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Conversation avec Jeremy Rifkin, écrivain, économiste. Il est également fondateur et président de la Fondation pour les tendances économiques basée à Washington. Auteur de nombreux essais, publiés dans plusieurs langues étrangères, dont «Le rêve européen», Fayard, 2005; «L’économie hydrogène : après la fin du pétrole, la nouvelle révolution économique», La Découverte, 2002 ; «L’âge de l’accès : la vérité sur la nouvelle économie», La Découverte, 2000; «Le siècle biotech : le commerce des gènes dans le meilleur des mondes», La Découverte, 1998; «La Fin du travail», toujours aux éditions la découverte, 1996, et «Les apprentis sorciers : demain la biologie » écrit en collaboration avec Ted Howard), aux éditions Ramsay, 1979. Le livre «La Fin du travail», paru en 1995 à New York, est encore un livre à gros tirage aux États-Unis avant de rencontrer le même succès en Europe. La conversation a eu lieu à Reggio Émilia en Italie, au mois d’avril 2013, pendant un colloque scientifique auprès de l’université de la ville.

Antonio Torrenzano. Après trois ans et demi de crise économique, de tensions accrues et d’une constante instabilité de l’économie mondiale, l’avenir de l’occident reste incertain. Quelle serait alors la bonne nouvelle ? Je note de toute façon qu’une prise de conscience de l’amplitude, de la profondeur et de la complexité de la crise économique est en cours.

 

Jeremy Rifkin. C’est la crise économique contemporaine la plus grave que le genre humain est en train de vivre et d’affronter. Mais, elle pourrait représenter une opportunité immense. L’être humain est une espèce belliqueuse, voire prédatrice : il cherche l’autonomie et le plaisir, il a une vision utilitaire de la nature. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste. Ma conviction ? Si nous poursuivons sur cette voie, si nous restons agressifs et prédateurs les uns avec les autres et avec la nature, alors nous avons oublié le concept de futur. Face à la menace d’un désastre écologique, notre civilisation devra revoir son modèle. Il faudra que tout le monde comprenne qu’une autre histoire est possible. Je crois qu’il est urgent d’acheminer un vrai débat mondial sur ce thème en assumant toutes nos responsabilités. Je reste confiant.

 

Antonio Torrenzano. Le paradoxe – soutiens Edgar Morin – est aussi l’incertitude cognitive et l’incertitude historique sur ce qui s’est produit. Les économistes ont appris la connaissance des limites de leurs connaissances. La crise contemporaine reflète des problèmes qui dépassent la conduite de la politique monétaire et la réglementation du secteur financier; elle a révélé des erreurs plus générales dans la façon de comprendre le fonctionnement des marchés. Tout le monde était convaincu par exemple que des marchés sans limites juridiques pouvaient, par eux-mêmes, s’autocorriger rapidement et être efficaces. Encore, cet échec a produit d’importantes externalités négatives sur la production et l’emploi. Il est clair encore que revenir au statu quo ante sera impossible. Pour que le monde émerge de cette épreuve avec une croissance équilibrée et durable, il est essentiel que la communauté occidentale entreprenne des réformes radicales. Dans un monde où la satisfaction de l’individu est la seule valeur partagée, y a-t-il encore un espace pour vivre ensemble ?

 

Jeremy Rifkin. Dans mes cours d’économie, je souligne à mes étudiants que le marché n’est pas omnipotent. Le marché est seulement un moyen. Un moyen utile à la culture et au développement de la société. Le marché n’est pas une institution primaire.Le débat reste ouvert. Mais, je constate que, parmi les PDG de grands groupes et les chefs d’État que je conseille, beaucoup sont conscients de la nécessité de changer de modèle. Évidemment, quand un ancien système économique atteint son apogée ou il se sent menacé, certains de ses dirigeants prennent peur. La résistance sera peut-être dure et aveugle, mais une nouvelle révolution industrielle se fera. C’est à ce prix que nous pourrons sauver notre espèce.

 

Antonio Torrenzano. Qu’est ce qu’il s’est passé avec la révolution numérique ? Pourquoi le monde de demain est-il encore suspendu dans l’imagination de la génération Y et non de la «politique », au sens traditionnel de l’expression ?

 

Jeremy Rifkin. La révolution digitale a connecté le système nerveux de trois milliards d’individus. Grâce aux réseaux sociaux : Facebook, Twitter, les individus du monde entier ont été touchés dans leur chambre par le tsunami japonais, le printemps arabe, les violences en Syrie. La toile peut réduire autant qu’augmenter la capacité d’attention de chacun : c’est une source ininterrompue de stimulation, mais aussi de dispersion, et la pensée a besoin de profondeur et d’attention. La génération du millénaire, elle ne parle jamais d’idéologie ! Quand on lui soumet une idée, elle analyse le projet de manière collaborative, «open source», transparent et «non-excluant». Pour la génération digitale, les projets doivent être collaboratifs. Si oui, parfait! Sinon, passez votre chemin!

