ActualitéBlogrollWeblogs

syrie_situation_civils_assiégés_imageLe Conseil de sécurité des Nations Unies a reçu cette semaine un mémorandum du secrétaire général adjoint chargé des affaires humanitaires Stephen O’Brien en ce qui concerne la situation humanitaire en Syrie et sur l’existence de la population civile assiégée dans le pays.

« Je n’ai plus de mots pour expliquer comment les agissements des parties au conflit ont ravagé un pays et son peuple », a souligné Stephen O’Brien pendant son intervention par vidéoconférence depuis Genève. Stephen O’Brien s’est dit particulièrement préoccupé par l’aggravation de la violence dans plusieurs régions du pays et son impact sur les civils.  En Syrie, « le droit international humanitaire est violé sans scrupule », a-t-il énoncé.

Au début du mois de mai, des frappes ont été menées contre des camps de déplacés internes à Sarmada et à Idlib.  Cette semaine, plusieurs attaques terroristes ont fait plus d’une centaine de victimes dans les villes côtières de Jableh et Tartous.  L’hôpital de Zakia a également été attaqué avec des barils d’explosifs. Le secrétaire général adjoint aux affaires humanitaires a jugé « tout à fait répréhensibles » l’état de siège et l’utilisation de la famine comme arme de guerre.

D’après les dernières informations, a-t-il précisé, environ 592.000 personnes vivent dans des zones assiégées par le Régime de Damas, l’État islamique d’Iraq et du Levant (DAECH), le Front al-Nosra ou des groupes armés non étatiques. « La punition collective des civils à travers des tactiques qui consistent à les assiéger doit prendre fin immédiatement », a précisé avec vigueur Stephen O’Brien. Le secrétaire adjoint aux affaires humanitaires s’est également déclaré très inquiet face aux conditions dans lesquelles vivent des centaines de milliers de civils au nord de Homs.  La situation dans le Gouvernorat et la ville d’Alep reste même alarmante. Les combats risquent de provoquer de nouveaux déplacements de populations.

« La réalité courante en Syrie est inacceptable », a insisté Stephen  O’Brien.  « Il ne peut y avoir d’impunité face aux comportements contraires au droit international et aux résolutions du Conseil de sécurité ».

Antonio Torrenzano

ActualitéBlogrollWeblogs

staffan_demistura_genève_mars2016_imageAprès cinq années de conflit en Syrie, des « pourparlers de proximité » ont repris à Genève entre les représentants du gouvernement et de l’opposition politique. S’exprimant devant les journalistes lors d’une conférence de presse dans la ville suisse, le jour du cinquième anniversaire du conflit syrien, l’envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, avait déclaré que la reprise des pourparlers de paix inter-syriens était « un moment de vérité » et que la seule autre alternative possible aurait été un retour « à une guerre encore pire que celle que nous avions jusqu’à présent ». Plus de 270.000 personnes ont péri depuis le début de la guerre en Syrie, le 15 mars 2011.

Des représentants d’une partie des insurgés et du régime syrien mènent depuis une semaine un premier round de négociations indirectes à Genève avec l’émissaire des Nations Unies pour la Syrie. Les pourparlers se déroulent dans des salles séparées avec représentants du régime et de l’opposition. Cette première semaine a été l’occasion pour les deux camps de marquer leur territoire. Le régime a ouvert les hostilités. Avant même l’arrivée de ses représentants en Suisse, Damas a posé ses conditions : pas question d’envisager l’avenir de la Syrie sans Bachar el-Assad. Réponse presque immédiate de l’opposition : Bachar el-Assad quittera le pouvoir. Durant une semaine, l’émissaire de l’ONU a joué les équilibristes. Chaque délégation a été reçue trois fois, jamais en même temps puisque les deux parties refusent les discussions directes à présent. Ces nouveaux pourparlers sont en train de se concentrer sur les questions de gouvernance, y compris l’adoption d’une nouvelle Constitution en Syrie et la tenue d’élections. Le problème pour l’opposition reste toujours le même : l’avenir de la Syrie sans le président Assad.

L’orchestrateur de ces discussions a toujours déclaré que «la mère de toutes les questions» était de trouver un accord sur une transition politique conformément au processus de paix adopté par l’ONU. Les Syriens qui ont cherché refuge dans les pays voisins observent avec attention de l’évolution de ces négociations diplomatiques pour une solution politique et un possible retour dans leur pays.

Antonio Torrenzano

ActualitéBlogrollWeblogs

carla_del_ponte_&_paulo_pinheiro_imageLe Conseil des droits de l’homme a examiné le matin 17 mars 2015 le dernier rapport de la commission d’enquête internationale indépendante sur la République arabe syrienne. Le rapport répertorie les violations du droit humanitaire entre septembre 2011 et janvier 2015 et décrit la grave situation humaine et humanitaire de la population syrienne lors de la conférence de presse au Palais de la Nation à Genève. Présentant le rapport de la commission, également composée de Karen Koning AbuZayd, Carla Del Ponte et Vitit Muntarbhorn, son président, M. Paulo Sérgio Pinheiro, a notamment indiqué que les commissaires n’avaient pu se rendre sur le territoire syrien et avaient fondé leur travail sur des entretiens avec les victimes et les témoins oculaires. Le conflit syrien constitue une menace pour toute la région dont Daech représente l’évolution de cette guerre désormais internationale.

Il y a une escalade de la violence sans précédent en Syrie, a déclaré M. Paulo Sergio Pinheiro, président de la Commission, en ajoutant que cette violence est une menace pour toute la région. Paulo Sérgio Pinheiro, président de la Commission d’enquête internationale, a en outre constaté que les civils ont toujours été les premières victimes de la violence depuis les premières manifestations pacifiques il y a tout juste quatre ans et qui ont dégénéré en une guerre civile qui entre dans sa cinquième année.

Les femmes, les enfants, les hommes, les jeunes garçons, les vieillards, les handicapés sont considérés comme des cibles légitimes par les forces gouvernementales, les organisations extrémistes et terroristes. Dans ce le conflit en cours il n’y a aucun respect des règles internationales, pourquoi ? Carla Del Ponte : ” entre les belligérants, tout est permis. Je n’ai jamais vu cela de manière aussi systématique. Dès qu’on attrape un ennemi, on le torture ou on le tue, ou les deux. C’est incroyable. C’est le règne de la vengeance et de la cruauté. Le problème, c’est que nous avons besoin d’une volonté politique pour la création d’un tribunal chargé de juger les auteurs de crime de guerre, car sinon, ce sera une tragédie pour la justice internationale”.

