère du joug de Mouammar Kadhafi après de très violents affrontements armés.

 

En mars de la même année, le peuple bahreïni est écrasé par les militaires soutenus par des forces des pétromonarchies affolées par le risque de contagion au sein de leurs États. Quant aux Syriens, ils continuent d’affronter, dans le sang et les larmes, la répression acharnée des troupes de Bashar al-Assad. Nous ne connaissons pas encore l’issue de ce conflit qui prend la forme d’une guerre civile, mais il est sûr que, d’ores et déjà, le régime est discrédité. Nous sommes amenés au constat suivant : en moins de dix mois, la géopolitique des pays du Maghreb, du Mashreq, du Proche-Orient et des États du Golfe est, soit bouleversée, soit altérée par des « révolutions » aussi soudaines qu’inattendues qui cassent l’image d’immobilisme des sociétés arabes, véhiculée souvent par l’Occident et qui les fait « entrer dans l’histoire ».

 

Des sociétés arabes en proie à « une fatigue sociale ».

Face à ce basculement historique dont nous ne connaissons ni ne maîtrisons tous les déterminants, il est bon de rappeler combien ces sociétés arabes étaient en proie à une sorte de « fatigue sociale » en raison des contextes politiques, économiques et sociétaux qui contribuaient à les « anesthésier », voire même à les paralyser. Progressivement s’était mise en place à la tête des États une sorte de « cartellisation » du pouvoir doublée d’un durcissement sécuritaire. Aucune limite dans le temps ne laissait espérer un renouvellement des dirigeants dans ce système plébiscitaire figé. Les groupes qui monopolisaient la coercition violente avaient et ont encore, dans certains d’entre eux, un rôle considérable au sein de la société. « Le phénomène de multiplication des corps armés et de police est une caractéristique commune à de nombreux États autoritaires dont le processus d’institutionnalisation demeure inachevé. Le dédoublement et parfois la démultiplication entre armée et police, forces armées et services de renseignement, armées et milices du régime, forces armées de l’État et forces armées privées, témoignent de la défiance du régime à l’égard de ses agences militaires et sécuritaires ». (Elisabeth Picard, Armée et sécurité au cœur de l’autoritarisme).

 

Nous rappelons encore comme les politiques occidentales antiterroristes post 11 Septembre avaient contribué au renforcement des complexes sécuritaires, renforcement qui s’était effectué aux dépens des engagements des États dans les domaines sociaux, éducatifs et de la santé. Ces sociétés étaient traversées par la peur de la répression sous toutes ses formes. C’est cette peur qui a donné aux jeunes la force de faire « bloc » et d’avancer alors que le pouvoir attendait leur retrait. La priorité sécuritaire dans ces États avait favorisé la diminution de leurs fonctions régaliennes au profit de nombreuses ONG, de confréries, d’organes de la société civile qui se substituaient à l’éclatement de la régulation politique de la société. Est-ce la concentration du pouvoir et le détournement des biens communs au profit de quelques-uns qui ont contribué au fait que cette zone géographique, y compris les États producteurs de pétrole, soit la seule zone de la planète à avoir peu progressé durant les dernières décennies, comme en témoignent les rapports du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) ?

 

Les chiffres sont accablants : un habitant sur cinq vit avec moins de deux dollars par jour. La période actuelle se caractérise par une pauvreté absolue importante et même croissante dans plusieurs États, dont l’Égypte, où elle touche près d’un cinquième de la population, ou le Yémen, avec près de 50 % des habitants classés dans ce registre de pauvreté absolue. Le pourcentage (officiel) des chômeurs frôle les 20 %, 23 % des plus de 15 ans sont analphabètes, il y a plus de 17 % d’illettrés malgré la très forte hausse de l’alphabétisation, sans oublier le taux de mortalité des mères, la sous-représentation des femmes dans les espaces politiques (les parlements ne comptent que 8 % de femmes députées contre une moyenne mondiale de 18 %). Ajoutons, à ces constats la prise en compte d’un contexte démographique difficile pour les politiques publiques de ces États : 65 % des populations a moins de 25 ans, l’âge moyen atteint tout juste 22 ans (contre une moyenne mondiale de 28 ans), malgré une forte et rapide baisse de la fécondité des femmes au Maghreb (de six enfants par femme dans les années 1980, on est passé à un peu plus de deux aujourd’hui). Tous ces éléments modifient en profondeur les rapports intergénérationnels et l’organisation de la société. Ils nous éclairent sur la conflictualité interne qui perdure aujourd’hui à l’intérieur de ces sociétés, conflictualité largement sous-estimée par les Occidentaux mobilisés sur des impératifs sécuritaires, des angoisses autour de l’islam, des intérêts économiques et avec un regard quelque peu condescendant à leur égard. Face à ces constats, on peut affirmer, comme Václav Havel dans son essai politique « Le pouvoir des sans pouvoir », que les individus de ces sociétés, et plus particulièrement les jeunes, étaient en position de « sous-citoyens », ce qui explique que le premier mot scandé lors des manifestations ait été « dignité ».

