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alep_ville_detruite_imageAprès quatre ans de conflit, la Syrie est en train de subir des dégâts économiques et sociaux qui n’auraient pas été inimaginables avant 2011. Les données statistiques disponibles sont minimales, mais une estimation reste possible. Le prix de la guerre aurait été de plus de 140 milliards de dollars jusqu’aujourd’hui, c’est-à-dire 170 % du PIB syrien. Certains économistes prévoient que même si la croissance économique syrienne devait être de 5% au moins chaque année, il lui faudrait plus de 30 ans pour se remettre de la guerre.

Avant le conflit en 2009, le produit intérieur brut se répartissait dans les proportions suivantes : agriculture 19 %, industrie 34 % et services 47 %. Depuis 2010, le PIB a été presque divisé par deux. La Syrie exportait avant la guerre près de 92 % de son pétrole vers l’Union européenne et sa production pétrolière d’avant-guerre était de 400.000 barils par jour. Aujourd’hui elle n’est que d’à peine 15.000 barils. La dévaluation de la monnaie continue : le dollar est passé de 47 à 150 livres syriennes. Le secteur du tourisme, par exemple, dont l’activité s’élevait à six milliards de dollars soit 10% du PIB avant le conflit, n’est plus qu’un souvenir à présent. Au mois d’octobre 2013, l’ONU avait estimé que l’économie syrienne avait perdu 103 milliards de dollars entre le début du conflit et la moitié de l’année 2013, dont 49 milliards pour la seule année 2012. Le chômage s’élevait jusqu’au premier trimestre de l’année 2013 à 2.3 millions de postes de travail (surtout de travailleurs) en raison de l’arrêt de nombreuses usines et la fuite d’hommes d’affaires hors du pays avec leurs capitaux. Le résultat aujourd’hui serait le suivant : le taux de chômage s’approche aujourd’hui au 58% et la moitié des 23 millions de Syriens vivent à présent sous le seuil de pauvreté dont 4,4 millions survivent dans une pauvreté extrême, toujours selon les Nations Unies.

Mais, le conflit en Syrie a également provoqué au sein des pays de la région des transformations économiques. Un document de travail de la Banque mondiale publié récemment a montré par exemple les effets économiques directs et indirects de ce conflit sur six pays de la Région du levant : la Turquie, la Syrie, le Liban, la Jordanie, l’Iraq et l’Égypte. Le conflit a fortement perturbé les échanges commerciaux parmi ces pays, alors qu’ils avaient été multipliés par sept entre le début et la fin des années 2000. Le même a apposé une limite aux travaux de renforcement des liens commerciaux intra régionaux qui étaient se manifestés à la suite de la signature d’un accord entre la Turquie, la Syrie, le Liban et la Jordanie en 2010. Les analyses de la Banque Mondiale montrent que la guerre a entraîné, jusqu’à présent, des pertes de production se chiffrant à près de 35 milliards de dollars (aux prix de 2007) pour les six pays concernés. En d’autres termes, le poids économique cumulé de ces économies, mesuré par leur produit intérieur brut, aurait été supérieur de 35 milliards de dollars si la guerre n’avait pas éclaté… Ce coût considéré dans son ensemble est tout simplement équivalent au PIB syrien de 2007.

Toutefois, ces pertes sont inégalement réparties. Les pays les plus touchés par la guerre, la Syrie et l’Iraq, paient le plus lourd tribut sur le plan des coûts économiques directs et du manque à gagner dû à l’absence d’une intégration économique plus poussée: en Syrie et en Iraq, le revenu moyen par habitant en termes constants est ainsi inférieur de respectivement 25 et 28% à ce qu’il aurait pu être sans le conflit. Les coûts directement imputables à la guerre sont considérables, puisqu’ils sont associés à une diminution du PIB par habitant de 14% en Syrie et de 16% en Iraq. Selon l’Economist intelligence unit, le PIB syrien a été de 29 milliards de dollars en 2014, bien loin des 60 milliards enregistrés en 2010. Les sanctions internationales adoptées depuis 2011 ont largement contribué à paralyser de manière principale le secteur bancaire et le secteur pétrolier autant que tous les autres. L’embargo commercial auquel la Syrie est soumise constitue le principal facteur à l’origine de ces coûts directs, suivis par la diminution des effectifs et des compétences de sa population active due aux pertes humaines et à l’exode des réfugiés, la destruction des infrastructures, et l’augmentation du coût de l’activité économique dans les zones touchées par le conflit.

Les autres pays de la région ont subi des pertes au niveau du revenu moyen par habitant sans pour autant enregistrer des pertes de revenu global dues aux effets directs du conflit. L’afflux de réfugiés au Liban, en Jordanie et en Turquie a en effet dopé la consommation, l’investissement et l’offre de main-d’œuvre, et par conséquent la taille de leur économie. Mais, dans tous les cas, comme le revenu global a moins augmenté que la population, la guerre a eu un impact négatif sur le niveau de vie dans ces pays : au Liban, le revenu moyen par habitant est inférieur de 11% au niveau qu’il aurait pu atteindre s’il n’y avait pas eu de guerre, tandis que la baisse est limitée à 1,5% en Turquie, en Jordanie et en Égypte. Pour ces trois pays, le manque à gagner dû au gel des initiatives d’intégration commerciale est supérieur aux coûts directs de la guerre. En Syrie, la quasi-totalité des secteurs économiques a souffert, mais la propriété foncière a été particulièrement touchée du fait de la forte chute de la demande de terrains causée par l’exode d’un très grand nombre d’habitants. Au Liban et en Turquie, en revanche, les propriétaires terriens ou les détenteurs d’entreprise ont eu un avantage de la crise syrienne, car l’afflux de réfugiés syriens a contribué à augmenter la demande locale de biens et de services (faisant ainsi augmenter les prix) mais aussi l’offre de main-d’œuvre. Les effets directs du conflit dans la région ne constituent donc malheureusement qu’une partie des coûts économiques réels de la guerre civile en Syrie et de la progression de Groupe État Islamique. La guerre a mis fin au développement d’un commerce intra régional et aux plans de renforcement de l’intégration commerciale. Mais, l’économie syrienne a jusqu’à présent évité le pire, c’est-à-dire l’effondrement complet par l’action financière de la Russie et de l’Iran. L’Iran a ouvert depuis juillet 2013 une ligne de crédit de 3,8 milliards de dollars à faveur du régime de Damas. Moscou, en revanche, est en train de jouer un rôle de soutien industriel pour l’économie du pays.

La faim et l’indigence sont devenues l’ennemi quotidien des masses populaires dans toute la Syrie. L’économiste Jihad Yazigi, responsable du site d’information économique The Syria Report, explique que « l’économie syrienne s’est radicalement transformée et elle a été en grande partie détruite. De même, les grandes entreprises ont cessé de produire. De nombreux acteurs industriels et financiers ont quitté le pays ».

Antonio Torrenzano

*Document de travail de la Banque Mondiale n°1 sur l’impact économique du conflit syrien dans la région du Levant (Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, Irak et Égypte). Site web http://documents.banquemondiale.org/curated/fr/2004/12/22316371/economic-effects-syrian-war-spread-islamic-state-levant

Document de travail de la Banque Mondiale n°2 sur les prospectives économiques de la région du Levant (Turquie, Syrie, Liban, Jordanie, Irak et Égypte). Les deux textes sont en langue anglaise. Site web http://documents.banquemondiale.org/curated/fr/2014/03/19705527/over-horizon-new-levant