Face à cette culture d’impunité qui prévaut dans le pays, la commission juge absolument nécessaire la mise en œuvre effective d’une stratégie coordonnée d’imputabilité. Le président du Conseil des droits de l’homme, M. Joachim Rücker, a affirmé que le rapport fait froid au dos, pourquoi ? Carla Del Ponte : ” les violations des droits de l’homme sont commises de fait de toutes les parties en conflit. Les horreurs dépassent celles de la guerre des Balkans. Dans les Balkans, on a tué, c’était déjà assez grave. Mais, la situation est pire: on ne tue pas seulement, on torture avant. Et ces fanatiques pratiquent une torture lente pour que la mort soit la plus lente et la plus douloureuse possible “.

Le rapport narre une situation abominable, d’enfer. Il n’y a pas des limites à la puissance destructrice de tous les groupes extrémistes et gouvernementaux, cela sur une échelle sans précédent. Carla Del Ponte : “Je n’ai plus de mots pour décrire la gravité des crimes perpétrés dans la région. Alors que le nombre de victimes ne cesse d’augmenter, leurs histoires et leurs souffrances semblent toujours plus étouffées par l’ampleur de la tragédie. Les crimes commis sont abominables, il n’y a pas de différence. Il n’y a pas des bons et des méchants, ils sont tous méchants, car tous commettent des crimes…”

Antonio Torrenzano

 

ActualitéBlogrollEconomiePolitiqueWeblogs

Conversation avec Sophie Bessis, écrivaine, journaliste, chercheuse à l’Institut des relations internationales et stratégiques de Paris. Agrégée d’histoire et ancienne rédactrice en chef de l’hebdomadaire Jeune Afrique et du Courrier de l’UNESCO, elle est actuellement la secrétaire générale adjointe de la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH). Elle a longtemps enseigné l’économie politique du développement au département de science politique de la Sorbonne et à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO). Consultante pour l’UNICEF, elle a mené de nombreuses missions en Afrique. Auteur de plusieurs essais dont nous rappelons : « L’arme alimentaire », éd. Maspero, Paris, 1979; « La dernière frontière : les tiers-mondes et la tentation de l’Occident », éd. Lattes, 1983; « Habib Bourguiba. Biographie en deux volumes », éd. Jeune Afrique, Paris, 1988; « Femmes du Maghreb : l’enjeu », éd. Jean-Claude Lattès, Paris, 1983; « Mille et une bouches », éd. Autrement, Paris, 1995; « L’Occident et les autres. Histoire d’une suprématie », éd. La Découverte, Paris, 2003; « Les Arabes, les femmes, la liberté », éd. Albin Michel, Paris, 2007; « Dedans, dehors », éd. Elyzad, Tunis, 2010. L’entretien a eu lieu à Bruxelles en plusieurs reprises auprès du Parlement européen en 2012 et pendant un colloque international en 2013.

 

Antonio Torrenzano. Les femmes ont pris une part active au printemps arabe à la fois sur Internet et dans les rues. Que ce soit en Tunisie, au Maroc et en Égypte ou encore en Libye, au Yémen et en Syrie, elles ont montré une aspiration à la liberté et à l’égalité aussi grande et aussi déterminée que celle des hommes. Mais, deux ans après le déclenchement du printemps arabe, le combat des femmes pour la liberté et pour l’égalité semble entravé par des forces classiques un peu partout. Quelle est-elle la situation des femmes en Tunisie aujourd’hui ?

 

Sophie Bessis. La Tunisie dans la période contemporaine vive dans une trajectoire d’instabilité. Je pense que les femmes tunisiennes sont à présent à un tournant. Elles sont dans une situation tout à fait unique dans le monde arabe : la législation de la famille est la plus avancée du monde arabe. Aujourd’hui, il s’agit de savoir si le projet de société va changer. C’est-à-dire si le Pays va revenir en arrière sur ces acquis ou si le Pays veut continuer à avancer sur le chemin de l’émancipation féminine.

 

Antonio Torrenzano. La participation des femmes à la révolution des jasmins a été très élevée. Pourquoi les revendications restent-elles encore inachevées ?

 

Sophie Bessis. La qualité de la participation des femmes à la révolution tunisienne a été très élevée, mais les revendications féminines n’ont pas avancé suffisamment au cours des derniers mois. En Tunisie, nous sommes à un tournant, car nous sommes à l’étape de la rédaction de la Constitution, ce qui est une étape importante. Les femmes tunisiennes demandent l’égalité des sexes qui doit devenir un principe fondamental, non révisable et non amendable. Le deuxième point important concerne les droits humains en général et ceux des femmes en particulier.

 

Antonio Torrenzano. Les minorités extrémistes ont aujourd’hui un auditoire qui va bien au-delà de leur importance dans la société. Observez-vous dans le contexte social tunisien des régressions ? La société civile pourra-t-elle pour faire entendre les revendications des femmes ?

 

Sophie Bessis. Je pense que quelle que soit l’influence du conservatisme, les femmes tunisiennes ne seront pas prêtes à abandonner leurs droits principaux. La société civile a un rôle important pour faire entendre très fort la voix des femmes. Le champ politique reste très masculin partout et il est difficile pour les femmes d’y entrer. Les associations peuvent aider les femmes à investir dans la sphère politique et travailler à l’intérieur de cette sphère pour la faire évoluer et changer.

 

Antonio Torrenzano. L’enjeu économique reste important et prioritaire autant que le défi d’une amélioration des politiques sociales. Les jeunes sont particulièrement touchés par ces blocages. Sans attention aux attentes concrètes de la jeunesse, les réformes politiques ne pourront pas suffire à produire des perspectives d’avenir et d’espoir. Le printemps arabe a fragilisé, à des niveaux divers, les économies de la région et les effets négatifs se feront surtout sentir dans les années à venir.

 

Sophie Bessis. Nous sommes dans une période très incertaine. Une période de crise économique où les femmes sont les premières victimes de cette crise. En Tunisie, elles sont en état de précarisation plus grande que les hommes. La féminisation de la pauvreté est une réalité, où il y a des forces conservatrices qui veulent cantonner les femmes à la sphère domestique, ou en tout cas réduire leur activité professionnelle. Cette conjoncture est très inquiétante pour les femmes.