 

De quelle « société civile » parlons-nous ?

Avant d’évoquer l’organisation de la société civile, il faut plutôt parler, dans un premier temps, d’une forme de dissidence dans l’affirmation de l’individu et de la volonté de maintenir, malgré tout, des liens sociaux dans la vérité et la transparence. « Comparaison n’est pas raison », certes, mais, les propos de Václav Havel dans « Le pouvoir des sans pouvoir» sur le Printemps de Prague résonnent étrangement en écho : « Il est aujourd’hui difficile de rechercher dans quel milieu, quand et par quels sentiers sinueux tel ou tel acte ou position authentique a agi et de quelle manière le virus de la vérité s’est graduellement propagé à travers les tissus de la ˝vie dans le mensonge˝ et a commencé à l’attaquer ; une chose pourtant semble manifeste : ˝la tentative de réforme politique n’a pas été la cause de l’éveil de la société, mais bien sa conséquence finale˝».

 

Ce sont les jeunes, forces vives des États, par opposition aux hommes politiques considérés comme des « professionnels » de la politique, qui descendent dans les rues et sur les places et qui sont l’expression du corps social par opposition au corps politique. Ces jeunes sont en attente d’une vie sociale et économique organisée selon la logique de la société civile, suivant une ligne qui trouverait sa dynamique à l’intérieur d’elle-même plutôt que dans le rôle de l’État. Václav Havel parle de « la vraie vie » par opposition au mensonge et à la corruption ambiante des régimes autoritaires. « Notre révolution est civile, ni violente, ni religieuse » avaient pour slogan les militants de la place Tahrir. C’est selon cette approche de la société civile que nous nous interrogerons sur le rôle des jeunes dans les sociétés lors du printemps arabe.

 

Des jeunes « pluriels », toutes victimes d’un déclassement .

Il nous faut, en premier lieu, envisager la place des jeunes dans les sociétés arabes au moment du déclenchement spontané des évènements. Il serait plus pertinent de parler plutôt de « l’absence de place » pour la jeunesse. « Nous sommes sans être ni avoir » s’exprimait une jeune étudiante tunisienne à la veille des hostilités, lors d’une interview. Ces jeunes de 15 à 24 ans forment près du quart de la population, mais ils sont aujourd’hui moins nombreux que lors des « émeutes de la faim » et de l’apogée de l’islamisme radical à la fin des années 1980. Le démographe Philippe Fargues observait, il y a 25 ans, à la suite de la transition démographique que « les 20-30 ans n’ont jamais représenté et ne représenteront sans doute plus jamais dans la population de 20 ans et plus une proportion aussi forte qu’aujourd’hui ». De fait, dans les pays arabes, l’arrivée la plus massive de jeunes sur le marché du travail fait désormais partie du passé. Il nous faut donc écarter partiellement la thématique de l’explosion démographique comme facteur du printemps arabe et nous tourner vers les éclairages sociaux et économiques.

 

C’est une jeunesse encore beaucoup trop nombreuse par rapport aux capacités d’absorption du marché du travail, raison pour laquelle les taux de chômage de cette tranche d’âge (les 15-24 ans) sont très importants, allant jusqu’à 30 % en Égypte ou 32 % au Maroc, avec de grandes disparités géographiques à l’intérieur des États. En décembre 2010, l’immolation par le feu du jeune Mohamed Bouazizi à Sidi Bouzid, où les deux tiers de la population de la région sont sans emploi, c’est symptomatique du désespoir de la jeunesse de nombreux pays arabes. Que dire aussi de la situation des jeunes diplômés ? Si l’on se réfère de nouveau à la Tunisie, 60 000 diplômés de l’enseignement supérieur arrivent chaque année sur le marché du travail alors que plusieurs dizaines de milliers sont déjà inscrits à l’Agence Nationale de l’Emploi et du Travail Indépendant (l’ANETI). Selon une étude réalisée par Carnegie Moyen-Orient, ces jeunes diplômés sont plus affectés par le chômage que la moyenne des actifs. Alors que l’absence d’emploi formel concerne 13,3 % de la population, les jeunes qualifiés représentent 21,1 % des chômeurs. En Algérie, pays qui vit de sa rente provenant des hydrocarbures, les jeunes diplômés sans emploi sont deux fois plus nombreux que dans d’autres pays ayant le même niveau de revenu par habitant.