 

Antonio Torrenzano. Je retourne encore une fois sur la politique, la «politique» au sens traditionnel du terme. Terme presque absent dans vos essais ?

 

Jeremy Rifkin. La politique est encore idéologique même si la confrontation capitalisme-communisme est disparue. Nous avons aujourd’hui d’autres contrastes, d’autres questions, mais très différents. La politique répond encore aux enjeux contemporains par l’ancien modèle de gestion de la révolution industrielle du XIXe et du XXe siècle avec sa distribution d’énergie et d’information organisée de façon verticale, centralisée et hiérarchisée. Il faudra que la politique contemporaine comprenne qu’une autre histoire est possible que celle qu’a racontée jusqu’ici.

 

Antonio Torrenzano

 

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Dans mon essai « Le capitalisme est-il moral ?», paru en 2004, je montrais que la réponse, à la question qui lui servait de titre, était non. Le capitalisme n’est pas moral. D’abord parce que, pour être moral ou immoral, il faut être un individu, un sujet, une personne : un système impersonnel, comme est le capitalisme, n’est ni moral ni immoral. Ensuite parce que, même si on veut, à tort, lui appliquer ce critère de la moralité, le capitalisme, d’évidence, ne saurait y satisfaire. Le capitalisme ne fonctionne pas à la vertu, à la générosité ou au désintéressement. Tout au contraire : il fonctionne à l’intérêt, personnel ou familial ; il fonctionne à l’égoïsme. Cela ne réfute pas le capitalisme, au contraire : le capitalisme fonctionne à l’égoïsme ; c’est pourquoi il fonctionne si fort (l’égoïsme est la principale force motrice).

Bref, le capitalisme n’est ni moral ni immoral: il est amoral. C’est pourquoi il fonctionne si fort, et c’est pourquoi il ne suffit pas : l’égoïsme n’a jamais suffi à faire une civilisation,ni même une société qui soit humainement acceptable. Il faut donc autre chose. Quoi ? Trois « choses », ce que j’ai appelé trois ordres, qui viennent limiter l’ordre économico-techno-scientifique : a) l’ordre juridico-politique (le droit, l’État) ; b) l’ordre de la morale ; c) enfin l’ordre éthique ou l’ordre de l’amour. Cela ne veut pas dire que la morale n’a pas sa place dans l’entreprise. Elle a toute sa place. Laquelle ? La place des individus, autrement dit (si vous travaillez en entreprise) votre place ! Ne comptez pas sur le marché pour être moral à votre place. Les économistes me disent maintenant que mon livre était prémonitoire…Disons plutôt que la crise confirme,bien plus qu’elle n’infirme, mes analyses.

 

1 – D’abord, la crise confirme le caractère amoral du capitalisme. Certains se sont enrichis scandaleusement,y compris en laissant leur entreprise au bord de la faillite (stock-options,parachutes en or,salaires exorbitants, retraites faramineuses, etc.) ; d’autres, qui ont fait leur boulot convenablement, sont ruinés, perdent leur emploi ou restent pauvres. Vous trouvez ça moral ? Les gens sont mus par l’égoïsme. C’est-à-dire par l’intérêt ? Plutôt par la passion. Alan Greenspan,ancien patron de la Fed: « J’ai été déçu par les banquiers; je pensais qu’ils auraient assez conscience de leurs intérêts pour éviter des comportements aberrants ou trop risqués… ». Alain, contre Marx: ce n’est pas l’intérêt qui meut les gens, c’est la passion: passion nationaliste, qui entraîne des guerres contraires à l’intérêt national des pays belligérants, ou passion de l’argent (cupidité) qui pousse à des comportements contraires à nos intérêts financiers. Les banquiers : On découvre qu’ils aimaient l’argent ! Mais seraient-ils banquiers autrement? On découvre que les traders aimaient l’argent et le risque. Mais seraient-ils traders autrement ?