 

Antonio Torrenzano

 

 

ActualitéBlogrollEconomieLivresPolitiqueWeblogs

Alain Touraine est l’un des plus importants sociologues mondiaux. En 1958, il créé le laboratoire de sociologie industrielle, devenue en 1970, le Centre d’études des mouvements sociaux de l’École pratique des hautes études (EHESS). En 1981, il fond et dirige ( jusqu’en 1993) le Centre d’analyse et d’intervention sociologiques de l’EHESS à Paris, dont il est toujours membre. De 1966 à 1969, il enseigne à la faculté des lettres de l’université de Paris X-Nanterre et depuis le 1960, il est directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales. Son œuvre constitue une sociologie de l’action, dont la figure centrale est le sujet. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont « La Critique de la modernité », Paris, éditions Fayard, 1992; « Qu’est-ce que la démocratie ? », Paris, éditions Fayard, 1994; « Le Monde des femmes» Paris, éditions Fayard, 2006, « Penser autrement », Paris, éditions Fayard, 2007; «Après la crise », Paris, éditions Seuil, 2010; « Carnets de campagne », éditions Robert Laffont, 2012. Le dialogue avec le sociologue a eu lieu à Rome au mois de mars près de l’université La Sapienza, Milan et Gênes auprès du Palazzo Ducale au Festival international «La storia in Piazza » »au mois d’avril 2013.

Antonio Torrenzano. Le monde est en train de vivre de profonds changements. Changements pas seulement financiers et économiques, mais aussi politiques, sociaux, institutionnels et moraux. Est-il urgent de réinventer un nouveau modèle social ? Est-il urgent de renouer les utopies pour redonner du sens à la vie ?

 

Alain Touraine. Le philosophe Michel Foucault après la mort de Sartre parle de l’homme qui laisse une trace dans le sable qui s’efface avec le vent. Une belle image, révélatrice d’un monde au déclin. Le processus est déjà enclenché. Et ces changements surviennent et se succèdent à une vitesse fulgurante. Les décideurs doivent être conscients de ces risques. Nous avons longtemps pensé qu’on pouvait diminuer les inégalités en augmentant le niveau de vie pour tout le monde. Aujourd’hui, ce n’est plus ça. Le niveau moyen des inégalités reste encore faible en France et en Europe, mais il a augmenté aux extrêmes. Vous avez 1 pour mille de très riches en haut de la pyramide et, en bas, 20 pour cent de très pauvres. Notre devoir d’intellectuels, c’est d’arrêter ce déclin. Une société divisée en castes n’est plus une démocratie. Je reste convaincu que si les problèmes sont bien posés, ils peuvent être résolus. De quelle démocratie pourrions-nous discuter sans une égalité des ressources ou une égalité de possibilités ?

 

Antonio Torrenzano. J’affirmais dans ma première question que le monde est en train de vivre des radicaux changements. Nous sommes dans une période de crise planétaire et nous ne savons ce qui en sortira. Le paradoxe – comme il soutient votre collègue Edgar Morin – est aussi l’incertitude cognitive et l’incertitude historique sur ce qui s’est produit. Dans la société, cette incertitude provoque plusieurs formes d’individualismes, égoïsmes et nouvelles solitudes humaines. Pourquoi ?

 

Alain Touraine. Il existe plusieurs formes d’individualisme. En premier lieu, il y a l’individualisme qui est le résultat de la désocialisation avec des jeunes qui échappent à la famille, à l’autorité et une montée de la délinquance. Cet aspect négatif d’une société qui se défait est considérable. La deuxième forme d’individualisme est le communautarisme. « Je suis un individu, j’ai une identité et je veux vivre avec des gens qui ont la même identité ». Enfin, il y a un troisième type d’individualisme qui fait qu’un sujet ne croit plus à la transcendance d’une parole divine ou de la loi. Dans ce troisième type, le sujet trouve le principe de légitimité seulement en lui-même. L’économie a été disjointe du social, le social ne s’appuie plus sur rien, l’économie fonctionne pour elle-même et, dans cette manière, elle vide le monde social de son sens. Le problème plus urgent, aujourd’hui, c’est de redonner à la société de nouveaux moyens pour se reconnaître et de se représenter.

 

Antonio Torrenzano. Qui sommes-nous ? Et quelles sont nos préoccupations communes? Imaginons un instant que le monde soit véritablement un « village planète», selon la métaphore qui sert souvent à décrire l’interdépendance contemporaine. Supposons que ce village compte 1 000 habitants, avec toutes les caractéristiques de la race humaine moderne, répartie exactement selon les mêmes proportions. À quoi ce village ressemblerait-il ? À quels problèmes devrait-il faire face ?

 

Alain Touraine. Nous nous sommes enfermés dans une vision de l’avenir copiée sur le passé de plus en plus loin de la réalité. On est aujourd’hui dans un monde qui n’est ni pensé, ni contrôlé, ni choisi. Nous ne sommes même plus capables d’identifier nos besoins. Il faut renouveler nos schémas d’analyse de la société qui cachent la réalité telle pour comme elle est concrètement. Quelle serait alors la bonne nouvelle ? Une prise de conscience de l’amplitude, de la profondeur et de la complexité de la crise économique et des changements sociaux en cours. On pourrait discuter longtemps des bienfaits et des méfaits de cette mondialisation. Ce processus a porté à l’hégémonie de l’économie, du profit et des échanges et à l’augmentation de zones de misère. Nous devons repenser ce village partant du vécu de chaque citoyen et de sa créativité porteuse de sensibilité civile. Le nouveau terrain de la politique devra redémarrer de la créativité de chaque citoyen et ses aspirations.

Antonio Torrenzano

 

 

 

ActualitéBlogrollEconomieWeb/TechWeblogs

Conversation avec Réda Benkirane, sociologue, écrivain, chercheur, spécialiste de l’information, il est consultant auprès des Nations Unies (CNUCED) à Genève. Ses ouvrages traitent de la Complexité, l’interdisciplinarité et l’interculturel. Réda Benkirane s’occupe depuis longtemps de la construction des savoirs en fonction de la complexité du monde. Un thème très contemporain qu’il a raconté dans son dernier essai « La Complexité, vertiges et promesses: 18 histoires de sciences d’aujourd’hui». Dix-huit histoires sous formes d’entretiens où l’auteur interroge sur la Complexité Edgar Morin, Ilya Prigogine, Neil Gershenfeld, Daniel Mange, Jean-Louis Deneubourg, Luc Steels, Christopher Langton, Francisco Varela, Brian Goodwin, Stuart Kauffman, Bernard Derrida, Yves Pomeau, Ivar Ekeland, Gregory Chaitin, John Barrow, Laurent Nottale, Andrei Linde, Michel Serres. « Je crois, affirme l’auteur, que la raison d’être de ce livre est simplement de tenter de comprendre le monde de demain, et de fonctionner sur le mode de la curiosité plutôt que sur celui de la peur de ce qui va advenir, de tout ce qui pourrait advenir. Je suis à cet égard frappé de voir combien les sociétés technologiquement les plus avancées, politiquement les plus puissantes, militairement les plus imposantes sont tenaillées par la peur. Ce livre est le résultat d’une enquête ethnologique sur les sciences contemporaines. Il me semble que l’approche de la complexité peut être utile aux sociologues et anthropologues pour mieux saisir ces ”Touts sophistiqués” (sophisticated wholes) ou ces ‘’Nous’’ subtilement enchevêtrés (les nôtres et les autres) qui abondent dans toutes sortes d’environnements ».Son site numérique http//www.archipress.org

 

Anna Hohler. Comment expliqueriez-vous la notion de complexité ?