 

On peut parler de désespoir de cette jeunesse diplômée qui a nourri des aspirations d’ascension sociale par l’investissement éducatif et qui partage un sentiment de déclassement par rapport aux opportunités offertes sur le marché de l’emploi national. Dans les monarchies du golfe, la jeunesse connaît aussi un déclassement dû en partie au boom immobilier des années 2000 et à la hausse du prix du logement. Il en résulte de fortes tensions intergénérationnelles entre ces jeunes « bloqués » chez leurs parents, faute d’indépendance financière jusqu’à 30 ans et plus et leurs aînés qui ne comprennent pas et supportent mal ces enfants « gâtés » qui restent à leur charge. Cette déception touche majoritairement les classes moyennes, mais les évènements qui ont suivi la mort de Mohamed Bouazizi ont permis la rencontre entre jeunes défavorisés, des villes comme des campagnes, et jeunes intellectuels déclassés majoritairement urbains. On a assisté alors dans les États arabes à l’alliance imprévisible entre les différentes composantes de cette jeunesse « plurielle » qui partageait ce sentiment de déclassement et d’exclusion. Les jeunes de Tunisie, certes, ne sont pas les jeunes du Bahreïn ni les jeunes de Syrie ou du Maroc, mais ils partagent cependant des traits communs très médiatisés sur la Rive-Nord de la Méditerranée avec un accent mis sur le traitement du rôle des jeunes femmes dans le printemps arabe.

 

Qui sont ces jeunes femmes impliquées dans le printemps arabe ?

Les télévisions du monde entier nous ont montré des figures contrastées et emblématiques. Ce sont ces images de jeunes femmes arborant voiles et niqabs noirs, agitant des drapeaux dans une posture conquérante lors de manifestations populaires. Ce sont aussi ces héroïnes prenant la tête de la révolte comme celle figurant dans Le Monde Magazine du 5 février 2011 qui affiche en pleine page la photo d’une jeune femme, seule devant un cordon policier, avec le commentaire suivant « BRAVOURE. Au Caire, le 26 janvier, cette jeune femme exhorte les manifestants à avancer vers un cordon de police ». Ce sont aussi ces jeunes femmes, laïques et fières de l’être, comme Nadia El Fani, témoignant sur les plateaux de télévision. Les premières représentent ce que l’Occident redoute, les secondes l’espoir d’un basculement de cette jeunesse dans les standards de la mondialisation : jeunes blogueuses, symbolisant le combat des femmes contre la dictature et le patriarcat, héroïnes de la défense des droits de l’homme dans le monde arabe. Ces deux postures, bien réelles, restent cependant dans des représentations stéréotypées de l’engagement politique des jeunes femmes dans cette région. Il faut éviter la lecture très réductrice, dans le premier cas, d’un engagement politique féminin, prolongement et ou réaction à la domination masculine et, dans le second, faisant de la jeune femme arabe la seule véritable actrice du printemps arabe et cantonnant les hommes dans le rôle de suiveurs.

 

Aux yeux de l’Occident, elle ne peut être que soumise ou rebelle, posture largement reprise des représentations des jeunes maghrébines en France, rappelons-nous du mouvement « ni putes ni soumises ». En fait, l’engagement politique des femmes dans cette région n’a pas attendu le printemps arabe et il résulte souvent de causes moins héroïques mais, aussi plus profondes, comme la généralisation de la scolarisation des filles, la baisse du taux de fécondité et l’intégration progressive d’une partie de ces jeunes sur le marché du travail salarié. Une minorité grandissante a pris des responsabilités dans le monde associatif ou des engagements politiques par des mandats électifs et des postes importants dans des partis. L’étonnement des Occidentaux face à cette forte présence féminine lors des mouvements protestataires en Tunisie, en Égypte, au Maroc, en Syrie, au Yémen, au Bahreïn résulte surtout de l’ignorance du phénomène de politisation progressif des jeunes femmes arabes et de leur place dans l’espace public aujourd’hui, ignorance doublée d’une certaine complaisance de leurs homologues journalistes occidentales.

 

« On n’imagine guère, en France, rappelle Sonia Dayan-Herzbrun, que dès le début de ce XXe siècle, il ait pu exister un féminisme militant dans ces régions du Proche-Orient qui cherchaient à la fois à se libérer de l’emprise d’un empire ottoman moribond et d’une colonisation européenne aux visages multiples. Dès qu’il est question des femmes de ce que l’on a pris l’habitude d’appeler le monde arabe, les préjugés et les stéréotypes orientalistes s’accumulent». Les débuts du féminisme dans le monde arabe sont plutôt le fait des hommes exprimant un certain « féminisme au masculin » comme l’exprime la sociologue tunisienne Leila Labidi. Ce sont des réformistes musulmans qui plaident pour l’émancipation des femmes dans le cadre de la charia dès les années 1930 et qui ont fortement inspiré le code du statut personnel tunisien proclamé en 1956 qui reste aujourd’hui le plus libéral et le plus égalitariste de tout le monde arabe, même si ce « féminisme d’État » ne satisfait plus pleinement les jeunes femmes qui descendent dans la rue en Tunisie depuis plus d’un an.