 

2 – La crise confirme que le capitalisme est incapable de se réguler lui même d’une façon qui soit socialement et moralement acceptable. Il y a bien des régulations (par ex. cette crise !) , mais qui n’évitent pas un certain nombre d’effets pervers, qui choquent légitimement nos contemporains. Bref, les ultralibéraux avaient tort – socialement,politiquement et moralement tort (quand bien même ils auraient, ce qui reste à démontrer, économiquement raison).Cf. Jean-Paul Fitoussi: « Il a été scientifiquement démontré que dans un État ultralibéral, ou l’État ne s’occupe absolument pas d’économie,le plein emploi est assuré… pour tous les survivants. »

 

3 – La crise confirme que la morale est tout aussi incapable de réguler l’économie ! Cf. la réaction d’Henry Paulson,Secrétaire au Trésor américaine,et… la mienne, lors de la faillite de Lehmann-Brothers ! Une bonne réaction morale peut s’avérer économiquement catastrophique. Cf.Talleyrand: « Méfiez-vous du premier mouvement : c’est le bon ! » C’est aussi vieux que le capitalisme. Si on avait compté sur la conscience morale des chefs d’entreprise pour améliorer le sort de la classe ouvrière, nous serions toujours au XIXe siècle ou chez Zola. C’est confirmé par cette crise. Si on avait compté sur la conscience morale des banquiers, des financiers et autres spéculateurs pour éviter les crises… nous serions dans la crise que nous connaissons !

 

4 – Conclusion : si le capitalisme est amoral, si l’économie est incapable de se réguler suffisamment elle-même, et si la morale ne parvient pas davantage à la réguler, il ne reste que le droit et la politique. C’est ce qu’on appelle « le retour des États ». Avec un danger : retomber dans les erreurs anciennes. Attention de ne pas retomber dans l’erreur qu’on croyait dépassée : demander à l’État de créer de la richesse ! L’État doit être le garant, non le gérant de l’économie de marché.

 

Andrée Comte Sponville

 

 

*Andrée Comte Sponville, philosophe et enseignant. Ancien élève de l’École normale supérieure de la rue d’Ulm (où il fut l’élève de Louis Althusser), André Comte-Sponville fut longtemps maître de conférences à la Sorbonne (Université Paris I), dont il démissionna en 1998 pour se consacrer exclusivement à l’écriture et aux conférences qu’il donne en dehors de l’Université. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont « Traité du désespoir et de la béatitude» (1984-1988), « Une éducation philosophique » (1989), « L’amour la solitude» (1992), « Petit Traité des grandes vertus » (1995), « Pensées sur l’athéisme » (1999), « Le bonheur désespérément » (2000), « A-t-on encore besoin d’une religion ? » (2003), « L’esprit de l’athéisme» (2006).

 

 

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Le sommet du G20 se déroulera demain cinq et vendredi six septembre 2013 à Saint-Pétersbourg sous la présidence de la Russie. Cette huitième édition de la réunion du G20 sera la première à se dérouler en Russie. L’année dernière, la réunion économique s’était déroulée à Los Cabos au Mexique.

 

Les thèmes de cette rencontre seront nombreux du point de vue de l’économie et en matière diplomatique. Le conflit en Syrie et les tensions au Proche-Orient seront minimums au programme des entretiens bilatéraux qui se tiendront en marge du forum international. Des entretiens entre le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Xi Jinping ont été déjà confirmés par le vice-ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Riabkov qui a rencontré lundi passé l’ambassadeur de Chine à Moscou Li Hui. Les interlocuteurs ont échangé leurs vues sur les questions du prochain sommet du G20 de Saint-Pétersbourg, ainsi que sur plusieurs dossiers internationaux, comme le ministère a indiqué dans un communiqué. De sa part, Yang Jiechi, membre du Conseil d’État chinois, avait antérieurement annoncé qu’une rencontre des chefs de gouvernement russe et chinois aurait eu lieu d’ici la fin de l’année.

 

Le G20 de St-Pétersbourg pourra-t-il rapprocher les États-Unis et la Russie ? Les relations entre les deux États sont glaciales. Un air de guerre froide souffle sur les relations russo-américaines. Mais, le cas diplomatique d’Edward Snowden est-il le vrai et la seule pomme de discorde ? Le président américain Barack Obama s’entretiendra, d’une manière ou d’une autre, avec son homologue russe Vladimir Poutine pendant la réunion économique comme le porte-parole de la Maison blanche, Jay Carney a annoncé lundi 26 août.

 

Le G20 réunit les principales économies avancées et émergentes du monde. Le forum est composé de 19 pays : l’Afrique du Sud, l’Allemagne, l’Arabie saoudite, l’Argentine, l’Australie, le Brésil, le Canada, la Chine, la Corée du Sud, les États-Unis, la France, l’Italie, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, le Mexique, le Royaume-Uni, la Russie et la Turquie et de l’Union européenne. Ensemble, ses membres représentent environ 90 % du PIB mondial et deux tiers de la population mondiale. Les rencontres du G20 se déroulent toujours avec la participation du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Banque Mondiale.

 

Antonio Torrenzano.