 

Réda Benkirane. La complexité désigne les phénomènes dont «le tout est plus que la somme des parties». Pour signifier ce que la complexité est, je citerais quelques exemples : Internet, marchés financiers, avalanches, crues, extinctions massives d’espèces vivantes, turbulences atmosphériques, fluctuations erratiques de populations animales, progression de maladies épidémiques, évolution de régimes politiques, fonctionnement du cerveau, des gènes, la liste est longue. Pour dire ce que la complexité n’est pas, c’est-à-dire la complication, je citerais encore les exemples de la montre et de l’automobile dont les mécanismes, aussi compliqués soient-ils, ne sont pas complexes. On peut décomposer l’ensemble en éléments que l’on peut remonter pour aboutir à l’objet initial. Il n’en est pas de même des objets complexes.

 

Anna Hohler. Qu’est-ce qui caractérise un système complexe ?

 

Réda Benkirane.Un système complexe est caractérisé par la non-linéarité (quand causes et effets ne sont pas proportionnels), par l’émergence (les propriétés du tout ne sont pas réductibles à celles des composants de base) et enfin par l’évolution (le temps est la dimension dans laquelle le mouvement, l’incertitude se déploient).

 

Anna Hohler. S’agit-il d’une nouvelle discipline ou plutôt d’une nouvelle façon d’aborder des disciplines existantes ?

 

Réda Benkirane.Certains imaginent la complexité comme une nouvelle discipline, d’autres pensent que ce thème est trans- et interdisciplinaire. Personnellement, je suis enclin à penser que c’est plutôt une manière d’aborder des disciplines existantes, de les faire dialoguer entre elles pour traiter de problèmes qui sont plus larges que les différents domaines de validité. Nous sommes entourés de beaucoup de connaissance, mais cernés par une incommensurable inconnaissabilité. Mais ce n’est pas un fait angoissant, c’est au contraire un gain de connaissance! Mais attention, ce dialogue entre disciplines ne peut pas advenir sans rigueur et discipline.

 

Anna Hohler. Comment décririez-vous la complexité aujourd’hui ?

 

Réda Benkirane. Nous vivons actuellement son âge d’or. C’est une science participative de ce qu’elle observe, elle décrit des phénomènes hors de notre contrôle et de notre horizon de prédictibilité. Les sciences non linéaires actuelles mettent fin à une crise de l’interprétation. Il s’agit de décrire des phénomènes très différents entre eux du point de vue des composants, mais qui ont en commun une dynamique et des propriétés d’ensemble. En comprenant les propriétés d’émergence, de turbulence, d’écart à l’équilibre, de transition de phase, en révélant les limites de la calculabilité ou de la prédictibilité, nous comprenons mieux la nature de la nature et nous apprenons à interagir avec elle. Cosmos, bios, homo, toutes ces différentes échelles sont des échelles de la complexité. Ce qui pose problème, cependant, est à mon sens la culture de la complexité qui, en dehors des laboratoires, a du mal à s’imposer au sein de la société qui, elle, procède d’une culture traditionnelle où l’ordre et la stabilité sont des valeurs cardinales. La société se trouve très mal à l’aise avec le temps chaotique et imprévisible, qui n’a plus rien à voir avec le temps chronométrique, hyperstable et réversible auquel on était habitué.

Anna Hohler

 

 

ActualitéBlogrollEconomiePolitiqueReligionWeblogs

Conversation avec Desmond Mpilo Tutu, Archevêque anglican, 80 ans, prix Nobel pour la Paix en 1984 pour son engagement contre l’apartheid en Afrique du Sud. Desmond Tutu a été le premier archevêque anglican noir de ville de Cape Town et responsable de l’Église anglicane pour l’Afrique méridionale. En 1978, l’archevêque devient le premier secrétaire général du Concile des églises africaines du sud. En 1994, après les premières élections démocratiques et pas raciales en Afrique du Sud, le nouveau parlement constitue la Commission pour la vérité et la réconciliation en désignant Desmond Tutu comme leader pour affronter fermement les atroces vérités du passé. Après avoir obtenu le prix Nobel pour la Paix en 1984, Desmond Tutu a continué à travailler au service des plus démunis, des réfugiés, des enfants, des femmes, des personnes âgées. Le dialogue a été développé dans plusieurs reprises et dans différents lieux : au World Social Forum à Nairobi en janvier 2007, à Rome pendant les Rencontres sur la Paix auprès de l’Ara Pacis, à Paris et à Genève près de Nations Unies dans les années 2010 et 2012.

 

Antonio Torrenzano. Quels sont-ils vos souvenirs personnels pendant la période de l’apartheid et après dans la construction de la démocratie en Afrique du Sud ?

 

Archevêque Desmond Tutu. En 1986, quand je suis devenu archevêque il était un scandale que j’allasse à vivre à Bishopscourt, la résidence officielle de l’archevêque anglican de Cape Town. Maintenant, je vis dans un village qu’il était avant habité seulement par des citoyens blancs et ce n’est plus un problème. Avant les écoles étaient rigidement divisées selon les races, maintenant elles sont devenues mixtes. L’éducation publique déroule d’excellents parcours éducatifs et la population scolaire, elle réfléchit l’ensemble cohérent du pays. Les changements sociaux et politiques ils se perçoivent et ils sont en train de modifier ultérieurement mon pays.

 

Antonio Torrenzano. En 1994, après les premières élections démocratiques en Afrique du Sud, le parlement créa la Commission pour la vérité et la réconciliation en désignant comme coordinateur votre personne.Qu’est-ce que c’est le pardon Archevêque Desmond Tutù ?

 

Archevêque Desmond Tutu. Comme êtres humains, nous avons l’extraordinaire capacité de faire du mal et commettre d’horribles atrocités. Mais, de manière surprenante, nous avons aussi la plus haute capacité de faire du bien. De combattre pour le bien commun et de défendre la dignité humaine. Le pardon ce n’est pas minimiser ce qui s’est passé ! Le pardon, c’est reconnaître la gravité et l’horreur des faits marquants sans camoufler les responsabilités. Quoi signifie-t-il pardonner ? La victime et le bourreau doivent être conscients de tout ce qui s’est passé. Imaginez-vous une pièce humide et pleine de moisissure : les fenêtres sont fermées, les tentes tirées, mais au-dehors le soleil resplendit et l’air est frais. Pardonner c’est ouvrir ces fenêtres, faire entrer une nouvelle lumière et du nouvel air dans la vie de la victime et du bourreau en leur donnant la possibilité d’un nouveau début. Pendant les travaux de la commission, j’ai dans plusieurs occasions noté que d’individus qui devaient se consumer dans la colère et dans la vengeance ils ont par contre montré une considérable magnanimité et une noblesse d’esprit. Tout ça, il a été la plus grande leçon que j’ai apprise du travail développé comme chef de la commission.