 

Aujourd’hui, la complexité de la lecture de la place de la femme dans les sociétés arabes et de son rôle politique a été renforcée par l’instrumentalisation de la question féminine sous les régimes autoritaires du Maghreb et du Mashreq, mais aussi dans les régimes conservateurs d’Arabie saoudite, du Maroc, du Koweït, surtout depuis les attentats du 11 septembre 2001. Tous ces États ont valorisé une sorte de féminisme d’État en faveur des droits des femmes. Ils ont encouragé les ONG féminines travaillant pour la promotion des femmes dans l’espace public et développé un arsenal de mesures qui donnaient une illusion d’avancées démocratiques aux yeux de leurs soutiens occidentaux. L’exemple le plus emblématique est la proclamation de la Moudawana (le code de la famille) décrétée par Mohamed VI en février 2004, sorte de « féminisme islamique d’État » qui déclare l’émancipation des femmes au nom de la lecture libérale des textes religieux (ijtihad) sans remettre en cause le fondement patriarcal de la société. Ce féminisme d’État peut aussi être mis au service de la lutte contre les islamistes déclarés « les ennemis des femmes » alors que le Roi avait flatté quelques années avant « la fibre musulmane » des peuples. Cette instrumentalisation de la cause des femmes par les régimes autoritaires a toujours été contestée par les mouvements féministes. Aujourd’hui, les discours des féministes arabes critiquent un patriarcat non plus pensé comme la domination masculine, mais comme un patriarcat social, politique économique et sociétal qui empêche les hommes comme les femmes d’avancer dans la vie. Nous ne sommes plus vraiment dans un rapport dominant (les hommes) et dominé (les femmes), mais dans un rapport de pouvoir et d’aspiration à la liberté. Les jeunes femmes, comme leurs homologues masculins, veulent s’affranchir de la pression familiale et sociale devenue de plus en plus contraignante avec l’effritement du modèle familial traditionnel, la crise urbaine du logement et leur très grande difficulté à trouver un emploi. On parle même d’un « malthusianisme de la pauvreté » (Montenay, 2009). Cette expression résume la conflictualité générationnelle de tous ces jeunes « bloqués » chez leurs parents et soumis à un célibat prolongé.

 

Qu’en est-il du rapport des jeunes à l’islam dans les États arabes ?

Sur cette question, de nouveau la prudence s’impose ainsi que la prise en compte de la complexité. Nous retrouvons cette même fracture générationnelle dans l’islamisme avec l’opposition des « vieilles barbes blanches » aux « jeunes barbes noires » ainsi qu’aux jeunes imberbes. Si les directions des organisations politiques restent entre les mains d’hommes d’âge mûr, écartant les jeunes et les femmes des responsabilités partisanes, on a pu constater leur méfiance, voire leur retrait des mouvements de contestation « spontanés » qui échappaient à leur contrôle, par opposition aux jeunes de leurs mouvements qui se sont joints aux manifestations contre les régimes, plus en accord avec les slogans et les attentes de leur génération qu’avec leurs aînés.

 

Il est tout à fait possible de généraliser au monde arabe ces constats de Patrick Haenni à propos des querelles intergénérationnelles au sein de la confrérie des Frères musulmans : «Les revendications de la nouvelle génération sont : plus de transparence, moins d’autoritarisme, reconnaissance de la jeunesse, valorisation d’un travail en réseau, aspiration à la démocratie, refus des grands slogans. Ces six points sont tous en contradiction avec le positionnement de leur leadership. Ce que les Frères musulmans n’ont pas compris, en tout cas au départ, c’est que la mobilisation de leurs jeunes était autant une volonté de renversement du régime politique corrompu qu’une remise en cause du fonctionnement de l’institution qui les concerne. Là où ils appellent à la transparence, les Frères sont dans la culture du secret. Là où ils pensent en réseaux, leurs leaders pensent en organisation pyramidale. Là où ils pensent liberté d’action, leurs aînés pensent autorité et hiérarchie. Là où ils pensent démocratie, une partie du leadership ne met pas nécessairement le même contenu dans ce terme ». C’est ce clivage sociopolitique entre les classes d’âge qui constitue l’élément transversal de la jeunesse du printemps arabe. Dans leurs revendications, les jeunes islamistes sont proches des autres jeunes arabes. Comme eux, ils rejettent les méthodes paternalistes et autoritaires, ils dénoncent autant les dictateurs que les dirigeants de leur propre formation. C’est l’expression juvénile de « la disgrâce du chef » selon Michel Camau. Cet élément devrait jouer un rôle majeur lors des transitions post révolutionnaires.

 

Ces jeunes arabes, acteurs de la subversion plus que de la révolution.

Une des caractéristiques communes c’est, pour la grande majorité d’entre eux, l’utilisation de modes d’action pacifiques ou légaux, mais chargés d’un fort potentiel contestataire et d’une grande défiance à l’égard des institutions et du régime en place. L’occupation des places publiques a été un dénominateur commun à toutes les révoltes arabes, au point que ces places sont devenues un acteur politique à part entière, devenant les porte-parole du peuple à elles seules. Autre caractéristique de ces révoltes arabes, c’est le rôle joué par les réseaux sociaux. Pas seulement les réseaux sociaux de la jeunesse éduquée : « Facebook » et « Twitter », car ceux-ci dépendent du taux d’équipement des populations (inférieur à 10 % en Égypte et moindre encore pour les téléphones portables) et des usages très différenciés de ces médias. Ces nouveaux médias se sont superposés à des réseaux plus anciens qui structurent depuis longtemps les sociabilités des pays arabes, malgré les contrôles et les pressions exercés par le pouvoir en place, tels des syndicats comme l’Union générale des travailleurs tunisiens (UGTT), des universités ou des réseaux de solidarité comme la confrérie des Frères musulmans en Égypte, l’un des plus puissants réseaux de solidarité combattus par Moubarak. Une autre approche singulière des révoltes est à relier à des actes de la vie quotidienne, des engagements locaux apparemment sans finalité publique ou politique. Cet ensemble de pratiques, qualifiées « d’infra politiques », dont les jeunes des sociétés arabes étaient porteurs depuis des années, a explosé depuis un an et semble infléchir une forme de sécularisation de l’islamisme, une sorte de « post-islamisme » (Gilles Kepel).

 

Mark Levine a pu identifier les signes de ce « post-islamisme » en observant la musique «Heavy Metal ». Reda Zine, un chanteur marocain du genre, expliquait à Mark Levine « nous jouons du ˝Heavy Metal˝ parce que nos vies sont ˝Heavy Metal˝ », c’est-à-dire oppressantes, en lutte contre la censure, le jugement des autorités et le pouvoir des religieux. Rappelons aussi le rôle des graffs comme cet immense pochoir d’Alaa Abdel Fattah sur les murs d’un hôpital militaire égyptien agrémenté de ce slogan rageur « Vous pouvez nous tuer, mais vous ne nous gouvernerez pas » ou ce rappeur marocain, L7a9d, emprisonné pour avoir réclamé dans ses textes « ses droits tout de suite » et avoir déclaré qu’il préférait « vive le Peuple » à «vive le Roi ».

 

Et aujourd’hui, que reste-t-il ?

Certes, un an après, une partie de cette jeunesse a le sentiment d’avoir été peu ou pas entendue. Le besoin d’un retour à l’ordre s’est exprimé dans les urnes avec l’arrivée au pouvoir des islamistes, mais rien ne sera plus comme avant. Quelques exemples très significatifs viennent appuyer ce constat. Pour la première fois dans l’histoire des universités égyptiennes, les doyens ont été élus par le corps professoral et non plus désignés par leurs présidents comme il était de coutume.

 

La plus grande université sunnite d’Égypte, l’université Al-Azhar, vient d’inscrire les quatre libertés suivantes dans sa charte : liberté d’expression, liberté dans la création artistique, liberté religieuse, liberté dans la recherche. En Lybie, le Conseil national de transition (CNT) a annoncé la modification de la loi électorale qui doit régir l’élection de l’Assemblée constituante. Celle-ci prévoyait un quota de 10 % réservé aux femmes, mais, sous la pression de la société civile, il a été fixé à 50 %. Certes, la voix des jeunes a été très minorée dans les élections, certes la répression est souvent féroce, mais, désormais, rien ne sera plus comme avant et, pour reprendre la phrase de Václav Havel, grâce aux jeunes « le devenir est à nouveau ouvert».

 

Sylvie Floris

 

* Sylvie Floris est enseignante à l’Institut d’études politiques de Paris.

 

Notes.

(1 ) www.salto-youth.net/downloads/4-17-1876/09-EuroMedJeunesse-Etude_TUNISIE_%28FR%29090708.pdf?

(2 ) www.salto-youth.net/downloads/4-17-1875/06-EuroMedJeunesse-Etude_MAROC_%28FR%29090708.pdf?

 

 Bibliographie.

– BasBous, Antoine, «Le tsunami arabe», Paris. Fayard, 2011.

– BassaM, Tayara, «Le printemps arabe décodé:faces cachées des révoltes», Beyrouth. Al Bouraq Éditions, Collection Études, 2011.

– Bechir Ayari, Michaël, Geisser, Vincent, «Renaissances arabes», Ivry-sur-Seine. Éditions de l’atelier, 2011.

– Boussois, Sébastien, «Le Moyen-Orient à l’aube du printemps arabe. Sociétés sous tension», Strasbourg. Éditions du Signe, 2011.

– Camau Michel, «La disgrâce du chef, mobilisations populaires et crise du leadership», revue Mouvements, n° 66, été 2011.

– Haenni Patrick. « Islamistes et révolutionnaires », revue Averroès, n° 4-5, spécial « printemps arabe », 2011.