 

Antonio Torrenzano. Pourquoi avez-vous choisi la formule de la Commission pour la réconciliation ?

 

Archevêque Desmond Tutu. Quand le nouveau parlement choisit la création d’une « Commission pour la vérité et la réconciliation », notre Pays il savait déjà qu’elle avait été la meilleure solution. Nous ne pouvions pas prendre la voie d’un « procès de Nuremberg » parce que nous n’avions pas une nette distinction entre victimes et bourreaux. Nous pouvions, en revanche, opter pour une amnistie générale pour mettre fin à la période historique précédente. Mais, nous n’avons pas non plus choisi cette possibilité juridique. Nous avons choisi la solution de l’amnistie individuelle en offrant la liberté à la place de la vérité. Tous les individus imputés devaient publiquement demander pardon au cours des sessions de la commission. Dans cette manière soit les directs intéressés qui avaient subi de la violence, soit l’entière communauté internationale serait venue à la connaissance de tout ce qu’il avait été réellement l’apartheid en Afrique du Sud. Il n’est jamais trop tard pour se repentir, mais le chemin à accomplir pour le pardon et pour la recomposition d’un rapport doit être toujours clair. Les excuses pourront être acceptées, on pourra pardonner, mais l’authenticité du repentir doit être montrée par la forme de la réparation. La commission n’a pas opéré pour punir les fautes du passé parce que cet objectif il aurait été une mission impossible à poursuivre. Elle a opéré, au contraire, pour créer un climat qui encourageait la réconciliation. Dans ce sens, je crois qu’elle a été amplement efficace.

 

Antonio Torrenzano. Pouvez-vous nous décrire la liberté après avoir vécu la période de l’apartheid ? Dans vos écrits, vous soulignez l’importance du pouvoir de la souffrance qui rend fort chaque individu.

 

Archevêque Desmond Tutu. Maintenant, je peux marcher dans la rue sans peur, d’être reconnu comme individu et de ne pas être considéré comme un fantôme. Sans une robuste foi, je n’aurais pas survécu à la lutte contre l’injustice de l’apartheid. La foi m’a donné la force de penser à un avenir différent pour mon Pays. Elle a été ma certitude.À présent, je vis dans un pays dans lequel les représentants parlementaires ne doivent plus se cacher devant la communauté internationale pour le déshonneur de l’apartheid. Aujourd’hui, mon Pays participe de manière active à la vie de la communauté internationale.

Antonio Torrenzano

 

ActualitéBlogrollEconomiePolitiqueWeblogs

Né de la fusion d’une pensée grecque revivifiée et de l’affirmation de la primauté de l’homme sur la Terre, l’humanisme tel qu’il est apparu à la Renaissance a érigé l’homme en être distinct du reste de la nature : à part et dominateur. Cette vision, elle a non seulement triomphé, mais elle s’est trouvée renforcée par la toute-puissance de l’homme et les transformations que celui-ci a imprimées à la nature. En gagnant du terrain, cet humanisme s’est toutefois déshumanisé. La bombe atomique symbolise à elle seule l’avènement d’une civilisation schizophrène : l‘homme a dompté la nature en se dotant de moyens technologiques de plus en plus puissants, mais il s’est laissé asservir par cette même technologie qui fixe désormais les règles du jeu social, dégrade l’environnement et aggrave les inégalités. L’avenir incertain de notre planète nous impose de repenser le projet humaniste qui devrait, de mon point de vue, reposer sur sept piliers.

 

Promouvoir une politique planétaire. Ce qu’était la cité, pour les Athéniens,est devenu l’État-nation, pour les démocraties modernes. En effet, la citoyenneté – cette invention des anciens Grecs qui marquait l’engagement des membres de la cité envers celle-ci – s’est peu à peu transformée en un engagement vis-à-vis du pays tout entier. La crise planétaire actuelle questionne notre responsabilité de citoyens de la planète. Autrement dit, elle appelle un engagement de l’individu envers l’avenir de l’humanité et de la Terre. Le nouvel humanisme que je préconise doit se montrer sensible à l’importance de tous les êtres humains. Au sentiment de solidarité mondiale.

 

Respecter la diversité des cultures. Par le passé, l’homme s’est montré méprisant vis-à-vis de l’homme comme en témoignent l’extermination des peuples autochtones d’Amérique, la traite négrière et toutes les formes de racisme et de xénophobie qui trahissent des sentiments de supériorité à l’égard d’autres cultures. Si nous voulons bâtir un nouvel humanisme, nous devons combattre l’ethnocentrisme, rendre notre humanité « acentrique » et respectueuse de la diversité culturelle. Nous devons apaiser les conflits entre les cultures et considérer chacune d’entre elles comme une richesse en-soi, et leur interaction comme supérieure à la somme des parties.

 

Mieux protéger l’environnement. Par le passé, l’homme a fait montre d’arrogance et d’irresponsabilité à l’endroit de la nature en lui déniant toute valeur. Il a ainsi épuisé les ressources naturelles et bouleversé l’équilibre écologique, si bien que l’avenir même de la civilisation s’en trouve aujourd’hui menacé. Sur une planète méprisée et aux abois, seuls génèrent de la valeur l’activité humaine et les prix du marché : l’arbre vaut pour le bois qu’il produit, l’animal pour la viande et le cuir qu’il fournit… Le nouvel humanisme que j’appelle de mes voeux devra intégrer pleinement la civilisation dans l’équilibre environnemental. La production économique ne peut plus se mesurer uniquement à l’aune des biens et des services matériels, au PNB. Elle doit prendre en compte l’ensemble des coûts induits par les déchets qu’elle produit.

 

Garantir l’égalité des chances. Si l‘humanisme a été le socle du rêve égalitaire, le capitalisme a exacerbé les inégalités, au point que l’espérance de vie des individus diffère selon qu’ils sont riches ou pauvres. Pour ma part, je rêve d’un humanisme qui garantisse l’égalité des chances et serve d’ascenseur social, qui pose des bornes écologiques contre une consommation épuisant l’environnement et qui garantisse la protection des déshérités.

 

Valoriser une production maîtrisée par l’homme. La valorisation du travail au détriment de la terre a fait de l’homme un producteur de valeurs et placé les travailleurs au centre du processus de production. Mais cette avancée a joué contre l’humanisme dès lors que la valeur s’est transformée en prix fixé par les forces occultes du marché, lesquelles échappent à la vérification de l’homme. Les explications tiennent lieu de justice, la demande supplante la volonté et les désirs consuméristes la satisfaction des besoins. Pour construire un nouvel humanisme, nous devrons réorienter la marche des nations et du genre humain vers un processus de production écologiquement équilibré qui assignera une valeur aux biens non commercialisables. Le nouvel humanisme devra également abolir l’esclavage qui continue d’emprisonner l’homme quand celui-ci est réduit au rang de simple rouage des processus de production.

 

Intégrer une éducation de qualité. L’humanisme, à l’ère de l’industrialisation, promettait un avenir d’égalité de revenus grâce à l’économie. Selon les chantres du capitalisme, l’augmentation de la production et les lois du marché devaient provoquer un « effet de ruissellement », c’est-à-dire une distribution des richesses du haut vers le bas de la pyramide sociale. Selon le socialisme, au contraire, la distribution devait être assurée par l’État et les lois de la planification. Aujourd’hui, sous la nouvelle économie de la connaissance et du capital humain, la clé du progrès économique et de la justice sociale réside dans une éducation de qualité pour tous. Le défi, pour le nouvel humanisme, consistera à fournir à chaque enfant une éducation de qualité, indépendamment de sa race, de la richesse de sa famille ou de son lieu de résidence. « L’effet de ruissellement » promis par le capitalisme ne viendra plus du marché, mais d’un mouvement ascendant induit par l’éducation. L’objectif de ce processus, à long terme, sera l’intégration de l’ensemble des peuples du monde, en utilisant toutes les techniques disponibles au sein d’un réseau planétaire.

 

Affirmer la modernité éthique. La civilisation industrielle se caractérise par une quête insatiable de modernité technique, par l’utilisation de technologies perpétuellement renouvelées. Le nouvel humanisme érigera au contraire les valeurs éthiques en clé de voûte des objectifs sociaux, en fondement d’une rationalité économique gouvernant l’ensemble des choix techniques. Les techniques devront être choisies en fonction de normes éthiques et esthétiques, et non simplement en termes d’efficacité économique. À la modernité technique, définie par l’originalité de la technologie et de l’humanisme, devra se substituer, dans le nouvel humanisme, une modernité éthique. On cessera, par exemple, d’évaluer les transports en fonction du nombre de véhicules privés en circulation, et on les jugera en termes de rapidité, de confort pour les usagers, de ponctualité et d’accès universel. À l’instar d’Einstein le mécréant qui tutoyait Dieu dans l’espoir de lui soutirer les secrets de la création du monde, le nouvel humanisme doit trouver le moyen de construire une civilisation démocratique, tolérante et efficace pour l’humanité entière et pour chaque être humain en particulier, dans le respect de la nature. Ce moyen est le dialogue entre les peuples, de même qu’entre les peuples et la nature. Le nouvel humanisme reposera sur le dialogue entre les cultures et avec la Terre mère.

Cristovam Ricardo Buarque

 

* Cristovam Ricardo Buarque, économiste, professeur à l’université de Brasília, il a été ministre de l’Éducation nationale du 2003 au 2004 pendant le premier mandat politique du Président de l’État brésilien Lula. Il a consacré sa vie politique notamment à la lutte au profit de l’alphabétisation, de la mise en oeuvre d’une réforme agraire, de l’amélioration du système de santé brésilienne et de l’amélioration des conditions de l’emploi au Brésil.

 

ActualitéBlogrollLivresPolitiqueWeblogs

Conversation avec Antoine Guggenheim, directeur du pôle recherche du Collège des Bernardins à Paris (site numérique http://www.collegedesbernardins.fr) et la journaliste Marine Deffrennes, directeur de la rédaction de la revue Terrafemina. Les derniers ouvrages parus de Antoine Guggenheim : «Caresse, Accomplissement et Transcendance» dans Levinas et l’expérience de la captivité, textes réunis et présentés par Danielle COHEN LEVINAS, Lethielleux – Collège des Bernadins, 2011; « Pour un nouvel humanisme. Essai sur la philosophie de Jean-Paul II », coll. «Essai », Collège des Bernardins – Parole et Silence, 2011; « Un humanisme renouvelé est-il possible?» dans Revue des Deux Mondes, mois de septembre 2011.

Marine Deffrennes. Vous appelez à l’élaboration d’un « nouvel humanisme ». Qu’en est-il de «l’ancien » ?

Antoine Guggenheim. Il s’agit de prendre position par rapport à l’humanisme né dans l’Antiquité, à Rome et en Grèce, avec les philosophes de la personne et du droit romain et la prise en compte de l’universel. Tout homme était censé être intéressant, pour les stoïciens. Ensuite, le christianisme et le judaïsme ont apporté le sens de la personne singulière et de son destin. Puis lors de la grande rupture de la renaissance et après les guerres de religion, on a voulu proposer une base non religieuse à l’humanisme. C’est de cela qu’il s’agit dans le nouvel humanisme : un humanisme qui n’est ni athée, ni religieux, mais qui s’offre à tous comme une piste pour aujourd’hui.

Marine Deffrennes. Faut-il rafraîchir cette notion pour qu’elle soit pertinente à notre époque?

Antoine Guggenheim. Il y a aujourd’hui des forces qui sont pour la personne humaine, quelle que soit leur origine religieuse philosophique ou de civilisation, et d’autres qui sont pour le primat de la technique, pour le primat de tous les choix de l’individu contre toute raison humaine. Il y a un vrai besoin de rafraîchir et de clarifier le débat. L’humanisme permet justement la rencontre de civilisations qui ne se sont approchées que sur le bord, comme la civilisation chinoise et la civilisation européenne sont surtout étrangères l’une à l’autre. Ce sont deux altérités presque sans relation. Au XIXe siècle, les Européens sont venus occuper la Chine, et maintenant la Chine se développe. Mais il y a une vraie rencontre. Dans nos sociétés, il y a des enjeux humanistes très forts. L’émancipation féminine est un humanisme. L’humanisme est même presque un féminisme. Que devient l’humanité lorsque dans le travail comme dans la vie familiale, les rôles sont répartis de manière plus équitable, innovante. On n’a jamais fait ça. Nos modèles anciens ne sont plus adaptables, ils seraient même rétrogrades aujourd’hui. L’humanisme a quelque chose à nous dire à propos de ces enjeux.

Marine Deffrennes. Que peut apporter le point de vue humaniste aux grands débats de société ?