– Havel, Václav, «Essais politiques», Paris. Éditions du Seuil, 1991.

– Montenay, Yves,« Démographie et politique », pour la séance « Les dividendes de la transition démographique dans le monde arabe, cas général et exceptions. », lors du XXVI Congrès international de la population, Princeton, 2009.

– M’rad, Hatem, « Libéralisme et liberté dans le monde arabo-musulman, de l’autoritarisme à la révolution», Paris, Éditions du Cygne, Mémoires du Sud, 2011.

– Samir, Amin, «Le monde arabe dans la longue durée : le printemps arabe», Paris, Éditions le Temps des Cerises, 2011.

 

ActualitéBlogrollWeblogs

Comisionado Paulo Sérgio Pinheiro 3Conversation avec Paulo Sergio Pinheiro. Expert des droits sur l’enfance, Rapporteur spécial du secrétaire général de l’ONU pour l’étude sur la violence contre les enfants. Paulo Sergio Pinheiro est professeur au Centre pour les études sur la violence de l’Université de Sao Paulo (Brésil) et auprès du Watson Institute of International Studies de la Brown University. Il a écrit nombreuses publications sur la démocratie et l’histoire sociale des droits humains. Dans le cadre des Nations Unies, il a recouvert le rôle de Rapporteur spécial sur la situation des droits humains au Myanmar et il a été membre de la Sous-commission pour la protection et promotion des droits humains.

Antonio Torrenzano. Les enfants continuent à être les victimes de graves violations juridiques, soit dans le sud du monde soit dans le nord de la planète.Comment pourrions-nous défendre, de manière plus efficace,l’enfance ?

Paulo Sergio Pinheiro. La violence contre les enfants, il n’est jamais justifiable, comme il nous a aussi rappelé le message du secrétaire général des Nations Unies. Les enfants sont très vulnérable respect à la violence sans aucune distinction entre les riches et les pauvres, dans le nord comme au sud de la planète. Beaucoup d’enfants m’ont raconté leurs violences subies, ils m’ont parlé de leurs peurs, leurs déceptions. Il faut revenir à écouter les enfants. Je me rends compte que c’est un procès trop lourd, compliqué et qu’il y a aussi plusieurs facteurs sociaux qui sont à la base du problème de la violence. Cependant, notre passivité n’a plus d’excuse, nous devons traiter ce problème comme un problème urgent. Ils ont le droit à vivre leur enfance sans violence, sans atteindre demain ou un temps très loin. Nous devons demander au monde de transformer et modifier ces terribles réalités. La vie d’un enfant a une dimension complètement différente respect à celle d’un adulte et, les enfants, ils ne peuvent plus attendre. Si nous n’apportons pas de changements au milieu humain dans un temps très rapide, si la mentalité des communautés où nous vivons il ne change pas, si les lois ne sont pas améliorées, alors chaque jour beaucoup d’enfants seront destinés à devenir adultes sans avoir fréquenté l’école, sans avoir reçu une assistance proportionnée,sans avoir pu disposer d’un milieu sûr et protecteur dans lequel vivre.

Antonio Torrenzano. Est-ce que la violence sur les plus petits peut être prévenue?

Paulo Sergio Pinheiro. La violence n’est pas un simple incident, elle n’arrive pas par hasard, elle peut être certainement prévenue. Les recherches et la collaboration entre différents opérateurs du secteur de la santé et de la justice indiquent que, si les gouvernements affrontent les racines profondes de ce phénomène,la réalité pourra changer. La réponse doit être rapide et efficace et on pourrait adopter de mécanismes de détermination rapide de la violence pour en abattre les effets ravageurs. J’ajoute que les enfants devraient avoir à disposition des points d’écoute sûrs pour dénoncer les violences subies, pendant que les forces de police et la magistrature auraient l’obligation de travailler avec grande précaution pour ne pas exacerber les souffrances d’enfants ou d’adolescents victimes de violences. À la même manière, les auteurs de ces terribles crimes devraient être condamnés à des peines très sévères. Pour terminer mon analyse, j’ajoute que tous les états devraient investir encore plus dans la recherche et dans la récolte des données.C’est évident qu’il est impossible d’améliorer la condition de l’enfance en sachant peu de la vie que les mêmes enfants mènent. Et, il est encore plus inacceptable que la moitié de la population mondiale soit couverte par un système des renseignements pas proportionné. Les gouvernements, pour définir leurs politiques, ils ont besoin plus de renseignements et plus de données sur le problème de la violence: j’ai toujours insisté sur le fait qui reste une des principales causes de notre incapacité à défendre leurs droits. Sans écoute et sans compréhension de leurs préoccupations, nos possibilités de succès pour l’instruction et l’assistance qui leurs doivent avoir sont très basses.

Antonio Torrenzano. Comme l’Accord sur les droits des enfants ?