Antoine Guggenheim. En économie, on sait que la crise contemporaine vient d’une nouvelle manière de concevoir le rapport entre les équipes de management responsables, les actionnaires qui apportent le capital, et tous les collaborateurs, les clients et sous-traitants. On a mis davantage l’accent sur le rendement financier en espérant qu’on pourrait développer davantage l’activité : permettre à des gens d’emprunter pour s’acheter une maison, même à 30, 40 ou 50 ans. Bref, on a changé le rapport entre le pouvoir des actionnaires et l’ensemble des autres acteurs. Il y a là une sorte de négation de l’humanisme, les collaborateurs dans une entreprise ne deviennent plus que des pions chargés de remplir les caisses, mais ils sont aussi des consommateurs et des emprunteurs. C’est un serpent qui se mord la queue, où l’on est forcé de fonctionner uniquement au service de l’argent. Il y a là un vrai problème qu’on peut traiter de manière plus humaniste. En bioéthique, la connaissance du génome humain va poser des questions humaines, en effet la détermination du code génétique de chacun va devenir possible à brève échéance. On a déjà commencé pour certaines personnes très riches. Une fois qu’on aura déterminé que telle personne peut présenter telle maladie, tel facteur à risque de violence, tel facteur de manque de fidélité affective… Que va-t-il se passer ? Comment une meilleure connaissance de la nature humaine ne va-t-elle pas déboucher sur un pouvoir de l’homme sur l’homme intolérable ?

Marine Deffrennes. Quelle place donner à la femme et à la différence des sexes dans ce nouvel humanisme ?

Antoine Guggenheim. L’humanisme regarde l’être humain dans toutes ses dimensions. La nature nous fait naître homme ou femme. L’humanisme est attentif à la nature, mais aussi au sens de cela et à l’histoire de la personne. Dans cette histoire il y a des évènements qui m’aident à devenir mieux femme mieux homme, et des évènements qui me gênent. Il y aussi des chocs voire des problèmes psychiques, ou des choix personnels, qui font que je désire devenir transsexuel ou vivre une vie homosexuelle. L’humanisme aide à poser ces questions-là, ni en termes purement biologiques et chimiques, ni en termes de pure liberté individuelle, mais en voyant leur dimension sociale. Le dialogue avec les humanistes peut permettre de ne pas faire peser ces questions uniquement sur les épaules de l’individu, il faut pouvoir réfléchir et les éclairer, car nous n’avons pas de solution à l’avance. Il faut chercher.

Marine Deffrennes. Qui sont les grands humanistes d’aujourd’hui ?

Antoine Guggenheim. On peut poser la question autrement : Qui serait antihumaniste aujourd’hui ? Je pense les hommes et les femmes de pur pouvoir, pouvoir culturel, politique, militaire, ou financier. Ils pensent que par la violence de leurs capacités personnelles ou par des systèmes abstraits et impersonnels, ils vont développer une humanité heureuse.

 Marine Deffrennes

Twitter : @M_Deffrennes

ActualitéBlogrollReligionScienceWeblogs

Le terme “humanisme” a connu plusieurs sens. D’abord consacré à ceux qui se vouent aux humanités pendant la Renaissance, il a désigné l’esprit de solidarité entre humains de toutes origines. Aujourd’hui que tous les humains de l’ère planétaire vivent une communauté de destin, il peut prendre un sens concret. Mais il demeure un grand vide au coeur de cette notion: qu’est-ce que l’humain ? Or la condition humaine n’est nulle part enseignée dans nos écoles et universités.

 

Comment la reconnaître ? Nous sommes condamnés à rechercher la base anthropologique de l’humanisme. Quelle est cette base? La première, c’est la trinité humaine, c’est-à-dire que l’humain ne se définit pas par l’individu ou ne se définit pas par la société et ne se définit pas par l’espèce, mais par les trois, inséparablement […]. La société est le produit des interactions individuelles, mais cette société avec ses émergences rétroagit sur les individus, leur donne la culture, le langage et nous sommes les producteurs-produits de la société.

 

Cette trinité est aussi inséparable que la Sainte Trinité où le Père produit le Saint-Esprit qui génère le fils et lequel régénère le Père qui, vous le savez, devient beaucoup plus gentil de la Bible à l’Évangile. Ce processus inséparable signifie que vous ne pouvez plus mettre en compartiments séparés l’espèce, l’individu et la société. Vous avez cette réalité trinitaire et c’est artificiellement et arbitrairement que l’on considère la société avec à l’intérieur des individus qui sont comme dans une boîte ou comme des automates déterminés par la machine sociale. Nous avons donc cette réalité fondamentale qui est bio-anthropho-sociologique, deux termes qu’on ne peut absolument plus séparer. Autre base anthropologique fondamentale, ce qu’est l’être humain en tant qu’individu. On est enfermé dans une triple définition: Homo sapiens, c’est-à-dire animal doté de raison; Homo faber, c’est-à-dire producteur d’outils, technicien; Homo economicus — définition tardive du XVIIIe siècle — mû par son intérêt personnel.

 

Ces trois notions sont justes, mais tout à fait insuffisantes parce que, en même temps que l’Homo sapiens, il y a l’Homo demens, c’est-à-dire que le délire, la folie, ne sont pas des cas limites de ceux qu’on enferme dans des asiles, ce sont des potentialités humaines qui se révèlent dans la moindre de nos colères, qui se révèlent dans le désir infini de conquête, des Gengis Khan ou d’autres, qui se révèlent sans arrêt dans l’histoire humaine, dans ce que les Grecs appellent l’hubris, la démesure. Bref, entre le pôle de la raison et le pôle de la folie, il y a toute la zone de l’affectivité. Mais l’affectivité, elle, et les travaux d’Antonio Damasio et de Jean-Didier Vincent, qui ont étudié le cerveau, notamment à travers les imageries cérébrales, ont démontré qu’il n’y a pas de raison pure; c’est-à-dire que, quand les centres d’activité rationnelle sont en mouvement, des centres d’affectivité sont mis en mouvement.

 

Le mathématicien qui fait ses calculs est animé par la passion des mathématiques. Autrement dit, il n’y a pas de raison sans un minimum d’émotion ou de passion et donc le moment du délire. C’est quand la rationalité, soit est occultée, paralysée par la passion, soit quand elle se met au service de la passion humaine, de la folie, ce qu’ont très bien montré Adorno et Horkheimer dans leur idée de la rationalité instrumentale qui sert à construire aussi bien Auschwitz que l’arme nucléaire. Donc, il faut dépasser cette conception simpliste de l’Homo sapiens pour la conception complexe. Par ailleurs, il n’y a pas seulement l’Homo faber: dès Néandertal, dès les sociétés archaïques, il y a des croyances mythologiques en une vie après la mort, sous forme de spectre immatériel ou sous forme de renaissance; il n’y a pas de société sans mythologie, dont la croyance en une vie post mortem et la prolifération mythologique ne s’est nullement arrêtée avec la disparition des anciens mythes et des anciens Dieux, comme ceux de l’Olympe, etc. Nous avons créé des mythes modernes, notamment le mythe du progrès comme on voit dans l’Histoire.

 

Le communisme fut une religion qui se croyait d’être une science, mais qui portait une promesse messianique. Je dirai même que le néolibéralisme qui a régné comme science économique fut l’une des mythologies les plus minables qu’a produit l’humanité. Donc, Homo faber est inséparable d’Homo mythologicus. Enfin l’Homo economicus mû par son intérêt personnel est de plus en plus évident dans notre civilisation. Mais, nous voyons aussi l’Homo ludens qu’avait bien diagnostiqué Huizinga, c’est-à-dire celui de la dépense, du jeu, de la fête, de ce que Georges Bataille va appeler la consumation. Ainsi, évidemment, ce sont des notions antagonistes qui définissent l’être humain. Et j’arrive même à cette idée, c’est qu’il y a un ensemble qu’on peut dire le pôle prosaïque de la vie humaine, c’est-à-dire les obligations qu’on doit faire sans intérêt, et le pôle poétique, c’est-à-dire ce que nous faisons avec passion, avec amour, avec communion, avec fête.

 

Il faut penser, donc, que, dès le départ, nous avons Homo complexus et c’est très important parce que, si vous pensez à la Hobbes que l’homme est par nature mauvais, il faut tout faire pour contrôler cet animal méchant. Mais, si vous dites que l’homme est bon, alors il faut tout faire pour laisser sa bonté naturelle s’exprimer. Mais si vous pensez qu’il est capable du bon et capable du mauvais, vous avez une problématique politique beaucoup plus complexe et beaucoup plus riche: comment faire pour que le meilleur puisse s’exprimer, comment faire pour que la poésie puisse s’épanouir et pour que soient inhibées les tendances destructrices, folles. Donc si vous voulez, je pense que la question de l’Homo complexus est indispensable pour la pensée et pour l’action notamment politique.

 

Ensuite, il y a aussi une autre donnée anthropologique: c’est le lien entre l’unité et la diversité humaine. L’unité est incontestable: unité génétique, unité anatomique, unité physiologique, unité cérébrale. Nous sommes tous pareils. Mais nous sommes tous différents. Les individus sont différents par la physionomie, par le caractère, par les aptitudes. C’était Neel qui, étudiant une tribu indienne d’Amazonie qui s’est trouvée pendant plusieurs siècles isolée dans un isolat génétique, avait remarqué que chez ces indigènes, cette petite population, il y avait des différences entre individus aussi grandes que ce qu’on rencontrait dans le métro à Londres. C’est dire que même un isolat génétique produit des individus différents. J’ajoute que c’est parce qu’il y a des différences individuelles dans toutes les sociétés qu’il y a des êtres anomiques, des déviants, des gens qui ne croient pas aux dogmes que la société impose et qui sont rétifs. Je suis persuadé que partout où règnent des dogmes, des religions, il y a des individus qui n’y croient pas, mais évidemment, s’ils sont très prudents, ils ne se manifestent pas trop. S’ils sont imprudents, ils peuvent être fondateurs d’une nouvelle idée, d’une nouvelle religion.

 

Ce qui est capital, c’est que c’est à partir de l’unité humaine que se sont générées les diversités, non seulement individuelles, mais aussi culturelles et sociales. La culture, c’est-à-dire le langage, la musique, les arts et les techniques, est un phénomène propre à l’humanité. Et bien, la culture, elle, on ne la connaît qu’à travers des cultures différentes. Si la musique est présente dans toutes les sociétés, on ne connaît la musique qu’à travers les diverses musiques. Si on a tous le même langage à double articulation, celui qui a été défini comme tel par Jakobson et autres, toutes les langues sont différentes les unes des autres, dans leurs grammaire, syntaxe, etc. Donc, unité et diversité, c’est un phénomène très important et qui nous ramène à la diversité propre aux individus d’une même société. Cela veut dire aussi que c’est très important pour les processus d’évolution, de transformation et de création. Ce n’est pas seulement que certains individus peuvent réaliser des aptitudes artistiques, créatrices en musique, en poésie et en art, mais c’est aussi de voir comment de grandes innovations mythologiques ou religieuses sont parties d’individus déviants, comme le prince Shakyamuni Siddhārtha, qu’on a appelé le Buddha, l’éveillé: c’était un homme qui s’est mis à réfléchir tout seul sur la souffrance, sur l’impermanence, et de sa réflexion est née un message que quelques disciples ont “engrammé”.

 

Puis ça s’est répandu, une déviance est devenue une tendance et une tendance est devenue une force historique: le Bouddhisme qui s’est propagé en Chine et en Extrême-Orient. Jésus de Nazareth était un chaman, condamné par le Temple, qui n’a eu que quelques disciples. Mais il s’est trouvé que, par quelques rebondissements historiques imprévisibles, un autre individu chargé justement de persécuter les chrétiens, Saul, qui va devenir Paul, devient, à la suite d’une conversion très, très étonnante, l’annonciateur de la nouvelle religion, en rompant avec les rites de la synagogue, et annonçant une bonne nouvelle universelle alors que le message juif était limité au peuple élu. Et après quelques siècles d’incubation, le Christianisme a triomphé dans l’Empire romain. (…) De même, le capitalisme est né de marchands, des navigateurs, qui ont commencé à trafiquer des épices, du poivre, de la soie, d’autres produits exotiques, et finalement corrompre de l’intérieur le monde féodal, avec l’aide d’une puissance nouvelle qu’est la monarchie, et transformer la société médiévale.

 

De même, la science moderne a commencé en déviance… Au XVIIe siècle, c’est Descartes, c’est Galilée, c’est Bacon, qui en élaborent les idées de base. À partir de ces individus, une force historique va se développer au XVIIIe, au XIXe et d’une manière formidable au XXe. Donc, le problème de la diversité humaine, c’est le problème aussi des déviances, des tendances, des conflits, qui créent cette diversité. Ainsi donc, l’humanisme doit considérer la complexité humaine, tissée elle-même de contradictions et d’antagonismes internes. Il ne saurait vouloir abolir l’Homo mythologicus, mais le faire dialoguer avec Homo sapiens. Il ne saurait abolir l’Homo demens, mais introduire partout une dialectique entre raison et passion et rendre ces deux termes inséparables. Il ne saurait abolir homo economicus, mais il devrait le contrebalancer dans le développement de l’Homo ludens ou mieux, de l’Homo poeticus.

 

Edgar Morin