Paulo Sergio Pinheiro. La Convention sur les droits de l’enfant est un résultat important. Le texte a été ratifié par tous les pays du monde et c’est un traité universel qui fait partie de l’ordre juridique international.Tous les gouvernements l’ont ratifié et ils sont obligés à en réaliser les débuts et, en conséquence, les dispositions. L’étude du secrétaire général des Nations Unies demande aux pays signataires de revoir et améliorer les propres législations en interdisant chaque forme de violence contre l’enfance. Cet objectif doit être atteint d’ici au 2009. C’est clair que toutes les lois ne sont pas des baguettes magiques, ils ne changent pas la réalité d’aujourd’hui au lendemain, mais ils sont des instruments pédagogiques de toute façon forts qui constituent le fondement d’une action efficace. Les fonds affectés par les Nations Unies pour l’enfance sont à présent un fait considérable pour tout l’hémisphère méridional de la planète. L’UNICEF est un formidable instrument pour défendre les droits des enfants et, je crois que, nous avons déjà fait des progrès considérables. Aujourd’hui plus qu’en passé, nous disposons d’un agenda universel pour l’enfance et en termes d’éducation et de dialogue,on peut faire de plus et mieux.Une grande distance reste entre les désirs et la dureté de la réalité. L’important ce n’est pas perdre l’espoir et continuer dans notre engagement au service de cette partie plus faible et exposée de l’humanité.

Antonio Torrenzano

ActualitéBlogrollWeblogs

onu_newyork_imageConversation avec M.me Maria Giovanna Bianchi Zucchelli, conseiller juridique et spécial assistant de Luise Arbour, Haut Commissaire de l’ONU pour les Droits humains. M.me Maria Giovanna Zucchelli a recouvert la même charge avec le précédent Haut Commissaire pour les droits de l’Homme,M.me Mary Robinson et, elle a collaboré avec Sergio Vieira de Mello, fonctionnaire des Nations Unies décédé à Bagdad dans l’été 2003. Une large partie de son activité juridique internationale a été consacrée à la défense des femmes, des enfants et des minorités violées dans chaque angle de la planète. Dans cette époque tourmentée par de graves violations à la dignité humaine, “Madame des droits humains” (comme les collègues et les experts italiens l’appellent amicalement), continue silencieusement à construire ponts entre les différentes cultures et développer un fort consentement pour la défense des droits de tous. Le dialogue a eu lieu auprès du Centre de recherche Pio Manzù, le 28 octobre 2007, pendant la XXXIII édition des journées internationales d’études, titrées:The flight of the humming bird.The future of children in the mind and society of the world.

Antonio Torrenzano. Pourquoi dans un système que nous défions mondialisé, dans la plupart des régions de la planète la dignité humaine est-elle encore écrasée ?

Giovanna Zucchelli. Je suis d’accord avec vos mots pour ce qui concerne la dignité humaine. Car, quand on parle des droits humains comme idée juridique, à la base de tout, il y a la vie et dignité humaine de chaque personne. Si nous regardions et interprétions, en revanche, ces concepts juridiques comme de simples lois, alors tous les efforts juridiques pour sauvegarder l’Individu deviendraient dépourvus de sens. La défense des droits humains est un devoir, il est un devoir comme mission de l’Agence des Nations Unies, ma mission comme juriste et personne. Beaucoup de monde à une idée très compliquée pour ce qui concerne ce secteur, certains pensent à des compliquées analyses juridiques ou philosophiques entre des académiciens. Mais, s’il était, dans un certain sens, seulement un travail intellectuel, alors nos efforts seraient seulement semblables à une petite collection des navires dans des bouteilles. Sergio Vieria de Mello, au contraire, a été assassiné pour sa mission de sauvegarde contre toutes les violations à l’individu en Iraq. Seulement si tu les mets en pratique, ils ont une utilité contre tous les effets dévastateurs qui effacent la vie humaine et la dignité de l’Homme. La force de la norme est fondamentale contre la violence et contre toutes les menaces à la vie humaine. Une vie ordinaire ne peut se dérouler avec une certaine stabilité qu’à condition qu’elle soit pourvue des capacités fondamentales de l’humain: pouvoir dire, pouvoir agir, pouvoir raconter et, enfin, pouvoir se croire capable de dire, de faire, de raconter. Or la vulnérabilité commence par déstabiliser et finit par rendre problématique l’exercice de ces capacités.

Antonio Torrenzano.Il y a un débat si les droits humains sont-ils occidentaux ou s’ils sont orientaux. Qu’est-ce que vous pensez à ce propos ?

Giovanna Zucchelli. Il est absolument stérile parce que sur une femme on n’a pas le droit de la taper, aucun enfant n’a pas le droit de mourir de faim ou de rougeole, aucun individu qui a le droit de défendre ses propres idées il ne peut pas être torturé. Ce sont de très graves violations qu’ils n’ont pas de frontières, primogénitures; ce débat est utilisé seulement pour fins idéologiques. Agir pour le respect des droits humains, il équivaut à affirmer le plein respect de la personne. Un homme, une femme, un enfant sont tous individus doués de sentiments, tous absolument égaux pour vivre une vie dans les meilleures conditions. Je vous fais l’exemple de la fable africaine du “vol du colibri”, un petit oiseau qu’avec son bec il tâche de contribuer à l’extinction de l’incendie dans la forêt. L’idée est celle-ci! Il n’importe pas ce que tu fais, que tu es où vifs-tu? L’important est d’assumer chacun de nous notre responsabilité et demander le respect des droits inviolables de tous. Personnellement, j’ai choisi cette mission comme métier, mais je sens quotidiennement cette responsabilité. Un seul point de repere:plus aucune violation dans toutes les régions de toute la planète ne contres les droits de l’homme, de la femme, des enfants. Les Nations Unies ont exclusivement créé un bureau pour la sauvegarde de ces droits. L’organisation est très engagée par ses activités contre ces menaces et dans une continue recherche de coopération avec les gouvernements pour le respect de ces droits. La seule condamnation ne sert pas à rien. Il faut condamner la responsabilité individuelle des individus qui enlèvent les enfants. Il faut condamner la responsabilité de ceux qui commettent de violences aux civils. Il faut condamner la responsabilité de ceux qui tuent de gens innocents. Il faut travailler avec les États nationaux pour créer des structures de sauvegarde. Il y a parfois des États qui veulent collaborer, mais ils n’ont pas les moyens pour le faire. Parce que l’administration publique est insuffisante et une police pas préparée à certaines éventualités. L’agence Haut Commissaire de l’ONU pour les Droits humains est en train de faire mettre en place des nouvelles lignes d’action dans le domaine juridique pour dépasser ces difficultés.

Antonio Torrenzano

ActualitéBlogrollReligionWeblogs

sua_santità_Dalai_Lama_imageConversation avec Sa Sainteté Tenzin Gyatso, 72 ans, dont 48 ans en exil, quatorzième réincarnation du Dalaï-Lama, guide spirituel du bouddhisme tibétain. L’interview a eu lieu à Milan le huit décembre 2007, pendant la visite de Sa Sainteté en Italie.

Antonio Torrenzano. Votre Sainteté comment vit-il votre peuple ? Les récents rapports d’Amnesty International parlent de moines contraints à abjurer ou forcés à s’expatrier.

Sa Sainteté Dalaï-Lama. La République populaire de la Chine gouverne le Tibet avec des lois semblables à la terreur. Ils nous empêchent de pratiquer notre religion. L’exploitation menace notre territoire et l’environnement. Liberté d’expression n’existe pas et il n’existe pas la liberté de presse. La violation des droits humains est continue. Je crois que ces violations peuvent avoir conséquences négatives pour l’unité et la stabilité de la même République populaire chinoise. Depuis 2002, nous avons eu avec le gouvernement de Pékin six rencontres: à la cinquième rencontre, ils ont reconnu que nous ne cherchions pas l’indépendance, mais l’autonomie comme il recommande la loi fondamentale de l’État chinois. J’avais joui, mais à la fin du juin 2007, ils nous ont accusés de nouveau de séparatisme et intensifié encore une fois la répression.

Antonio Torrenzano. Qu’est-ce qu’il peut faire l’Union européenne ?

Sa Sainteté Dalaï-Lama. L’Union européenne, qui promeut la valeur des droits humains, elle pourra toutes les fois qui rencontreront les dirigeants du gouvernement de Pékin rappeler ces valeurs. Je tourne cet appel aussi aux intellectuels,au monde académique, aux hommes d’affaires qu’ils ont importants rapports d’affaires avec la République populaire chinoise. Je crois que se taire, troquer justice et vérité pour l’argent, il soit une forme de loi du silence et de corruption. J’ai déjà affirmé ma pensée au Président des États-Unis, Mr George W. Bush, au Chancelier allemand M.me Angela Merkel, à Vienne au Chancelier social-démocrate, M. Gusenbauuer. Nous désirons seulement prier et vivre librement au Tibet. Je veux un monde plein de paix, de fraternité entre les hommes et d’un dialogue religieux constructif pour l’avenir.

Antonio Torrenzano. L’homme parfait n’est pas intéressant, ce sont les imperfections de la vie qui se font aimer. Est-ce qu’il existe un point de clairvoyance au-delà des frontières de l’illusion ?

Sa Sainteté le Dalaï-Lama. Il y n’aura pas une paix entre les peuples et il y n’aura pas une paix entre les individus sans justice et vérité et un dialogue entre tous. La justice est un droit inaliénable ! Avoir une vénération pour la vie développe une culture du respect vis-à-vis de chaque vie. En Italie, il a y eu quelque embarras pour ma visite, de l’autre côté, partout j’aille, les dirigeants chinois posent des problèmes aux Pays qui me reçoivent.

Antonio Torrenzano